Le Parnasse contemporain/1876/La Patrie

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Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]III. 1876 (p. 222-225).


LA PATRIE

A nos Fils


Nommez votre pays de ce nom : la patrie !
Après celui de Dieu, c’est le nom du devoir.
Prononcez-le toujours avec idolâtrie,
Ce nom qui vous oblige au combat, à l’espoir.


Si quelqu’un, se disant le citoyen du monde,
Insulte à votre amour du haut de sa raison,
Ce mot : l’Humanité, sur sa lèvre inféconde
Veut dire l’égoïsme et sent la trahison.

Nous ! plus Dieu la punit, plus le monde l’accable,
Plus elle est en opprobre aux rois, aux empereurs,
Aimons notre cité d’un amour implacable…
D’un amour plein de haine et de saintes fureurs.

Qu’on ne me parle plus de ces peuples, nos frères !
Où sont-ils, et lequel nous a tendu la main ?
Je suis Français ! la France a les destins contraires :
J’ai souci d’elle seule et non du genre humain.

Vous entendrez des voix de traîtres ou de lâches
Prôner, à nos dépens, toutes les nations ;
Vous entendrez tous ceux qui manquent à leurs tâches
Parler impudemment de nos corruptions.

Oui, nous sommes tombés, vaincus par notre faute !
Nous avons manqué d’âme et quitté les sommets :
L’abîme est bien profond, car la cime était haute…
Ceux qui rampent toujours, seuls ne tombent jamais.

Oui, la France est coupable, et s’accuse elle-même ;
Mais lequel est plus pur, de ses voisins jaloux ?
Lequel peut, à bon droit, nous lancer l’anathème ?
Quel peuple sans péché se lève contre nous ?


Qu’ils se taisent ! Nous seuls et l’esprit de nos pères
Restons juges du crime et des devoirs trahis ;
Par fierté, par amour, soyons juges sévères…
C’est le servir bien mal, que flatter son pays.

Mais plus nos doigts sanglants sonderont de blessures,
Plus il apparaîtra de hontes au grand jour,
Plus la sainte Patrie aura subi d’injures,
Plus le deuil sera grand… plus grand sera l’amour !

Je t’aimais glorieuse, et t’adore insultée ;
Je me sens mieux ton fils en pleurant tes revers,
France ! ô mère ! ô grandeur que j’ai trop peu chantée,
A toi mon dernier souffle, à toi mon dernier vers !

Enfants ! si votre père, en butte à quelque outrage,
Vieux, proscrit, mutilé, portait son propre deuil,
C’est alors que debout, pleins d’amour, pleins de rage,
Vous vous diriez ses fils avec le plus d’orgueil.

Soyons ainsi, nous tous, les fils de la Patrie,
Humbles devant son Dieu, fiers devant l’étranger,
Tenons-nous le cœur haut et la main aguerrie ;
Faisons-nous des vertus dignes de la venger.

Jeunes gens qui serez meilleurs que nous ne sommes,
Vous qui vaincrez — mon cœur a son pressentiment ! —
Sous les drapeaux, le jour où vous devenez hommes,
Avancez, la main haute, et prêtez ce serment :


« Je jure devant Dieu, sur mon âme immortelle,
Sur les os de nos morts et de par leurs exploits,
De vivre pour la France et de mourir pour elle,
D’honorer ses autels, d’obéir à ses lois.

« Jamais entre mes mains l’ombre d’une souillure
Ne ternira l’éclat dont ses armes ont lui ;
Si mon voisin de rang tombe d’une blessure,
Sans m’écarter d’un pas je combattrai pour lui.

« Je maintiendrai la terre et le nom des ancêtres :
Et, fussé-je le seul à lui garder ma foi,
Je jure de laisser, libre d’injustes maîtres,
Mon cher pays plus grand qu’il n’était avant moi. »

C’est ainsi que jurait la jeunesse d’Athènes[1].
Vous savez quels combats ces soldats ont livrés !
Enfants, dressés comme eux à des luttes certaines,
Vous Français, vous chrétiens, vous les surpasserez.

N’avez-vous pas, de plus que le héros antique,
Ce ferme espoir qui fait de la mort un bonheur ?
Outre le Dieu vivant qui manquait à l’Attique,
N’avez-vous pas l’esprit de nos aïeux… l’honneur.

  1. i. pollux, liv. VIII, ch. ix, seg. 105.