Le Pauvre Petit Causeur/Deux mots

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Traduction par Marcel Mars.
Imprimerie et lithographie Veuve Migné (p. 1-3).

DEUX MOTS

Ce n’est pas un journal que nous voulons rédiger : 1o parce que nous ne nous croyons ni l’aptitude ni la science nécessaires pour une si vaste entreprise ; 2o parce qu’il ne nous plaît pas d’adopter de sujétions, et moins encore de nous en imposer à nous-mêmes. Émettre nos idées telles qu’elles nous arrivent, ou celles d’un autre telles que nous les rencontrons, pour divertir le public dans des feuilles volantes de peu de volume et de moins de prix encore, tel est notre objet ; car quant à ce qui est de l’instruire, comme ont coutume de le dire arrogamment ceux qui écrivent de profession ou d’aventure pour le public, nous n’avons ni la présomption de croire en savoir plus que lui, ni la certitude qu’il lise dans ce but, quand il lit. Notre intention n’étant que de le divertir, nous ne serons pas scrupuleux quant au choix des moyens, pourvu que ceux-ci ne puissent occasionner ni notre préjudice, ni celui d’un tiers, pourvu qu’ils soient permis, honnêtes et honorables.

Personne ne sera offensé, du moins sciemment de notre part ; nous ne tracerons le portrait de personne ; si quelques caricatures, par hasard, ressemblent à quelqu’un, au lieu de corriger notre esquisse, nous conseillons à l’original de se corriger ; c’est son affaire, en effet, de cesser d’y ressembler. Nous adoptons, par conséquent, volontiers toute la responsabilité que nous savons attachée à l’épithète de satirique, mise par nous dans notre en-tête ; seulement nous protestons que notre satire ne sera jamais personnelle, en même temps que nous considérons la satire des vices, des ridicules et des choses, comme utile, nécessaire, et par-dessus tout fort divertissante.

Notre objet étant de divertir par tous les moyens, quand, à notre pauvre imagination, il ne viendra rien qui nous paraisse suffisant ou satisfaisant, nous déclarons franchement que nous déroberons ou nous pourrons nos matériaux, que nous publierons ces larcins intacts ou mutilés, traduits, revus ou refondus, en en citant la source ou en nous les appropriant effrontément ; car, en qualité de pauvres causeurs, nous dirons ce qui vient de nous et ce qui vient d’autrui, certains de ceci que ce qui importe au public dans ce qu’on lui donne imprimé, n’est pas le nom de l’écrivain, mais bien la valeur de l’écrit, et qu’il vaut mieux amuser avec les choses étrangères que d’ennuyer avec les siennes. Nous accourrons aux œuvres des autres, comme les va-nu-pieds au bal du Carnaval passé ; nous apporterons nos misérables ressources, nous les échangerons pour les meilleures de nos voisins, et nous propagerons celles-ci avec des accessoires différents, comme beaucoup le font sans le dire ; de sorte que certains articles seront le manteau d’autrui, avec des collets neufs. Celui d’aujourd’hui sera de cette farine. D’ailleurs, qui pourra nous nier que de semblables articles ne nous appartiennent pas après que nous les avons volés ? Ils seront indubitablement à nous par droit de conquête. On peut donc les considérer, sans arrière-pensée, comme entièrement nôtres.

Par suite du même système, nous ne pouvons pas fixer quelles matières nous traiterons ; nous savons peu de chose, nous ne savons pas surtout les idées qui nous arriveront, ou celles que nous pourrons rencontrer. Nous rire des ridicules, telle est notre devise : être lus, tel est notre dessein, dire la vérité, tel est notre expédient.

Lorsque nous parlons de nous au pluriel, il est bon d’avertir que nous ne sommes qu’un, c’est-à-dire que nous sommes ce que nous paraissons ; mais nous prétendons aussi n’être ni plus ni moins que co-écrivains de l’époque.