Le Parnasse contemporain/1866/La Mort
IX
LA MORT
Rassure-toi : — La Mort est bien le vrai sommeil
Et l’on peut s’endormir sans craindre le réveil
Et l’importunité des songes qui nous leurrent ;
La Mort terrible est douce ; et dit à ceux qui pleurent :
« Venez, vous oublîrez. » — Elle dit aux vaincus
Comme nous : — « Venez tous ; vous ne lutterez plus.
» Venez, dans le lait noir de mes noires mamelles,
» Boire à longs traits l’oubli des défaites nouvelles. »
Elle dit aux heureux : — « Quel bonheur n’est pas vain ?
» Jouissant aujourd’hui vous souffrirez demain :
» Je vais vous délivrer des fortunes futures. »
Elle dit aux hardis essayeurs d’aventures :
— « J’entends venir le pied boiteux du châtiment ;
» Voulez-vous l’éviter ? profitez du moment. »
Elle dit aux souffrants, aux opprimés : — « La Vie
» Trahit le plus souvent tous ceux qu’elle convie ;
» La volage ! — Pour moi, jamais je ne promets,
» Je suis toujours la même et ne trompe jamais,
» Et celui-là qui vient me demander asile
» Peut être bien certain qu’il dormira tranquille. »
Elle dit au rêveur qui va le front levé :
— « Tout ce que tu cherchais, ami, je l’ai trouvé :
» Je te raconterai ce que je fais de l’âme. »
Elle dit à celui qui souffre par la femme :
— « Dans le lit ténébreux, que je te creuserai,
» Vas coucher ton amour douloureux et sacré.
» Là, tu n’attendras plus que l’œil de ta maîtresse
» Tardive, vienne enfin consoler ta détresse.
» Contre ton corps roidi les deux bras étendus,
» Dors en paix : les désirs ne rallumeront plus
» Dans ton cœur, plein de vers, d’ombre et de terre grasse,
» Les fleurs des visions écloses sous sa grâce ! »
— C’est ainsi que la Mort, du souffrant au content,
Va, souriant parfois au Sage qui l’attend
Et la comprend, sachant que les amas funèbres
Des corps, confusément pourris dans les ténèbres
Internes du sol creux qu’ils viennent rajeunir,
Sont le fumier fécond, où germe l’Avenir.