Le Parti noir/Annexe 1
ANNEXE I
… L’Association est en apparence locataire des principaux immeubles qu’elle habite à Paris et en province ; en réalité, elle paraît être propriétaire de la plupart de ces immeubles qui ont été acquis sous forme tontinière par quelques-uns de ses membres, auxquels celles de leurs règles que l’on a pu connaître interdisent de rien posséder personnellement sans l’autorisation de leur supérieur.
L’immeuble de la rue François-Ier, à Paris, notamment, paraît être la propriété d’un M. Baudon de Mony, dont une contre-lettre en date du 29 décembre 1860, soigneusement épinglée au dernier bail par lui consenti en 1897, reconnaît que la propriété appartient aux Assomptionnistes. Cet immeuble, à lui seul, représente une valeur de 1 500 000 francs au moins, d’après l’expert commis par M. le juge d’instruction.
La propriété de Livry appartient à Benjamin Bailly, en religion P. Emmanuel Bailly, qui aurait dépensé notamment 170 000 francs pour l’édification de la chapelle, si on en croit les déclarations du P. Hilaire, économe de la maison, qui reconnaît en outre que des sommes importantes, 100 000 francs environ, auraient été adressées à sa maison en 1897 et 1898 par la maison mère pour les dépenses immobilières.
Il en serait de même d’un établissement dans la Charente-Inférieure, sis à Saint Sulpice de Royan, qui serait la propriété de deux pères assomptionnistes, MM. Chardavoine, 8, rue François-Ier, à Paris, et Broché (Auguste), à l’Alhambra, à Bordeaux ; de l’établissement de Toulouse, propriété des Assomptionnistes Maubon (Joseph), 8, rue François-Ier, à Paris, et Chabaud à Toulouse ; de l’établissement de Miribel-lès-Échelles, propriété des Assomptionnistes Doumet (Émile), Chicart (Jules) et Jacquot (Émile) ; de l’établissement d’Arras, acheté par le P. Halluin, décédé en 1895, qui a laissé, pour légataires universels le P. Ranc, Assomptionniste, Farras et Maubon, prêtres assomptionnistes ; de l’établissement de Clermardis, près Saint Omer, qui appartiendrait à une tontine comprenant les sieurs Vincent de Paul Bailly, François Picard et Germer Durand, Assomptionnistes, rue François-Ier, Bernard Bailly, propriétaire, Louis Cavray, à Arras, et Jean-Baptiste Morel, prêtres. Les autres propriétés semblent appartenir à l’Association sous le couvert de personnes interposées.
Au cours des perquisitions opérées à Paris, le 11 novembre dernier, M. le commissaire de police Péchard a découvert dans la cellule du P. Hippolyte Saugrain, économe général de la Congrégation, une somme d’environ 1 500 000 francs, composée d’or et de billets de banque, ainsi qu’un nombre considérable de titres et de valeurs qu’il avait évalués à 3 ou 400 000 fr. et qui, d’après le P. Hippolyte, ne s’élevait qu’à 130 000 francs. Ce dernier prétend, malgré les affirmations précises et détaillées données par le commissaire de police, dans sa déposition faite sous la foi du serment, qu’il n’y avait pas plus de 79 000 francs en espèces. — Ce chiffre paraît d’autant plus inacceptable que, d’après un document trouvé dans les perquisitions pratiquées à Nîmes, les dépenses effectuées de 1886 et 1892 se sont élevées à plus de 8 000 000 de francs, qui se décomposent ainsi :
Une mission | 974 903 fr. |
Les maisons de France | 1 394 773 |
Pèlerinage de Jérusalem | 3 300 000 |
Notre-Dame-de-Salut | 212 798 |
Vœu national | 94 000 |
Pèlerinage de Lourdes | 2 500 000 |
Au total | 8 670 474 fr. |
En outre, « les œuvres de presse dépensent à elles seules plus que toutes les autres maisons, mais gagnent tout ce qu’elles dépensent, et leurs dettes qui sont énormes sont bien inférieures à la valeur des immeubles qu’elles ont dû acquérir », d’après ce document.
On peut en conclure que de ce dernier chef l’économe général a encore un roulement de fonds des plus importants et l’on n’est dès lors point étonné, en présence de l’importance des sommes dépensées, de l’importance des sommes découvertes dans le coffre-fort de cet économe général. Il ne faut pas oublier, en effet, que de 1892 à 1898 les dépenses n’ont pu qu’augmenter en proportion de l’importance croissante que n’a cessé de prendre l’Association.
Pour faire face à ces dépenses énormes, aux termes de la même pièce (Rapport présenté par le T.R.P. Picard, supérieur général des Augustins de l’Assomption), à l’ouverture du chapitre général tenu à Livry du 29 août au 8 septembre 1892, les Assomptionnistes « n’ont rien, absolument rien pour répondre à de pareils besoins ; pas de rentes, pas de fondations, pas de dots. Comme les oiseaux du ciel, nos enfants attendent tous les jours la becquée, et leur père, toujours magnifique, leur envoie chaque jour le pain indispensable ».
On peut supposer que l’Œuvre de Saint-Antoine-de-Padoue, celle du Pain de Saint-Antoine et beaucoup d’autres de même nature ne sont point étrangères à cette remarquable prospérité.
Les ressources de l’Association s’augmentent de dons en nature, ainsi qu’il résulte d’un certain nombre de documents saisis ; c’est ainsi que notamment on voit, dans une pièce saisie à Bordeaux, une lettre du P. Ignace adressée à un tiers, « M. le vicomte de Roussy », que ce membre de la Congrégation sollicite de son correspondant l’envoi d’une pièce de vin dans les termes suivants :
« Et puis en son nom (le P. Picard), je me serais encore permis de vous demander la charité d’une demi-barrique de vin très ordinaire — juste de quoi prendre les forces nécessaires pour donner quelques bons coups de poing aux infâmes gendarmes qui viendront sans doute bientôt pour nous chasser. Quoi qu’en puisse écrire la sale Gironde, nous sommes très pauvres ! la preuve, la voici. Vive la pauvreté ! vive la joie ! vive l’Assomption et ses généreux amis ! »
Cette lettre, datée du 10 novembre 1899, a été saisie le 11, avant d’avoir été expédiée.