Le Parnasse libertin/022

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Chez Cazals & Ferrand, Libraires (p. 20-22).

CONTE.


Àliſon ſe mouroit d’un mal ———————
Au bout du doigt ; mal d’aventure.

Va trouver le Frere Paſcal,
Lui dit ſa ſœur, & plus n’endure :
Ses remedes font excellens,
Il te guérira je t’aſſure,
Il en a pour les maux des dents,
Pour l’écorchure & pour l’endure ;
Il fait l’onguent pour la brûlure.
Va donc, ſans attendre plus tard,
Le mal s’accroît quand on recule ;
Et donne-lui le bon jour de ma part.

Elle va ; frappe à la cellule
Du révérend frere Frappart ;
Bon jour, mon frere, Dieu vous gard,
Dit-elle, ma ſœur vous ſalue,
Et moi qui fuis ici venue,
Laſſe à la fin de trop ſouffrir ;
Mais ma ſœur vient de me promettre
Que vous voudrez bien me guérir.
Un doigt, qui me fera mourir ;
Non je ne ſçai plus où le mettre.
Mettez, dit Paſcal, votre doigt
Les matins en certain endroit
Que vous ſcavez ; hélas ! que ſcais-je !

Dites-Ie moi, frere Paſcal,
Tôt, car mon doigt me fait grand mal.

Ô l’innocente créature,
Avez-vous la tête ſi dure !
Certain endroit que connoiſſez,
Puiſqu’il faut que je vous le diſe,
C’eſt l’endroit par où vous piſſez :
Hé bien, m’entendez-vous, Aliſe ?

Mon frere, excuſez ma bêtiſe,
Répond Alix baiſſant les yeux,
Suffit, j’y ferai de mon mieux,
Grand merci de votre recette ;
J’y cours, car le mal eſt preſſé.
Quand votre mal aura paſſé,
Venez me voir, Aliſonnette,
Dit le frere, & n’y manquez pas.

Soir & matin, à la renverſe
Elle met remede à ſon mal
Enfin l’abcès meurit & perce.
Aliſon ſaine va ſoudain
Rendre grâce à ſon médecin,
Et du remede ſpécifique,
Lui vante l’étonnant ſuccès.
Paſcal d’un ton mélancolique
Lui répart : un pareil abcès
Depuis quatre jours me tourmente,

Vous ſeriez ingrate & méchante,
Si vous me refuſiez le bien
Que vous avez par mon moyen.
Alix j’ai beſoin de votre aide,
Puiſque vous portez le remede
Qui ſans faute peut me guérir.
Hé quoi, me verrez-vous mourir,
Après vous avoir bien guérie !
Non, dit Alix, non ſur ma vie,
Je ferois un trop grand péché.
Tel crime… Allons donc je vous prie,
Guériſſez-vous, frere Paſcal,
Approchez vîte votre mal.

À ces mots, Dom Paſcal la jette,
Sans marchander ſur ſa couchette,
L’étend bravement ſur le dos,
Et l’embraſſe. Ô Dieux qu’il eſt gros !
Dit Alix, quel doigt ! Et de grâce !
Arrêtez… je le ſens qui paſſe.
Ma chere Alix attends un peu,
Je me mœurs… ſouffrez que j’acheve.
Ah ! reprit Alix toute en feu,
Vous voila guéri, l’abcès creve.

Vergier.