Le Parnasse libertin/057

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Chez Cazals & Ferrand, Libraires (p. 48-50).

LES BONNETS.


Aux pieds d’un Confeſſeur un Ribaud pénitent
Développoit ſa confidence.
Pere, lui diſoit-il, je viens bien repentant
Vous faire l’humble confidence
Que la chair fut toujours mon péché dominant.
Tant pis, dit le Pater ; mais enfin, mon enfant,
Le temps, grâce à la Providence,
Met fin à la concupiſcence.
Voyons à quels excès vous êtes-vous porté
Par le déréglement trop long-temps emporté ?

N’êtes-vous pas contrit ? Si je le ſuis, mon pere,
Ah ! je ne puis aſſez gémir de ma miſere !
Allons, tels ſentimens montrent un vrai retour,
Parlez donc : dites-moi vos fautes ſans détour,
Et n’oubliez ſur-tout aucune circonſtance,
la façon de pécher décide de l’offenſe.
Continuez. Hélas ! mon pere, une beauté
Que le hazard m’offrit, & dont je fus tenté,
Me fit perdre en un jour toute mon innocence ;
Je l’aimai, je la vis avec toute licence,
Et l’Amour, dans ſes bras, au fonds d’un Cabinet.
Je vous entends : ſon nom ? on l’appelle Bonnet.
Bonnet ? je la connois : comment donc adultere !
Ah ! mon fils, redoutez la céleſte colere !
Mais voyons que devint ce commerce odieux :
Mon Pere, il fut ſuivi d’un plus délicieux :
Une jeune Bonnet, tendre, vive, gentille…
Oh ! oh ! voici bien pis : quoi ! la mere & la fille !
Cette jeune beauté, ſource de mes plaiſirs,
Devint bien-tôt, pour moi, l’objet de mes deſirs.
Ah ! quel déſordre affreux ! l’inceſte, l’adultere !
Mon Pere, ſuſpendez votre juſte colere :
Je ne viens point ici vous prôner mes vertus.
Et tout ce que j’ai dit n’eſt encor que bibus.
Apprenez que Bonnet, chef de cette famille,
Succéda dans mon lit à ſa femme, à ſa fille,
Et que ſon fils enfin y prit place à ſon tour.

Que j’eus pour ce dernier le plus ardent amour.
Méchant, n’acheve pas, dit le Prêtre en furie,
Je ne veux plus entendre une telle infamie,
Et puiſque tout Bonnet doit être ta catin,
Tiens, bourreau, prends le mien, & remplis ton deſtin.

L’Abbé Grécourt.