Le Père de famille/Acte V
ACTE V
Scène première
Je meurs d’inquiétude et de crainte… Deschamps a-t-il reparu ?
Non, mademoiselle.
Où peut-il être allé ?
Je n’ai pu le savoir.
Que s’est-il passé ?
D’abord il s’est fait beaucoup de mouvement et de bruit. Je ne sais combien ils étaient ; ils allaient et venaient. Tout à coup, le mouvement et le bruit ont cessé. Alors, je me suis avancée sur la pointe des pieds, et j’ai écouté de toutes mes oreilles ; mais il ne me parvenait que des mots sans suite. J’ai seulement entendu M. le Commandeur qui criait d’un ton menaçant : Un commissaire.
Quelqu’un l’aurait-il aperçue ?
Non, mademoiselle.
Deschamps aurait-il parlé ?
C’est autre chose. Il est parti comme un éclair.
Et mon oncle ?
Je l’ai vu. Il gesticulait ; il se parlait à lui-même ; il avait tous les signes de cette gaieté méchante, que vous lui connaissez.
Où est-il ?
Il est sorti seul, et à pied.
Allez… courez… attendez le retour de mon oncle… ne le perdez pas de vue… Il faut trouver Deschamps… Il faut savoir ce qu’il il a dit. (Mademoiselle Clairet sort ; Cécile la rappelle, et lui dit :) Sitôt que Germeuil sera rentré, dites-lui que je suis ici.
Scène II
Où en suis-je réduite !… Ah ! Germeuil !… Le trouble me suit… Tout semble me menacer… Tout m’effraye… (Saint-Albin entre, et Cécile allant à lui :) Mon frère, Deschamps a disparu. On ne sait ni ce qu’il a dit, ni ce qu’il est devenu. Le Commandeur est sorti en secret, et seul… Il se forme un orage. Je le vois ; je le sens ; je ne veux pas l’attendre.
Après ce que vous avez fait pour moi, m’abandonnerez-vous ?
J’ai mal fait… j’ai mal fait… Cette enfant ne veut plus rester ; il faut la laisser aller. Mon père a vu mes alarmes. Plongé dans la peine et délaissé par ses enfants, que voulez-vous qu’il pense, sinon que la honte de quelque action indiscrète leur fait éviter sa présence et négliger sa douleur ?… Il faut s’en rapprocher. Germeuil est perdu dans son esprit ; Germeuil, qu’il avait résolu… Mon frère, vous êtes généreux ; n’exposez pas plus longtemps votre ami, votre sœur, la tranquillité et les jours de mon père.
Non, il est dit que je n’aurai pas un instant de repos.
Si cette femme avait pénétré !… Si le Commandeur savait !… Je n’y pense pas sans frémir… Avec quelle vraisemblance et quel avantage il nous attaquerait ! Quelles couleurs il pourrait donner à notre conduite ! et cela, dans un moment où l’âme de mon père est ouverte à toutes les impressions qu’on y voudra jeter.
Où est Germeuil ?
Il craint pour vous ; il craint pour moi : il est allé chez cette femme…
Scène III
Le Commandeur est rentré.
Scène IV
Le Commandeur sait tout.
Le Commandeur sait tout !
Cette femme a pénétré ; elle a reconnu Deschamps. Les menaces du Commandeur ont intimidé celui-ci, et il a tout dit.
Ah ciel !
Que vais-je devenir ?
Que dira mon père ?
Le temps presse. Il ne s’agit pas de se plaindre. Si nous n’avons pu ni écarter ni prévenir le coup qui nous menace, du moins qu’il nous trouve rassemblés et prêts à le recevoir.
Ah ! Germeuil, qu’avez-vous fait !
Ne suis-je pas assez malheureux ?
Scène V
Voici le Commandeur !
Il faut nous retirer.
Non, j’attendrai mon père.
Ciel, qu’allez-vous faire !
Allons, mon ami.
Allons sauver Sophie.
Vous me laissez !
Scène VI
Je ne sais que devenir… (Elle se tourne vers le fond de la salle et crie :) Germeuil… Saint-Albin… mon père, que vous répondrai-je !… Que dirai-je à mon oncle ?… Mais le voici… Asseyons-nous… Prenons mon ouvrage… Cela me dispensera du moins de le regarder. (Le Commandeur entre[1] ; Cécile se lève et le salue, les yeux baissés.)
Scène VII
Ma nièce, tu as là une femme de chambre bien alerte… On ne saurait faire un pas sans la rencontrer… Mais te voilà, toi, bien rêveuse et bien délaissée… Il me semble que tout commence à se rasseoir ici.
Oui… je crois… que… Ah !
La voix et les mains te tremblent… C’est une cruelle chose que le trouble… Ton frère me paraît un peu remis… Voilà comme ils sont tous. D’abord, c’est un désespoir où il ne s’agit de rien moins que de se noyer ou se pendre. Tournez la main, pist, ce n’est plus cela… Je me trompe fort, ou il n’en serait pas de même de toi. Si ton cœur se prend une fois, cela durera.
Encore !
Ton ouvrage va mal.
Fort mal.
Comment Germeuil et ton frère sont-ils maintenant ? Assez bien, ce me semble ?… Cela s’est apparemment éclairci… Tout s’éclaircit à la fin… et puis on est si honteux de s’être mal conduit !… Tu ne sais pas cela, toi, qui as toujours été si réservée, si circonspecte.
Je n’y tiens plus. (Elle se lève.) J’entends, je crois, mon père.
Non, tu n’entends rien… C’est un étrange homme, que ton père ; toujours occupé, sans savoir de quoi. Personne, comme lui, n’a le talent de regarder et de ne rien voir… Mais, revenons à l’ami Germeuil… Quand tu n’es pas avec lui, tu n’es pas trop fâchée qu’on t’en parle… Je n’ai pas changé d’avis sur son compte, au moins.
Mon oncle…
Ni toi non plus, n’est-ce pas ?… Je lui découvre tous les jours quelque qualité ; et je ne l’ai jamais si bien connu… C’est un garçon surprenant… (Cécile se lève encore.) Mais tu es bien pressée ?
Il est vrai.
Qu’as-tu qui t’appelle ?
J’attendais mon père. Il tarde à venir, et j’en suis inquiète.
Scène VII
Inquiète ; je te conseille de l’être. Tu ne sais pas ce qui t’attend… Tu auras beau pleurer, gémir, soupirer ; il faudra se séparer de l’ami Germeuil… Un ou deux ans de couvent seulement… Mais j’ai fait une bévue. Le nom de cette Clairet eût été fort bien sur ma lettre de cachet, et il n’en aurait pas coûté davantage[2]… Mais le bonhomme ne vient point… Je n’ai plus rien à faire, et je commence à m’ennuyer… (Il se retourne ; et apercevant le Père de famille qui vient, il lui dit :) Arrivez donc, bonhomme ; arrivez donc.
Scène IX
Et qu’avez-vous de si pressé à me dire[3] ?
Vous l’allez savoir… Mais attendez un moment. (Il s’avance doucement vers le fond de la salle, et dit à la femme de chambre qu’il surprend au guet :) Mademoiselle, approchez. Ne vous gênez pas. Vous entendrez mieux[4].
Qu’est-ce qu’il y a ? À qui parlez-vous ?
Je parle à la femme de chambre de votre fille, qui nous écoute.
Voilà l’effet de la méfiance que vous avez semée entre vous et mes enfants. Vous les avez éloignés de moi, et vous les avez mis en société avec leurs gens.
Non, mon frère, ce n’est pas moi qui les ai éloignés de vous ; c’est la crainte que leurs démarches ne fussent éclairées de trop près. S’ils sont, pour parler comme vous, en société avec leurs gens, c’est par le besoin qu’ils ont eu de quelqu’un qui les servît dans leur mauvaise conduite. Entendez-vous, mon frère ?… Vous ne savez pas ce qui se passe autour de vous. Tandis que vous donnez dans une sécurité qui n’a point d’exemple, ou que vous vous abandonnez à une tristesse inutile, le désordre s’est établi dans votre maison. Il a gagné de toute part, et les valets, et les enfants, et leurs entours… Il n’y eut jamais ici de subordination ; il n’y a plus ni décence, ni mœurs.
Ni mœurs !
Ni mœurs.
Monsieur le Commandeur, expliquez-vous[5]… Mais non, épargnez-moi…
Ce n’est pas mon dessein.
J’ai de la peine, tout ce que j’en peux porter.
Du caractère faible dont vous êtes, je n’espère pas que vous en conceviez le ressentiment vif et profond qui conviendrait à un père. N’importe ; j’aurai fait ce que j’ai dû ; et les suites en retomberont sur vous seul.
Vous m’effrayez. Qu’est-ce donc qu’ils ont fait ?
Ce qu’ils ont fait ? De belles choses. Écoutez, écoutez.
J’attends.
Cette petite fille, dont vous êtes si fort en peine…
Eh bien ?
Où croyez-vous qu’elle soit ?
Je ne sais.
Vous ne savez ?… Sachez donc qu’elle est chez vous.
Chez moi !
Chez vous. Oui, chez vous… Et qui croyez-vous qui l’y ait introduite ?
Germeuil ?
Et celle qui l’a reçue ?
Mon frère, arrêtez… Cécile… ma fille…
Oui, Cécile ; oui, votre fille a reçu chez elle la maîtresse de son frère. Cela est honnête, qu’en pensez-vous ?
Ah !
Ce Germeuil reconnaît d’une étrange manière les obligations qu’il vous a.
Ah ! Cécile, Cécile ! où sont les principes que vous a inspirés votre mère ?
La maîtresse de votre fils, chez vous, dans l’appartement de votre fille ! Jugez, jugez.
Ah, Germeuil !… ah, mon fils ! que je suis malheureux[6] !
Si vous l’êtes, c’est par votre faute. Rendez-vous justice.
Je perds tout en un moment ; mon fils, ma fille, un ami.
C’est votre faute.
Il ne me reste qu’un frère cruel, qui se plaît à aggraver sur moi la douleur… Homme cruel, éloignez-vous. Faites-moi venir mes enfants ; je veux voir mes enfants.
Vos enfants ? Vos enfants ont bien mieux à faire que d’écouter vos lamentations. La maîtresse de votre fils… à côté de lui… dans l’appartement de votre fille… Croyez-vous qu’ils s’ennuient ?
Frère barbare, arrêtez… Mais non, achevez de m’assassiner.
Puisque vous n’avez pas voulu que je prévinsse votre peine, il faut que vous en buviez toute l’amertume.
Ô mes espérances perdues !
Vous avez laissé croître leurs défauts avec eux ; et s’il arrivait qu’on vous les montrât, vous avez détourné la vue. Vous leur avez appris vous-même à mépriser votre autorité : ils ont tout osé, parce qu’ils le pouvaient impunément.
Quel sera le reste de ma vie ? Qui adoucira les peines de mes dernières années ? Qui me consolera ?
Quand je vous disais : « veillez sur votre fille ; votre fils se dérange ; vous avez chez vous un coquin ; » j’étais un homme dur, méchant, importun.
J’en mourrai, j’en mourrai. Et qui chercherai-je autour de moi !… Ah !… Ah !… (Il pleure.)
Vous avez négligé mes conseils ; vous en avez ri[7]. Pleurez, pleurez maintenant.
J’aurai eu des enfants, j’aurai vécu malheureux, et je mourrai seul !… Que m’aura-t-il servi d’avoir été père ? Ah !…
Pleurez.
Homme cruel ! épargnez-moi. À chaque mot qui sort de votre bouche, je sens une secousse qui tire mon âme et qui la déchire… Mais non, mes enfants ne sont pas tombés dans les égarements que vous leur reprochez. Ils sont innocents ; je ne croirai point qu’ils se soient avilis, qu’ils m’aient oublié jusque-là… Saint-Albin !… Cécile !… Germeuil !… Où sont-ils ?… S’ils peuvent vivre sans moi, je ne peux vivre sans eux… J’ai voulu les quitter… Moi, les quitter !… Qu’ils viennent… qu’ils viennent tous se jeter à mes pieds.
Homme pusillanime, n’avez-vous point de honte ?
Qu’ils viennent… Qu’ils s’accusent… Qu’ils se repentent…
Non ; je voudrais qu’ils fussent cachés quelque part, et qu’ils vous entendissent.
Et qu’entendraient-ils, qu’ils ne sachent ?
Et dont ils n’abusent.
Il faut que je les voie et que je leur pardonne, ou que je les haïsse…
Eh bien ! voyez-les ; pardonnez-leur. Aimez-les, et qu’ils soient à jamais votre tourment et votre honte. Je m’en irai si loin, que je n’entendrai parler ni d’eux ni de vous.
Scène X
Femme maudite ! (À Deschamps.) Et toi, coquin, que fais-tu ici ?
Monsieur !
Que venez-vous chercher ? Retournez-vous-en. Je sais ce que je vous ai promis, et je vous tiendrai parole.
Monsieur… vous voyez ma joie… Sophie…
Allez, vous dis-je.
Monsieur, monsieur, écoutez-la.
Ma Sophie… mon enfant… n’est pas ce qu’on pense… Monsieur Le Bon… parlez… je ne puis.
Est-ce que vous ne connaissez pas ces femmes-là, et les contes qu’elles savent faire ?… Monsieur Le Bon, à votre âge vous donnez là dedans ?
Monsieur, elle est chez vous.
Il est donc vrai !
Je ne demande pas qu’on m’en croie… Qu’on la fasse venir,
Ce sera quelque parente de ce Germeuil[8], qui n’aura pas de souliers à mettre à ses pieds. (Ici on entend, au dedans, du bruit, du tumulte, et des cris confus.)
J’entends du bruit.
Ce n’est rien.
Philippe, Philippe, appelez mon père.
C’est la voix de ma fille.
Monsieur, faites venir mon enfant.
N’approchez pas ! Sur votre vie, n’approchez pas.
Monsieur, accourez.
Ce n’est rien, vous dis-je.
Scène XI
Des épées, un exempt, des gardes ! Monsieur, accourez, si vous ne voulez pas qu’il arrive malheur.
Scène XII
Mon père !
Monsieur !
Monsieur l’Exempt, faites votre devoir.
Monsieur !
Auparavant il faut m’ôter la vie. Germeuil, laissez-moi.
Faites votre devoir.
Arrêtez !
Monsieur, regardez-la.
De par le roi, monsieur l’Exempt, faites votre devoir.
Arrêtez !
Regardez-la.
Monsieur !
Ah[9] !
Oui, monsieur, c’est elle. C’est votre nièce.
Sophie, la nièce du Commandeur.
Mon cher oncle.
Que faites-vous ici ?
Ne me perdez pas.
Que ne restiez-vous dans votre province ? Pourquoi n’y pas retourner, quand je vous l’ai fait dire ?
Mon cher oncle, je m’en irai ; je m’en retournerai ; ne me perdez pas.
Venez, mon enfant, levez-vous.
Ah, Sophie !
Ah, ma bonne !
Je vous embrasse.
Je vous revois.
Mon père, ne condamnez pas votre fille sans l’entendre. Malgré les apparences, Cécile n’est point coupable ; elle n’a pu ni délibérer, ni vous consulter…
Ma fille, vous êtes tombée dans une grande imprudence.
Mon père !
Levez-vous.
Mon père, vous pleurez.
C’est sur vous, c’est sur votre sœur. Mes enfants, pourquoi m’avez-vous négligé ? Voyez, vous n’avez pu vous éloigner de moi sans vous égarer.
Ah, mon père ! (Cependant le Commandeur paraît confondu.)
Monsieur le Commandeur, vous avez oublié que vous étiez chez moi.
Est-ce que monsieur n’est pas le maître de la maison ?
C’est ce que vous auriez dû savoir avant que d’y entrer. Allez, monsieur, je réponds de tout. (L’Exempt sort.)
Mon père !
Je t’entends.
Mon oncle !
Ne repoussez pas l’enfant de votre frère[10].
Oui, d’un homme sans arrangement, sans conduite, qui avait plus que moi, qui a tout dissipé, et qui vous a réduits dans l’état où vous êtes.
Je me souviens, lorsque j’étais enfant : alors vous daigniez me caresser. Vous disiez que je vous étais chère. Si je vous afflige aujourd’hui, je m’en irai, je m’en retournerai. J’irai retrouver ma mère, ma pauvre mère, qui avait mis toutes ses espérances en vous…
Mon oncle !
Je ne veux ni vous voir, ni vous entendre.
Mon frère… Monsieur le Commandeur… Mon oncle.
C’est votre nièce.
Qu’est-elle venue faire ici ?
C’est votre sang.
J’en suis assez fâché.
Ils portent votre nom.
C’est ce qui me désole.
Voyez-la. Où sont les parents qui n’en fussent vains ?
Elle n’a rien : je vous en avertis.
Elle a tout !
Ils s’aiment.
Vous la voulez pour votre fille ?
Ils s’aiment.
Tu la veux pour ta femme ?
Si je la veux !
Aie-la, j’y consens : aussi bien je n’y consentirais pas, qu’il n’en serait ni plus ni moins… (Au père de famille.) Mais c’est à une condition.
Ah ! Sophie ! nous ne serons plus séparés.
Mon frère, grâce entière. Point de condition.
Non. Il faut que vous me fassiez justice de votre fille et de cet homme-là.
Justice ! Et de quoi ? Qu’ont-ils fait ? Mon père, c’est à vous-même que j’en appelle[11].
Cécile pense et sent. Elle a l’âme délicate ; elle se dira ce qu’elle a dû me paraître pendant un instant. Je n’ajouterai rien à son propre reproche.
Germeuil… je vous pardonne… Mon estime et mon amitié vous seront conservées ; mes bienfaits vous suivront partout ; mais… (Germeuil s’en va tristement, et Cécile le regarde aller.)
Encore passe.
Mon tour va venir. Allons préparer nos paquets. (Elle sort.)
Mon père, écoutez-moi… Germeuil, demeurez… C’est lui qui vous a conservé votre fils… Sans lui, vous n’en auriez plus. Qu’allais-je devenir ?… C’est lui qui m’a conservé Sophie… Menacée par moi, menacée par mon oncle, c’est Germeuil, c’est ma sœur qui l’ont sauvée… Ils n’avaient qu’un instant… elle n’avait qu’un asile… Ils l’ont dérobée à ma violence… Les punirez-vous de ma faute ?… Cécile, venez. Il faut fléchir le meilleur des pères. (Il amène sa sœur aux pieds de son père, et s’y jette avec elle.)
Ma fille, je vous ai pardonné ; que me demandez-vous ?
D’assurer pour jamais son bonheur, le mien et le vôtre. Cécile… Germeuil… Ils s’aiment, ils s’adorent… Mon père, livrez-vous à toute votre bonté. Que ce jour soit le plus beau jour de notre vie. (Il court à Germeuil, il appelle Sophie :) Germeuil, Sophie… Venez, venez… Allons tous nous jeter aux pieds de mon père.
Monsieur !
Mes enfants… mes enfants !… Cécile, vous aimez Germeuil ?
Et ne vous en ai-je pas averti ?
Mon père, pardonnez-moi.
Pourquoi me l’avoir celé ? Mes enfants ! vous ne connaissez pas votre père… Germeuil, approchez. Vos réserves m’ont affligé ; mais je vous ai regardé de tout temps comme mon second fils. Je vous avais destiné ma fille. Qu’elle soit avec vous la plus heureuse des femmes[12].
Fort bien. Voilà le comble ! J’ai vu arriver de loin cette extravagance ; mais il était dit qu’elle se ferait malgré moi ; et Dieu merci, la voilà faite. Soyons tous bien joyeux, nous ne nous reverrons plus.
Vous vous trompez, monsieur le Commandeur.
Mon oncle !
Relire-toi. Je voue à ta sœur la haine la mieux conditionnée ; et toi, tu aurais cent enfants, que je n’en nommerais pas un. Adieu. (Il sort.)
Allons, mes enfants. Voyons qui de nous saura le mieux réparer les peines qu’il a causées[13].
Mon père, ma sœur, mon ami, je vous ai tous affligés. Mais voyez-la, et accusez-moi, si vous pouvez.
Allons, mes enfants ; monsieur Le Bon, amenez mes pupilles. Madame Hébert, j’aurai soin de vous. Soyons tous heureux. (À Sophie.) Ma fille, votre bonheur sera désormais l’occupation la plus douce de mon fils. Apprenez-lui, à votre tour, à calmer les emportements d’un caractère trop violent. Qu’il sache qu’on ne peut être heureux, quand on abandonne son sort à ses passions. Que votre soumission, votre douceur, votre patience, toutes les vertus que vous nous avez montrées en ce jour, soient à jamais le modèle de sa conduite et l’objet de sa plus tendre estime…
Ah ! oui, mon papa.
Mon fils, mon cher fils ! Qu’il me tardait de vous appeler de ce nom. (Ici Cécile baise la main de son père.) Vous ferez des jours heureux à ma fille. J’espère que vous n’en passerez avec elle aucun qui ne le soit… Je ferai, si je puis, le bonheur de tous… Sophie, il faut appeler ici votre mère, vos frères. Mes enfants, vous allez faire, au pied des autels, le serment de vous aimer toujours. Vous ne sauriez en avoir trop de témoins. Approchez, mes enfants… Venez, Germeuil, venez, Sophie, (Il unit ses quatre enfants, et il dit :) Une belle femme, un homme de bien, sont les deux êtres les plus touchants de la nature. Donnez deux fois, en un même jour, ce spectacle aux hommes… Mes enfants, que le ciel vous bénisse, comme je vous bénis ! (Il étend ses mains sur eux, et ils s’inclinent pour recevoir sa bénédiction.) Le jour qui vous unira, sera le jour le plus solennel de votre vie. Puisse-t-il être aussi le plus fortuné !… Allons, mes enfants…
Oh ! qu’il est cruel… qu’il est doux d’être père ! (En sortant de la salle, le Père de famille conduit ses deux filles ; Saint-Albin a les bras jetés autour de son ami Germeuil ; M. Le Bon donne la main à madame Hébert ; le reste suit, en confusion ; et tous marquent le transport de la joie.)
- ↑ Poursuivant mademoiselle Clairet, qui entre dans le salon et lui ferme la porte au nez. (Édition conforme à la représentation.)
- ↑ On supprimait à la représentation depuis : Mais j’ai fait une bévue.
- ↑ Mademoiselle Clairet entr’ouvre la porte du salon, passe la tête et écoute. (Édition conforme à la représentation.)
- ↑ Mademoiselle Clairet se retire et pousse la porte. (Id.)
- ↑ Dans l’édition conforme à la représentation, le Commandeur répond à ce moment : Du caractère faible, etc.
- ↑ La suite jusqu’à : Quel sera le reste de ma vie ? était coupé à la représentation.
- ↑ On supprimait à la représentation depuis ce mot jusqu’à : Non, mes enfants ne sont pas tombés…
- ↑ La fin de la phrase était supprimée à la représentation.
- ↑ Variante : Que vois-je ?
- ↑ Tout ce qui suit jusqu’à : Voyez-la. Où sont les parents qui n’en fussent vains, était coupé à la représentation.
- ↑ On supprimait à la représentation jusqu’à : C’est lui qui vous a conservé votre fils.
- ↑ Germeuil répondait, à la représentation : Ah ! monsieur, en baisant la main du Père de famille.
- ↑ On supprimait, à la représentation, tout ce qui suit, et la pièce se terminait sur ces paroles du Père de famille : Venez, Germeuil ; venez, Sophie. Le jour qui vous unira sera le plus solennel de votre vie ; puisse-t-il être aussi le plus fortuné !… Allez, mes enfants… Qu’il est cruel !… qu’il est doux d’être père !…