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Le Pèlerin (Jean Polonius)

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Le Pèlerin



 
Gentille batelière
Des rives de l’Adour,
Les cils de ta paupière
Sont humectés d’amour.


La volupté respire
En tes yeux, en tes bras ;
Mais ton charmant sourire
Ne me retiendra pas.

Sur ton humble nacelle
Amené dans ce jour,
Avant l’aube nouvelle
J’aurai fui sans retour.
Ah ! jette un œil moins tendre
Sur un pauvre étranger ;
Il ne saurait te rendre
Qu’un regard passager.

Vois-tu la feuille morte
Glisser le long des eaux ?
Ainsi, l’heure m’emporte
Vers des climats nouveaux.
Le saule en vain murmure
Sur ces bords inconnus ;

Demain leur onde pure
Ne me reverra plus.

De la rive à la rive
Les flots poussent les flots,
Et, toujours fugitive,
L’eau coule sans repos.
Ainsi toujours chemine
Le pèlerin errant
Des bois à la colline,
De l’aurore au couchant.

Les monts, les eaux, les plaines,
Les êtres et les lieux,
Comme des ombres vaines
Passent devant ses yeux.
À tout ce qu’il envie
S’arracher sans jouir,
Hélas ! voilà sa vie :
Un regard, un soupir.


Toujours changeant de scènes
Pour changer de regrets,
Il va formant des chaînes
Qu’il doit rompre a jamais.
S’il est aimé, s’il aime,
Malheur, malheur à lui !
La moitié de lui-même
Reste au lieu qu’il a fui.

Il est plus d’un rivage
Ou sourit un ciel pur,
Ou frémit le feuillage,
Où la vague est d’azur ;
Mais il est de ces charmes
Qu’une fois entrevus,
Dans ce vallon de larmes,
On ne rencontre plus.

Adieu donc ! — En notre âme
N’éveillons pas l’amour,

Puisque pour nous sa flamme
Ne brillerait qu’un jour.
Il vaut mieux pour la vie
Nous oublier tous deux,
Comme la vague oublie
Le sillage écumeux.