Le Moine et le Philosophe/Tome 2/I/XVIII

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Le Roi (2p. 33-36).


CHAPITRE XVIII.

Laurette chassée du sérail.


Revenons à la maladroite Laurette. Nous l’avons laissée avec Abenzaïd, dont elle n’a pas eu le courage de délivrer Israël.

Le mécréant voulut savoir pourquoi. C’est, lui dit-elle, un précepte de la loi de Dieu. Toute vierge qui couche avec un ennemi de son peuple doit lui couper le cou. Cela s’appelle un assassinat, répondit le mécréant. Qu’importe, répliqua la chrétienne, si le but est bon ? Mais, observa le Sarrazin, si vous êtes obligée de tuer vos amans, ne vaudrait-il pas mieux n’avoir point d’amans ; votre loi ne vous ordonne pas de coucher avec les hommes. — L’innocente ne sut que répondre ; cependant l’observation était pitoyable, je l’aurais bien prouvé, l’histoire ecclésiastique à la main. La ruse est permise contre les ennemis de Dieu, nul n’est tenu de garder sa foi aux hérétiques. C’est incontestable ; donc s’il est nécessaire, on peut, et l’on doit, les embrasser pour les étouffer ; donc la conduite de Laurette était classique. Dieu se venge comme bon lui semble, ou par le moyen de la foudre, ou par le couteau d’un moine, ou par le poignard de Judith, ou par le clou de Jahel. S’il en était autrement, les ligueurs n’auraient pas eu le droit de faire la Saint-Barthélemy, les Irlandais d’égorger les protestans, le saint père Innocent III d’ordonner le massacre des Albigeois, le bienheureux Clément de saigner Henri de Valois[1], ni feu M.  de Ravaillac de tuer le Béarnais, auteur de l’édit de Nantes ! Et alors que deviendrait l’Église militante et triomphante ? Elle serait obligée de souffrir les hérésies et d’obéir aux tyrans. Dieu serait soumis aux hommes… On voit où nous mènerait une fausse piété, une tolérance sacrilége… Les philosophes veulent raisonner : eh bien, soit ! jusqu’à ce que nous puissions l’empêcher ; mais nous, nous raisonnons aussi, dieu merci.

On relégua Laurette dans les cuisines, on lui donna le soin de saigner les poulets et de faire passer la peau aux lapins par-dessus leurs oreilles.

Cependant les oraisons de quiétude avaient eu des suites. Laurette mit au jour deux beaux petits moinillons, comme le dit le malin Chroniqueur. Abenzaïd, touché de ses malheurs, résolut de la rendre à sa patrie, il fit charger de richesses et de provisions un de ses dromadaires, et les lui donna, ainsi que trois esclaves auxquels il prescrivit de la conduire à Joppé, et de s’embarquer avec elle pour l’Europe.




  1. Le Pape (Sixte-Quint) dit en plein consistoire : « Cette mort qui donne tant d’admiration sera crue à peine de la postérité. Un puissant Roi est tué d’un coup de couteau par un pauvre religieux. Ce grand exemple a été donné afin que chacun connaisse la force des jugemens de Dieu. »