Le Parnasse contemporain/1866/Les Vierges
Toutes deux mourront vierges……
L’une,
Corps en fleurs et cœur en éveil,
Est une plébéienne brune,
Une brave enfant du soleil.
Vision de grâce robuste,
Elle porte avec dignité
La forte élégance d’un buste
Que Praxitèle eût imité.
Toute une forêt ténébreuse
S’épanouit sur son chignon ;
Luxuriante et plantureuse,
Elle est le rosier d’Avignon.
Comme le fruit d’or sur les branches,
Mûre pour les puissants larcins,
Elle est rhythmique par ses hanches
Et sculpturale par ses seins ;
Et ses belles formes égales
Promettent aux regards tentés
La saveur des nuits conjugales
Et l’espoir des maternités.
L’autre, fille de race ancienne,
Blanche orpheline d’un marquis,
Est la pure patricienne,
Type un peu maigre, mais exquis.
Grande comme un grand lis pudique,
Elle mêle, svelte beauté,
Ce fier port de tête héraldique
À la sainte simplicité.
Elle a d’Yseult ou d’Yolande
Le front superbe où rien ne ment,
Triste comme une fleur de lande,
Pâle délicieusement.
Ses pieds divins, ses mains divines
Ressemblent aux joyaux de prix ;
Les élégantes Angevines
Jalousent son charme inappris,
Quand elle va, modeste et sûre,
Rêvant aux vieux rois délaissés,
Et toujours cachant sa blessure
Sous son voile aux plis abaissés.
Telles je vous vois, ô merveilles
D’ineffable ingénuité,
Si diverses et si pareilles,
Sœurs de vertu, sœurs de beauté.
Toujours sœurs ; car la destinée
Vous réserve, pour dernier don,
Une ressemblance obstinée :
L’égalité dans l’abandon.
Renoncez aux bonheurs intimes
Que la pauvreté vous défend ;
Résignez-vous, nobles victimes,
Ô cœurs de mères sans enfants !