Le Nabi

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Le Bouclier d’ArèsÉdition du Mercure de France (p. 81-87).




LE NABI




Mais de la foule un homme, un prisonnier, bondit.

L’extase qui le dompte emplit ses yeux arides :
En vain un siècle entier dans l’ampleur de ses rides
Inscrit en plis d’airain son orbe révolu,
Les calmes pectoraux de son torse velu
Roulent superbement sur sa large poitrine.
Le souffle prophétique, en gonflant sa narine,
D’un surhumain orgueil sous ses sourcils puissants
Anime sa prunelle aux jets éblouissants,
Et fait son front pareil, sous le dieu qui le hante,
Au chêne échevelé grondant dans la tourmente.

Seul, dans la foule abjecte et folle de stupeur,
Il redresse sa taille effrayante, et, sans peur,
Droit au regard du Maître et du Chef invincible,
Son regard a volé comme un trait vers la cible.

Tout s’est tu. L’ombre seule a marché sur le sol.

Les chevaux ont cessé de souffler, et leur col
A senti ; sur leur poil que l’épouvante ride,
Passer comme une main qui les prend à la bride.

Mais Shin-Akhé-Irib fait un signe, et, muet,
Sur sa face de pierre où rien n’a remué
Le peuple entier d’Asshour voit sa volonté luire.




LES BOURREAUX




Sans que l’on ait ouï le fer froissé bruire,
Hors des rangs entr’ouverts silencieusement
Des hommes sont sortis, et, sous le firmament,
Ils se tiennent debout dans leur nudité rouge :
Et sur leurs bras noueux nulle fibre ne bouge.
Leurs poignets de géants semblent d’horribles gonds,
Et leur face, brûlée au reflet des charbons,
Qu’une ride féroce orgueilleusement barre,
Mufle brutal sculpté dans un métal barbare,
Est terrible, et semblable aux faces des taureaux.
Leur front est sans pensée.
Leur front est sans pensée. Et ce sont les bourreaux.

La stupidité lâche emplit leurs yeux obscènes,
Comme un rayon glissant sur les fanges malsaines.
Des esclaves du Sud, plus vils que le chien vil
Accroupi dans l’ordure infâme du chenil,
Sont debout derrière eux, et leurs mains hébétées
Traînent, avec effort, sur les dalles sculptées,
Où le soleil, saignant dans les airs corrompus,
Fait mieux étinceler sur leurs membres trapus
Les plaques de métal et les bracelets lisses,

L’abominable et lourd appareil des supplices.




LES SUPPLICES




Les larges coutelas et les minces couteaux,
Férocement luisants, rayés d’éclairs brutaux,
Savamment effilés pour les lentes tortures,
Ont le fil ébréché d’atroces dentelures,
Pour mieux scier les chairs et détacher les peaux,
Et, découper, avec d’effroyables repos,
Longuement, en faisant, dans l’ombre inassouvie,
Vaciller, sans l’éteindre, une flamme de vie,
Jusqu’au dernier lambeau de leurs muscles détruits,
Les ventres convulsifs ouverts comme des fruits.

Les tenailles, dont les mâchoires recourbées
Bâillent, ressemblent à d’odieux scarabées,
Et miroitent à l’air d’un éclat singulier.
Ce tas d’airains luisants est l’atroce atelier
Où l’on forge l’horreur des souffrances hurlantes,
Où l’affreux patient, fou de tortures lentes,
Appelle le trépas qui vient, à pas tardifs,
Arracher l’âme au fond des corps écorchés vifs,
Comme du cœur lépreux d’une infâme blessure
Un fer tout dégouttant d’abjecte pourriture ;
Où s’exhale la vie en un rugissement.
De joie, où la douleur est un enfantement,
Où des corps dépecés que roidit l’agonie,
Des intestins fouillés, écaillés de sanie,
Et des nerfs écrasés sous les ongles vibrants,
S’évade, avec des cris d’angoisse déchirants,
La dernière lueur de ce qui fut un être.






Comme des dogues noirs guettant le front du maître,
Cette meute demeure immobile, épiant
De Shin-Akhé-Irib le silence effrayant.

Et les grands parasols frissonnent sur sa tête.




Mais voici ce qu’au Roi d’Asshour dit le Prophète.