Le Parnasse contemporain/1876/La Pauvre Petite Malade
ARMAND RENAUD
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DRAMES DU PEUPLE
LA PAUVRE PETITE MALADE
Les aspects sont divers de cette morne auberge
Qu’on nomme l’hôpital. Le vice et la vertu
Y souffrent à la fois. On met mourir la vierge
Au lit que, pour mourir, une impure avait eu.
Martyrs et châtiés sont sur la même ligne,
Et la fatalité heurte le dévoûment.
On n’a dans le dortoir qu’un numéro pour signe ;
L’indifférence à tous fait froid également.
Sur la file de lits, quand la veilleuse pâle,
Étoile de douleur, tremble, les rideaux blancs,
Les draps blancs ont un air de linceul, et le râle,
Dans le silence, sort des fiévreux somnolents.
Les voilà tous les maux avivés l’un par l’autre,
Bourreaux sans nombre allant de martyr en martyr,
Et quoi que vous fassiez, l’un d’eux sera le vôtre,
Vous, les forts d’à présent, quand il faudra partir.
Soit, après tout ! il est dans l’ordre que les hommes
Aient leurs jours froids auprès de leurs jours réchauffants.
Mais, joyeux, résignés ou sceptiques, nous sommes
Pris de miséricorde aux hôpitaux d’enfants.
Là toute maladie a l’air de faire un crime.
Ces enfants devraient rire, écouter, sauter, voir.
Ces petits, sans le lit où le mal les opprime,
Courraient allègrement jusqu’au sommeil du soir.
Mais le croup les étrangle et la toux les déchire ;
La scrofule leur met ses griffes dans la chair ;
Leur échine dévie, et leur pied se retire.
La misère a blanchi leur sang. Tout est si cher !
Souvent aussi le poids d’un mal héréditaire
Les courbe ; le destin, sur les parents fixé,
Frappe, pour des raisons couvertes de mystère,
L’enfant qui devrait naître affranchi du passé.
Du reste ils ne sont pas sombres ; lorsque la fièvre
Leur laisse du répit, s’ils ont quelque jouet,
Ils le prennent. Le rire est facile à leur lèvre.
Il suffit d’un passant en ce dortoir muet.
Le matin, ils ont vu la froide chirurgie,
Avec ses bistouris, passer ; on emportait
Un enfant. Maintenant une bande rougie
Serre son front. Inerte, il respire et se tait.
Un autre, qui semblait endormi, fut de même
Emporté ; dans la salle, il n’est pas revenu.
Disparaissant depuis hier c’est le troisième.
Où les a-t-on menés dormir ? — dans l’inconnu.
Mais vite ces effrois s’envolent. La pensée,
A cet âge, fuit l’ombre et cherche les rayons.
Une poupée est là. La mort est effacée.
Vient un soldat de bois, l’amputé dit : voyons !
Ce n’est plus une enfant, est-ce une jeune fille
Qui, sous des cheveux blonds, a ces grands yeux d’azur ?
A côté de son lit se dresse une béquille.
Et sa forme est charmante et son visage est pur.
Une indécision pleine de grâce couvre
Le sein naissant qui dort dans un calme ingénu.
Il ne faut qu’un instant pour que cette fleur s’ouvre
En jeunesse. L’instant n’est pas encor venu.
Parfois, sur leur croisée, au fond des cours obscures,
Les pauvres ont des fleurs pour s’égayer un peu ;
Et les femmes aux doigts noircis par les coutures,
Aspirant leur parfum, prennent espoir en Dieu.
Mais les fleurs qui n’ont pas le soleil et la brise,
Qui respirent, au lieu de la fraîcheur des prés,
L’odeur que les ruisseaux, parmi la foule, ont prise,
Courbent chétivement leurs fronts décolorés.
Ainsi la jeune fille. Au penchant des vallées
Où résonne le soir la cloche des troupeaux,
Que n’a-t-elle vécu, pieds nus, les mains hâlées ?
Il ne lui faudrait pas ce sinistre repos.
Il ne lui faudrait pas, la tumeur à la hanche,
Des mois après des mois, attendre, en languissant,
L’effet d’un philtre noir sur ce corps qui se penche.
En elle jaillirait l’écarlate du sang.
Elle est pâle ; sa joue en vague efflorescence,
Seule, se rose un peu : nuance de rougeur
D’une perle que l’aube éclaire à sa naissance,
Ombre vermeille où flotte un sourire songeur.
Ce qui la fait sourire, est ce chant de la vie
Qui s’élève à quinze ans du cœur encor voilé,
Quand d’un rayon nouveau la prunelle ravie
Voit, à son horizon, poindre un rêve étoilé.
Ce qui la fait sourire est la délicatesse
De ses mains, de son cou de cygne, la douceur
De ses traits, le surnom de petite comtesse
Que lui donnent par jeu l’infirmière et la sœur.
Ce qui la fait songer, est de voir, par la vitre
Grillée, un coin d’azur où volent des oiseaux,
Quand, jeune et belle, à vivre ayant le même titre,
Elle est en proie au mal qui lui mine les os.
Ce qui la fait songer, est de se sentir frêle
Étant pauvre, d’avoir des faiblesses sans fin
Comme horizon, alors que le travail, pour elle,
Est chaque jour le seul abri contre la faim.
Et ce qui fait songer celui qui la regarde,
Est plus amer ; il voit le scalpel qui l’attend
Morte ; et, sauve, il la voit, vierge que rien ne garde,
Dans la glu de la vie en vain se débattant.
O vous tous qui cherchez les roses sur la terre,
Vous le rire et l’éclat, la force et le plaisir,
Il se peut que devant sa langueur solitaire
De l’aimer en passant il vous vienne un désir.
Mais si vous êtes fous, ardents, sans être lâches,
Vos pas s’écarteront de l’enfant sans appui
Qui, dans sa lutte avec la plus lourde des tâches,
N’aurait plus rien, la paix de son cœur ayant fui.
Il est des papillons, hochets d’or de la brise,
Dont le toucher détruit l’aile aux tons délicats.
En les voulant cueillir, il est des fleurs qu’on brise.
Cette enfant est de même. Oh ! ne la brisez pas !