Le Pétrole et la marine

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Le Pétrole et la marine
Revue des Deux Mondes6e période, tome 56 (p. 661-686).
LE
PÉTROLE ET LA MARINE

La crise du charbon atteignant tout particulièrement Paris, « notre grande ville, » on s’est beaucoup occupé, dans ces derniers mois, du combustible liquide, combustible de remplacement de la houille. Et quand il a été question de la chauffe au mazout des locomotives, on a fort justement rappelé que ce ne serait pas une nouveauté : en 1869, déjà, l’expérience avait été faite, et même avec succès. S’il arrivait jamais chez nous que les chroniqueurs se tournassent spontanément vers la marine, ils y eussent découvert que, cinq années auparavant, une canonnière fluviale appelée le Puebla chauffait au pétrole. Et c’était à la grande joie des badauds parisiens, car le Puebla stationnait au pied du pont de la Concorde, comme, il y a quelques mois, le sous-marin que tout le monde a visité.

Mais, bien mieux, la canonnière de 1864 était commandée par un lieutenant de vaisseau dont le nom est bien connu et qui marqua dans la défense de Paris, M. Farcy. C’était un officier de valeur, tout jeune encore, — il avait trente-quatre ans, — un officier « qui avait des idées. » Il le prouva en proposant le type de la canonnière cuirassée qui porte son nom. Je n’oserais pas dire que « d’avoir des idées, » ce fût, à cette époque, déjà, une excellente recommandation auprès des bureaux que l’on aperçoit justement du pont de la Concorde. Mais le souverain d’alors, qui était, lui aussi, un homme à idées, — pas toutes bonnes, malheureusement, — s’intéressait au lieutenant de vaisseau Farcy. N’examinons pas si celui-ci ne fut pas embarrassé de ce souvenir, lors de « l’année terrible. » Cela nous entraînerait trop loin.

Ce qu’il y a de certain, c’est que la chauffe au pétrole réussit fort bien à bord du Puebla et qu’il semblait qu’il n’y eût plus qu’à persévérer dans la voie nouvelle qui s’ouvrait devant les yeux des marins. Dès cet essai, en effet, se révélaient les avantages du combustible liquide : facilité de la chauffe, rapidité de la mise en pression, économie de personnel, meilleure utilisation de la capacité des soutes, supériorité du pouvoir calorifique, à poids égal, par comparaison avec celui du charbon[1].

Il s’en fallait de beaucoup, cependant, que la question fût résolue. Deux objections graves se présentaient en effet, qui, vigoureusement exploitées par les « charbonniers, » — propriétaires et actionnaires de mines, directeurs, ingénieurs, mineurs, etc. — paralysèrent les bonnes volontés, y compris celle de Napoléon III. La première, qui n’est pas encore complètement écartée, mais dont la valeur diminue tous les jours, était que nous n’avions pas de pétrole, en France, tandis que nous y avions du charbon. Si l’on commettait l’imprudence d’adopter définitivement le pétrole, comment ferait-on, dans une guerre maritime, en cas de blocus prolongé ?

Il faut dire qu’à cette époque on n’avait pas la notion précise de ce que j’appellerai, comme les Anglais, le stockage, c’est-à-dire la faculté de créer des approvisionnements considérables. On était, de ce côté-là, fort timide. Ajoutons que les beaux jours de l’Alliance franco-anglaise pour la guerre de Crimée étaient bien passés. A la suite de la guerre d’Italie et de la défaite de l’Autriche, l’opinion anglaise, émue du mot célèbre : « Les traités de 1815 ont cessé d’exister… » s’était crue menacée d’une revanche de Waterloo[2]. Les côtes de la Manche s’étaient couvertes de camps. La répercussion de ces préoccupations étranges se faisait sentir à Paris, où l’on se trouvait conduit à envisager l’éventualité d’une guerre maritime et, en conséquence, la possibilité d’un blocus.

La deuxième objection, à laquelle on s’attacha longtemps aussi et qui devint classique dans l’enseignement des écoles de la Marine, était que l’inflammabilité du pétrole serait toujours une cause de dangers fort sérieux à bord des bâtiments. Outre qu’on est bien revenu, depuis, de ce genre de péril et qu’on a nombre de moyens de s’en préserver, il faut noter que les pétroles mis en expérience, à l’époque dont nous parlons, étaient des huiles américaines contenant jusqu’à 72 pour 100 d’essences volatiles et de pétroles d’éclairage (ou « lampants ») qui pouvaient, en effet, donner quelques préoccupations aux marins, alors que les bâtiments étaient encore construits en bois, avec, seulement, une armature intérieure en fer.

Mais précisément, au moment où ces craintes s’exprimaient avec le plus de force, la conquête du Caucase par les Russes était immédiatement suivie de la découverte et de la mise en exploitation des immenses nappes de pétrole de la presqu’île Caspienne d’Apchéron[3]. Quelques années à peine s’étaient écoulées et déjà, répandu à profusion dans tout le bassin de la Méditerranée, le pétrole de Bakou prenait, grâce à son bas prix, la place des huiles végétales dans l’éclairage des particuliers. Or, s’il donnait de l’huile lampante, ce pétrole ne fournissait plus que 33 pour 100, — au lieu de 72, — de produits volatiles, et il offrait aux appareils de chauffage de précieux résidus lourds, les ostatkis ou mazouts, qui ne s’enflamment qu’à une haute température, à 150° environ, restant d’ailleurs insensibles à l’action des explosifs.

Ainsi tombait la principale objection des adversaires du combustible liquide, tandis que la première apparaissait aussi fort menacée. Il était, en effet, beaucoup plus facile, désormais, d’amener en France les pétroles ou résidus de pétrole utilisables dans les appareils évaporatoires et, donc, de constituer des stocks d’autant plus considérables que ces huiles coûtaient peu et que, d’ailleurs, leur conservation en cuves métalliques était parfaitement assurée.

Mais rien n’y fit. L’opinion s’était détournée de cette question. Les préoccupations de l’ordre politique commençaient à dominer. La marine, de son côté, s’absorbait dans la tâche ingrate du transport et du ravitaillement de l’armée du Mexique. La guerre de 1870 arriva sur ces entrefaites, et il faut descendre jusqu’à l’époque de l’apparition des sous-marins pour voir réapparaître, — timidement, — la chauffe au pétrole. Heureusement, à peu près à la même époque, naissait l’industrie automobile, appelée à révolutionner les transports terrestres et, par répercussion, les transports maritimes. Les « moteurs à essence, » qui s’imposaient ainsi et qui, eux-mêmes, n’allaient pas tarder à évoluer, à se transformer, à s’alléger singulièrement, reçurent une nouvelle et éclatante consécration par la découverte de l’aviation. L’élan était donné, irrésistible. Si attachée qu’elle fût à ses traditions, la Marine ne pouvait plus se soustraire à une pression si énergique. Les expériences furent reprises dans les toutes dernières années du XIXe siècle au sujet d’une chauffe mixte, où l’huile combustible était projetée, très divisée, sur le foyer incandescent fourni par le combustible solide.

Bien que les constructeurs de chaudières marines (les Niclausse, les Belleville, les d’Allest et autres) se fussent évertués à produire des pulvérisateurs ou brûleurs fort ingénieux, les résultats de ces efforts ne parurent pas convaincants, et, en définitive, la Marine française abandonna à la Marine britannique la tâche de perfectionner sur les grands bâtiments le chauffage mixte jusqu’à pleine satisfaction.

Elle ne se refusa pas, cependant, à entreprendre la construction d’appareils évaporatoires chauffant exclusivement au pétrole (mazout de forte densité : de 0,905 à 0,920), et au moment où la Grande Guerre éclata, nous avions des bâtiments légers munis de chaudières des types Du Temple et Du Temple-Guyot où le kilogramme de mazout produisait plus de 13 kilogrammes de vapeur. Quant au moteur à combustion interne, le moteur qui utilise directement dans le cylindre la pression des gaz produits par le liquide enflammé et supprime ainsi l’encombrante chaudière, on le réservait décidément aux seuls navires de plongée.


Jusqu’à la Grande Guerre, l’opinion française se préoccupa peu de la question du pétrole, envisagée du point de vue économique. A partir du moment où les besoins des armées en combustibles liquides se révélèrent pressants et où, en même temps, il devint difficile de les satisfaire, en raison de l’activité des sous-marins, le public commença de s’émouvoir. D’ailleurs, les prix de l’huile lampante augmentaient rapidement, et beaucoup de gens en souffraient dans leur intérieur.

Mais ce ne fut pas la plainte des petits consommateurs qu’entendit et accueillit d’abord le gouvernement. Ce fut celle du haut commandement des armées qui, vers 1917, se demandait si les services à l’arrière (camions automobiles) et celui de l’aérostation n’allaient pas être compromis par la raréfaction du carburant. Le stock militaire de prévoyance, en effet, était tombé de 40 000 tonnes à 22 000, et les fournitures mensuelles, fixées à 40 000 tonnes aussi, n’atteignaient plus que difficilement ce chiffre.

Que s’était-il donc passé ?

Il s’était passé que le trust français des importateurs et raffineurs de pétrole finissait par trouver trop onéreux l’engagement qu’il avait pris, en août 1914, d’assurer le ravitaillement de nos armées. Il devenait de plus en plus difficile, pour cette firme[4], de se procurer du fret, d’en supporter le coût, toujours accru, de se procurer aussi des facultés suffisantes de paiements en dollars, tandis que la nécessité d’entretenir des stocks de plus en plus considérables de pétrole et d’essence entraînait l’immobilisation de très forts capitaux.

Il fallut passer la main à l’Etat, seul capable de vaincre de telles difficultés par une entente directe avec les grands organismes exportateurs et, en fait, avec le gouvernement américain[5]. En juillet 1917 fut constitué « le comité des pétroles, » à la tête duquel fut placé le sénateur Henry Bérenger.

Les importateurs français conservèrent toutefois la liberté des livraisons aux particuliers. On continua aussi à se servir d’eux pour les détails du ravitaillement des armées d’après les ordres et sous le contrôle du comité. Ce dernier assumait, en définitive, la tâche la plus lourde et la plus délicate, ayant la responsabilité des achats, des transports, des paiements, du choix de l’emplacement et de l’édification des entrepôts.

Cette organisation se montra efficace. On put bientôt assurer aux armées un approvisionnement mensuel de 70 000 tonnes d’essence, au lieu de 40 000 ; les importations mensuelles, fixées en novembre 1917, par le gouvernement, à 55 000 tonnes d’essence et 25 000 de pétrole, s’élevèrent respectivement à 60 000 tonnes et 55 000, en janvier 1920.

Pendant ce temps, comment procédait la marine de guerre ?

Cet organisme avait dû, depuis longtemps, assurer isolément son approvisionnement en combustibles liquides. Et comme il ne pouvait lui convenir d’accepter les lois des importateurs, — la liberté du marché n’existant plus que de nom, du fait de « l’entente » signalée plus haut, — il n’avait pas hésité à pousser jusqu’à la mise en service, à son usage exclusif, d’un transport pétrolier, le « Rhône, » qui allait enlever, soit à Batoum, soit à Constantza, le port roumain, soit, au besoin, en Amérique ou au Mexique, les chargements de pétrole dont l’achat avait été négocié par ses agents. Tout compte fait, amortissement de la valeur du « Rhône, » entretien et armement du transport, frais de mission, etc. compris, on réalisait une sérieuse économie et on était mieux servi, ayant exactement la qualité spéciale de combustible dont on avait besoin.

Des stocks furent constitués dans nos ports, qui prirent de plus en plus d’importance et qu’il fallut, pour ainsi dire, prolonger à l’extérieur pour munir nos bases secondaires et points d’appui, tels que Dakar, Fort-de-France, Diego Suarez, Saigon, Quang-Tchau-Wang, Nouméa, Papeete… En définitive, on ne fut pas pris au dépourvu par la guerre, en dépit de la quantité de bâtiments légers utilisant les combustibles liquides qu’il fallut mettre en jeu dès que le grand conflit sous-marin prit une physionomie préoccupante, à la fin de 1914 ou au commencement de 1915.

La crise du charbon, due à beaucoup de causes, — car tous ces phénomènes économiques sont fort complexes, — mais principalement, d’une part, en Angleterre, aux grèves des mineurs, d’autre part, en France, à la difficulté des transports, par voies ferrées aussi bien que par voies fluviales, allait tout d’un coup, — dans l’automne de 1919, — attirer vivement l’attention du public sur les combustibles liquides.

S’éclairer au pétrole, en effet, c’est ce que, depuis longtemps, faisaient des millions de Français, mais se chauffer au pétrole et chauffer au pétrole les innombrables chaudières de l’industrie, grande ou petite, en même temps que celles du « chauffage central » des grands immeubles, c’est à quoi on avait fort peu pensé jusqu’alors.

Le commissaire général au pétrole fit connaître qu’il était en mesure de fournir du mazout[6]à la région parisienne et il engagea vivement, dans une note officieuse, les propriétaires, usiniers et fabricants qui utilisent des chaudières à vapeur, à faire exécuter les modifications peu importantes qui permettraient à ces appareils évaporatoires d’utiliser le combustible liquide à la place du combustible solide.

En réalité, si ces modifications eussent été aisément réalisables en temps normal, il s’en fallait qu’elles fussent faciles au moment où se produisaient les suggestions fort justes, en principe, du commissaire général. Ne se trouvait-on pas en présence du prix de revient élevé des matières et de la main-d’œuvre, et plus encore en présence de la rareté de celle-ci ?

Il est donc probable qu’il conviendra de reporter le bénéfice de la transformation des appareils évaporatoires sur l’année prochaine. Les appareils de chauffage des immeubles, en particulier, ne seront guère modifiés que pour l’hiver de 1920-1921. Encore est-il aisé de prévoir que les propriétaires ne mettront pas une grande bonne volonté, — en pleine crise des relations de propriétaire à locataire, — pour faire procéder aux travaux nécessaires et surtout pour rompre onéreusement les contrats qui les lient à des fournisseurs de charbon.

L’industrie, — et il faut y comprendre les grands services publics, nationaux ou municipaux, tels que les chemins de fer, les tramways et métropolitains (pour la production de l’électricité motrice), les compagnies de gaz et d’électricité, — l’industrie, dis-je, se montrera certainement plus docile, à la condition, bien entendu, que l’emploi du pétrole lui apparaisse plus économique, ou, tout au moins, qu’à égalité du prix de la calorie, elle soit amenée à considérer comme plus certaine, plus régulière, la fourniture du combustible liquide.

Or, c’est bien ainsi que, d’ores et déjà, la question se présente. Mais avant d’insister sur ce point, disons un mot de l’adaptation du pétrole, — ou du mazout, — au service d’une industrie particulière, celle de la navigation commerciale, dont l’importance vitale, pour la nation, n’a plus besoin de démonstration. Lorsque, peu de temps après l’organisation par nos ennemis de la guerre sous-marine, je demandais ici-même que l’on se hâtât de mettre en construction des « cargos » d’un type bien choisi et pourvus de dispositifs assurant au moins une insubmersibilité relative, j’exprimais en même temps le vœu que ces bâtiments fussent pourvus de machines à combustion interne, ne fût-ce que pour compenser certaines perles sur le tonnage utilisable causées justement par les dispositions intérieures auxquelles je viens de faire allusion.

Ces machines, en effet, dérivant toutes de la Diesel, dont nous parlerons tout à l’heure, sont beaucoup moins encombrantes que les machines à vapeur, que celles, même, qui utilisent le pétrole comme combustible pour les chaudières.

J’ignore si ces avis ont été goûtés, théoriquement, du moins. Pratiquement, je ne crois pas qu’ils aient été suivis. Le nombre de nos navires de commerce, — à part les grands voiliers « à moteur, » où ce moteur n’est qu’un auxiliaire de circonstance, employé surtout pour franchir des zones de calme, par exemple, — dotés de machines à combustion interne est resté très restreint. La routine l’a emporté sur les enseignements de la guerre, qui ont révélé, ne fût-ce que par le nombre de milles « couverts » par les sous-marins, les chalutiers, les navires légers de toute sorte, sans parler de paquebots et cargos étrangers[7], la haute valeur et la sûreté de marche des moteurs qui nous occupent.

Notre flotte de commerce ne va pas tarder à recouvrer le tonnage qu’elle avait avant la guerre, soit 2 300 000 tonnes environ. Il est vrai qu’il faut, de ces 2 300 000 tonnes, défalquer 700 000 ou 800 000 tonnes représentées par des navires qu’immobilisent des réparations urgentes et essentielles, malheureusement poursuivies avec une déplorable lenteur. Il est vrai aussi que, pour satisfaire nos besoins actuels, ce n’est pas 2 300 000 tonnes qu’il nous faudrait, mais 4 000 000, au bas mot. Quoi qu’il en soit, nous pouvons compter que notre marine marchande possède en ce moment 500 000 ou 600 000 tonnes, soit de bâtiments neufs, soit de bâtiments anciens, refondus. Supposez les uns et les autres pourvus de moteurs Diesel : ce serait, par an, des millions de tonnes de charbon que l’on ne serait plus obligé de demander aux mines.

Et ce serait là un grand bienfait, on va le voir.


Ne parlons pas des grèves ni des « vagues de paresse, » ni des inextricables complications qui résultent de l’application aussi prématurée qu’imprudente de la loi de huit heures. Ne nous occupons que des exigences normales, naturelles, pour ainsi dire, de l’emploi du combustible solide. Que voyons-nous ?

L’extraction de la houille exige une main-d’œuvre considérable, des centaines de mille d’ouvriers ; les puits et galeries demandent des installations compliquées, des boisages très onéreux[8]. Une fois le charbon sur le carreau de la mine, il faut le trier[9], le laver, fabriquer souvent des briquettes, et tout cela exige beaucoup de monde. Vient ensuite le transport : chargement sur péniches ou wagons, déchargement, mise en tas, puis encore chargement des « tenders. » Enfin l’utilisation proprement dite, la chauffe et l’alimentation continue du foyer, le nettoyage des grilles, ce qui revient souvent et constitue une opération pénible. Et nous ne disons rien de l’entretien de ces délicats organismes, — dangereux, parfois, — que sont les chaudières à vapeur. Voilà, en tout cas, de nouvelles centaines de mille hommes employés…

Avec le combustible liquide, les conditions de production, de répartition et d’emploi sont tout autres et singulièrement avantageuses : plus de mine ; un forage, après lequel, ou bien le pétrole jaillit à la surface, ou bien on l’y amène au moyen de pompes ; d’une manière ou de l’autre, peu de personnel employé. M. Houllevigue nous dit, dans Le progrès civique, que tel puits du Mexique, qui produit cent mille barils par jour, occupe moins de cinquante ouvriers. « Des pompes et des canalisations amènent l’huile brute aux usines de distillation, ajoute le savant professeur ; là, automatiquement et presque sans personnel, la séparation se fait entre les essences, les huiles de graissage, les mazouts, la vaseline, la paraffine et les ultimes résidus solides, encore combustibles, qui servent à chauffer les appareils distillatoires. »

Ce n’est pas tout : grâce à cette heureuse propriété des liquides d’obéir avec une extrême facilité à la loi de la pesanteur, on peut faire intervenir dans le remplissage des grands récipients destinés au transport du pétrole, — navires-citernes, bateaux-tanks, wagons-réservoirs, etc. — le système des canalisations ou « pipe-lines, » tuyautages de section plus ou moins large et de longueur très variable, plusieurs centaines de kilomètres, par exemple. Ce sera justement le cas du « pipe-line » du Havre à Paris dont on nous promet pour l’année prochaine la mise en service. Seulement là, précisément, on ne peut plus bénéficier d’un écoulement naturel dû à la pesanteur, l’altitude de Paris étant supérieure à celle de son grand port maritime. Il faudra donc de puissantes pompes aspirantes, ce qui complique l’affaire. Notons d’ailleurs qu’il s’agit du mazout, huile lourde et visqueuse, dont l’adhérence aux parois du tube sera sensible. Enfin on sera obligé de parer au grave inconvénient, en hiver, de la congélation de ce liquide plus ou moins sirupeux. Il y a donc lieu de prévoir des« stations de réchauffage. »

Ces difficultés seront vaincues. En tout état de cause et d’une manière générale, ce n’est plus seulement d’économie de main-d’œuvre qu’il s’agit ici, mais d’économie d’engins de [10] transport, grand bénéfice dans la crise actuelle, et bénéfice qui restera, toujours intéressant en raison de la différence entre le prix d’entretien et de renouvellement des canalisations et ceux, bien supérieurs, du matériel roulant et du matériel de traction.

Poussons-nous plus loin. Nous voyons qu’en employant le pétrole au chauffage des chaudières on fait encore de singulières économies de personnel ; à terre, on est arrivé, dans certains cas, à réduire la main-d’œuvre de neuf dixièmes ; dans la marine, le gain ne saurait être aussi marqué, tout en restant considérable. Mais c’est un point sur lequel nous reviendrons.

Enfin il faut rappeler que le rendement des moteurs modernes à pétrole est très supérieur à celui des machines à vapeur les plus économiques. C’est surtout vrai quand on emploie les moteurs du type Diesel, dérivés des moteurs d’automobiles. Ces moteurs, des à un ingénieur allemand, — qui avait étudié en France, — « rendent » près du triple des machines à vapeur ; de sorte que l’on peut dire avec l’auteur que je citais tout à l’heure « que, dans l’ensemble, les calories liquides du pétrole sont deux fois mieux utilisées que les calories solides du charbon. »

Or, à poids égal, répétons-le, le combustible liquide a un pouvoir calorifique sensiblement supérieur à celui du combustible solide. Le rapport peut être à peu près représenté par les chiffres suivants : (pétrole) 11,4/(charbon 8,3 = 1,4 environ ; quotient qui s’élève à 1,6, quand on tient compte du déchet d’utilisation du charbon dû aux poussiers, à la filmée, aux pierrailles, etc.


Reste la question des prix de revient, question d’autant plus délicate qu’en ce moment ces prix sont manifestement faussés, d’un côté et de l’autre, par l’influence de circonstances économiques exceptionnelles : du côté charbon par la hausse des salaires, par l’insuffisance ou la mauvaise volonté de la main-d’œuvre minière, aussi bien que par la difficulté des transports ; du côté pétrole par une brusque et considérable augmentation des demandes, par la hausse excessive des frets, par l’accaparement et par une spéculation effrénée, — sans parler, bien entendu, de l’abaissement continu de la valeur de notre « devise, » de la dégradation de notre change dans les pays, justement, où nous achetons en ce moment les plus grandes quantités, de combustibles liquides.

Quoi qu’il en soit, voici, en gros, la situation au mois de février 1920 ; la tonne de charbon, prise dans un port de France[11], vaut en moyenne 230 francs ; la tonne de pétrole (mazout) vaut 400 francs. Si nous divisons ce dernier chiffre par 1,6, coefficient d’utilisation du combustible liquide par rapport au combustible solide, nous ne trouvons plus que 250 francs. Et si nous tenons compte du gain de l’arrimage, qui permet de réduire les prix d’embarquement du combustible employé, si, surtout, nous faisons état de la diminution très sensible des frais de solde et d’entretien du personnel, nous tombons bien au-dessous de 200 francs, dans le cas de la chauffe au pétrole et au-dessous de 150 francs, dans le cas de l’emploi du moteur à combustion interne.

J’ai parlé tout à l’heure d’accaparement. Entendons qu’il s’agit surtout, sinon exclusivement, des grands « trusts, » bien connus, les « Standard Oil, » « Mexican Eagle, » « Shell C°, » « Royal Dutch, » etc.. firmes énormes, soit américaines, soit anglaises, soit anglo-hollandaises. Le commissaire général aux combustibles, M. H. Bérenger, s’est trouvé dans la nécessité de traiter avec les deux plus puissantes, le « Standard Oil » (américaine), la « Royal Dutch » (anglo-hollandaise) : « il semble résulter de ces négociations, dit M. Jacques Jary, qu’il est plus facile de s’entendre avec la « Royal Dutch. » Le « Standard Oil » manifeste en général un esprit plus exclusif, moins de dispositions favorables à une entente de caractère permanent qui lui enlèverait dans une certaine mesure sa liberté avec l’État français, client unique pour la France. D’autre part, il serait retenu par des conventions occultes avec les importateurs français, conventions qu’on a toujours refusé de faire connaître et qui le lient évidemment au sort de ceux-ci… »

N’en disons pas davantage et bornons-nous à noter que la préférence qui paraît avoir été donnée à la « Royal Dutch » ne se justifie pas uniquement par sa complaisance relative et par la promesse qu’elle aurait faite de ravitailler complètement la France, si le « Standard Oil » ou d’autres firmes hésitaient à nous faire des envois[12]. Les pétroles de Sumatra, exploités par la compagnie anglo-hollandaise, sont excellents, tandis que les huiles américaines ne laissent pas d’avoir quelques défauts, comme nous l’avons dit plus haut. De plus, des capitaux français importants sont engagés dans la « Royal Dutch, » bien que, malheureusement, nos nationaux n’aient aucune part dans l’organisation et la direction.

Ouvrons ici une parenthèse pour noter que, sans vouloir le moins du monde préconiser « l’Étatisme, » on ne peut s’empêcher de regretter que, dans le passé, l’Etat français ne se soit pas suffisamment occupé de défendre les capitaux français employés à l’étranger ou qui se proposaient d’y être utilisés. Non seulement il n’a pas mis en garde ces capitaux, — constitués souvent par la petite épargne, — contre des placements aventureux, dangereux même et qu’il devait savoir tels[13], mais encore il n’a pas su obtenir qu’une entreprise qui absorbait des capitaux français dans la proportion considérable de 40 p. 100 du capital total (c’est le cas de la « Royal Dutch ») fit une place dans ses conseils et dans son personnel d’exploitation aux représentants qualifiés de ces capitaux.

Comment procèdent, à ce sujet, nos amis d’Angleterre ? On sait assez quelle considération le gouvernement britannique montre pour tous ceux de ses nationaux qui agissent à l’étranger et avec quel soin il protège leurs intérêts. Tous ceux qui ont suivi, — fût-ce de loin, — pendant la Grande Guerre, les négociations auxquelles donna lieu l’organisation rationnelle du blocus de l’Allemagne « au travers des neutres » (et M. Denys Cochin a fait à cet égard de curieuses révélations à la Chambre, en 1917), se sont convaincus que le Foreign Office poussa singulièrement loin le souci d’étendre sur les trafiquants anglais le bouclier auquel s’appuie d’une main la fière Albion, tandis que, de l’autre, elle dresse le trident dérobé à Neptune.

Mais en ce qui touche « la politique du pétrole, » l’État britannique ne se contente plus d’encourager, de favoriser, de défendre les siens, il agit vigoureusement pour eux, dès le début ; bien mieux, il fait des conquêtes ou établit des protectorats qui semblent avoir pour objet essentiel de ménager d’une manière exclusive à ses nationaux l’exploitation de nouveaux champs pétrolifères, — en Perse, par exemple. Songe-t-il à en faire autant au centre et au Sud-Est de l’Europe ? Non, sans doute. Observons toutefois que, comme corollaire de négociations bien connues avec un des pays du « proche Orient » les plus riches en pétrole, l’amirauté anglaise a organisé et entretient sur le Danube une nombreuse flottille de canonnières et monitors fluviaux.

Après nos pénibles aventures dans la Mer Noire, son escadre de la Méditerranée a pris la place que nous venions d’abandonner, tandis que, depuis deux ans déjà, une escadrille « de fortune » composée de petits vapeurs russes réquisitionnés et armés par l’Angleterre, dominait la Caspienne, de sorte qu’à la fois Batoum et Bakou sont entre les mains de nos anciens alliés : Bakou, le chef-lieu du district pétrolifère de l’Apchéron, dans le Schirwan, au Sud du Caucase ; Batoum, qui est, avec Poti, le port d’embarquement des pétroles et mazouts sur la Mer Noire.

Les troupes anglaises occupent d’ailleurs la partie orientale et le Sud de la Mésopotamie, en liaison avec les éléments qui tiennent en respect ceux des Persans que ne satisfait pas le récent traité de Téhéran. Or, le pétrole abonde de deux côtés de la chaîne du Louristan, le Poushti-kouh, dont le pied marque la frontière entre la Perse et la Turquie. Des nappes bien reconnues et en partie exploitées se trouvent à Kcrhouk, Touz-Schourmati, Kerki, Mendeli.

Nous ne savons pas encore, officiellement, quel sort réservent à cette vaste région les Puissances qui constituaient l’Entente et que ne réunit plus « la Conférence de la paix, » brusquement close sans avoir terminé son œuvre[14]. Bien moins encore savons-nous quel accueil ferait à une décision qui l’amputerait de ce côté-là, comme de plusieurs autres, une Turquie à laquelle on a laissé le temps de se reconnaître et qui ne semble plus disposée à tout subir. Et puis, il y a, à l’horizon du Nord, pour la Perse, le Caucase, le Turkestan, le formidable orage bolchéviste qui se forme, qui grandit et s’élève… Qu’adviendra-t-il du tout cela ? Il y a quelques jours, on ne parlait, à Londres, que de renforcer les contingents d’occupation de ces trop vastes contrées. Au moment où j’écris ceci, on en serait plutôt, pour des raisons financières, au complet abandon de ces grands glacis de l’Empire des Indes, qui ont tant coûté d’hommes et d’argent et à la conquête desquels on a sacrifié les opérations autrement importantes, — en ce qui touche les intérêts généraux de l’Entente, — qui auraient pu être entreprises au Nord de l’Allemagne.

Mais ne concluons pas là-dessus. La face des choses change si vite, au temps présent, qu’il est Tain d’essayer de prévoir. Contentons-nous donc, ne pouvant les résoudre, de bien fixer les données des problèmes de l’avenir. Or, des faits que je viens d’exposer, il résulte que l’Angleterre a résolument adopté une « politique du pétrole » qui consiste tantôt quand elle le croit possible, à mettre la main sur les gisements reconnus, tantôt, quand il s’agit de pays « qui ne se laisseraient pas faire, » à négocier d’avantageuses participations aux bénéfices, en même temps qu’à s’assurer, par contrats, d’abondantes fournitures de la précieuse huile minérale.

Cette prévoyante politique du pétrole ne laisse pas de surprendre un peu chez une nation qui est la plus, grande productrice du combustible solide, et du combustible solide de la meilleure qualité. Faut-il y voir uniquement le résultat de préoccupations de politique intérieure et la crainte que l’on ne réussisse jamais à résoudre d’une manière satisfaisante la question minière, en ce qui concerne la régularité du service de la main-d’œuvre ?

Oui et non. Oui, sans doute, en ce sens que les difficultés actuelles se prolongeront probablement assez pour qu’on soit dans la nécessité de parer à des besoins urgents en recourant, tout de suite et sans aucune réserve, au combustible nouveau. Son, pourtant, puisque, — nous allons le voir, — la politique du pétrole, en particulier en ce qui touche la marine de guerre, avait été vivement préconisée, discutée, défendue et combattue en Angleterre bien des années avant le grand conflit.

On en trouve la preuve dans les curieuses lettres de l’amiral Fisher, parues en septembre dernier, dans le Times. Citons-en donc quelques passages, qui ne se lient d’ailleurs pas expressément, car, dans ces lettres, évidemment écrites au courant de la plume, l’éminent officier général[15]saute volontiers d’un sujet à l’autre, bien qu’il garde toujours comme fil conducteur la préoccupation de montrer la radicale transformation que subit, — à son instigation, — la flotte de combat anglaise dans les dix années qui précédèrent la guerre.

C’est dans la deuxième lettre qu’il commence à parler du pétrole et à faire allusion à la foi qu’il eut depuis longtemps dans l’avenir du combustible liquide :

« Tel fut, dit l’amiral Fisher, le cas de cette grande armada de 612 bâtiments dont la construction fut autorisée d’un trait de plume par M. Lloyd George, alors chancelier de l’Échiquier (1915, sans doute ? ..), et qui avait pour but de débarquer une grande armée russe à 32 milles de Berlin, sur la côte de Poméranie. » « Oui, ces monstres amphibies hantaient ma cervelle : ils étaient à l’épreuve du gros temps, des projectiles et des mines et des torpilles : chacun d’eux, rempli d’hommes, de chevaux, de canons, de véhicules, traçait sa route au sein de l’eau comme un monstrueux hippopotame ; et puis, grimpant péniblement sur la grève comme un tank (les tanks étaient inconnus alors)[16]il rabattait sa carapace et émergeait au soleil comme un papillon de guerre sortant d’une chrysalide blindée. C’est la machine à pétrole qui eût permis de réaliser ce prodige, cette machine appelée à révolutionner aussi le commerce maritime, comme elle transformera l’art tout entier de la guerre navale. Lorsque je fus appelé à l’amirauté (pour la première fois) en 1880, on m’avait déjà surnommé « le maniaque du pétrole. » Lord Ripon, premier lord de l’amirauté, après m’avoir envoyé chercher, me dit qu’on me qualifiait de « radical exalté » et de Gambetta. Il ajouta qu’il avait pourtant l’intention de me faire entrer au conseil de l’amirauté, à quoi je répondis que pareille nomination entraînerait certainement la démission immédiate de tous les autres membres. Une semaine plus tard, il m’avoua que j’avais eu raison. Mais, grâce à Dieu ! si l’on se passa de moi pour le conseil de l’amirauté, je pus devenir le directeur de l’artillerie navale. »

L’amiral Fisher raconte ensuite les difficultés qu’il éprouva pour doter la marine anglaise de sous-marins, rejetés comme d’inutiles jouets par tous les chefs, et il rappelle que c’est à lui que l’on doit, — à lui et à la Bethleem Steel Works d’Amérique, — la prompte mise en ligne des sous-marins britanniques du type II, « qui purent se rendre, dit-il, sans convoyeurs, des États-Unis aux Dardanelles où ils firent des prodiges. » Quelques-uns de ces sous-marins, en effet, ayant réussi à passer sous les filets métalliques de Tchanak-Nagara, maîtrisèrent longtemps la mer de Marmara, empêchant les Turcs de ravitailler par mer les ouvrages du détroit.

Mais il ne suffit pas à l’amiral Fisher d’avoir, pendant presque toute sa belle carrière, plaidé la cause du combustible liquide. Il alla jusqu’à préconiser avec vigueur le moteur à combustion interne dont nous avons parlé tout à l’heure et qui est singulièrement, jusqu’ici, le metteur en œuvre d’élection de ce combustible. « Nous allons commettre d’analogues bévues, dit-il, à propos du moteur à combustion interne, qui est d’une nécessité tout aussi indiscutable pour la marine de commerce que pour la marine de guerre. Toutes les nations, l’Angleterre exceptée, vont de l’avant dans, cette voie. « Herr Ballin[17], » avant son suicide, avait décidé la construction d’une flotte composée de navires énormes, munis de ce genre d’appareils. Les Scandinaves, les Hollandais, les Italiens l’emploient. Nous, nous ne possédons pas, que je sache, un seul gros bâtiment équipé de la sorte. Le Comité des inventions, que je présidai pendant la guerre, monta un laboratoire d’expériences pour étudier ledit moteur, mais cet organe d’études, de dimensions lilliputiennes, est tout à fait insuffisant. C’est de la véritable métallurgie qu’il nous faut, et nous ne pouvons pas en obtenir, pas plus que nous ne réussissons à extraire l’azote de l’atmosphère, cet azote dont a vécu la résistance allemande, etc. etc.. »

Lord Fisher ne se fait d’ailleurs pas illusion sur l’esprit routinier de l’Angleterre et, avec une verdeur d’expression dont il faut lui laisser la responsabilité, il s’écrie un peu plus loin : « Notre stupide (sic) nation ne croit ni au moteur à combustion interne, ni aux huiles lourdes. Je crois, moi, que ces deux éléments nouveaux vont révolutionner non seulement la guerre sur mer, mais encore le commerce maritime… Cependant, tout au début, je n’orienterais pas les constructions navales de l’Etat vers l’unité de combat à, moteur au pétrole. Je ferais construire plutôt des navires de charge destinés à porterie combustible liquide et je les munirais du moteur à combustion interne : experientia docet… On ne peut songer à avoir, du premier coup, le moteur de ce type idéal et nous devons faire porter notre activité d’abord sur la production de navires peu coûteux, qui seraient, en définitive, des coques à expériences pour moteurs à combustion interne. »

Voilà des conseils à retenir. Il n’est que temps, en effet, de faire sortir le moteur en question du sous-marin, où il semble qu’on le veuille ensevelir, pour l’adapter définitivement au service des grands bâtiments de surface, au double et considérable bénéfice des économies d’argent et de personnel. Qu’il soit nécessaire, pour cela, de faire des essais méthodiques, de tâtonner un peu, nul doute. Mais il n’est pas douteux non plus que nous arrivions, si nous le voulons énergiquement, à vaincre les difficultés qui nous ont arrêtés jusqu’ici. L’essor que va prendre notre métallurgie doit nous donner la certitude que nous saurons, nous aussi, faire des cylindres à grand alésage et des pistons en fonte impeccable, comme ceux que l’on produit à Augsbourg-Nuremberg, à Stockholm, à Christiania, et qui supportent longtemps, sans la moindre altération, — sans fuite, par conséquent, — les 1 000 degrés que développe la combustion du mazout dans ces appareils.

Et en terminant son pittoresque exposé dans la quatrième de ses six lettres au Times, l’amiral Fisher jette un regard aigu et probablement révélateur sur le proche avenir.

Comme quelques marins français, comme beaucoup de marins anglais[18]qui ont su s’instruire aux leçons de la guerre, il a compris qu’il fallait beaucoup attendre, — beaucoup craindre, en même temps, — de l’arme aérienne ; mais, toujours préoccupé de l’incompréhension du gros du public au sujet de ces grands problèmes, il s’écrie : « À quoi sert que je dise à l’opinion anglaise que, dans peu d’années, nous aurons besoin d’une espèce d’hippopotames, tout à la fois pour la marine de guerre et pour celle du commerce ? Comment le public comprendrait-il réellement ce que savent et prévoient les gens de mer, à savoir que le navire aérien de combat est déjà en mesure de couler tout bâtiment naviguant en surface, quel que soit son type ? Et cela est si sûr que les vaisseaux submersibles ne tarderont pas à s’imposer. »

L’amiral anglais souhaite que l’Amirauté s’inspire de ces idées directrices. Qu’il nous soit permis de formuler le même vœu en ce qui touche les organismes dirigeants de notre marine. Cette marine, il faut qu’elle se le dise résolument, son avenir n’est pas seulement sur la mer, — ni dans la mer, — il est aussi dans les airs.


Mais s’il en est ainsi et qu’aussi bien pour le service des bâtiments de surface et de plongée que pour celui des aéronefs de tout genre, on doive prévoir le plus large emploi du moteur à combustion interne, il faut d’ores et déjà se préoccuper de la constitution de larges stocks à l’intérieur et de dépôts abondamment fournis à l’extérieur, dans les « bases de ravitaillement, » ou bases secondaires d’opérations.

Nous avons déjà vu que les circonstances les plus impérieuses nous avaient conduits à satisfaire à la première de ces deux conditions. Nous avons aujourd’hui et nous continuerons certainement à avoir des stocks considérables sur notre territoire. Ces stocks seront-ils toujours alimentés par la voie de mer, ce qui est fâcheux, assurément, encore qu’il ne faille pas exagérer les inconvénients de cet état de choses ? Il est bien permis d’espérer que non, au moment où se développe l’exploitation de notre gisement alsacien de Péchelbronn et où, de divers côtés, on signala l’existence de nappes plus ou moins importantes, qu’annonçaient, d’ailleurs, des suintements de schistes bitumineux déjà connus et même exploités.

Nos « zones hydrocarburées » se trouvent dans le Jura et dans l’Ain, dans le Puy-de-Dôme, l’Allier et la Saône-et-Loire, dans le Gard et l’Hérault. Il y en a deux eu Algérie, aux environs de Relizane et de Mostaganem, et l’on vient d’en découvrir une, dont on attend beaucoup, au Maroc.

Sans aller jusqu’à dire avec d’éminents spécialistes qu’il y a des hydrocarbures liquides partout et qu’il n’est que de les bien chercher, — ce qui, à la vérité, peut entraîner à de fortes dépenses, — on peut affirmer du moins que nous trouverons bientôt sur notre sol un très fort appoint aux arrivages maritimes réguliers qui nous sont assurés dès maintenant. En revanche, il semble qu’on n’ait pu découvrir de gisement d’huile minérale en Angleterre, jusqu’ici du moins, et l’on pense bien que cette circonstance ne facilita pas la tâche que s’était donnée le vaillant amiral Fisher. Il finit par réussir, cependant, et l’on peut dire que la flotte moderne britannique chauffe exclusivement au pétrole. Quel approvisionnement cela représente-t-il ? Combien de millions de tonnes d’huile renferment les magasins des arsenaux anglais, c’est ce qu’il n’est pas aisé de dire, en ce moment. On le saura plus tard, comme on sait aujourd’hui, à peu près, quels sont les approvisionnements de charbon. Et à ce propos, lord Fisher nous apprend qu’il est question de constituer, pour les navires qui emploieront le pétrole, non seulement des dépôts fixes, à l’extérieur, analogues aux coaling stations depuis longtemps connues, mais des dépôts flottants et navigants.

La position de ces dépôts ambulants, — navires-citernes de grandes dimensions, — serait donnée sur un carnet spécial, édité soit par les amirautés, soit par les « Lloyds. » Ces bâtiments, étant d’ailleurs pourvus de la télégraphie sans fil, seraient toujours à même de faire connaître leur position.

« Ainsi, écrit l’amiral, lorsque le chef mécanicien d’un navire à moteur au pétrole viendrait rendre compte à son commandant que son approvisionnement d’huile touche à sa fin, celui-ci n’aurait qu’à consulter son carnet des oilers ships, — ou à envoyer un radio-télégramme, — après quoi, donnant la route à son timonier, il pourrait dire : « A 10 milles d’ici, nous allons trouver notre affaire. » Et que la mer fût calme on agitée, il aurait toujours la certitude de reconstituer le plein de ses soutes-citernes. »

Calme ou agitée, il faut s’entendre. Par grosse mer, la manœuvre à faire, — « un tuyau en caoutchouc à allonger, que soutient un câble à flotteurs, » — ne serait pas toujours facile ; beaucoup plus facile, toutefois, que celle de l’appareil Kimberley, pour l’embarquement des sacs de charbon dans les mêmes circonstances ; et aussi, infiniment plus courte et n’exigeant pas de personnel, puisqu’une pompe suffit à introduire le pétrole dans les réservoirs du navire demandeur.

Quoi qu’il en soit, il paraît difficile d’admettre que ce procédé, excellent pour le temps de paix, reste applicable à des ravitaillements réguliers, en temps de guerre. Ces dépôts ambulants seraient immédiatement l’objet des recherches et des attaques de l’adversaire. Il faudrait donc qu’ils fussent armés. Évidemment, ce n’est pas impossible ; mais à moins de donner à ces navires-citernes des dimensions considérables, d’autant plus considérables qu’il conviendrait de leur assurer, par surcroit, l’arme vitesse, on n’arriverait pas à satisfaire à l’essentielle condition de les maintenir à peu près en permanence dans le carré[19] qui leur aurait été attribué.

Reste, il est vrai, la possibilité, pour un navire-citerne neutre, d’offrir ses services au belligérant qui passe à sa portée. Et, en fait, cela s’est déjà vu dans la dernière guerre, quand les sous-marins allemands sont allés opérer dans l’Atlantique Ouest, au large des côtes des États-Unis, ou dans le golfe du Mexique. C’était dangereux pour l’obligeant pétrolier. Dira-t-ou que la Société des Nations pourrait légiférer là-dessus et décider qu’il sera licite pour un neutre de fournir du pétrole aux belligérants, pourvu que la distribution en soit impartialement assurée à tous les belligérants sans exception ?

Mais, outre que l’on ne voit pas bien le Grand Conseil de cette pacifique institution s’occupant tout de suite d’une question de ce genre, que de difficultés pratiques à résoudre pour organiser ce service si particulier ! Il faudrait d’abord neutraliser, pour ainsi dire, un cercle d’une dizaine de milles au moins de diamètre, dont le centre serait le pétrolier en question, considéré dès lors comme une île flottante, dans les eaux territoriales de laquelle il serait interdit de se battre, — car, n’est-ce pas ? deux croiseurs ennemis pourraient se présenter à la fois au navire-citerne. Et puis, comment avoir la certitude de l’impartialité dont nous venons de parler ? Comment empêcher que le capitaine du pétrolier marque sa préférence secrète pour un parti en refusant à l’autre de le ravitailler ? Il lui est si facile de dire que son approvisionnement est épuisé ! Et sa qualité de neutre ne met-elle pas obstacle au contrôle du demandeur évincé ?

Les neutres !… Il faut bien reconnaître, à la lumière des événements de la Grande Guerre, qu’il n’y a jamais eu de véritables neutres et qu’il n’y en aura jamais plus, sans doute. Et cela (sans parler des affinités naturelles, des sympathies sincères ou… achetées), en raison des enchevêtrements d’intérêts qui lient certaines nations les unes aux autres.

En définitive, le plus sûr, du point de vue militaire, sera longtemps encore, sinon toujours, d’avoir des dépôts de combustible liquide, dans ses propres colonies et points d’appui. À cet égard, la Grande-Bretagne est largement pourvue, on le sait. Nous avons, nous, à peu près ce qu’il nous faut. Les Américains sont nantis dans le Pacifique, mais pas dans l’Atlantique et dans la Méditerranée. Aussi nous annonçaient-ils, voilà quelques mois, qu’ils allaient constituer des stocks considérables, — sous le couvert d’un négociant, ou d’une de leurs firmes pétrolières, — chez des amis de tout repos, d’abord les Portugais (à Punta Delgado des Açores, position stratégique admirable), ensuite les Français (à Bizerte, position remarquable aussi, pour la Méditerranée). À la vérité, c’était à une époque où ils ne boudaient pas encore l’Europe, — cette incompréhensible et impérialiste Europe ! — comme ils semblent le faire aujourd’hui ; Mais cela passera…


« Pas de fumée, pas même de cheminée ! » s’écrie l’amiral Fisher quand il plaide la cause des navires munis de moteurs à combustion interne. Avantage énorme, en effet, en temps de guerre, aussi bien pour le paquebot ou le « cargo, » qui se dissimulera mieux aux vues de l’ennemi, que pour le navire militaire ; pour une force navale, surtout, en opérations offensives, et que décelaient, à 15 milles ses cheminées, à 40 milles quelquefois, le caractéristique nuage allongé au-dessus de l’horizon formé par ses fumées.

Il est certain qu’en ce qui touche seulement la tactique, ce qu’on appelle « la marche d’approche » sera singulièrement facilité à un bâtiment muni de moteurs à combustion interne qui ne tracera sur l’horizon qu’une silhouette horizontale, à peu près invisible, par conséquent. Même si l’approche de ce bâtiment est dénoncée par des éclaireurs, marins ou aériens, il restera aux canonniers du navire menacé la difficulté d’accrocher leur ligne de mire à un trait aussi vague, à supposer que les observateurs de la mâture ou du blockhaus aient pu leur fournir une distance à peu près exacte.

Voulez-vous que nous poussions plus loin l’hypothèse et que nous admettions le bâtiment à moteur capable, sinon de s’immerger complètement, — et cela viendra aussi, en son temps, — du moins de s’enfoncer dans l’eau de manière à diminuer, à mesure qu’il approche, la hauteur de sa silhouette ? Quel redoublement d’avantages ! Car non seulement la gêne continuera pour l’artillerie de l’adversaire, mais si celui-ci réussit à envoyer quelques projectiles bien dirigés, l’assaillant bénéficiera, pour une bonne partie de ses œuvres mortes, de la protection du matelas d’eau qui n’abrite, chez le défenseur, que les œuvres vives, la coque normalement plongée.

N’insistons pas plus longtemps sur ces considérations, quelqu’en puisse être l’intérêt. Nous glisserions dans la discussion du type d’unité de combat de l’avenir ; et cette discussion dépasse de beaucoup le cadre d’une étude sur le pétrole.

Revenons-y et terminons avec l’éminent officier général que nous avons momentanément pris pour guide, en signalant encore une fois le bienfait de l’emploi des moteurs et du combustible qui nous occupent en ce qui concerne l’économie de personnel à bord des bâtiments.

« C’est surtout du côté du « matériel humain » que l’Angleterre doit réaliser des économies, dit l’amiral Fisher, puisqu’en face d’elle se dresse l’Allemagne avec une population bien supérieure, numériquement, même après la paix. Sur le Mauretania[20], l’adoption de l’huile comme combustible a permis de réduire le personnel de 300 hommes !… »

N’est-il pas curieux de voir, alors que l’Angleterre compte au moins 45 millions d’habitants, contre nous, 38 seulement, cet argument invoqué par un amiral anglais bien avant qu’il le soit dans la marine française ? Encore ne s’agit-il, pour le Mauretania, que de la chauffe au pétrole et non pas des moteurs à combustion interne, où il n’est plus question de chauffe, puisqu’il n’y a plus de chaudières.

En tout cas, il faut reconnaître que cette raison de l’économie de main-d’œuvre vient singulièrement à propos, à l’heure présente. Je ne vais pas, à ce sujet, entreprendre de démontrer aux lecteurs de la Revue ce qu’ils savent fort bien, que de la solution de cette question, envisagée en général, dépend, non seulement notre relèvement économique, mais aussi la paix sociale. Il faut nous résoudre à développer le plus possible et partout le machinisme, puisque nous avons perdu des centaines de mille d’ouvriers et que ceux qui restent ne paraissent pas disposés à travailler davantage pour remplacer les disparus. Et il est clair que ceci est d’application immédiate dans notre marine marchande, industrie considérable, essentielle entre toutes à la vie nationale et qui a particulièrement souffert dans ces dernières années. N’avons-nous pas, par surcroit et avec une étrange inconscience, accepté d’adapter, par une loi spéciale, le système « des trois 8 » au fonctionnement du service à bord de nos paquebots et « cargos, » ce qui nous oblige, au prix de quelles difficultés ! à augmenter de près d’un tiers le personnel de ces bâtiments ? Nous sommes d’ailleurs les seuls, quoi qu’on en ait pu dire, à commettre de telles bévues ; et les conséquences de cet isolement s’étendent fort loin.

Tant y a que ce serait rendre un grand service à l’armement et, par répercussion, au pays tout entier, que de prendre dès maintenant les mesures qui permettraient d’édicter à bref délai l’obligation de ne plus mettre en service que des navires munis de moteurs à combustion interne. C’est à l’Etat qu’il appartient de prendre des décisions préparatoires dont la plus urgente doit être la mise au concours de machines de l’espèce en vue d’expériences pratiques poussées à fond. Il y a là, avec un champ d’action fort étendu et d’une capitale importance, le sujet d’études communes entre les deux organismes autrefois réunis, aujourd’hui séparés, — sans qu’on sache bien si les intérêts de la nation y ont vraiment trouvé leur compte, — de la marine de guerre et de la marine marchande.

Une observation encore : on pourrait craindre que la perspective de ces « économies de personnel » fût mal accueillie par les syndicats maritimes et particulièrement par les mécaniciens et chauffeurs, qui auraient le droit de se juger menacés dans l’exercice de leur profession, dans leur gagne-pain. C’est ce qui s’est produit au commencement du siècle dernier, dans l’industrie du tissage, lorsqu’apparut le métier Jacquard. Dans le cas actuel, rien de tel à craindre, parce que, dans les années qui vont s’écouler, d’ici à la constitution complète de la flotte marchande de 5 millions de tonnes que nous prétendons avoir (à très juste titre), du reste, on sera constamment à court de personnel. Disons même que, si l’on ne se résolvait pas à orienter la construction des machines marines dans le sens que je préconise, — avec beaucoup d’autres, — on n’arriverait probablement pas à fournir en temps utile à la flotte nouvelle, munie des anciens appareils, les mécaniciens et chauffeurs qui lui seraient indispensables. Le matériel serait en avance sur le personnel, et de lourds capitaux se trouveraient pendant quelque temps sans rémunération.

Quant à l’adaptation du personnel actuel au service des moteurs à combustion interne, il n’y a, de ce côté-là, aucun mécompte à redouter, surtout dans la conduite des appareils de l’espèce destinés à la marine marchande, appareils qui, pour des raisons dont l’expose nous entraînerait trop loin, seront toujours beaucoup moins délicats que ceux de la marine de guerre, que ceux des sous-marins surtout.


Résumons-nous.

Après cinquante ans de stagnation ou tout au moins de progrès fort lents, toujours discutés par les représentants d’intérêts particuliers, d’ailleurs très respectables, propriétaires et exploitants des mines de charbon, constructeurs de machines et de chaudières à vapeur, etc. les combustibles liquidés arrivent à balancer leurs rivaux, les combustibles solides : houille, anthracite, coke, lignite. Leur emploi dans la marine se révèle de plus en plus avantageux. Les objections que l’on faisait à cet emploi disparaissent peu à peu. Les circonstances, l’essor de l’automobilisme et de l’aviation, principalement, la crise du charbon, aussi, nous ont obligés à constituer sur notre sol des stocks importants qui s’accroissent tous les jours. Ce sol lui-même recèle des huiles combustibles dont quelques nappes sont déjà exploitées. L’Algérie et le Maroc nous fourniront d’ailleurs un gros appoint.

En tout cas, imitant nos alliés d’hier, aujourd’hui nos concurrents sans cesser d’être nos amis, — les Anglais, — il nous faut avoir une politique du pétrole.

Cette politique se trouve être justement une politique méditerranéenne, celle où nous engagent depuis longtemps nos traditions, nos tendances ethniques, nos intérêts immédiats. En effet, sans exclure systématiquement de notre marché les pétroles d’Amérique, qui présentent des avantages, s’ils ont de graves inconvénients, il conviendra que nous demandions de préférence le complément de nos stocks de prévoyance aux régions de la Mer-Noire (Caucase, Ukraine et Roumanie) ou que nous fassions venir par la mer des Indes et le canal de Suez les excellents produits de l’archipel malais.

Telles sont les idées directrices qu’il me semble possible de déduire dès maintenant des réflexions et constatations qui précèdent, où, tout en tirant le plus grand parti des études si intéressantes de savants comme MM. de Launay et Nordmann, je me suis placé à un point de vue purement pratique, le point de vue du marin. En tout cas, et avec l’assentiment, sans doute, des lecteurs avertis de la Revue, je conclurai du capital intérêt d’une politique du pétrole à la nécessité d’une politique tout court, d’une politique bien définie, et, en un mot, d’une politique nettement française.


Contre-Amiral Degouy.
  1. C’était à Sainte-Claire Deville que l’on devait et les expériences dont nous parlons, et les études qui suivirent, et les conclusions que l’avenir, — le présent actuel, — devait confirmer. Il est juste de ne pas oublier ce que nous devons à ce savant.
  2. Il n’est pas sans intérêt de rappeler que la Prusse (qui avait mobilisé son armée aussitôt après Magenta), excitait en sous-main les défiances de l’Angle terre à laquelle elle était particulièrement liée depuis le mariage du kronprinz Frédéric avec la princesse Victoria (1858).
  3. Vers 1860-63. La découverte des pétroles américains date de 1858. A peu près à la même époque, certaines villes de Roumanie, Bucarest en tête, commençaient à s’éclairer à l’huile de schiste. La découverte des nappes mexicaines est beaucoup plus récente et ne remonte guère qu’à une dizaine d’années.
  4. On se sert ici des expressions de trust, de firme, d’une manière un peu figurée et, en somme, pour abréger. En réalité, il existait plutôt une entente étroite que des engagements précis entre les huit ou dix grandes maisons qui « contrôlent » le marché français des pétroles.
  5. « Avant de pouvoir mettre à la disposition de nos généraux le liquide générateur de mouvement, on eut île graves anxiétés. C’est alors que M. G. Clemenceau transmit au président Wilson certain télégramme pressant rédigé par AI. H. Bérenger. Les États-Unis, bousculant les intérêts de certains de leurs plus puissants trusts, prirent les décisions nécessaires pour envoyer en France tout ce dont notre front avait besoin… Cette abondance devint en réalité une des principales causes de la victoire. Elle en apparaît maintenant comme le secret… La facilité des transports par camions donnant au maréchal Foch la faculté de déplacer rapidement les unités, lui permit de réaliser pleinement des effets de surprise… etc. etc. »
    M. JACQUES JARY, Renaissance, du 3/1 19 : 20.
  6. Tout d’abord, grâce à un prêt de 40 000 tonnes, fait par la marine, en attendant des arrivages qui se sont d’ailleurs produits. On voit que les stocks de nos ports de guerre étaient bien constitués.
  7. Les Scandinaves et les Hollandais ont depuis assez longtemps déjà des navires à moteurs. Les Italiens en construisent beaucoup en ce moment.
  8. Boisages fournis en général par les pays du Nord, — la Norvège surtout. Pendant la guerre, les sous-marins allemands faisaient constamment la chasse aux voiliers ou vapeurs charges de bois de Norvège pour les mines anglaises. La production, même à cette époque de travail « intensif, » en fut souvent paralysée.
  9. Le défaut de triage du charbon sur le carreau de la mine est souvent invoqué par nos compagnies pour justifier les irrégularités de la marche des trains.
  10. Le nombre des calories, très variable suivant les espèces de combustibles envisagés de part et d’autre, est, en moyenne, de 10 500 à 11 600 pour le pétrole et de 7 000 à 8 600 pour le charbon.
  11. Le Havre, où, remarquons-le, le charbon anglais est à un prix relativement bas.
  12. A lire, dans le Matin du 8 mars dernier, de curieux renseignements sur les efforts qu’on fait, en Amérique, pour réserver, — à notre détriment, — les bateaux-citernes allemands à la « Standard Oil.
  13. On peut citera cet égard l’emprunt ottoman de 1914, qui servit en grande partie à payer les fournitures de l’Allemagne en matériel de guerre.
  14. Il est bien entendu que la Conférence de la paix se survit sous les espèces de la « Conférence des ambassadeurs ». Ce n’est cependant pas la même chose. D’ailleurs il faut compter avec l’abstention des États-Unis.
  15. Très populaire en Angleterre et qui a dans la marine britannique un véritable parti, les « Fishermen » (jeu de mots intraduisible : Fisherman veut dire pêcheur).
  16. Dès le début de 1915, cependant, la sous-commission des armements (commission du budget de la Chambre française avait vivement engagé le gouvernement à suivre de très près les études des inventeurs de « fortins automobiles » montés sur « caterpillars. » Ces propositions furent en effet transmises à la direction du génie au ministère de la Guerre : mais cet organique n’apporta qu’un médiocre empressement à faire aboutir les expériences, si l’on en croit le rapport de M. le député Aubriot, déposé le 26 septembre 1916, mais qui, naturellement, n’a pu être publié par l’Officiel que le 28 novembre 1919.
  17. Le célèbre directeur de la grande compagnie de navigation allemande « Hamburg-Amerika-linie. » Honoré de l’amitié de Guillaume II, M. Ballin se donna la mort en 1917, prévoyant, parait-il, que la guerre sous-marine à outrance, décidée alors, causerait la perte de l’Allemagne.
  18. On sait que la marine anglaise travaille particulièrement, en ce moment la question des grands dirigeables. Elle ne néglige d’ailleurs pas les hydravions.
  19. Généralement, en temps de guerre, l’étendue des mers est, sur les cartes marines, partagée en carrés compris entre deux longitudes et deux latitudes déterminées. On fixe, par exemple, un « rendez-vous à la mer. » dans le carré n* 42 de telle ou telle carte.
  20. Frère jumeau du grand et malheureux paquebot Lusitania, 32 000 t. 26 nœuds. Le gain de 300 hommes indiqué par l’amiral Fisher parait toutefois un peu fort.