Le Moulin du Frau/05

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Bibliothèque-Charpentier (p. 177-216).



V


Le démanchement de l’épaule de Gustou nous avait un peu retardés pour les foins, de manière que la dernière charretée ne fut rentrée qu’à la mi-juillet. Quand ce fut fait, je dis à mon oncle, voir s’il n’était pas temps de penser à la noce. Mais il me dit qu’il valait mieux laisser passer le temps des métives et celui des battaisons, parce que c’était un moment où tout le monde était bien occupé, et que plusieurs de nos parents et amis ne pourraient pas venir, rapport à ça. Il ajouta que par ainsi, il valait mieux remettre la noce après les vendanges, lorsqu’on aurait écoulé et qu’il y aurait du bon vin nouveau, d’autant mieux que notre dernière barrique qui n’était pas encore en perce, était un peu piquée.

Je convenais bien que c’était de bonnes raisons, mais ça ne fait rien, c’était encore trois mois à attendre, et je trouvais que c’était bien loin. Va, me dit mon oncle, c’est votre meilleur temps, c’est celui où on ne voit que les fleurs, et où tout rit aux amoureux. Quand il s’agit, vois-tu, de s’attacher pour la vie ça n’est pas une mauvaise chose de se bien connaître auparavant, de s’éprouver un peu, et de se montrer qu’on a une amitié solide qui se bonifie en vieillissant comme le vin.

J’ai toujours été rétif à gouverner, lorsqu’on voulait me faire faire sans raison quelque chose, ou lorsqu’on voulait me faire prendre une opinion, sans me montrer qu’elle était la meilleure. Je passais à cause de ça pour entêté, parce que je ne changeais d’idée qu’après que je voyais que j’avais tort. Ça n’était pas le tout de me le dire, il fallait me le prouver ; alors je cédais. Mais autrement non, quand ça aurait été le préfet qui me l’aurait dit. Je me souviens que lorsque ma mère me faisait aller au catéchisme, et que le curé nous parlait de la Sainte-Trinité, de l’Incarnation et du reste, et nous disait qu’il fallait croire à tous ces mystères sans les comprendre, j’avais beau me battre les côtes pour ça, je ne pouvais pas y arriver. Tout ce que je pouvais faire, c’était de n’y point penser, et de ne pas me poser la question à moi-même. En ce temps-là, je mettais de la bonne volonté à croire, bonne volonté inutile d’ailleurs ; mais depuis que j’ai été jeune homme, il a suffi qu’on ait voulu m’imposer quelque chose par autorité, pour que je me sois toujours rebiffé.

Tout cela est pour dire que je finis par me rendre aux bonnes raisons de mon oncle. Mais celui qui fut le plus dur à entendre la chose, ça fut le père Jardon. N’oyant plus parler de la noce, il commença à s’inquiéter ; il demandait déjà tous les jours à Nancy pour quand c’était ; mais elle lui répondait que ce serait dans quelque temps. Ce retard et ces réponses en l’air ne faisaient pas son affaire. Depuis qu’on lui avait promis de le mettre dans le petit bien du Taboury, il avait une peur du diable que le mariage vint à se manquer. Comme il était soupçonneux et méfiant comme tout, il se figurait sans doute qu’on avait mis la noce si loin, pour lui faire quelque tour, pour se passer de lui peut-être, et pour lui manquer de parole pour le bien. Ça ne veut pas dire qu’il nous crût canailles ; non, il nous en aurait voulu à la mort de le faire, mais il aurait pris notre promesse pour une ruse et notre manque de parole pour un tour d’adresse ; jamais de la vie il n’eût pensé que ce fût une coquinerie.

En attendant, c’était risible de le voir faire le bon enfant, avec sa figure dure, pleine de rides profondes, ses petits yeux gris et son nez pointu. Ah ! Nancy n’était pas brusquée maintenant ; lui qui lui avait donné plus d’une buffade lorsqu’elle était petite, il lui disait de bonnes paroles à cette heure, et lui faisait entendre tout doucement, qu’il valait mieux se presser. Que diable ! une fois que le mariage est fait, il n’y a plus rien à craindre, il ne peut plus se défaire ; mais tant qu’on n’a pas dit oui, on ne sait pas ce qui peut arriver. Sans doute, j’étais un brave garçon, et il aurait mis sa main au feu qu’il n’y en avait pas de pareil dans la paroisse, mais enfin, si je venais à changer d’idée ? et puis, cette fréquentation trop longue faisait caqueter les gens. Et il mignardait Nancy pour qu’elle me fît entendre d’avancer la noce. Ce vieux rusé qui ne lui avait jamais tant seulement apporté de la foire un tortillon d’un sou lorsqu’elle était petite, lui acheta-t-il pas un beau mouchoir de cou, à la foire de juillet, à Excideuil ! À moi, il ne me disait rien, connaissant bien que je ne l’aimais pas, parce qu’il avait été dur et brutal avec la pauvre drole ; mais il tournait de temps en temps autour de mon oncle, qui ne l’aimait pas plus que moi, mais qui ne le donnait pas tant à connaître, et parlait par-ci par-là de la noce. Mais mon oncle qui le voyait venir de loin, avec ses gros sabots, comme on dit, faisait celui qui ne comprend pas, et Jardon n’osait pas s’expliquer franchement, de peur de montrer ses craintes ; ça faisait que mon oncle riait en dedans de voir ce vieux renard chercher matoisement à lui faire entendre qu’il valait mieux faire le mariage de suite. Mais pourtant un jour, ennuyé de l’avoir comme ça de temps en temps après lui, il l’envoya au diable : Ah ça, Jardon, vous voilà plus pressé que les amoureux ! et si quelqu’un apportait l’autre moitié du louis d’or ! attendez donc en patience le temps qu’ils ont choisi.

Mon oncle avait bien raison ; ces trois mois passèrent vite. Quand il se mêle avec l’amour des idées sérieuses de ménage, qu’on voit dans l’avenir ses futurs enfants, on n’est pas si pressé que les jeunes gens qui cherchent à s’amuser seulement. Depuis que tout était accordé, nous nous rencontrions souvent Nancy et moi, et nous nous parlions longuement. Certainement lorsque je m’étais décidé à la prendre pour femme, je l’aimais bien, mais je ne la connaissais pas encore assez. Pendant ces trois mois, j’en vins à l’aimer plus encore s’il se peut, et surtout à l’estimer davantage. C’est qu’elle avait tant de bon sens, de raison, de bonté, que des moments je me trouvais bien heureux qu’elle voulût de moi. Mais tantôt après, je me disais : qui se soucie dans le pays d’une bâtarde qui n’a ni bien ni famille ? Comme elle est jolie, des garçons peuvent bien y faire attention, mais ce ne serait jamais que des pauvres diables sans le sou vaillant, pour le mariage, ou des mauvais sujets comme ce maréchal de Sorges pour l’amusement. Tout bien avisé, il vaut autant pour elle que ce soit moi. Quelquefois je racontais à mon oncle ce qu’elle me disait, et ses raisons et les réponses qu’elle me faisait, et lui, ça ne l’étonnait pas, attendu que toute petite étant, il avait connu qu’elle serait une femme comme on n’en trouve guère par chez nous, ni ailleurs.

Les vendanges furent bonnes au Frau, cette année-là ; il y avait du raisin et bien mûr, ce qui promettait de bon vin. Le temps était beau, comme c’est d’ordinaire dans nos pays, où les étés de la Saint-Martin ne manquent jamais. Joint à ça que l’époque de mon mariage approchait, et que le raisin vendangé devait faire du vin pour la noce, et on comprendra de quel cœur je travaillais. On commença de vendanger les vignes qui sont au-dessus de la Borderie, puis la vigne jeune, plantée dans le terme de la combe, et en dernier, la vieille vigne au-dessus de la maison. La mère Jardon et Nancy nous aidaient. Gustou boulait le raisin dans les comportes, et mon oncle et moi, quand elles étaient pleines, nous les portions avec des barres au fond du coteau où était la charrette pour les emmener. Mon oncle n’avait pas voulu que Gustou m’aidât à les porter, à cause de son épaule, quoiqu’elle fût bien guérie et qu’il enlevât un sac comme auparavant. Mais en descendant, une comporte de vendange pèse sur les bras, et un faux pas peut faire un mauvais contre-coup. Marion nous aidait bien quelque peu aussi, mais il lui fallait porter à déjeuner et la collation, et tout appareiller, en sorte qu’elle n’y faisait guère. C’était un plaisir d’être comme ça jeune, bien sain sous le clair soleil, à ramasser de belle vendange qui bouillait dans la comporte sitôt écrasée. Je me tenais près de Nancy, lui emportant son panier plein aux comportes, et babillant en coupant les grappes. Et quand nous nous mettions à l’ombre d’un arbre pour le mérenda, je me seyais encore près d’elle, et je lui coupais des petits croustets sur lesquels elle étalait du bon fromage de chèvre, et je lui choisissais de belles noix fraîches, ou une belle grappe de pied-de-perdrix. Je lui versais à boire avec la dame-jeanne aussi, mais guère, car elle ne buvait presque point. J’avais grand plaisir à la voir, les joues comme un de ces beaux percès de vigne que nous mangions, et jolie tout de même sous la mauvaise paillole qui la gardait du soleil. Ah oui ! c’est une belle chose que d’être jeune, fier, amoureux, de n’avoir point de soucis, et de vendanger gaiement à côté de sa mie, par un beau temps. On sent alors qu’il fait bon vivre, et on est tellement content qu’on voudrait voir tout le monde heureux.

La vendange de la vieille vigne fut mise de côté dans une petite cuve ; il n’y en avait pas beaucoup, mais ça faisait du vin de première qualité du pays. Tandis que le vin bouillait dans les cuves, nous commençâmes à faire les apprêts de la noce. D’abord il nous fallut aller à Excideuil acheter des affaires et des affaires, et puis faire faire les habillements. La grosse Minou la couturière de Coulaures, vint chez les Jardon pendant huit jours, et tout ce temps, ne fit que couper, coudre et essayer. Chez nous, Lajarthe vint aussi pour moi, et y passa une semaine. Il n’était pas content, ce pauvre Lajarthe ; les affaires du pays n’allaient pas, et on voyait bien à cette heure, disait-il, que la République était foutue. Après ça, ajoutait-il, la République que nous avons, avec Bonaparte pour président, ça n’est pas la République. Ça n’est pas ça que nous voulions tous, quand on a jeté bas ce gueux de Philippe. C’est terrible voyez-vous, de penser que c’est le peuple lui-même qui s’est mis le clou au nez, et que tout ce qui lui arrivera de mal dans le temps sera son travail. Pauvre peuple ! ajoutait-il, tu es comme le bœuf de labour, quand tu es détaché, tu viens de toi-même tendre ta tête au joug !

C’était un homme de bon sens que Lajarthe, sans instruction, comme celui qui ne sait lire, mais la remplaçant par un fier esprit naturel. Et puis il avait beaucoup fréquenté le ci-devant curé Meyrignac, qui avait connu Roux-Fazillac et Romme et Lacoste et Lakanal. Dans cette fréquentation du père du soi-disant lébérou, Lajarthe avait appris et retenu beaucoup de choses qu’on n’apprend guère que dans les livres, et que les paysans comme lui ne savent pas d’habitude. C’était son plus grand plaisir que d’apprendre quelque chose, et, comme tous ceux qui ne peuvent mettre par écrit, sa mémoire était grande.

J’avoue franchement qu’à ce moment-là les jérémiades de Lajarthe ne m’émouvaient pas beaucoup ; je me disais que tout ça s’arrangerait pour le mieux. Et puis, quand on est jeune et qu’on va se marier, on a d’autres choses en tête. Mais c’est un tort, j’en conviens ; il ne faut jamais se désintéresser des affaires publiques, pour n’importe quelle cause, car chacun de son côté ayant l’un, une raison, l’autre, une autre, et beaucoup se moquant de tout, il advient que les intrigants et les ambitieux s’emparent des affaires, ce dont nous pâtissons tous après. Si Lajarthe avait vécu jusqu’en 1870, il aurait eu beau jeu de reprocher à tous leur sottise d’autrefois ; mais il mourut, le pauvre, deux ans auparavant, et non sans nous dire souvent : vous verrez que tout ça finira mal.

Mais personne ne le croyait, excepté nous autres. Mon oncle qui pensait comme lui, prêchait bien les gens tant qu’il pouvait, mais sans réussite. Ils étaient quelques-uns comme ça dans le canton, bons citoyens, solides républicains, bien estimés du peuple, mais ils ne pouvaient rien contre le nom de Napoléon.

— Quand je pense, disait mon oncle, que, manque une douzaine, j’ai toutes les voix pour le Conseil municipal ; que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour empêcher de voter pour Bonaparte, et que, malgré ça, il n’y a eu dans toute la commune que deux voix contre lui, celle de Lajarthe et la mienne, car je n’ai même pas pu faire voter cet animal de Gustou ; je suis bien forcé de voir qu’il n’y a rien à faire pour le moment. Pourvu que ça ne soit pas un chambardement comme en 1815 qui ouvre les yeux à tous les aveugles, encore ça ira bien.

Tandis que Lajarthe finissait son travail, il nous fallut écouler le vin, et ma foi, il était bon. Les gens qui venaient faire moudre, attachaient leur bourrique à l’entrée du moulin, et montaient à la maison pour le goûter, s’ils étaient bien familiers chez nous ; et des fois, on leur criait du cuvier :

— Hé ! Pierrichou, viens tâter un peu le vin nouveau !

C’était le bon temps, le vin abondait, et on n’y regardait pas de si près. Un verre était là, près de la cuve, sur une barrique, avec un chanteau, une tête d’ail, du sel dans une assiette et des noix. Après avoir mangé une bouchée, les gens remplissaient leur verre à la canolle d’où le vin coulait dans un grand baquet fait à l’exprès, en faisant une belle mousse rose.

Brizon, le piéton, vint ce jour-là. C’était un bon diable qui nous portait la Ruche et quelquefois des lettres. Il avait les yeux toujours rouges, et il expliquait ça en disant que durant l’été, en faisant sa tournée par les grandes chaleurs, il avait soif et buvait dans les ruisseaux et que les joncs lui piquaient les yeux ; et les gens riaient. Mais il n’y avait qu’à voir sa figure rougeaude et son nez luisant pour connaître que ce n’était pas en buvant de l’eau que ses yeux étaient devenus rouges.

— Salut ! fit-il en portant la main à sa casquette de cuir, comme un ancien troupier qu’il était. Voilà une lettre pour vous, Nogaret, et voilà aussi le journal.

— Merci, fit mon oncle.

Toutes les fois que Brizon venait chez nous, c’était réglé qu’il cassait une croûte et buvait un coup. C’est assez l’habitude en Périgord, que les piétons mangent et boivent dans les maisons où ils passent d’habitude. Au commencement de leur tournée, ils mangent la soupe et font chabrol ; plus loin, ils mangent un morceau ; ailleurs, ils mérendent, c’est-à-dire font collation ; partout ils boivent un coup. Il n’y a pas si pauvres gens qui ne les fassent trinquer, lorsqu’ils leur apportent une lettre du fils qui est au service et qu’ils la leur lisent : il faut bien, puisqu’ils ne savent pas.

Brizon, donc, n’avait pas besoin d’être convié ; il tira son couteau, coupa une bouchée au chanteau et s’assit sur une cosse de bois.

Dans le commencement qu’il était piéton, les gens lui disaient, voyant ses yeux rouges : Il vous faut y mettre de la pommade des messieurs Theulier, de Thiviers, ça vous guérira. Mais lui répondait qu’il en avait usé cinq ou six pots qui ne lui avaient rien fait ; qu’il était vrai que cette pommade était tout à fait bonne pour les autres, mais que pour lui elle ne valait rien. Avant tout, il me faut marcher, faisait-il ; un bon verre de vin m’éclaircit la vue et me donne des jambes. Si mes yeux restent rouges, tant pis. Je ne me sers plus que de la tisane vineuse.

— Hé ! lui dit mon oncle en emplissant le verre à la canolle, un peu de tisane, Brizon ?

— Ça n’est pas de refus, dit-il en se riant.

Et il prit le verre, le tournant vers le jour pour mirer la belle couleur, le mettant sous son nez pour renifler la bonne odeur. Puis, quand il l’eut bien regardé et flairé, il but lentement, par petites gorgées d’abord, s’arrêtant avec plaisir et branlant la tête tout doucement. On connaissait, rien qu’à le voir faire, que ce n’était pas un ivrogne, un avale-tout, mais un homme qui aimait le vin et jouissait lorsqu’il en tâtait de bon.

— Voilà un crâne vin, fit-il, je n’en ai pas bu de meilleur dans ma tournée ; il n’y a que celui de Germillou de Magnac qui le vaille.

C’est qu’il a de vieilles vignes tournées au midi, et qu’il les soigne bien, dit mon oncle ; et au bout d’un moment :

— Un verre de plus, n’est-ce pas ? tu ne pourrais pas t’en aller sur une jambe.

Allons-y, fit Brizon en se levant ; et il prit le verre plein, et l’éleva un peu en l’air. — C’est une bonne chose tout de même que le bon vin, dit-il, il n’y a de mal qu’il ne guérisse. Avec lui, celui qui a des tracasseries les oublie un moment, et le pauvre en supporte mieux sa misère. Il fait profiter les enfants et il ragaillardit les vieux. Avec du pain et du vin, on marche, on ne craint point la fatigue ; il donne du cœur aux couards et de la force aux faibles : c’est une bonne chose que le bon vin !

Et il regardait son verre avec plaisir en disant tout cela sérieusement.

— Supposons, continua-t-il, qu’il vienne un temps où nous n’ayons plus de vin, qu’est-ce que nous deviendrions ? Qu’est-ce qui nous soutient nous autres qui ne mangeons de viande qu’au carnaval ? Un bon chabrol après notre soupe, et quelques verres après, en mangeant nos pommes de terre ou nos haricots : avec ça nous voilà prêts à continuer notre travail. Pour moi, sans vin, je ne marcherais pas, et si le temps venait où les vignes crèveraient, comme on dit que c’est arrivé il y a deux cents ans, je préfère être sous terre à ce moment-là ; mais il faut espérer que nous ne verrons pas ça.

Puis il but son verre et le posa sur la barrique en disant ;

— Allons, bonsoir à tout le monde, et merci.

— À Dieu sois, Brizon ; et le voilà reparti.

La lettre était de M. Masfrangeas qui nous mandait que les Messieurs de l’hospice lui avaient donné procuration de consentir au mariage de Nancy, et qu’ainsi il viendrait pour sûr à la noce, mais qu’il fallait lui faire savoir, quelque semaine auparavant, le jour juste, afin qu’il s’arrangeât en conséquence.

Le soir il fut convenu avec mon oncle, que ce serait pour la fin du mois. Puis après, en comptant sur le monde que nous pourrions avoir, parents et amis, il se trouva que nous serions trente ou trente-cinq au moins. Sur ce nombre, il y en avait qui étaient de loin, et je leur fis un bout de lettre ; mais quand je fus à deux cousins du côté de Jumilhac et de Saint-Paul, je ne sus comment faire, vu qu’ils changeaient souvent d’endroit, l’un étant ouvrier dans les forges, et l’autre charbonnier. Ma foi, que je dis à mon oncle, je vais aller par là ; je les trouverai bien sans doute.

Le lendemain matin, à la pointe du jour donc, prenant le fusil et notre chienne, je suivis le chemin de Corgnac, et de là à Nantheuil et à la forge de Grafanaud. Quand j’y fus, je demandai à la cantine, si on connaissait un forgeron nommé Estève, mais on ne sut m’en rien dire. Je continuai donc mon chemin dans ce pays sauvage, où il n’y avait pas de route en ce temps-là, mais seulement de mauvais sentiers dans le fond des ravins, où passaient les mulets qui portaient le minerai et le charbon aux forges. Quand je fus à Fayolle, un forgeron que je trouvai dehors, me dit que mon cousin travaillait à la forge de Montardy dans la commune de Saint-Paul, en suivant l’Isle, à une lieue et demie avant d’arriver à Jumilhac. Me voilà reparti pour Montardy, où je trouvai en effet mon cousin qui fut bien content de me voir, surtout pour la cause que c’était. Nous fûmes manger à la cantine, car je crevais de faim, et tout en mangeant, il me dit que son frère était à faire du charbon dans une coupe de la forêt de Jumilhac, par là, entre Villezange et la Peyzie, il ne savait pas trop au juste. Quand j’eus fini de manger, nous trinquâmes une dernière fois, et Estève vint avec moi pour me montrer le chemin. Mais il y a de la place dans la forêt, et dans tous ces bois qui sont autour, et nous ne pouvions pas le trouver. En premier lieu nous fûmes sur une charbonnière qui fumait, mais il n’y avait personne. Enfin à force de chercher, un drôle qui tendait des lacets pour les lièvres, autrement dit des setons, nous enseigna où il était, dans la Forêt-Jeune. Quand nous fûmes proches, un grand chien jaune courut vers nous en jappant, mais se tut bientôt en voyant la chienne :

— Ça n’est pas commode d’avoir ton adresse, que je dis en riant à mon cousin ; et après lui avoir secoué la main, je lui dis pourquoi j’étais venu.

Sa cabane était là, auprès d’un gros chêne baliveau, recouverte de glèbes dont l’herbe était tournée en dedans. Il couchait là, avec une couverte, sur un lit de fougères sèches où il y avait deux peaux de mouton. Devant la cabane, une marmite pendue à trois piquets assemblés par le haut : — Tu vois, dit le cousin Aubin, c’est la soupe qui cuit, nous ferons chabrol dans un moment.

— Bah ! dit Estève, moi il faut que je m’en retourne, il vaut mieux donc qu’Hélie s’en revienne avec moi, coucher à la cantine.

— Ne l’écoute pas, me dit l’autre, reste avec moi, nous souperons bien, n’aie crainte, et cette nuit nous irons à l’affût des porcs-singlars.

Cette idée me rit, et je restai.

Quand Estève fut parti, Aubin hucha son garçon, en joignant ses deux mains contre sa bouche : Hô ô ô ô, Marsaudoû, oû oû, oû !

Marsaudou, qui était à bâtir un fourneau, arriva un moment après, nu-pieds dans ses sabots pleins de fougère, ses culottes et sa veste toutes dépenaillées, un bonnet de laine brune sur la tête, les cheveux tombant sur son cou, la barbe embroussaillée ; noir, la figure, la chemise et tout, comme un charbonnier, c’est le cas de le dire : on aurait dit un homme des bois, et de vrai il y passait sa vie. Après avoir fait un signe de tête il se planta sans rien dire.

— Tiens, dit mon cousin en lui donnant un hâvre-sac, va-t-en à Saint-Paul, chez l’Arnaud, tu porteras de la viande, deux ou trois livres, et ne t’amuse pas.

Marsaudou fit signe que oui, posa ses sabots et s’en alla d’un bon pas. En attendant qu’il fût revenu, je fus avec mon cousin voir des fourneaux allumés, et dans ce temps il me conta sa vie. Elle était sauvage, mais ça ne lui déplaisait point. Des semaines entières, il ne voyait souvent que les muletiers qui venaient charger du charbon, et c’était tout. Le dimanche, il allait quelquefois à Jumilhac ou à Saint-Paul, et portait des vivres pour huit jours. Quand il y avait moyen, il s’en allait tuer un lièvre, avec son chien qui était coupé de courant et de labri, maigre à le traverser avec une aiguille de bas, mais tout à fait bon à ce qu’il disait.

Marsaudou revint et donna sans rien dire l’hâvre-sac à mon cousin, qui en tira une touaille où était pliée une bonne grillade de cochon.

— Ça va bien qu’il dit ; nous avons déjà des gogues ; voyons la soupe maintenant.

Il se lava ferme les mains à une source à côté, mais tout de même elles étaient bien un peu noires encore. Après ça il tailla la soupe dans des petites soupières de terre, chacun la sienne à la mode du pays, et puis mit du bois sec pour faire de la braise.

Quand les trois soupes furent trempées, avec des baguettes de bois posées sur des petites fourches, il fit une manière de gril et y mit la viande et les boudins. Puis il alla tirer à boire, dans une espèce de pichet en bois, à un barriquot qui était dans la cabane, et porta une tourte de pain. Tout étant prêt, nous nous assîmes sur des troncs d’arbres pour souper.

La nuit était tombée tout à fait, et nous étions là, tous trois autour du feu, nos chiens assis sur le cul nous regardant faire. Mon cousin et moi, nous causions tout en mangeant, de choses et d’autres : il me demandait d’où était ma femme future, si elle était jolie, comment j’avais fait sa connaissance, et autres choses pareilles. Marsaudou, lui, ne disait rien, il mangeait, la figure dans sa soupière, comme un affamé.

Après la soupe, nous fîmes un bon chabrol, et ensuite mon cousin se mit à retourner la viande et les gogues, et y jeta du gros sel qui pétilla dans le feu.

Quand ce fut cuit, Aubin partagea la viande et chacun mangea sur son pain, jetant de temps en temps un morceau aux chiens qui l’attrapaient à la volée.

Après souper, mon cousin alla chercher une bouteille dans la cabane, versa deux doigts de goutte dans chaque verre et me dit, après avoir trinqué :

— Maintenant, tu vas prendre ma couverte et dormir un peu ; moi, il faut que je veille aux fourneaux, je te réveillerai pour aller au guet.

J’allai me mettre sur la fougère, dans la cabane, et comme j’étais fatigué, je m’endormis d’abord.

Au milieu de la nuit, mon cousin me toucha les pieds :

— Lève-toi, Hélie.

Je sortis de la cabane avec mon fusil. Le temps était clair, les étoiles rayaient, mais il ne faisait pas trop froid encore. Je m’approchai un peu du feu, tandis que mon cousin mettait ses souliers, et je coulai dans mon fusil une balle qu’il m’avait donnée. Quand il fut prêt, après avoir attaché les chiens qui nous auraient dérangés, nous partîmes.

Après avoir marché un bon moment, mon cousin me fit signe de faire doucement, et en passant au long d’un boqueteau de chênes, me montra un gros pinier où les sangliers, que nous appelons porcs-singlars, avaient laissé des traces de fange en venant s’y gratter. Étant entrés dans ce petit bois, le cousin me mena à une fosse entourée d’une feuillée, où nous nous assîmes sur de grosses pierres, le fusil sur les genoux. Par les intervalles entre les branches, on voyait un champ de raves où les bêtes noires avaient déjà foui : autour, c’était des bois et d’un côté la lande grise. Nous attendions sans parler ni bouger. On entendait un loup hurler du côté de la Forêt-Vieille, et vers le Temple, des renards chassaient en jappant clair sur la voie d’un lièvre, comme des labris. Au loin, les gens de Rouledie et de Brétenoux, faisaient un bruit du diable avec des peyroles ou chaudrons, des bassins et des cornes, pour garder leurs raves et leurs blés d’Espagne. Autour de nous, un rat rongeait une châtaigne dans son trou, et de temps en temps un hérisson jetait son petit cri aigu dans le taillis voisin. Quelquefois nous entendions dans les bois prochains de légers bruits : un lièvre traversant le fourré, ou un taisson sorti de son terrier. Il y avait trois heures et plus que nous étions là, quand à un moment, nous entendons assez loin sur notre droite, un grand bruit de branches pliées qui allait se rapprochant. Mon cousin me toucha le coude, et tout d’un coup cinq ou six sangliers sortirent du bois en trottant. Seulement ils étaient trop loin à l’autre bout de la terre, et il fallait attendre qu’ils fussent plus près. En attendant, nous les regardions faire ; avec quelques coups de nez, ils arrachaient une rave et la dévoraient en grognant. Petit à petit, ils approchaient et allaient être à bonne portée ; malheureusement le vent avait tourné et nous l’avions dans le dos, de manière qu’à un moment donné le porc qui était devant, leva le nez en l’air de notre côté, grogna quelque chose aux autres, car ils firent comme lui, et coup sec tournèrent tête sur queue au galop. À tout hasard, je leur envoyai mon coup de fusil au moment où ils allaient rentrer dans le bois.

— C’est de la poudre perdue, dit mon cousin ; à cette distance, tu n’y ferais rien ; ça porte bien une balle, ces bêtes-là.

Nous revînmes à la cabane, en passant par les fourneaux, où Marsaudou était de garde. C’était un brave homme, je le crois, car mon cousin le disait ; mais franchement avec ses longs cheveux, sa barbe et sa peau de bique, il avait plutôt l’air de quelque sauvage que d’un homme du Périgord ; mais je crois qu’il était Limougeaud.

Une fois rendus à la cabane, mon cousin ralluma le feu et nous bûmes la goutte pour nous réchauffer, car la pointe du jour était proche et le froid du matin tombait sur nous.

L’Angelus sonna bientôt à Saint-Paul, puis à Jumilhac, et plus loin à Saint-Priest. Je vais te conduire jusqu’à Saint-Paul, me dit mon cousin, de là tu t’en iras à Grafanaud, c’est plus court.

En marchant, nous causions, et il me disait que ce pays de bois, de prés, de landes et d’étangs, qui me paraissait bien pauvre, ne l’était pas tant qu’il en avait l’air. Les bois donnaient beaucoup de revenu en feuillard, en charbon ; et toutes les forges du pays qui marchaient, faisaient vivre les gens. Outre celles de Grafanaud, de Fayolle et de Montardy que j’avais vues, il y avait encore à ce qu’il me dit, les forges du Gravier, du Tendeix, de Vialette, du Cros, des Fénières, du Moulin-Neuf, de la Barde, de la Meynardie, de Mavaleix. Toutes ces usines, et les hauts fourneaux toujours allumés, étaient une richesse pour le pays et donnaient du travail à une masse de gens : forgerons, mouleurs, ouvriers des hauts fourneaux, bûcherons, charbonniers, muletiers qui allaient chercher le minerai du côté d’Excideuil, d’Hautefort ; et tout ce monde donnait du débit aux cantines des forges, aux auberges, aux marchands ; aussi le pays était à l’aise.

Depuis, ça a bien changé. Toutes ces forges qui entretenaient le bien-être dans le pays, sont arrêtées ou presque toutes. Les hauts fourneaux sont éteints. Aux Fénières on fait encore quelque peu de moulage de fonte, des pots, des marmites, des chaudières, et c’est tout. Ailleurs tout est mort. Ces forges cachées dans les fonds, où l’on entendait le bruit pressé des martinets, dont les hauts fourneaux dardaient en l’air des langues de feu qui se réflétaient sur l’étang, et dont les portes brillaient dans la nuit comme des gueules enflammées, sont désertes. Les roues qui faisaient marcher les marteaux et les soufflets sont arrêtées et pourries ; les tuilées effondrées laissent voir à l’intérieur les poutres noircies ; les murailles tombent, les levées des étangs sont ébréchées et les hauts fourneaux s’écroulent ; il n’y a plus que des ruines partout et la misère est dans le pays.

Tout ça c’est l’ouvrage du dernier empereur. Pour faire plaisir aux Anglais qui nous voudraient détruire, il a fait avec eux des arrangements qui ont ruiné bien des gens dans nos pays, et dans toute la France à ce qu’il paraît.

Ah ! c’est vrai que depuis lors nous payons le fer un peu meilleur marché. Mais d’abord, le nôtre valait mieux, et après ça qu’est-ce que ça faisait de le payer un peu plus cher, du moment que l’argent restait dans le pays et faisait vivre nos ouvriers, qui le dépensaient chez les marchands, les artisans, et achetaient des denrées aux paysans ?

Tout le monde y trouvait son compte, tandis qu’aujourd’hui notre argent s’en va dans la poche des ouvriers étrangers, au lieu de faire vivre les nôtres, qui sont minables.

À Saint-Paul, nous entrâmes à l’auberge, mon cousin et moi, et nous fîmes faire un bon tourin. Après ça un quartier d’oie passé à la poêle. Quand nous eûmes déjeuné, Aubin me montra le chemin et après lui avoir bien dit de ne pas manquer le jour de la noce, je le quittai.

Je fis le chemin assez lestement, et le soir après souper, j’allai voir Nancy pour lui dire que toutes les invitations étaient faites, et qu’il n’y avait plus à se dédire, quand même elle se repentirait d’avoir promis.

Elle se mit à rire et je l’embrassai. Après avoir causé une demi-heure, elle rentra, et je m’en fus me coucher.

Le lendemain je m’en fus à Périgueux acheter quelques petites affaires pour elle, comme une bague en or et un anneau de mariage, une chaîne de cou avec un cœur, des rubans, de la dentelle, un châle, des bas fins et quelques petits affiquets.

Après avoir fait toutes mes commissions, acheté du café pour le jour de la noce, de la vanille pour mettre dans les crèmes, que la bru de Maréchou m’avait bien recommandé de ne pas oublier, une bouteille d’anisette pour les femmes, deux autres de cognac pour les hommes, je m’en fus prévenir M. Masfrangeas du jour qui était convenu. Il voulait me garder à souper, mais il me tardait de revenir au Frau, et puis je n’aimais pas beaucoup à aller chez lui, parce que ses filles étaient toujours mijaurées, surtout l’aînée, et je repartis.

— Tout ça, c’est très bien, dit mon oncle, en voyant ce que je rapportais ; nous avons convenu du jour, mais si nous sommes trente-cinq, où nous mettrons-nous ? On ne peut pas démonter les lits de la grande chambre, parce qu’il y aura des parents à faire coucher ; dans la cuisine, ça ne se peut pas, où nous mettrons-nous ?

En cherchant bien, il nous fallut demeurer d’accord qu’il n’y avait que le cuvier où on pût mettre aisément une table pour tant de monde. Mais il fallait démonter la grande cuve, faire crépir les murs et blanchir le plafond. Ça ce n’était pas une affaire, d’autant mieux que nous avions encore les ouvriers qui finissaient de monter la grange, car chez nous, les bâtisses vont doucement comme on sait.

Ceci convenu, le dimanche d’après, nous fûmes à Saint-Germain, chez M. Vigier, pour passer notre contrat. Le père Jardon était là, et sa vieille aussi qui accompagnaient Nancy. De lui donner du bien, ça ne se pouvait, puisqu’ils n’en avaient point ; mais la bonne mère nourrice ne voulait pas qu’il fût le dit que sa fille n’aurait rien apporté en mariage, et elle fit mettre dans le contrat qu’elle lui donnait six linceuls de brin tout neufs, autant de serviettes et deux touailles, qu’elle avait fait faire expressément au tisserand, après avoir filé le chanvre aux veillées. Elle avait fait ça sans consulter son homme, sachant bien qu’il n’aurait pas voulu ; aussi il la regarda tout étonné et pas content, mais ne dit rien pour lors, car un moment après, il dit qu’en cas de mort de sa fille, sans enfants, tout ça devait leur revenir.

Mon oncle se mit à rire ; moi j’étais en colère, et la vieille regardait son homme d’un mauvais œil. Mais M. Vigier arrangea ça tout de suite en disant : — Écoutez-moi, Jardon, il vaudrait mieux ne pas parler de ça c’est moi qui vous le dis ; et ce fut fini.

Pour moi, par le contrat, je donnai à ma future femme, pour la mettre à l’abri en cas de malheur, le petit bien du Taboury en toute propriété, et je laissai usufruit à son père et à sa mère nourriciers, comme je l’avais promis. Je n’avais parlé de la donation à personne, sinon à mon oncle ; aussi la vieille et Nancy tirèrent leur mouchoir pour s’essuyer les yeux. Quant à Jardon, il resta tout surpris de cette affaire, ne comprenant pas comment on pouvait donner comme ça son bien. Après ça il regardait le plancher, et on voyait bien qu’il se travaillait à chercher s’il n’y aurait pas quelque chose à tirer pour lui de cette donation. Quand nous eûmes signé, ceux qui savaient, M. Vigier prit ses droits et embrassa Nancy en lui disant : Ma drole, tu te places bien, mais tu le mérites, et ton mari n’est pas à plaindre.

Le soir nous soupâmes au Frau, et je donnai après à ma Nancy tout ce que j’avais porté de Périgueux pour elle. C’était peu de chose, et maintenant, il n’y a fille ayant cent écus de dot qui s’en contentât ; mais alors, on n’en était pas encore venu au point d’aujourd’hui, où on ne connaît plus riche ou pauvre, chacun voulant être égal aux autres par la dépense, histoire de faire croire qu’on est égal par le bien. Nancy fut donc bien contente de tout ce que je lui donnais. Un châle tissé, de Lyon, surtout, lui semblait bien beau, car en toilette comme en tout, elle aimait mieux le solide que les fanfreluches. Ce châle m’avait bien coûté quatre-vingts francs chez Mayssonnade, mais je ne les regrettais pas en voyant qu’il lui faisait plaisir. Il faut dire aussi que la pauvre drole n’avait jamais été gâtée de ce côté. Sa mère aurait bien voulu quelquefois lui donner quelque petite chose, mais le vieux faisait un tapage d’enfer pour lâcher un sou, de manière que la pauvre femme était obligée de faire comme d’autres, de tricher son homme sur quelques douzaines d’œufs, ou une paire de poulets, pour acheter à sa fille quelque cotillon, ou un mouchoir de tête, ou un devantal, que du côté de Sarlat on appelle un faudal, et en français un tablier ; mais le vieux Jean-foutre n’était pas facile à tromper.

Au moment de partir je dis à Nancy : j’ai encore quelque chose à te donner ; et sortant de ma poche de gilet la bague que j’avais achetée, je la lui mis au doigt et je l’embrassai.

Le lendemain, mon oncle me dit :

— Ah ça, comment entends-tu te marier ?

— Mais, lui répondis-je un peu étonné, comme on se marie ; à la mairie en premier, puis à l’église ensuite. Je me serais bien passé du curé Pinot, mais la mère nourrice de Nancy ne la croirait pas mariée sans ça. À elle, on aurait pu faire entendre raison peut-être, mais l’Administration de l’hospice que M. Masfrangeas représentera, ne donnerait pas son consentement à un mariage sans curé, et d’un autre côté, de le dire seulement après le mariage à la mairie, ça serait pour faire avoir des désagréments à M. Masfrangeas. Il me faut donc me marier à l’église quoique ça me dérange.

— Je te comprends bien, dit mon oncle, mais tu ne te figures pas, sans doute, que le curé va te marier comme ça tout bonnement ; il te va falloir te confesser, ajouta-t-il en riant.

— Ha ! pour ça, non ! il en sera ce qu’il en sera, je me passerai plutôt de lui. Mais je voyais à ça tant d’ennuis pour ma femme, tant de tracasseries et peut-être pis pour M. Masfrangeas, que j’en étais tout ennuyé. Mais quant à aller me confesser au curé Pinot, cet oncle de contrebande, ni même à aucun autre, je ne voulais pas le faire à aucun prix.

En pensant à ça, il me vint une idée ; je racontai à mon oncle ce que n’avait dit Ragot le rétameur, et je lui dis d’aller au bourg, sans faire semblant de rien, de tâcher de voir le curé, et de lui parler de son pays, qui lui faisait dire bien des choses et à sa nièce, et que peut-être ça le rendrait plus aisé.

Mon oncle alla d’abord à l’auberge et trinqua avec Maréchou ; puis ils sortirent sur la place, et se mirent à causer avec un voisin, contre l’arbre de la Liberté qu’on n’avait pas encore coupé. Un moment après, le curé sortit de l’église venant de dire sa messe, et s’arrêta avec eux. De suite, il se mit à parler de politique, comme c’était son habitude, mais bien entendu il n’était pas d’accord avec mon oncle, ni avec Maréchou ; quant au voisin il écoutait tout, ouvrait la bouche et ne disait rien pour ne se mettre mal avec personne. Le curé était fort en colère contre les rouges, comme on disait en ce temps, et il faisait de grands gestes, disant qu’on devrait mettre ces gens-là à la raison.

— À la raison ? ripostait mon oncle ; mais moi, je suis un de ceux que vous appelez : rouges, et je crois en avoir autant que bien d’autres.

— Oui ! oui ! je m’entends ; tous ces gens qui prêchent le désordre ; ces journaux comme la Ruche, qui excitent à la haine du Président de la République, les démoc-soc, on devrait faire taire tout cela.

— Et laisser parler les curés seulement, n’est-ce pas ? acheva mon oncle. Hé bien, écoutez-moi : je suis un de ces hommes dont vous parlez, et où voyez-vous que je prêche le désordre ? Je voudrais au contraire que chacun fût tranquille chez lui, en travaillant, et je ne déteste rien tant que ceux qui exploitent les travailleurs, et les rendent tellement misérables qu’ils les forcent à se révolter : voilà les hommes de désordre.

— Mon Dieu, dit le curé, encore vous, quoique vous ayez des idées bien mauvaises, vous n’êtes pas un méchant homme, mais parmi les rouges et les socialistes les gens honnêtes c’est l’exception.

— Oui, dit mon oncle, le triage que vous faites pour moi, parce que vous me connaissez, d’autres le font pour leurs voisins républicains qu’ils connaissent, mais moi qu’ils ne connaissent pas, je suis pour eux une canaille, comme pour vous le sont tous les républicains que vous ne connaissez pas : vous voyez comme c’est peu raisonnable.

Au bout d’un moment de cette discussion, mon oncle dit : Je m’en retourne au moulin ; tout ça ne fait pas les affaires.

Le curé le suivit quelques pas, et lui parla de mon mariage, qu’il ne fallait pas prendre le jeudi prochain, parce qu’il n’y serait pas, devant aller à une conférence ce jour-là, et puis qu’il était temps de venir se confesser.

— C’est que, dit mon oncle, il n’en a pas bien envie.

Là-dessus, le curé tressauta, et s’écria que c’était la faute aux journaux qui semaient l’impiété, si on voyait des jeunes gens, baptisés, refuser de se confesser ; mais que pour sûr, il ne me marierait pas…

— Je crois, interrompit mon oncle, qu’Hélie aimerait mieux ne pas se marier à l’église plutôt que de se confesser.

Ah ! là-dessus, le curé s’emporta tout à fait.

— Alors, il se passerait de mariage ? Tout honnête homme ne se croit marié qu’après le sacrement cependant, et sans doute ce ne sont pas les paroles de Migot qui marient ? À la mairie, c’est une formalité civile, un enregistrement, mais le vrai, le bon, le seul mariage entre chrétiens, c’est le mariage à l’église.

— Je ne vous dis pas. Mais vous savez, mon neveu est entêté : il ne se confessera pas, et si vous ne voulez pas le marier sans ça, il se passera du sacrement, comme vous dites ; déjà qu’il n’y est pas trop porté.

— Mais ça ne s’est pas vu, jamais ! s’écria le curé. Tous ces fameux républicains se marient à l’église comme les autres, ce qui prouve bien qu’ils ne pensent pas ce qu’ils disent.

— Que voulez-vous, mon pauvre curé, fit mon oncle en goguenardant : Si ça ne s’est jamais vu, ça se verra la première fois dans votre paroisse.

— Quel scandale ! mon Dieu ! mais ça n’est pas possible, je verrai Hélie.

— À propos, dit mon oncle, en quittant le curé ; il m’a chargé d’une commission. Dernièrement il a vu à Hautefort un de vos pays, un peyroulier appelé Ragot, et ce Ragot lui a fort recommandé de vous dire bien des choses, à vous et à votre nièce.

La colère du curé tomba tout d’un coup. Il ouvrit deux ou trois fois la bouche sans rien dire, comme une carpe qu’on a tirée sur le sable. On eût dit qu’il avait reçu un grand coup dans l’estomac ; enfin, il finit par dire en bredouillant : Bien, bien, merci bien.

— Ma foi, me dit mon oncle en arrivant, tu pourrais bien gagner ton procès, avec la recommandation de Ragot.

Et nous nous mîmes à rire de bon cœur.

Quelques jours après, j’étais seul au moulin ; mon oncle était à Coulaures, et Gustou avait été rendre de la farine aux pratiques. Jetant les yeux en aval, je vis venir, suivant la rivière, le curé Pinot. Il entra au moulin avec un air crâne, mais je voyais bien qu’il y avait un peu de semblant. Il s’était sans doute quelque peu rassuré à propos de Ragot, et s’était peut-être dit que mon oncle avait ajouté de son chef, la pièce à la commission : en tout cas, il faisait comme les gens qui sont dans une mauvaise passe ; il payait d’audace.

— Hé bien, mauvaise tête, que m’a dit ton oncle ?

— La vérité, Monsieur le curé, répondis-je en riant.

— Alors, tu ne veux pas te confesser ?

— Ça n’est pas mon idée.

Là-dessus il se mit à me prêcher, disant qu’en ce cas, il ne pourrait pas me marier, que les sacrés canons s’y opposaient ; que ce serait un grand scandale si nous n’allions pas à l’église ; que les gens ne nous regarderaient pas comme mariés, et beaucoup d’autres choses.

— Écoute, tiens, je suis arrangeant : je vais te confesser là, tout présentement, sur l’heure ; tu n’as qu’à me dire bonnement en gros ce que tu as fait… sans quitter ton travail : voyons, ce n’est pas la mer à boire ?

Mais j’étais entêté, comme avait dit mon oncle.

— Monsieur le curé, je ne veux me confesser d’aucune manière, ni debout, ni à genoux, ni au confessionnal, ni dans le moulin. Si vous ne voulez pas me marier sans ça, eh bien, je me contenterai du maire.

— Alors, tu ne seras pas marié ; tu vivras tout simplement en concubinage !

La moutarde me monta au nez, comme on dit, et je ripostai vivement :

— Je ne serai pas le seul dans la paroisse ! Vous savez bien que je pourrais en nommer qui vivent comme ça, pas sans curé si vous voulez d’une manière, mais sans maire et sans contrat !

Le curé comprit, resta coi un instant et me quitta en disant :

— Tu as tort de ne pas m’écouter, grand tort.

Je ne sais pas trop au juste ce qui le décida, mais deux jours après il s’arrangea pour rencontrer mon oncle, et lui dit que pour éviter de scandaliser les âmes pieuses, et pour que sa paroisse ne donnât pas l’exemple d’un mariage : laïque, comme il dit, il me marierait tout de même sans confession ; que ce qu’il en faisait c’était pour éviter un plus grand mal ; mais qu’il ne fallait dire mot de tout ça à quiconque. Peut-être bien que sa raison y était pour quelque chose, mais le diable ne m’ôterait pas de l’idée qu’il avait peur aussi de voir mettre au jour ce qu’avait dit Ragot, touchant sa prétendue nièce.

Cette affaire m’avait un peu tracassé, surtout à cause des chagrins que ça aurait pu donner à Nancy ; aussi, lorsque le curé se fut décidé, je fus content. Les derniers jours, je ne la quittais plus, et je me complaisais à la voir arranger ses petites affaires bien en ordre. Nous parlions de ce que nous ferions lorsque nous serions mariés, et de la manière qu’elle tiendrait la maison et comme nous serions heureux au Frau, avec mon oncle qui était si bon homme. Je l’embrassais tant que je pouvais, et elle me donnait ses joues en riant ; mais elle ajoutait qu’il fallait être sage et ne pas y revenir à chaque instant. Ça n’était pas par froideur qu’elle faisait ainsi, car des fois en embrassant je voyais ses yeux se fermer et je sentais son cœur battre bien fort ; mais chez elle la raison ne s’endormait jamais ; et puis, il faut le dire, j’étais moi-même assez sage et point aussi hardi que le sont quelquefois les garçons.

Quelques jours avant la noce je voulus que nous allions convier la demoiselle Ponsie. Un soir, ayant épié le jour que M. Silain n’était pas à Puygolfier, nous y montâmes.

Elle était dans le salon à manger, qui faisait là tristement son bas toute seule. D’abord qu’elle nous vit, elle se douta pourquoi nous étions montés, et venant vers nous, elle embrassa Nancy, et puis nous fit asseoir. Lorsque je lui eus dit que nous étions venus pour l’engager à notre noce, elle secoua la tête doucement, d’un air triste, et nous dit qu’elle n’avait pas le cœur à aller à noces, mais qu’elle viendrait à l’église prier le bon Dieu de nous rendre heureux.

— Tu as fait preuve de bon sens et de raison, Hélie, en choisissant Nancy ; je la connais bien, et je te promets que tu n’auras jamais une heure de regret. Elle n’a rien, c’est vrai, mais tu as assez pour elle, et ce que tu as, elle est femme à le faire prospérer. Ce n’est pas tout les maisons, il faut surtout les conserver. Et on voyait bien à ça qu’elle pensait à la sienne, ruinée par son père. Lorsque nous fûmes pour nous en aller, elle tira de son doigt une petite bague à pierre bleue et la passa à celui de Nancy ; puis elle l’embrassa encore, les yeux mouillés, la pauvre créature.

— Demoiselle, lui dis-je, vous savez que vous aurez toujours au moulin, des amis, bien petits, c’est vrai, mais qui vous aiment et vous respectent bien ; et si jamais vous aviez besoin d’eux, de jour ou de nuit, comme que ce soit, ils seront toujours à votre service et à votre commandement ; je vous prie en grâce de ne pas l’oublier !

— Merci, mon Hélie, merci, dit-elle en essuyant ses yeux, je te le promets ; adieu, mes enfants.

Nous redescendîmes de Puygolfier, nous tenant par le bras, le cœur un peu gros des peines de la pauvre demoiselle.

Enfin le jour arriva. Ma tante Gaucher était venue d’Hautefort, deux jours auparavant, pour faire tout appareiller, avec mon cousin le maréchal qui devait être contre-nôvi. Dès le matin, au jour, les grandes marmites bouillaient au feu. Il y avait là cinq femmes : notre Marion d’abord, puis la fermière du Taboury, ensuite la mère Jardon, et sa sœur venue de Négrondes pour aider, et enfin la nore de Maréchou l’aubergiste, qui était une fine cuisinière pour la campagne. Ça n’était pas trop de toutes ces femmes pour tant de monde que nous étions. Nous avions compté sur trente-cinq, mais il se trouva que nous étions davantage ; il y avait les parents d’abord :

Mon cousin Ricou et ma tante ;

Martial Nogaret, à la noce de qui j’avais été, devers Brantôme, et sa femme ;

Le grand Nogaret, le tanneur de Tourtoirac, avec un de ses fils, et sa fille la plus jeune, une belle drole qui s’appelait Francette ;

Un autre Nogaret, qui était fermier du moulin du Bleufond, près de Montignac, et son aînée ;

Un autre cousin Nogaret aussi, meunier au moulin du Coucu, près de Nailhac, avec un petit de quinze ans, bien eycarabillé, appelé Fredéry. Ce Nogaret était le plus pauvre de la famille, n’ayant qu’un petit moulin à une paire de meules où l’eau manquait l’été, en sorte qu’il lui fallait porter moudre le blé des pratiques, au Temple-de-l’Eau ou à Cherveix ; et pour faire son travail, il n’avait que deux méchantes bourriques : avec ça, force petits enfants.

Après ça, il y avait un frère de ma défunte mère, mon oncle Chasteigner, de Sorges, venu avec sa femme et deux de mes cousins.

Puis mon cousin Estève et son frère Aubin.

Et les amis ensuite.

M. Masfrangeas, que j’avais été chercher la veille à Coulaures au passage de la voiture ;

M. Vigier, le notaire qui avait passé notre contrat ;

Migot le maire, sa femme et son fils le plus jeune ;

Le fils Roumy, du bourg, et sa sœur Félicité, qui était contre-nôvie avec mon cousin Ricou ;

Lajaunias, l’aubergiste du Cheval-Blanc de Savignac, avec sa fille Toinette ;

Jeantain de chez Puyadou, venu tout seul ; les vieux étaient restés à la maison ;

Lavareille, d’Excideuil, un ami de mon oncle, et une de ses filles appelée Aimée ;

Enfin l’ami Lajarthe.

Avec ça, le vieux Jardon, les deux chabretaïres, Gustou, mon oncle, ma femme et moi, ça ne faisait pas loin d’une quarantaine à table.

On partit le matin de la maison, en rang, les musiciens en tête, pour aller quérir la nôvie à la Borderie. Ma tante et la Félicité, qui l’avaient habillée, nous oyant venir, la menèrent.

Il y a de ça plus de quarante ans, et je la vois encore. Qu’elle était belle, ma Nancy, et qu’elle avait l’air comme il faut ! Dans nos campagnes, ça n’était point la coutume en ce temps, ni guère encore, d’habiller les filles de blanc le jour de leur noce. Nancy avait une robe de fin mérinos bleu qui lui découvrait un peu le cou, et la naissance de la poitrine où brillait le cœur que je lui avais donné, suspendu par une chaîne d’or. Elle avait une coiffe avec des dentelles, à l’ancienne mode périgordine, qui laissait voir deux épais bandeaux de cheveux noirs. Avec ça, de grands pendants d’oreilles, son beau châle et des petits souliers avec des rubans et c’est tout. C’était une mise campagnarde, j’en conviens, mais je l’aimais mieux que celles des villes. Je n’oublierai jamais, quand je vivrais cent ans, le sourire avec lequel Nancy me reçut lorsque je m’approchai pour l’embrasser : Ma chère femme !

Ce n’est pas la coutume, chez nous, que le père conduise sa fille le jour du mariage. C’est le contre-nôvi qui la mène à l’église et le marié mène la contre-nôvie. Mais pour nous faire honneur, M. Masfrangeas, qui représentait les Messieurs de l’hospice tuteurs de Nancy, la conduisit à la mairie et à l’église. Quand je dis à la mairie, il faut dire chez Migot, parce que de bâtiment communal il n’y en avait pas en ce temps-là. Dans une chambre, chez le maire, il y avait sur une grande table les gros livres du cadastre, les registres de mariage et autres, et un tas de papiers pleins de poussière. Dans un coin, se trouvait un cabinet où l’on sentait qu’il y avait des pommes, et avec un banc et trois ou quatre chaises, c’était tout.

C’est une chose bien étonnante que cette négligence de presque tous les maires de nos campagnes, pour tout ce qui se rapporte à la vie civile. Les hommes de la Révolution avaient voulu affranchir leurs descendants de la tutelle des prêtres, et c’est pour cela qu’ils avaient donné au maire, représentant la commune, la mission de constater les faits de la vie du citoyen, la naissance, le mariage et la mort. Mais par notre bêtise, on a traité les actes civils par-dessous la jambe. Les maires, dupes ou complices des curés, n’ont jamais songé à donner quelque solennité à celui qui y prête le mieux, au mariage. Le peuple en a conclu que ce n’était là qu’une simple formalité. Ça commence à changer un peu ; mais autrefois, le vrai mariage était à l’église ; à la mairie, on se faisait enregistrer, et il y en a encore qui disent comme ça.

Nous eûmes de la peine à entrer, les époux les contre-nôvis, M. Masfrangeas et mon oncle, dans la petite chambre qui servait de mairie. Le père Migot savait tout juste écrire en grosses lettres, et c’était la demoiselle Vergnolle qui écrivait les actes, car nous n’avions pas de régent en ce temps-là, dans notre commune. Il mit ses lunettes de corne, et bredouilla ce qui était écrit sur les papiers. Enfin, nous ayant demandé si nous voulions nous prendre pour mari et femme, après que nous eûmes répondu oui, il nous déclara unis au nom de la loi. Quand tout le monde eut signé, Migot ne manqua pas de prendre ses droits en embrassant ma femme sur les deux joues.

En sortant de la mairie, nous voilà partis à l’église. En entrant, je vis à gauche près du chœur, dans le banc de Puygolfier, la demoiselle qui était agenouillée et priait Dieu, la figure dans ses mains. Aussitôt qu’il nous vit entrer, le marguillier alla quérir le curé Pinot qui, après s’être un peu fait attendre, sans doute pour finir sa pipe, vint et s’alla vêtir dans la sacristie.

Il faut bien dire que ni lui ni son marguiller n’imposaient pas beaucoup plus que Migot. Le curé qui fumait tout le temps, empoisonnait le tabac, et avec ça n’était pas des plus propres, Jeandillou en pantalon de droguet, pieds nus dans ses gros souliers, avec son sans-culotte d’étoffe, et sa chemise attachée par des liens, qui laissait voir les poils rouges de sa poitrine, était bien le marguiller de ce curé, et tous deux étaient assez piètres. Jeandillou tenait un gros livre tout crasseux et estropiait les répons que c’en était risible. Moi, tout ça m’ennuyait fort ; je pensais à la prétendue nièce, et il me répugnait grandement d’avoir affaire à cet homme pour mon mariage. Aussi, quand tout fut parachevé, je fis tout bas un : Ha ! de soulagement, et nous sortîmes.

Et maintenant, je menais ma femme, et devant la porte, où étaient quelques gens du bourg venus par curiosité, comme nous sortions, des vieilles femmes dirent : À cette heure elle est sienne !

Quand toute la noce fut hors de l’église, les garçons sortirent des pistolets de leurs poches et les firent péter ferme : on connaissait bien qu’ils n’avaient pas ménagé la poudre. Les deux musiciens se mirent en avant avec leurs chabrettes garnies de rubans, et nous voilà allant vers le Frau.

Je serrais le bras de ma femme contre moi, comme si j’avais eu peur qu’on vînt me la prendre, et nous nous parlions tout bas en nous regardant avec amour.

— Tu as ouï, Nancy, lui dis-je, ces vieilles qui, tandis que nous sortions de l’église, disaient : À cette heure elle est sienne !

— Oui, dit-elle, elles avaient raison ; maintenant je suis à vous dans le bonheur ou le malheur, pour la vie…

— Ma chère Nancy !

— … Et je vous promets que je serai pour vous une bonne et honnête femme.

— Oh ! Nancy, que je voudrais t’embrasser pour ce que tu dis là !

— Je mettrai toute ma gloire à faire de manière que jamais vous ne vous repentiez, mon cher Hélie, mon cher mari, d’avoir pris une pauvre fille sans famille et sans fortune.

Tandis que je la regardais, au fond de ses yeux clairs il me semblait apercevoir la bonne conscience qui la faisait parler ainsi.

Puis nous continuâmes de marcher sans rien dire, nous tenant serrés l’un contre l’autre, et bien heureux. Les musiciens jouaient de temps en temps, les pistolets partaient ; mais nous n’entendions rien.

— Ah ça ! dit au bout d’un moment, derrière nous, mon cousin, vous n’êtes pas bien riants, les nôvis ! Ça n’a plus d’air d’une noce, mais d’un enterrement !

— Il ne faut pas se fier aux apparences, que je lui dis ; nous sommes contents sans que ça paraisse, et plus qu’on ne le peut dire.

— Ah ! par ma foi, le jour de ses noces, il faut faire voir qu’on est content. Si je marchais devant avec Félicité et que nous fussions les nôvis, je serais bien content et je le ferais voir, par Dieu !

— Ne l’écoute pas, Félicité, que je lui dis, c’est un enjôleur de filles.

— Oh ! dit la petite Roumy, n’ayez de crainte, je le sais bien ; mon frère m’a dit qu’il avait une bonne amie à Excideuil.

— Comment ! dit mon cousin, ça se sait jusqu’ici ! Jamais je ne l’aurais cru. Mais ça n’empêche pas que je disais la vérité tout à l’heure. Parce qu’on parle à une fille qu’on a vue en premier, ça n’est pas une raison pour ne pas rendre justice à celle qu’on trouve en second lieu, et même pour ne pas regretter de ne l’avoir pas rencontrée la première…

— Ha ! ha ! ha ! tu entends, Félicité, comme il sait arranger les choses.

— Oui, répondit la drole en riant tant qu’elle pouvait ; je l’entends bien, mais je ne le crois pas.

— Et que faut-il donc faire, dit mon cousin, pour que vous me croyiez ? dites-le, je le ferai, aussi vrai que je m’appelle Gaucher Henri, ou autrement dit, Ricou !

— Rien ! rien ! dit-elle en riant encore.

Tout en babillant comme ça, nous arrivâmes au Frau. Tout le monde s’écarta un peu, au moulin ou le long de l’eau, en attendant le dîner. Les jeunes gens se promenaient avec les filles en leur contant fleurette, et les vieux s’arrêtaient de temps en temps pour prendre une prise. Nancy alla poser son châle et vint me retrouver devant le moulin, où je causais avec mes cousins de Brantôme et d’autres. Au bout d’un moment, mon oncle, qui revenait de la cuisine dit à un des musiciens qui avait été soldat dans l’infanterie légère :

— Sonne la soupe, Cadet !

Et l’autre se mit à jouer en imitant la sonnerie de la soupe ; mais nous n’y comprenions rien, excepté Lavareille et Estève qui avaient fait leurs sept ans, et nous dirent alors :

— Allons donc manger la soupe.

Le cuvier était bien arrangé, tout crépi de neuf et blanchi au plafond et partout. Par terre, on avait fait une épaisse jonchée de laurière qui lui donnait un air de fête. Quand nous fûmes assis tous, ma foi ça faisait une belle tablée. Ceux qui avaient les soupières en face d’eux servirent la soupe et on se mit à manger de bon goût, car il était déjà midi. Après la soupe, on apporta le bouilli de chez nous : de la velle avec des poules qui avaient le ventre plein de farce jaune. Le bouilli fini, tout le monde fut un peu plus tranquille, car c’était un bon fondement, et on commença à causer entre voisins. Ils étaient quelques-uns, mon cousin Ricou, mon oncle Chasteigner, le fils Roumy, Jeantain de chez Puyadou et Lavareille qui n’oubliaient pas de verser à boire, et avec ça, mon oncle Sicaire les rappelait à leur devoir de temps en temps :

— Hé ! là-bas ! vous ne versez pas à boire ! Tu entends, Lajarthe !

— T’inquiète pas, répondait l’autre, ta barrique y passera : et on trinquait entre voisins.

Après le bouilli on apporta des tourtières pleines d’abattis de dinde, de salsifis et de boulettes de hachis, et en même temps des poulets en fricassée.

Puis après, on servit de la daube de bœuf ; et il n’y avait personne pour la faire comme la nore de Maréchou, aussi il y en eut les trois quarts qui y revinrent : la daube est une bonne chose quand elle est bonne.

Ensuite de ça, les femmes portèrent sur la table deux grosses têtes de veau dans leur cuir, avec un bouquet de persil dans la bouche, et le petit Frédéry, qui n’avait jamais vu chose pareille, s’esclaffa de rire tant qu’il put.

Avec une sauce au vinaigre, ça remettait un peu en goût de manger, aussi on ne laissa que les os des têtes.

Puis après on servit des canards farcis et des fricandeaux.

Ça commençait à bien aller ; pour faire passer tout ça il fallait boire, et on buvait sec. Avec ça il y en avait qui commençaient à renâcler et ne mangeaient plus guère, mais les plus crânes allaient toujours. Sans montrer semblant de rien, je regardais faire le père Jardon qui était au fond de la table ; il revenait à tous les plats. Sans doute il se faisait cette réflexion que jamais plus il n’aurait une si bonne occasion, et il s’empiffrait tant qu’il pouvait, et buvait de même. Je crois que même en ce moment l’avarice le poussait, et qu’il se disait qu’en se remplissant bien la panse il n’aurait pas tant besoin de manger chez lui le lendemain.

De mouton, il n’y en avait pas, parce que les gens chez nous ne l’aiment point, je ne sais pas pourquoi. Avec ça, on leur en fait bien manger quelquefois dans les auberges, mais il ne faut pas qu’ils le sachent.

Il y eut un petit moment de repos, et chacun devisait joyeusement en trinquant, pour ne pas rester sans rien faire, quand tout à coup les femmes portèrent trois gros dindons rôtis, et ma foi tout le monde les regarda avec plaisir.

Tandis qu’on les tranchait, les femmes ôtèrent les bouteilles qui étaient sur la table, et apportèrent du vin de cinq ans de notre vieille vigne, qui était de crâne vin.

À ce moment, on avait déjà pas mal bu, et tout le monde était un peu rouge et bavardait. Je n’écoutais guère ce qui se disait, je parlais tout bas à Nancy au milieu du bruit, et lui serrant la main sous la table, nous oubliions de manger.

Mais une fois que ces gaillards-là eurent fini le rôti, ils commencèrent à nous plaisanter et à nous brocarder, comme c’est la coutume aux noces ; c’était salé quelquefois, mais avec ça rien de trop.

Pour la desserte, on couvrit la table de tourtes aux prunes, aux pommes, de massepains, de gaufres et de fruits : poires, pommes, raisins, noisettes, est-ce que je sais ? et avec ça de grands saladiers de crème. On n’avait pas oublié non plus de ces grandes tartelettes qu’on appelle des oreilles de curé, je ne sais pourquoi, et qu’on casse d’un coup de poing sur les assiettes : c’est sec, ça ne coule pas aisément, et il est forcé de boire dur en mangeant.

À un moment, M. Masfrangeas tapa quelques coups sur son verre, et se levant, les joues rouges, les yeux luisants, fit signe qu’il voulait parler : quand on vit ça tout le monde se tut.

Il commença par faire son compliment à la nôvie, et à se féliciter d’avoir été chargé de représenter ses tuteurs au mariage. Ensuite il fit l’éloge de Nancy, de sa personne, de sa sagesse, de son bon sens, de son honnêteté et de son bon cœur, et il dit qu’une dot comme ça assurait la prospérité d’une maison, mieux que la fortune. Après cela, passant à moi, il convint que, quoique jeune et un peu original déjà, j’avais montré du jugement en préférant cet apport à l’argent, en prenant une fille pauvre de bien, mais riche de qualités.

Il continua, disant que c’était ainsi qu’il en devrait être toujours ; que les jeunes gens ne devraient se décider que d’après les convenances de personnes, et les qualités du cœur et du caractère, parce que c’était là des richesses qui valaient mieux que les écus ou les meilleures hypothèques, et que l’on ne craignait pas de perdre.

Il parla ainsi un moment, et tout le monde l’écoutait en silence, car il disait de bonnes choses en patois, et ça faisait grand plaisir d’ouïr, dans notre langage paysan, de fortes paroles qu’on n’est pas accoutumé d’entendre, aux noces, ni ailleurs.

En finissant, il dit qu’il espérait que nous aurions beaucoup d’enfants pareils à nous, ce qui fit rougir Nancy qui pendant tout ce prêchement baissait les yeux, il ajouta qu’il ne nous souhaitait pas le bonheur, mais qu’il nous le prédisait, parce qu’il était force forcée que, dans les conditions où nous nous étions mariés, nous fussions heureux. Tout ce que nous pouvons désirer aux nôvis, braves gens, c’est la santé, et pour cela, si vous voulez, nous allons y boire.

Tout le monde battit des mains, et les verres étant remplis, chacun se leva et vint trinquer avec nous, après M. Masfrangeas.

Quand on se fut rassis, on parla de chanter, et ce fut le fils Roumy qui commença.

Tandis qu’il chantait, et que tout le monde écoutait en regardant, je vis mon cousin Ricou qui avait fait semblant de tomber son couteau, et se coulait sous la table. Je dis un mot à l’oreille de Nancy et elle rassembla ses cotillons, et ramena ses pieds sous sa chaise. Lui arriva à quatre pattes sous la table, et dit tout doucement :

— Cousine, laissez-moi prendre votre lie-chausse.

Nancy, sans rien dire, tira de sa poche un ruban bleu et tenant toujours ses jambes serrées, le lui donna et il s’en retourna. Lorsqu’il se remit à sa place, il avait l’air tout capot, et je me mis à rire en le regardant. La chanson de Roumy finie, mon cousin coupa la soi-disant lie-chausse en morceaux, et les distribua aux jeunes gens qui les mirent à leur boutonnière.

Et on continua à chanter, et dans les chansons, il y en avait de gaies, et ça faisait rougir un peu Nancy, comme aussi les plaisanteries qu’on nous faisait : plaisanteries de nos anciens, vieilles et naïves comme eux. Pour dire ce que j’en pense, j’aime encore mieux ces coutumes paysannes que celles des bourgeois, qui trouvent ça pas distingué, et s’en vont en voyage au sortir de table, comme s’ils avaient honte de dormir ensemble au vu de tous leurs parents et amis ; que ne gardaient-ils leur ancienne cérémonie du coucher de la mariée, au lieu de s’ensauver comme deux amoureux qui se dérobent pour aller faire l’amour ?

On porta enfin le café, et pour quelques-uns qui étaient là, comme le cousin du Coucu et d’autres, c’était une chose rare. Il nous avait fallu emprunter des tasses chez Maréchou, et Jeantain en avait porté de chez lui, et Lajaunias aussi, car on pense bien que nous n’en aurions jamais eu assez pour tant de monde.

Quand on eut fait force brûlots, rincettes, sur-rincettes avec de l’eau-de-vie du pays, et pris du cognac que j’avais apporté, mon oncle alla chercher une grande bouteille de pinte et dit :

— Voici de l’eau-de-vie faite par mon grand-père il y a de ça quarante-cinq ou six ans. Je l’ai gardée depuis longtemps pour cette occasion : rincez donc vos tasses et nous allons boire à la santé de mon neveu et de ma nièce, ou pour mieux dire, de mes enfants.

Entendant cela, Nancy me serra la main et ses yeux se mouillèrent.

Mon oncle fit le tour de la table pour servir chacun de sa main, et quand il eut fini, il revint à sa place et, levant sa tasse, dit posément :

— Il me semble qu’en buvant cette eau-de-vie faite par mon grand-père et conservée avec soin par mon père, nos anciens qui sont morts se joignent à nous en ce moment, pour boire à la santé de leurs enfants.

Et une dernière fois, après avoir trinqué et bu à notre santé, tout le monde suivit M. Masfrangeas qui s’était levé, et nous fûmes nous promener le long de la rivière, ce qui ne faisait pas de mal après être restés à table cinq heures d’horloge.

Le soir, la jeunesse parla de danser et on monta dans la grande chambre, où je dansai la première contredanse avec ma femme et les contre-nôvis. Puis après, tous les jeunes gens voulaient danser avec Nancy, soit une bourrée ou une sautière, et il fallut qu’elle les contentât par honnêteté. Tandis que nous étions là, mon oncle vint à la porte et me cligna de l’œil. Je sortis et il me dit alors d’aller au jardin, où la servante de Puygolfier voulait me parler.

J’y allai, et la grande Mïette me dit que la demoiselle Ponsie me faisait dire que si nous voulions monter, de peur d’être tracassés, elle nous avait préparé une chambre, et que M. Silain n’y était pas.

Malgré ça, quoiqu’il n’y fût pas, ça m’aurait gêné de coucher sous son toit, et Nancy encore plus, depuis ce qui s’était passé entre nous dans les bois-châtaigniers. Je fis donner le merci à la demoiselle, en lui disant que nous nous étions précautionnés de ce côté-là.

Étant rentré dans la chambre, je dansai encore avec ma cousine de Brantôme, et sur les dix heures, je sortis en disant que j’allais faire faire un vin à la française. Au bout d’un moment, Nancy vint me rejoindre derrière le mur du jardin ; je lui mis son châle sur les épaules, car il faisait frais, et la prenant par le bras, nous nous en allâmes vers le Taboury, à travers les bois.

Quel heureux moment que celui où nous fûmes seuls tous deux, marchant doucement sous les étoiles, serrés l’un contre l’autre, sans rien dire, tant nous étions contents d’être mari et femme pour la vie ! Je ne passe jamais dans les sentiers que nous avons suivis, sans me remémorer cette nuit-là.

J’avais fait le mot à la femme du fermier, et elle nous avait préparé un lit dans une petite chambrette bien propre, où on ne couchait pas d’habitude. Je pris la clef dans un trou de mur qu’elle m’avait enseigné, et étant entrés, je refermai la porte en disant à Nancy : C’est les autres qui seront attrapés quand ils nous chercheront.

En attendant, ils s’amusaient toujours tant qu’ils pouvaient ; quelques-uns se remirent à boire, d’autres dansaient, tandis que les gens raisonnables parlaient d’aller se coucher. Mais auparavant, mon cousin Ricou et Roumy avaient fait faire un tourin à la Marion, et sur les deux heures du matin, il s’agissait de le porter. Mais il fallait nous trouver, ce qui n’était pas aisé, car aucun ne pouvait s’imaginer que nous nous étions en allés à plus de demi-heure de chemin par les bois. Ils cherchèrent dans toute la maison, et ne nous trouvant point, ils pensèrent que nous étions à la Borderie et s’y en furent. Comme ils ne nous y trouvèrent point, ils revinrent au Frau, et descendirent au moulin. Dans la chambre de Gustou, ils le trouvèrent couché avec mon cousin Estève, et allant dans celle de mon oncle, ils le trouvèrent aussi couché à l’ancienne mode dans le grand lit, avec M. Masfrangeas qui ronflait dur. Ils furent tous coyonnés, car aux noces, c’est à qui se moquera des autres : les nôvis se cachent de leur mieux, et les conviés cherchent de même ; tant pis s’ils ne trouvent pas, on se moque d’eux.

C’est ce qui arriva aux nôtres : quand ils revinrent à la cuisine, la Marion et la femme du Taboury et ma tante les plaisantèrent, et leur dirent qu’ils ne savaient pas dénicher, que pourtant c’était bien facile de nous trouver, et autres choses pareilles. Enfin pour en finir, ces femmes leur déclarèrent que c’était inutile de continuer à nous chercher, que nous étions à Puygolfier où la demoiselle nous avait retirés. D’aller là, il n’y fallait pas penser, aussi ils mangèrent leur soupe à l’oignon, se remirent à danser un moment, et puis on alla se coucher.

M. Vigier s’en était retourné sur sa jument ; Roumy emmena chez lui mon oncle Chasteigner avec sa femme, et Lavareille avec sa fille ; Nogaret du Bleufond et l’autre Nogaret du Coucu s’en furent coucher chez Maréchou, et les autres s’eyzinèrent. On dédoubla les lits dans la grande chambre et partout ; enfin on s’arrangea pour le mieux. Les plus enragés passèrent la nuit à boire, et sur les quatre heures du matin, Jeantain et mon cousin Ricou s’en furent tirer l’épervier, disant qu’ils voulaient prendre un peu de poisson pour se dégraisser les dents.

Le lendemain, il fallut recommencer. Après dîner, Nogaret du Bleufond, Nogaret du Coucu, et Lavareille s’en furent, ainsi que mes cousins les Estève, et Lajaunias, de Savignac. M. Masfrangeas s’en était allé le matin avec mon oncle, pour attendre la voiture de Périgueux. Le soir, nous étions bien encore quinze ou dix-huit à table. Après souper, les uns s’en furent de nuit et d’autres restèrent encore à coucher.

Pour dire la vérité, ma femme et moi, il nous tardait d’être un peu tranquilles, mais nous n’en faisions pas pour ça mauvaise figure à nos parents et amis ; au contraire, nous les fêtions de notre mieux.

Le soir du troisième jour, nous soupâmes dans la cuisine comme de coutume ; il n’y avait plus, en fait d’invités, que ma tante Gaucher et mon cousin, et les Nogaret de Brantôme. Le lendemain matin, ils partirent tous, et nous voilà seuls.