Le Parnasse contemporain/1876/L’Érinnys d’une mère

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Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]III. 1876 (p. 305-306).



L’ÉRINNYS D’UNE MÈRE


« Tu veux partir, ma fille ? et suivre malgré moi
Cet Étranger rusé, sans pudeur et sans foi ?
Pars, fille impie ; et vous, ô terribles Déesses,
Nocturnes, aux cheveux de serpents, vengeresses !
Suivez-la sur la nef de l’Époux triomphant,
Furieuses et plus rapides que le vent ! »

O cité de Kadmos ! Thébè, chère patrie !
Je ne repose pas sous une herbe fleurie
Dans l’urne où sont les os consumés des Aïeux.
Malheureuse ! je vins mourir en d’autres lieux.
Au bord Ausonien, près de la mer salée,
Un tertre aride pèse à ma cendre exilée.
L’Érinnys d’une mère a causé ce malheur.
Mon front se couronnait de marjolaine en fleur ;
Aux bruits harmonieux du sistre et du crotale
S’avançaient les flambeaux de Hèrè conjugale ;
Et le brodequin jaune enfermait mon pied blanc,
Une ceinture d’or pressait mon jeune flanc ;
L’Époux impatient, que la flûte convie,
Méditait dans son cœur Kypris, source de vie…
Mais, oh ! cessez vos chants : quels sont ces cris affreux ?
Les convives muets se regardent entre eux ;

Je pâlis, je frissonne… il faut bien que je meure !
Car autour de la blanche et joyeuse demeure
La sanglante Érinnys avait crié trois fois.
Érinnys d’une mère ! inexorables lois !
Je meurs… vers le bûcher, vierge encore, entraînée…
Le voilà prêt, plus tôt que le lit d’hyménée !
Érinnys d’une mère ! inévitables maux !
Que la terre Barbare est pesante à mes os !

Hélas ! très-misérable ! en partant j’osai croire
Qu’Aidès serait clément, du fond de la nuit noire,
Lui qui des prés en fleurs sur l’orageuse mer
Ravit Perséphonè si loin de Dèmètèr !