Le Monde des atomes et l’agitation moléculaire
LE MONDE DES ATOMES ET L’AGITATION MOLECULAIRE
En poussant à outrance la décomposition des diverses espèces chimiques, qui se chiffrent par centaines de mille, on aboutit à un petit nombre de corps simples tels que l’oxygène, l’hydrogène, le carbone ou l’azote, qui peuvent, en se combinant, reproduire toute matière, si complexe soit-elle.
On sait que si, pour former de l’eau, ou du gaz carbonique, ou du sucre, on a employé 26 gr de corps simple oxygène, on peut retrouver exactement ces 26 gr sans gain ni perte, en redécomposant l’eau, le gaz carbonique ou le sucre.
Il est bien difficile alors de ne pas supposer que cet oxygène subsistait réellement dans ces composés, et par suite dans leurs molécules, dissimulé, mais cependant présent. Ceci nous prépare à comprendre l’intuition géniale qu’on doit à Dalton, intuition qui a donné aux théories moléculaires une importance capitale dans la compréhension et dans la prévision des phénomènes chimiques.
Dalton suppose que, par exemple, l’oxygène subsiste dans les molécules d’eau, de gaz carbonique ou de sucre sous forme de particules rigoureusement identiques et que de même à chaque corps simple correspond ainsi une sorte déterminée de particules identiques, particules qui traversent sans altération les diverses transformations physiques ou chimiques que nous avons provoquées[1], et qui, insécables par ces moyens d’action, peuvent être appelées des atomes, dans le sens étymologique.
Une molécule quelconque renferme nécessairement, pour chaque corps simple présent, un nombre entier d’atomes. Sa composition ne peut donc varier de façon continue (c’est la loi des proportions définies) mais seulement par bonds discontinus correspondant à l’entrée ou à la sortie de au moins un atome (et ceci entraîne la loi des proportions multiples de Dalton). Ainsi l’hypothèse atomique rend compte, et, jusqu’à ce jour, rend seule compte des lois de discontinuité de la chimie.
Bref, tout l’univers matériel serait obtenu par l’assemblage d’éléments de construction appartenant à un petit nombre de types, les éléments d’un même type se ressemblant autant ou plus exactement que des objets fabriqués en série d’après un modèle.
Il ne peut entrer dans le plan de cette esquisse d’expliquer comment physiciens et chimistes ont réussi, depuis plus de cinquante ans, à déterminer les rapports des masses (ou des poids) des molécules et des atomes, montrant que, par exemple, la molécule d’eau, l’atome d’oxygène, et l’atome d’hydrogène, ont des poids qui sont entre eux comme 18, 16 et 1. Et je ne peux non plus dire comment, une fois ces rapports connus, on a pu atteindre aux formules de constitution qui ont permis le merveilleux développement de la chimie organique.
Mais je puis, utilement peut-être, revenant à des considérations physiques, prouver que les molécules d’un fluide quelconque, liquide ou gaz, sont en mouvement incessant.
Tout le monde sait que si l’on superpose avec précaution de l’eau et du vin (ou encore de l’eau et de l’alcool) ces deux liquides ne restent pas longtemps séparés, bien que la couche supérieure soit la moins dense. De même, si l’on met du sucre au fond d’un verre d’eau, et si l’on attend quelques jours, on trouvera de l’eau sucrée dans toutes les parties du verre. L’alcool et l’eau, le sucre et l’eau, se sont pénétrés par diffusion réciproque. Et il faut bien admettre que leurs molécules ont été animées de mouvements, au moins pendant le temps qu’a duré leur dissolution.
À vrai dire, si l’on avait superposé de l’eau et de l’éther, une surface de séparation serait restée nette. Mais même dans ce cas de solubilité incomplète, il passe de l’eau dans toutes les couches de l’éther qui surnage, et de l’éther dans toutes les couches du liquide inférieur. Un mouvement des molécules s’est donc encore manifesté.
Avec des gaz, la diffusion est plus rapide et la diffusion se produit toujours jusqu’à l’uniformisation de la masse entière. C’est l’expérience célèbre de Berthollet, mettant en communication par un robinet, dans une cave à température bien constante, un ballon plein de gaz carbonique avec un ballon égal plein d’hydrogène à la même pression, ce dernier au-dessus de l’autre. Malgré la grande différence des densités, chacun des deux ballons contient bientôt autant d’hydrogène que de gaz carbonique.
La rapidité de la diffusion peut du reste être grande ou petite aussi bien pour des corps très analogues que pour des corps très différents. Par exemple, l’alcool éthylique (esprit de vin) et l’alcool méthylique (esprit de bois) physiquement et chimiquement très semblables, se diffusent plus rapidement l’un dans l’autre que ne font l’alcool éthylique et la benzine, beaucoup plus différents l’un de l’autre.
Mais alors, s’il y a aussi diffusion (malgré analogie déjà grande) entre l’alcool éthylique et l’alcool méthylique, ou entre de l’alcool éthylique et de l’alcool propylique, peut-on douter qu’il y aura aussi diffusion entre de l’alcool éthylique et de l’alcool éthylique ? Sans aucun doute, cette diffusion se produira, mais nous ne nous en apercevrons plus, à cause de l’identité des deux corps qui se pénètrent.
Nous sommes donc forcés de penser qu’une diffusion continuelle se poursuit entre deux tranches contiguës quelconques d’un même fluide. S’il existe des molécules, il revient au même de dire que toute surface tracée dans un fluide est sans cesse traversée par des molécules qui passent d’un côté à l’autre, et par suite que les molécules d’un fluide quelconque sont en mouvement incessant.
L’équilibre d’un fluide, de l’eau que nous voyons dans un verre par exemple, ne serait donc qu’une apparence, cachant un certain régime permanent d’agitation désordonnée.
Ces raisonnements ne s’appliquent pas à l’état solide : diffusions ou dissolutions ne se produisent plus dans le quartz ou dans le diamant. L’étude des chaleurs spécifiques, à laquelle je ne peux ici que faire allusion, montre qu’alors les molécules sont en mouvement, mais ce mouvement est devenu vibratoire : chaque molécule ou, plus exactement, chaque atome, oscille comme un pendule autour d’une position d’équilibre.
On comprend alors très bien pourquoi les fluides exercent toujours une pression sur les parois des récipients qui les contiennent. Cette pression s’expliquerait par les chocs incessants, contre ces parois, des molécules du fluide, assimilées à des billes élastiques.
Quand le fluide est gazeux, et par suite environ mille fois moins dense que dans l’état liquide, le volume vrai de ces billes est sûrement très petit par rapport au volume qu’elles sillonnent ; on admet qu’elles sont alors en moyenne si éloignées les unes des autres que chacune se meut en ligne droite sur la plus grande partie de son parcours, jusqu’à ce qu’un choc avec une autre molécule change brusquement sa direction.
Supposons qu’on échauffe à volume constant une masse gazeuse, nous savons qu’alors sa pression grandit (c’est le principe même du thermomètre à gaz). Si cette pression est due aux chocs des molécules contre la paroi, il faut bien admettre que ces molécules se meuvent maintenant avec des vitesses qui, en moyenne, ont augmenté, de façon que chaque centimètre carré de paroi reçoit des chocs plus violents, et en reçoit davantage. Ainsi, l’agitation moléculaire doit grandir quand la température s’élève et décroître quand elle diminue. Au « zéro absolu », les molécules seraient complètement immobiles. Agitation moléculaire et température seraient deux aspects différents d’une même réalité.
L’agitation moléculaire échappe à notre perception directe comme le mouvement des vagues de la mer échappe à un observateur trop éloigné, qui pourtant apercevra peut-être le balancement d’un bateau. Ne peut-on de même espérer, si des particules microscopiques se trouvent dans un fluide, que des particules, encore assez grosses pour être vues au microscope, soient déjà assez petites pour être notablement agitées par les chocs moléculaires ? Cette question aurait pu conduire à la découverte du phénomène merveilleux qui fut signalé par le botaniste Brown, il y a trois quarts de siècle.
Il suffit, en effet, de regarder au microscope de petites particules situées dans de l’eau, pour voir que chacune d’elles, au lieu de tomber régulièrement comme fait une bille qu’on met dans de l’eau, est animée d’un mouvement très vif et parfaitement désordonné : elle va et vient en tournoyant, monte, descend, remonte encore, bref, reste constamment agitée. C’est là le mouvement brownien.
Ce mouvement ne ressemble pas à celui des poussières qu’on voit, à l’œil nu, danser dans un rayon de soleil. En ce cas, en effet, des particules voisines se meuvent à peu près dans le même sens et dessinent grossièrement la forme des courants d’air qui les entraînent. Au contraire, il est impossible d’observer le mouvement brownien sans s’apercevoir que deux particules, même presque au contact, se meuvent de façon complètement indépendante. L’agitation ne peut donc être due à des trépidations de la gouttelette observée, car ces trépidations, quand on en produit exprès, provoquent précisément des déplacements d’ensemble que l’on reconnaît sans hésitation, et qu’on voit simplement se superposer à l’agitation irrégulière des grains. Il ne sert à rien non plus de se donner beaucoup de peine pour assurer l’uniformité de température de la gouttelette, ou de diminuer extrêmement l’intensité de la lumière qui l’éclaire.
On voit sur la figure, à un grossissement tel que 16 divisions représentent un vingtième de millimètre, trois dessins obtenus en suivant une sphérule dont le diamètre était de un micron, pointant sa position de demi-minute en demi-minute, et joignant par des segments rectilignes les positions successives ainsi notées.
Mais ces dessins ne donnent qu’une faible idée de l’enchevêtrement réel de la trajectoire. Si, en effet, on avait fait des pointés de seconde en seconde, chaque segment eût été remplacé par un contour polygonal relativement aussi compliqué que le dessin entier, et ainsi de suite.
Le mouvement brownien n’est pas, bien entendu, particulier à l’eau et se retrouve dans tous les fluides, d’autant plus vif qu’ils sont moins visqueux. C’est ainsi que, difficile à percevoir dans la glycérine, il est bien plus marqué dans l’air que dans l’eau (comme on le voit, au microscope, sur les gouttelettes qui forment la fumée de tabac).
La nature des grains ne paraît pas avoir d’influence, mais leur taille en a beaucoup, l’agitation devenant d’autant plus vive que les grains deviennent plus petits. Enfin, et ceci est peut-être le plus étrange, le mouvement brownien ne s’arrête jamais ; dans une cellule close (pour éviter l’évaporation) on a pu l’observer pendant plusieurs mois. Il se manifeste dans des inclusions liquides enfermées depuis des milliers d’années dans des cristaux de quartz. Il est éternel et spontané.
Bref, l’agitation n’a son origine ni dans les particules ni dans une cause extérieure au fluide, mais doit être attribuée à des mouvements intérieurs, caractéristiques de l’état fluide, et que la poussière indicatrice suit d’autant plus fidèlement qu’elle est plus petite. Le repos apparent de ce que nous appelons un liquide en équilibre n’est qu’une illusion due à l’imperfection de nos sens et correspond réellement à un certain régime permanent de violente agitation désordonnée.
C’est précisément la conception que nous avaient suggérées les hypothèses moléculaires et le phénomène de la diffusion. Tout granule situé dans un fluide, sans cesse heurté par les molécules voisines, en reçoit des impulsions qui, en général, ne s’équilibrent pas exactement, et il doit être irrégulièrement ballotté.
Si l’agitation moléculaire est bien la cause du mouvement brownien, si ce phénomène, accessible à l’observation et à la mesure, forme un intermédiaire, un relais, entre les masses qui sont à notre échelle et les masses des molécules, on sent qu’il doit y avoir là un moyen de déterminer les grandeurs moléculaires.
C’est bien ce qui a lieu, et de plusieurs façons. Sans pouvoir ici entrer dans l’explication de ces expériences, j’en puis donner le résultat auquel sont également arrivées d’autres méthodes très différentes. Puisque l’on sait, par la chimie, les rapports de masses des molécules et des atomes, il suffit d’en donner une seule, celle par exemple de l’atome d’hydrogène. Elle est de l’ordre du trillionième de trillionième de gramme, soit plus exactement, au centième près, en grammes :
ou plus brièvement, 1,47 : 1024.
Un tel atome se perd en notre corps comme nous nous perdrions dans le soleil.
L’OUIE DES EMPLOYÉS Es mécaniciens qui conduisent les loco-L motives des chemins de fer ont la déplorable habitude d’abuser du sifflet et de déchirer littéralement le tympan des riverains de la voie ferrée. Ife ait-il, les excuser et se rendre compte que, bien souvent, s’ils font du bruit comme des sourds, c’est parce qu’ils ne s’entendent que fort mal eux-mêmes. En effet, le docteur Lichtenberg, de Budapest, a examiné les oreilles de 250 employés de chemins de fer ; dans 92 cas, il trouva des troubles de loue. Quatorze fois, il y avait un catarrhe chronique de l’oreille moyenne, 3 fois, de l’otorrhée ; 3 fois, une affection du labyrinthe ; 4 fois, des anomalies de tension de la membrane du tympan ; 36 fois, des bouchons de du trillionième de trillionième de gramme, soit plus exactement, au centième près, en grammes AAA 0 4 000 000 000 000 000 000 000 000 ou plus brièvement, 1,47 : 102. Un tel atomese perd en notre corps comme nous nous perdrions dans le soleil. Jean PERRIN. DE CHEMIN DE FER cérumen ; 5 fois, une infiltration de la caisse ; 5 fois, des cicatrices du tympan ; 5 fois, une perte de substance du tympan sans sécrétion. Lichtenberg attribue cette fréquence des affections de l’oreille chez les employés du chemin de fer aux variations extrêmes de température auxquelles ils sont exposés. A son s, les troubles de louïe sont plus graves que la cécité des couleurs. Celle-ci, en effet, étant congénitale, peut être reconnue par un examen préventif, tandis que les ons de l’oreille sont acqu es et tendent lés sans cesse à s’aggraver. La conclusion est que tout candidat à un emploi dans les chemins de fer doit être examiné au préalable par un auriste, avant d’être déclaré propre au service et que l’examen doit être répété tous les deux ans.
- ↑ Cette restriction est essentielle (transmutation spontanée de l’atome de radium). Ce qui définit l’atome, c’est sa solidité vis-à-vis de certains moyens d’action.