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Le Parnasse libertin/074

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Chez Cazals & Ferrand, Libraires (p. 60-61).

CONTE.
LE CHAPELIER.


En Avignon étoit un Chapelier
Des mieux tournés, & plus beau cavalier,
Qu’on ne peint le Dieu de la guerre ;
En le voyant, femme ne tardoit guere
À ſe prendre en ſi beau lien ;
Une Comteſſe en devint amoureuſe,
Elle ſouhaita d’être heureuſe ;
Ce qui lui fit employer ce moyen.
Elle envoya chercher Montagne :
Sous mine de faire un chapeau
À ſon mari, le Comte d’Oripeau,
Qui pour lors étoit en campagne ;
L’Adonis n’étoit pas ſi novice en ce point,
Qu’il ne jugeât fort bien que l’aventure
Simplement n’aboutiroit point
À prendre d’un chapeau la burleſque meſure ;
Auſſi, dès qu’il eut vu parler
Les yeux mourans de la Comteſſe,

II crut qu’au fait il pourroit droit aller
Sans bleſſer ſa délicateſſe ;
Parquoi tirant du boſquet de Paphos
Ce Dieu que dédaignoit Saphos
Il l’offre aux regards de la belle ;
Le compagnon lui plût ſi fort,
Qu’elle voulut en orner ſa chapelle.
La galante n’avoit pas tort ;
Le compagnon étant de taille énorme,
Foula comme il faut le Caſtor,
La Comteſſe fourni la coiffe avec la forme,
Moyennant quoi le mari fut coiffé
D’un Caſtor fort bien étoffé.
Quoi ! c’eſt-là tout le ſtratagême,
Dit un Valet voyant le drôle à l’attelier ?
Ma foi ſans être Chapelier
J’aurois coiffé Monſieur de même.

Grécourt.