Le Monde comme volonté et comme représentation/Livre IV/§ 54

La bibliothèque libre.
Traduction par Auguste Burdeau.
Librairie Félix Alcan (Tome premierp. 436).
§ 54. — De la volonté de vivre. La vie est inhérente à la volonté ; la mort ni le temps ne la lui peuvent ravir. L’horreur de la mort n’est que l’attachement à la forme individuelle de la vie. Elle disparaît chez le sage qui se sait identique à l’éternelle volonté. Négation de la volonté de vivre : définition préliminaire. 
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§ 54


Après les trois livres qui précèdent, il est, j’espère, une vérité qui doit être claire et bien établie dans les esprits : c’est que le monde, en tant qu’objet représenté, offre à la volonté le miroir où elle prend connaissance d’elle-même, où elle se voit dans une clarté et avec une perfection qui va décroissant par degrés, le degré supérieur étant occupé par l’homme ; c’est aussi que l’essence de l’homme trouve à se manifester pleinement d’abord par l’unité de sa conduite où tous les actes se tiennent, et qu’enfin cette unité, c’est la raison qui lui permet d’en prendre conscience, en lui permettant d’en embrasser l’ensemble, d’un coup d’œil et in abstracto.

La volonté, la volonté sans intelligence (en soi, elle n’est point autre), désir aveugle, irrésistible, telle que nous la voyons se montrer encore dans le monde brut, dans la nature végétale, et dans leurs lois, aussi bien que dans la partie végétative de notre propre corps, cette volonté, dis-je, grâce au monde représenté, qui vient s’offrir à elle et qui se développe pour la servir, arrive à savoir qu’elle veut, à savoir ce qu’est ce qu’elle veut : c’est ce monde même, c’est la vie, telle justement qu’elle se réalise là. Voilà pourquoi nous avons appelé ce monde visible le miroir de la volonté, le produit objectif de la volonté. Et comme ce que la volonté veut, c’est toujours la vie, c’est-à-dire la pure manifestation de cette volonté, dans les conditions convenables pour être représentée, ainsi c’est faire un pléonasme que de dire : « la volonté de vivre », et non pas simplement « la volonté », car c’est tout un.

Donc, la volonté étant la chose même en soi, le fond intime, l’essentiel de l’univers, tandis que la vie, le monde visible, le phénomène, n’est que le miroir de la volonté, la vie doit être comme la compagne inséparable de la volonté : l’ombre ne suit pas plus nécessairement le corps ; et partout où il y a de la volonté, il y aura de la vie, un monde enfin. Aussi vouloir vivre, c’est aussi être sûr de vivre, et tant que la volonté de vivre nous anime, nous n’avons pas à nous inquiéter pour notre existence, même à l’heure de la mort. Sans doute l’individu, sous nos yeux, naît et passe, mais l’individu n’est qu’apparence ; s’il existe, c’est uniquement aux yeux de cet intellect qui a pour toute lumière le principe de raison suffisante, le principium individuationis : en ce sens, oui, il reçoit la vie à titre de pur don, qui le fait sortir du néant, et pour lui la mort c’est la perte de ce don, c’est la rechute dans le néant. Mais il s’agit de considérer la vie en philosophe, de la voir dans son Idée : alors nous verrons que ni la volonté, la chose en soi, qui se trouve sous tous les phénomènes, ni le sujet connaissant, le spectateur des phénomènes, n’ont rien à voir dans ces accidents de la naissance et de la mort. Naissance, mort, ces mots n’ont de sens que par rapport à l’apparence visible revêtue par la volonté, par rapport à la vie ; son essence, à elle volonté, c’est de se produire dans des individus, qui, étant des phénomènes passagers, soumis dans leur forme à la loi du temps, naissent et meurent : mais alors même ils sont les phénomènes de ce qui, en soi, ignore le temps mais qui n’a pas d’autre moyen de donner à son essence intime une existence objective. Naissance et mort, deux accidents qui au même titre, appartiennent à la vie ; elles se font équilibre ; elles sont mutuellement la condition l’une de l’autre, ou, si l’on préfère cette image, elles sont les pôles de ce phénomène, la vie, pris comme ensemble. La plus sage des mythologies, celle des Hindous, a bien su rendre cette vérité : Brama, le moins noble et le moins haut des dieux de la Trimourti, représentant la génération, la naissance, et Vichnou la conservation, c’est au dieu qui symbolise la destruction, la mort, à Schiwa, qu’elle a donné, avec le collier de têtes de mort, comme attribut, le Lingam, symbole de la génération. Ici la génération apparaît comme le complément de la mort ; ce qui doit nous faire entendre, que ces deux termes sont par essence corrélatifs, ayant pour fonction de se neutraliser mutuellement et de s’annuler. — C’est dans cette même pensée que les Grecs et les Romains ornaient leurs sarcophages de ces précieuses sculptures où nous voyons encore représentés des fêtes, des danses, des festins, des chasses, des combats de bêtes, des bacchanales, mille tableaux enfin, où éclate dans toute sa force l’amour de la vie ; et parfois, ce n’est pas assez de ces images joyeuses, il faut des groupes même licencieux, jusqu’à des accouplements entre chèvres et satyres. De toutes ces images le but évident était de détourner nos yeux de la mort du défunt dont on célébrait le deuil, et, par un effort violent, de les élever jusqu’à considérer la vie immortelle de la nature ; ainsi, sans arriver jusqu’à une notion abstraite de cette vérité, pourtant on faisait entendre aux hommes que la nature entière était la manifestation de la volonté de vivre et son accomplissement. Cette manifestation a pour forme le temps, l’espace et la causalité, puis et par conséquent l’individuation, d’où sort pour l’individu la nécessité de naître et de mourir, sans que d’ailleurs cette nécessité atteigne en rien la volonté même de vivre : au regard de cette volonté, l’individu n’est qu’une de ses manifestations, un exemplaire, un échantillon ; quand un individu meurt, la nature dans son ensemble n’en est pas plus malade : la volonté non plus. Ce n’est pas lui, en somme, c’est l’espèce seule qui intéresse la nature ; c’est sur elle, sur sa conservation, que la nature veille avec tant de sollicitude, à si grands frais, gaspillant sans compter les germes, allumant partout le désir de la reproduction. Quant à l’individu, pour elle il ne compte pas, il ne peut pas compter : n’a-t-elle pas devant elle cette triple infinité, le temps, l’espace, le nombre des individus possibles ? Aussi elle n’hésite point à laisser disparaître l’individu ; ce ne sont pas seulement les mille périls de la vie courante, les accidents les plus minimes, qui le menacent de mort : il y est voué dès l’origine, et la nature l’y conduit elle-même, dès qu’il a servi à la conservation de l’espèce. Tout naïvement, elle nous déclare ainsi la grande vérité : que les Idées seules, non les individus, ont une réalité propre, étant seules une véritable réalisation objective de la volonté. Or l’homme, c’est la nature, la nature arrivée au plus haut degré de la conscience de soi-même ; si donc la nature n’est que l’aspect objectif de la volonté de vivre, l’homme, une fois bien établi dans cette conviction, peut à bon droit se trouver tout consolé de sa mort et de celle de ses amis : il n’a qu’à jeter un coup d’œil sur l’immortelle nature : cette nature, au fond, c’est lui. Voilà donc ce que veulent dire et Schiwa avec son lingam, et les tombeaux antiques avec leurs images de la vie dans toute son ardeur : ils crient au spectateur qui se plaint : « Natura non contristatur[1]. ».

Doute-t-on encore que la génération et la mort ne doivent être à nos yeux qu’un accident de la vie, accident propre à cette manifestation de la volonté, à elle seulement ? voici une nouvelle preuve : c’est que l’une et l’autre sont simplement le mouvement même dont la vie est toute faite, mais élevé à une puissance supérieure. Qu’est-ce en fin de compte que la vie ? un flux perpétuel de la matière, à travers une forme qui demeure invariable : de même l’individu passe, et l’espèce ne passe pas. Or, entre l’alimentation ordinaire et la génération, d’une part, les pertes ordinaires de substance et la mort de l’autre, il n’y a qu’une différence de degré. Quant au premier de ces deux points, on en trouve l’exemple le plus simple du monde et le plus clair chez la plante. La plante n’est que la répétition prolongée d’un seul et même acte, le groupement des fibres élémentaires, en feuilles et en brindilles ; c’est un rassemblement régulier de plantes semblables entre elles, qui se supportent mutuellement, et dont tout le désir est de se reproduire sans fin. Enfin ce désir arrive au comble de la satisfaction, quand, à travers tous les degrés des métamorphoses, elle parvient à la floraison, à la fructification : là est le résumé de toute son existence, de tous ses efforts ; et ce qui, dans ce résultat, était l’objet de son aspiration, son but unique, c’est de réaliser par milliers et non plus un à un ces produits qu’elle cherche : des individus pareils à elle. Entre son travail pour créer le fruit, et le fruit même, il y a le même rapport qu’entre le livre manuscrit et l’imprimerie. Visiblement il en est de même pour les bêtes. La nutrition n’est qu’une génération lente, la génération qu’une nutrition élevée à une puissance supérieure, et le plaisir qui l’accompagne une exaltation du bien-être que cause la vie. D’autre part, les excrétions, les pertes de substance qui se font par la respiration et autrement, ne sont qu’un diminutif de la mort, corrélatif de la génération. Eh bien, si nous savons, nous contenter de conserver notre forme sans porter le deuil de la matière que nous abandonnons, nous devons en faire autant quand la mort vient nous imposer un abandon plus étendu, total même, mais tout semblable à celui que nous subissons chaque jour, à chaque heure, par la simple excrétion. Devant l’un nous sommes indifférents : pourquoi reculer d’horreur devant l’autre ? De cette hauteur-là, nous ne trouvons pas l’absurdité moindre, de souhaiter la perpétuité de notre existence individuelle, alors qu’elle doit être continuée par d’autres individus, que de souhaiter conserver la matière de notre corps, au lieu de la laisser remplacer insensiblement par d’autre : il ne nous paraît pas moins fou d’aller embaumer les cadavres qu’il ne le serait de conserver précieusement les résidus quotidiens du corps. Et si l’on parle de la conscience, qui est individuelle, liée à un corps particulier, eh bien n’est-elle pas chaque jour, par le sommeil, totalement interrompue ? Du sommeil profond à la mort, outre que le passage se fait parfois tout insensiblement, ainsi dans les cas de congélation, la différence, tant que le sommeil dure, est absolument nulle : elle ne se marque qu’au regard de l’avenir, par la possibilité du réveil. La mort, c’est un sommeil, où l’individualité s’oublie : tout le reste de l’être aura son réveil, ou plutôt il n’a pas cessé d’être éveillé[2].

Avant tout, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la forme propre de la manifestation du vouloir, la forme par conséquent de la vie et de la réalité, c’est le présent, le présent seul, non l’avenir, ni le passé : ceux-ci n’ont d’existence que comme notions, relativement à la connaissance, et parce qu’elle obéit au principe de raison suffisante. Jamais homme n’a vécu dans son passé, ni ne vivra dans son avenir : c’est le présent seul qui est la forme de toute vie ; mais elle a là un domaine assuré, que rien ne saurait lui ravir. Le présent existe toujours, lui et ce qu’il contient : tous deux se tiennent là, solides en place, inébranlables. Tel, au-dessus de la cataracte, l’arc-en-ciel. Car la volonté a pour propriété, à elle assurée, la vie ; et la vie, le présent. Parfois, quand nous reviennent en l’esprit tant de milliers d’années écoulés, tant de millions d’hommes qui y ont vécu, alors nous nous demandons : qu’est-ce qu’ils étaient donc ? et de ce qu’ils étaient, qu’est-il advenu ? — Mais alors nous n’avons qu’à évoquer devant nous le passé de notre propre vie, qu’à en faire revivre les scènes dans notre imagination, puis à nous faire cette autre question : Qu’est-ce donc qu’était tout cela ? et qu’est devenu ce qui fut tout cela ? — Car la question est la même, ici, que pour les millions d’hommes de tout à l’heure, à moins de penser que le passé reçoit de la mort même, qui lui met le sceau, une existence nouvelle. Mais notre propre passé, même le plus récent, même la journée d’hier, n’est plus rien qu’un rêve creux de notre fantaisie ; et de même l’existence de tous ces millions d’hommes, qu’était tout cela ? qu’est-ce que cela, aujourd’hui ? — C’était, c’est la volonté, à qui la vie sert de miroir, la volonté avec la libre intelligence, qui dans ce miroir la reconnaît clairement. Quelqu’un se trouve-t-il encore peu en état de saisir cette vérité, ou s’y refuse-t-il : aux questions de tout à l’heure touchant le sort des générations disparues, qu’il ajoute encore celle-ci : Pourquoi lui, lui qui parle, a-t-il tant de bonheur, que d’avoir en sa possession cette chose si précieuse, si fugitive, la seule réelle, le présent ; tandis que ces générations d’hommes par centaines, tandis que les héros, les sages des temps, ont sombré dans la nuit du passé, sont tombés dans le néant ? Pourquoi lui, pourquoi ce mot, de si peu de valeur, est-il là bien réel ? Ou encore, — la question sera plus brève, mais non moins étrange : Pourquoi ce maintenant-ci, son maintenant à lui, est-il justement maintenant ? pourquoi n’a-t-il pas été il y a longtemps déjà ? On le voit par la singularité même de la question qu’il pose : à ses yeux son existence et son temps sont deux choses indépendantes entre elles ; celle-ci s’est trouvée jetée au milieu de celui-là ; au fond, il admet deux maintenant, l’un qui appartient à l’objet, l’autre au sujet, et il se réjouit du hasard heureux qui les a fait coïncider. Mais en réalité, ce qui constitue le présent, c’est, — je l’ai fait voir dans mon essai sur le Principe de raison suffisante, — le point de contact de l’objet avec le sujet, l’objet qui a pour forme le temps, avec le sujet qui n’a pour forme aucune des expressions de la raison suffisante. Or un objet quelconque n’est que la volonté, mais passée à l’état de représentation, et le sujet est le corrélatif nécessaire de l’objet ; d’autre part, il n’y a d’objets réels que dans le présent : le passé et l’avenir sont le champ des notions et fantômes ; donc le présent est la forme essentielle que doit prendre la manifestation de la volonté : il en est inséparable. Le présent est la seule chose qui toujours existe, toujours stable, inébranlable. Aux yeux de l’empiriste, rien de plus fugitif ; pour le regard du métaphysicien, qui voit par delà les formes de l’intuition empirique, il est la seule réalité fixe, le nunc stans des scolastiques. Ce qu’il contient a pour racine et pour appui la volonté de vivre, la chose en soi ; et nous sommes cette chose. Quant à ce qui en chaque instant devient et disparaît, ce qui a été jadis ou sera un jour, tout cela fait partie du phénomène en tant que tel, grâce aux lois formelles qui lui sont propres et qui rendent possible le devenir et l’anéantissement. A la question : Quid fuit ? il faut donc répondre : Quod est ; et à celle-ci : Quid erit ?Quod fuit. — Entendez ces mots dans le sens précis : le rapport n’est pas de similitude, mais d’identité. Car la propriété de la volonté, c’est la vie ; et celle de la vie, le présent. Aussi chacun a-t-il le droit de se dire : « Je suis, une fois pour toutes, maître du présent ; durant l’éternité entière, le présent m’accompagnera, comme mon ombre : aussi je n’ai point à m’étonner, à demander pourquoi ailleurs il n’est plus qu’un passé, et comment il se fait qu’il tombe justement maintenant. »

Le temps peut se comparer à un cercle sans fin qui tourne sur lui-même : le demi-cercle qui va descendant serait le passé ; la moitié qui remonte, l’avenir. En haut est un point indivisible, le point de contact avec la tangente : c’est là le présent inétendu. De même que la tangente, le présent n’avance pas, le présent, ce point de contact entre l’objet qui a le temps pour forme, et le sujet qui est sans forme, parce qu’il sort du domaine de ce qui peut être connu, étant la condition seulement de toute connaissance. Le temps ressemble encore à un courant irrésistible, et le présent à un écueil, contre lequel le flot se brise, mais sans l’emporter. La volonté prise en soi n’est pas plus que le sujet de la connaissance soumise au principe de raison suffisante : au reste ce sujet, en un sens, c’est elle-même, ou du moins sa manifestation. Et de même que la volonté a pour compagne assurée la vie, qui est son expression propre, de même le présent a pour compagne assurée la vie, dont il est l’unique manifestation. Donc nous n’avons à nous occuper ni du passé qui a précédé la vie, ni de l’avenir après la mort : au contraire, nous avons à reconnaître le présent pour la forme unique sous laquelle puisse se montrer la volonté[3]. On ne peut le lui arracher, non plus d’ailleurs que de l’en arracher. Si donc il est un être que satisfait la vie comme elle est faite, et qui s’y attache par tous les liens, il peut sans scrupule la prendre pour illimitée, et bannir la peur de la mort, y voir une illusion, qui mal à propos l’effraie. Comme s’il pouvait craindre d’être privé du présent ! comme s’il pouvait croire à cette fantasmagorie : un temps et, devant, pas de présent : pure imagination qui est au regard du temps ce qu’est au regard de l’espace celle des gens qui se figurent être sur le haut de la sphère terrestre, toutes les autres positions étant en dessous ; de même chacun rattache le présent à sa propre individualité, chacun se figure qu’avec elle tout présent disparaît, que sans elle il n’y a plus que passé et avenir. Mais sur la terre tout point est un sommet ; toute vie de même a pour forme le présent : craindre la mort, parce qu’elle nous enlève le présent, c’est comme si, parce que la boule terrestre est ronde, on se félicitait d’être par bonheur justement en haut, parce qu’ailleurs on risquerait de glisser jusqu’en bas, L’objet qui manifeste la volonté a pour forme essentielle le présent, ce point sans étendue qui divise en deux le temps sans bornes, et qui demeure en place, invariable, semblable à un perpétuel midi, auquel jamais ne succéderait la fraîcheur du soir. Le soleil réel brille sans interruption, et pourtant il semble s’enfoncer dans le sein de la nuit : eh bien, quand l’homme redoute la mort, y voyant son anéantissement, c’est comme s’il s’imaginait que le soleil, au soir, dût s’écrier : « Malheur à moi ! je descends dans l’éternelle nuit[4]. » Et inversement, celui-ci à qui le fardeau de la vie pèse, qui sans doute aimerait la vie et qui y tient, mais en en maudissant les douleurs, et qui est las d’endurer le triste sort qui lui est échu en partage, celui-là n’a pas à espérer de la mort sa délivrance, il ne peut se libérer par le suicide : c’est grâce à une illusion que le sombre et froid Orcus lui paraît le port, le lieu de repos. La terre tourne, va de la lumière aux ténèbres ; l’individu meurt : mais le soleil, lui, brille d’un éclat ininterrompu, dans un éternel midi. A la volonté de vivre est attachée la vie : et la forme de la vie, c’est le présent sans fin ; cependant les individus, manifestations de l’Idée, dans la région du temps apparaissent, disparaissent, pareils à des rêves instables. — Le suicide donc nous apparaît comme un acte inutile, insensé : et quand nous serons descendus plus profondément dans la théorie, c’est sous un jour plus fâcheux encore que nous le verrons.

Les dogmes changent, notre science est menteuse, mais la nature ne se trompe point : ses démarches sont assurées, jamais elle ne vacille. Chaque être est en elle tout entier ; elle est tout entière en chacun. En chaque animal elle a son centre ; chaque animal a trouvé sans se tromper son chemin pour venir à l’existence, et de même le trouvera pour en sortir ; dans l’intervalle, il vit sans peur du néant, sans souci, soutenu par le sentiment qu’il a de ne faire qu’un avec la nature, et, comme elle, d’être impérissable. Seul l’homme a sous forme abstraite cette certitude, qu’il mourra, et s’en va la promenant avec lui. Il peut donc arriver, — le fait d’ailleurs est rare, — que, par instants, quand cette pensée, ravivée par quelque accident, s’offre à son imagination, qu’elle le fasse souffrir. Mais contre cette voix si puissante de la nature, que peut la réflexion ? Chez lui, tout comme chez la bête qui ne pense à rien, ce qui l’emporte, ce qui dure, c’est cette assurance, née d’un sentiment profond de la réalité, qu’en somme il est la nature, le monde lui-même : c’est grâce à elle que nul homme n’est vraiment troublé de cette pensée, d’une mort certaine et jamais éloignée ; tous au contraire vivent comme si leur vie devait être éternelle. C’est au point que, — on oserait presque le dire, — personne n’est vraiment bien convaincu que sa propre mort soit assurée : sinon, il ne pourrait y avoir grande différence entre son sort et celui du criminel qui vient d’être condamné ; en fait, chacun reconnaît bien, in abstracto et en théorie, que sa mort est certaine, mais cette vérité est comme beaucoup d’autres du même ordre, que l’on juge inapplicables en pratique : on les met de côté, elles ne comptent pas parmi les idées vivantes, agissantes. Qu’on réfléchisse bien à cette particularité de notre nature intellectuelle, et l’on verra l’insuffisance de toutes les explications ordinaires : on a recours à la psychologie, on parle d’accoutumance, de résignation à l’inévitable : tout cela a besoin de s’appuyer sur quelque principe plus profond : c’est celui que je viens de dire. De même encore l’on peut expliquer pourquoi en tout temps, chez tous les peuples, on trouve des dogmes, n’importe leur forme, pour proclamer la persistance de l’individu après la mort : ces dogmes de plus sont en honneur, en dépit de la faiblesse des preuves, en dépit du nombre et de la force des arguments contraires ; au fond même ils n’ont pas besoin de preuves : tout esprit de sens droit les admet comme un fait ; et ce qui vient encore les confirmer, c’est cette réflexion : que la nature ne nous trompe ni ne se trompe ; or elle nous laisse voir sa façon de faire et son essence ; mieux, elle nous les déclare tout naïvement ; c’est nous seuls qui l’obscurcissons par nos rêves, cherchant à arranger toutes choses sur le patron des idées qui nous plaisent.

A vrai dire, nous avons fait voir et mis en lumière cette vérité, que si l’individu, l’apparence que revêt la volonté, commence selon le temps et selon le temps unit, la volonté elle-même et comme chose en soi n’a rien à voir là-dedans, non plus que le corrélatif nécessaire de tout objet, le sujet qui connaît et qui jamais n’est connu ; qu’enfin la volonté de vivre a toujours à sa disposition la vie : mais cette thèse n’est pas à mettre à côté des théories touchant la persistance de l’individu. Car, quand il s’agit de la volonté prise comme chose en soi, et aussi du pur sujet de toute connaissance, de cet œil éternellement ouvert sur l’univers, il peut aussi peu être question de stabilité que de disparition : toutes ces déterminations n’ont de valeur que par rapport au temps ; or volonté et sujet sont hors du temps. Donc l’individu, n’étant qu’une manifestation particulière de la volonté, éclairée par le sujet connaissant, ne peut trouver dans notre théorie de quoi sustenter ni exciter son désir égoïste de subsister un temps infini, non plus qu’il ne le pourrait trouver dans ce fait, qu’après sa mort le reste du monde extérieur se maintiendra ; au reste, ce sont là deux expressions pour une idée ; la seconde seulement est relative à l’objet, et par suite au temps. En effet, c’est comme phénomène que le particulier est périssable ; comme chose en soi, il est au contraire hors du temps, donc il n’a pas de fin. Seulement c’est aussi comme phénomène, et à nul autre titre, qu’il se distingue des autres choses de l’univers ; car comme réalité en soi, il est la même volonté qui se manifeste en tout, et la mort n’a qu’à dissiper le mirage qui faisait paraître sa conscience comme séparée du reste ; voilà en quoi consiste la persistance. Sa supériorité à l’égard de la mort, ne lui appartenant qu’en sa qualité de chose en soi, n’est pas plus intéressante pour sa partie phénoménale que la persistance du reste de l’univers[5]. De là cette autre conséquence : sans doute le sentiment intérieur, tout confus, de cette vérité même que nous venons de tirer au clair, empêche, comme nous l’avons dit, que la pensée de la mort n’empoisonne la vie de tout être raisonnable, car ce sentiment est le principe de cette énergie qui anime et redresse tout ce qui a vie et le rend aussi gai que si la mort n’était point ; cela dure du moins tant qu’il a devant les yeux la vie même, et qu’il marche vers elle : néanmoins, cela n’empêche pas que la mort, la mort réelle frappant les individus, ou la mort simplement imaginée, venant s’offrir à lui et frapper sa vue, il ne soit saisi de cette horreur spéciale qu’elle inspire, et ne cherche pas tous les moyens de s’y soustraire. En effet, si, d’une part, tant qu’il fixait sa pensée sur la vie en elle-même et sur cela seul, cette vie ne devait le frapper par ce qu’elle a d’immuable, de même, la mort venant à s’offrir à sa vue, il lui faut bien la reconnaître pour ce qu’elle est : la fin temporelle de toute réalité de l’ordre des phénomènes. Ce que nous redoutons dans la mort, ce n’est pas la douleur : d’abord, il est trop clair que le domaine de la douleur est en deçà de la mort ; ensuite souvent c’est pour fuir la douleur qu’on se réfugie dans la mort : le cas n’est pas plus rare que le contraire, celui où l’homme supporte les plus atroces souffrances, alors que la mort est là, sous sa main, rapide et facile ; et justement il souffre pour l’éloigner ne fût-ce que d’un moment. Ainsi donc nous savons bien distinguer la mort et la souffrance : ce sont deux maux différents : ce qui dans la mort nous effraie, c’est qu’en somme elle est la disparition de l’individu, car elle ne nous trompe pas, elle se donne pour ce qu’elle est ; et c’est qu’aussi l’individu, étant la volonté même de vivre, manifestée en un cas particulier, tout ce qu’il est doit se raidir contre la mort. — Pourtant, si le sentiment nous livre ainsi sans défense à la peur, la raison, elle, a droit d’intervenir ; elle peut triompher en bien des points de ces impressions fâcheuses, nous élever jusqu’à un état d’esprit du haut duquel nous ne voyons plus l’individu, mais seulement l’ensemble des choses. Aussi une philosophie, dès qu’elle arrive au point où nous voilà parvenus dans nos spéculations, sans même aller plus loin, est déjà en mesure de vaincre les terreurs qu’inspire la mort, du moins dans la mesure où, chez le philosophe dont il s’agit, la réflexion a prise sur le sentiment spontané. Soit un homme qui aurait comme incorporé à son caractère les vérités déjà exposées jusqu’ici, et qui pourtant n’aurait été conduit ni par son expérience personnelle, ni par des réflexions suffisamment profondes, jusqu’à reconnaître que la perpétuité des souffrances est l’essence même de la vie ; qui au contraire se plairait à vivre, qui dans la vie trouverait tout à souhait ; qui, de sens rassis, consentirait à voir durer sa vie, telle qu’il l’a vue se dérouler, sans terme, ou à la voir se répéter toujours ; un homme chez qui le goût de la vie serait assez fort pour lui faire trouver le marché bon, d’en payer les jouissances au prix de tant de fatigues et de peines dont elle est inséparable : cet homme serait « comme bâti à chaux et à sable sur cette boule arrondie à souhait et faite pour durer » ; il n’aurait rien à craindre : protégé par cette vérité dont nous le munissons comme d’une cuirasse, il regarderait en face, avec indifférence, voler tout autour de lui la mort portée sur les ailes du temps : à ses yeux pure apparence, fantôme vain, impuissant, bon à effrayer les faibles, mais sans pouvoir sur qui a conscience d’être cette même volonté dont l’univers est la manifestation ou le reflet, et sur qui sait par quel lien indissoluble appartiennent à cette volonté et la vie et le présent, seule forme convenable à sa manifestation : celui-là ne peut rien craindre de je ne sais quel passé ou quel avenir indéfini, dont il ne serait pas ; il n’y voit qu’une pure fantasmagorie, un voile de Maya, et il a aussi peu à craindre de la mort, que le soleil a à craindre de la nuit. — C’est à cette hauteur que dans le Bhagavat Gita, Krishna élève son nourrisson novice encore, Ardjouna : le jeune héros, en face des armées prêtes au combat, pris d’une tristesse qui fait penser à celle de Xerxès, sent le cœur lui manquer et va quitter la lutte, pour sauver de la mort tant de milliers d’hommes ; alors Krishna l’amène à cet état de l’esprit ; dès lors ces milliers de morts ne le retiennent plus : il donne le signal de la bataille. — C’est là l’idée même qui anime le Prométhée de Gœthe, ainsi dans ce passage :

Ici sera mon séjour ; ici je ferai des hommes,
A mon image :
Race qui me ressemble ;
Je les ferai pour la souffrance, pour les larmes,
Pour la joie et pour le plaisir,
Et je les ferai à ne te pas respecter,
Comme moi !

Cette même pensée, la philosophie de Giordano Bruno, celle de Spinoza, pourraient encore y conduire, si tant de fautes et d’imperfections, qui s’y trouvent, ne devaient pas en détruire, en affaiblir au moins la force de persuasion. Dans Bruno, il n’y a pas d’éthique à proprement parler, et celle qui est contenue dans la philosophie de Spinoza ne sort pas naturellement de sa doctrine : toute louable et belle qu’elle puisse être, cependant elle n’est rattachée au reste qu’à l’aide de sophismes faibles et trop visibles. — Enfin plus d’un homme en viendrait à penser de la sorte, si chez tous l’intelligence marchait au pas de la volonté, c’est-à-dire s’ils étaient de force à se défendre de toute illusion et à s’éclairer sur leur propre état. Car cet état, c’est pour l’esprit l’état de la complète affirmation de la volonté de vivre.

Dire que la volonté s’affirme, voici le sens de ces mots : quand, dans sa manifestation, dans le monde et la vie, elle voit sa propre essence représentée à elle-même en pleine clarté, cette découverte n’arrête nullement son vouloir : cette vie, dont le mystère se dévoile ainsi devant elle, elle continue néanmoins à la vouloir, non plus comme par le passé, sans s’en rendre compte, et par un désir aveugle, mais avec connaissance, conscience, réflexion. — Et quant au fait contraire, la négation de la volonté de vivre, il consiste en ce que, après cette découverte, la volonté cesse, les apparences individuelles cessant, une fois connues pour telles, d’être des motifs, des ressorts capables de la faire vouloir, et laissant la place à la notion complète de l’univers pris dans son essence, et comme miroir de la volonté, notion encore éclairée par le commerce des Idées, notion qui joue le rôle de calmant pour la volonté : grâce à quoi celle-ci, librement, se supprime. Ce sont là des idées encore inconnues et malaisées à saisir sous cette forme générale, mais qui s’éclairciront, j’espère, bientôt, quand nous exposerons les phénomènes, — dans l’espèce ce sont des façons de vivre, — qui, par leurs degrés divers, expriment d’une part l’affirmation de la volonté, et d’autre part sa négation. L’une et l’autre en effet dérivent bien de la connaissance, mais non abstraite, traduite en paroles, d’une connaissance en quelque façon vivante, exprimée seulement par les faits, par la conduite, indépendante dès lors de tout dogme : ceux-ci, étant des connaissances abstraites, concernent la raison. Exposer l’une et l’autre, affirmation et négation, les amener sous le jour de la raison, voilà le seul but que je puisse me proposer ; quant à imposer l’un ou l’autre parti, ou à le conseiller, ce serait chose folle et d’ailleurs inutile : la volonté est en soi la seule réalité purement libre, qui se détermine par elle-même ; pour elle, pas de loi. — Toutefois, il convient d’abord et avant de procéder à l’analyse en question, d’examiner cette liberté — et le rapport qu’elle soutient avec la nécessité — et d’en préciser la notion ; puis nous passerons à quelques considérations générales sur la vie, puisque notre problème c’est l’affirmation et la négation de la vie, et par là nous toucherons à la volonté et à ses objets. Ainsi nous aurons travaillé à aplanir le chemin qui conduit à notre but, à la détermination de ce qui donne un sens moral aux diverses façons de vivre, quand on en pénètre le principe profond.

Le présent ouvrage n’étant, je l’ai déjà dit, que l’épanouissement d’une seule pensée, toutes ses parties ont entre elles la plus intime liaison ; ce n’est pas seulement un rapport nécessaire de chacune avec celle qui la précède immédiatement, et le lecteur n’est pas supposé ici avoir cette dernière seulement présente à la mémoire, comme il arrive dans les autres philosophies, composées qu’elles sont d’une série de conséquences. Ici, chaque partie, dans l’œuvre totale, tient à chaque autre et la suppose : aussi le lecteur doit-il avoir devant l’esprit non plus ce qui précède immédiatement, sans plus, mais tout passage antérieur, quelle que soit la distance intermédiaire, et cela de façon à le rattacher à l’idée du moment. Platon imposait la même exigence à qui voulait le suivre à travers les tours et retours de ses dialogues, à travers ces longs épisodes dont il faut attendre la fin pour voir revenir l’idée maîtresse, plus lumineuse, il est vrai, par l’effet même de cette éclipse. Ici, la même condition est indispensable : car si la pensée s’y divise en études diverses, — et il le fallait bien pour la rendre communicable, — toutefois ce n’est pas là pour elle un état naturel, mais bien un état tout artificiel. — Pour rendre plus aisée la tâche et de l’auteur et du lecteur, il était bon de diviser la pensée, de déterminer quatre points de vue, quatre livres, et de réunir avec le dernier soin les idées voisines et homogènes entre elles ; mais quant à un développement rectiligne, tel que serait une exposition historique, le sujet ne le permettait point ; il y fallait un procédé d’exposition plus compliqué : d’où la nécessité de revenir sur le même livre à plusieurs fois ; c’est le seul moyen de saisir la dépendance de chaque partie à l’égard des autres, d’éclairer celles-ci par celles-là, si bien que toutes deviennent lumineuses[6].

  1. « La nature ignore l’affliction. »
  2. Voici encore une réflexion qui pourra aider quelques lecteurs, ceux qui ne la trouveront pas trop subtile pour leur esprit, à bien se démontrer que l’individu est un pur phénomène, et n’est pas la chose en soi. L’individu est, d’une part, le sujet de la connaissance, et par là, la condition complémentaire, la clef de voûte sur laquelle repose la possibilité du monde entier ; et d’autre part, il est une des formes visibles sous lesquelles se manifeste cette même volonté, qui est présente en toutes choses. Or, cette essence double qui est la nôtre n’a pas sa racine dans quelque unité réelle en soi : sans quoi, nous prendrions conscience de notre moi en lui-même et indépendamment des objets de connaissance et de volonté ; mais c’est ce qui nous est impossible de toute impossibilité : dès que nous nous avisons de pénétrer en nous-mêmes, et que, dirigeant l’œil de notre esprit vers le dedans, nous voulons nous contempler, nous ne réussissons qu’à aller nous perdre dans un vide sans fond ; nous nous faisons à nous-mêmes l’effet de cette boule de verre creuse, du vide de laquelle sort une voix, mais une voix qui a son principe ailleurs ; et au moment de nous saisir, nous ne touchons, ô horreur ! qu’un fantôme sans substance.
  3. « Scholastici docuerunt, quod æternitas non sit temporis sine fine aut principio suceessio : sed nunc stans ; id est, idem nobis nunc esse, quod erat nunc Adamo : id est inter nunc et tunc nullam esse differentiam *. » (Hobbes, Leviathan, c. 46.)
      * L’École nous apprend que l’éternité n’est pas l’écoulement d’un temps sans fin ni commencement : elle est un présent stable ; autrement dit, maintenant a pour nous le même sens que maintenant pour Adam ; c’est-à-dire qu’entre maintenant et alors, il n’y a point de différence.
  4. Dans les Entretiens de Goethe avec Eckermann (2e éd., I, 154), Goethe dit : « Notre âme est de nature indestructible : c’est une force qui se soutient d’une éternité à une éternité. Ainsi le soleil : il semble s’éteindre ; pure apparence, bonne pour nos yeux terrestres ; en réalité jamais il ne s’éteint, sans cesse il répand sa lumière. » — C’est Goethe qui me doit cette comparaison, non pas moi, à lui. Il n’y a pas de doute qu’elle ne lui soit venue, lors de cette conversation, qui date de 1824, par l’effet d’une réminiscence, peut-être sans conscience. En effet elle se trouve déjà, en termes identiques, dans ma première édition, page 401 ; elle y est répétée p. 528, à la fin du § 65. Or cette première édition fut envoyée à Goethe en décembre 1818, et en mars 1819 il m’envoya à Naples, où j’étais alors, ses félicitations, par l’intermédiaire de ma sœur ; c’était une lettre, et il s’y trouvait jointe une note portant l’indication de diverses pages qui lui avaient fait un plaisir particulier : c’est donc qu’il avait lu mon livre.
  5. C’est ce qu’exprime en deux endroits le Véda ; d’abord il dit : Quand un homme meurt, sa vue se confond avec le soleil, son odorat avec la terre, son goût avec l’eau, son âme avec l’air, sa parole avec le feu, etc. (Oupnek’hat, I, p. 249 et suiv.) ; et ailleurs : Il est une cérémonie par laquelle le mourant lègue à l’un de ses fils ses sens et toutes ses facultés : et tout doit revivre dans ce fils (ibid., II, p. 82 et suiv.).
  6. Sur ce point, voir les chapitres XLI-XLIV des Suppléments.