Le Parnasse contemporain/1876/Nuit près des bois
La lune luit ; le ciel est bleu ; le grillon chante ;
Nulle âme en ce moment n’a droit d’être méchante.
Tout contour s’amollit sous la douce clarté
Que dans le grand ciel bleu fait cette nuit d’été.
Les chevreuils, les faisans, les cerfs connaissent l’heure
Où dans les bois profonds la fougère est meilleure,
Où la mousse se creuse en moelleux abris
Pour cacher et baigner leurs corps endoloris.
Les hêtres agrandis frissonnent ; la rosée
Trempe tous les halliers de sa goutte irisée.
Les bouvreuils, les pinsons, les ramiers aux vols lourds
Dorment frileusement dans leurs nids de velours.
De légères senteurs flottent ; la centaurée
Offre sa fleur de pourpre à la biche effarée
Qui, fuyant, n’a pas eu d’ombre pendant le jour.
Les faucheurs attardés rentrent, causant d’amour.
Un cabaret là-bas, point rougeâtre, flamboie,
Et très-loin, par moments, un chien peureux aboie.
Pour écrire, il me faut le silence effrayant
De la nuit, ou le bois impénétrable ayant
L’ampleur et la fraîcheur d’un temple sous ses arbres ;
Les pins, serrés et droits, comme des fûts de marbres,
La mousse, les tapis d’herbe fine, les eaux
Dormantes, la verdure épaisse et sans oiseaux.
Quand dans le ciel profond l’étoile verte et rouge
Resplendit, que dans l’air parfumé rien ne bouge,
Quand les hêtres sur moi ferment leurs bras moussus
Et que sous les halliers vaguement aperçus,
La campanule bleue, et les longues orties
Renversent à demi leurs fleurs appesanties ;
Alors seul, inquiet, je m’arrête : une voix
Chuchotante me dit tous les secrets des bois ;
Des vers harmonieux chantent dans les ramures ;
Des taillis frissonnants, des buissons noirs de mûres
Sort un hymne profond, plaintif comme un adieu :
C’est la forêt qui chante et se raconte à Dieu.