Le Musée de Versailles pendant la guerre
Ces renseignements sont complétés par une lettre du 16 septembre :
« Le souterrain a été muré le 5 septembre, par les soins du service d’architecture. Nous y avons déposé trente-six peintures, trente sculptures, cinq tapis de la Savonnerie, trois tentures et un fragment de la suite de Don Quichotte, le couvre-lit de dentelle de Louis xiv, gix-huit objets d’art et plusieurs caisses contenant, les unes, des œuvres d’art et objets divers appartenant au Grand et au Petit Trianon, les autres, des livres et des manuscrits de la Bibliothèque de Versailles. »
Je revois ce mur de cave, si habilement maçonné, platré et sali, qu’il eût été difficile au plus malin chercheur d’en soupçonner le défaut. Que de fois nous passâmes dans ces souterrains, nous demandant si l’heure n’était pas venue d’en extraire tant de merveilles ! Si excellentes que fussent les précautions prises, l’obscurité, le manque d’air, une certaine humidité inévitable devenaient à la longue des dangers non moins menaçants que l’autre. Nous nous décidâmes à ouvrir. Le 16 décembre, M. de Nolhac écrit :
« Nous avons procédé à l’ouverture du souterrain… Je suis heureux de vous informer que les objets ont été retrouvés en état satisfaisant. Il a été aisé de faire disparaître, sur les peintures, les légères atteintes d’humidité, qui auraient pu devenir dommageables si l’état de choses se fût prolongé. »
Le 5 janvier suivant, le Directeur prenait acte du témoignage rendu aux bons offices prêtés, au cours de la réinstallation des œuvres d’art du Musée, par le brigadier Proust et les ouvriers d’art Alègre et Gervaiseau.
Jusqu’au printemps de 1915, la solitude du grand Musée fut entière. De temps en temps, nous y guidions quelques personnage notable. Mais la vie reprenait peu à peu, pendant que sur le front la bataille s’éternisait.
Le 25 mars, M. de Nolhac écrit de nouveau à M. Henry Marcel :
« Diverses pétitions sollicitent la réouverture partielle de nos Musées. Trianon a conservé tout son personnel, composé de gardiens âgés pour la plupart. Sans proposer une réouverture régulière, il serait possible de donner satisfaction au public et aux troupes qui traversent Versailles, en détachant à certains jours, au Musée de Versailles, quelques gardiens de Trianon, pour ouvrir la Galerie des Batailles deux fois en semaine. Trianon serait ouvert dans les conditions ordinaires un jour par semaine. »
Le Sous-Secrétaire d’État ayant donné son approbation, une note à la presse annonça la réouverture à la date du 24 avril. Les visites furent de plus en plus nombreuses. Des fêtes charitables, organisées dans la Galerie des Batailles et dans les grands appartements, contribuèrent à ranimer le vieux Château, et il semblait qu’il n’y eût désormais plus à craindre pour la sécurité de nos œuvres d’art, lorsqu’au printemps de 1918, tout fut remis en question.
En l’absence de M. de Nolhac, chargé d’une mission en Italie, je m’occupai, aidé des mêmes fidèles gardiens et ouvriers d’art, ainsi que du Secrétaire du Musée, de déménager non seulement les salles du xviiie siècle, mais les attiques, plus directement menacés par les bombes des avions. C’était le temps où les bronzes et les marbres du Parterre d’Eau disparaissaient sous des enveloppes extraordinaires. Nous avions pu obtenir, des services de l’armée, des planches, qui servirent à préparer en toute hâte des caisses où s’alignèrent, par rang de taille, des centaines de tableaux ; tout cela classé, abrité sous les fortes voûtes de la galerie de pierre contiguë au vestibule de la Chapelle, et prêt à être remis, dès le premier signal, aux camions qui prendraient la route du Midi.
Ces dernières précautions, comme les premières, devaient être fort heureusement inutiles. Les tableaux sortirent de leurs caisses pour retrouver leurs cadres et les salles qui les attendaient. Mais, cette fois-ci, ce fut un peu long ; il y en avait tant ! Ce n’est qu’au 1er juillet de cette année que l’Attique Chimay et l’Attique du Midi, après les remaniements indispensables, ont été rendus au public ; quant à l’Attique du Nord, où d’importants travaux d’architecture ont été entrepris, l’extrême modicité, si regrettable, des crédits accordés n’en laisse pas prévoir le proche aménagement.