Le Pauvre Petit Causeur/Lettre d’André Niporesas au Bachelier

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Traduction par Marcel Mars.
Imprimerie et lithographie Veuve Migné (p. 118-129).

LETTRE D’ANDRÉ NIPORESAS
AU BACHELIER

Mon cher Bachelier, j’ai reçu toutes tes lettres, sans avoir répondu à aucune, grâce à cette paresse du pays qui nous tient tous un peu moins qu’endormis ; mais tu me demandes diverses choses, il peut t’être agréable de les savoir, je vais donc te répondre question par question, et comme je le pourrai ; car, ainsi que tu dois le savoir, pour ce qui est de coordonner mes idées je ne suis pas fort, et pour ce qui est de les exprimer, je suis faible. À la place de ce qui me manque, de bonnes qualités logiques et oratoires, tu trouveras en moi une bonne foi à l’épreuve du xixe siècle, une innocence plus qu’ordinaire, une saine intention, et le meilleur de tout, un respect dont tu seras étonné pour toutes choses, un égard pour les personnes que tu devras nécessairement considérer comme très-salutaire.

Faisons un alinéa à part pour te vanter ma méfiance, elle le vaut ; elle est telle que dès ma plus tendre enfance on me donna le sobriquet de Niporesas[1] ; sobriquet qui devint un nom, de même qu’il y a des noms qui deviennent des sobriquets. Tout le mal de ma méfiance est de vivre plus du passé que du présent : je fus sot, ce qui n’est pas peu de bonheur, car beaucoup le sont encore, et un très-grand nombre le sera jusqu’à sa mort ; je fus sot, c’est-à-dire je me suis abusé maintes fois, d’où il suit qu’aujourd’hui me voilà réduit exclusivement à croire en Dieu, car, quant à croire aux hommes, je ne le fais pas sans une extrême circonspection. Laissons cela, la matière est glissante, et je ne voudrais pas être inquiété pour mes écritures.

Tout ce que tu me dis des Batuèques me plaît beaucoup ; leurs avantages sur les autres pays, sont en effet nombreux, comme tu dis fort bien dans tes missives, je ne sais vraiment plus lesquelles ; c’est mon pays enfin, et avec ou sans motif, j’en suis fier. J’en conviens, surtout avec toi dans ta sixième lettre : une seule chose manque aux Batuèques, la parole ; c’est précisément ce qu’a coutume de dire un mien ami de ta connaissance, garçon ne manquant pas de moyens, bête et laid, du reste fort plaisant, et bègue moins que personne au monde.

Avec tout cela, me semble-t-il, ce pays promet ; il n’y a pas longtemps j’aurais considéré, si je n’avais pas été comme je te l’ai dit incapable de toute croyance, les Batuèques, comme devant, dans une couple de siècles, disparaître de la surface du globe ; cela supposé, à quoi bonne aurait été ta faconde ? Tu aurais pu la jeter par la fenêtre ; dans ce cas, en effet, cela eût pu se faire du moins, tes louanges démesurées fussent devenues inopportunes ; mais peut-être aussi serions-nous revenus promptement les mériter ; c’est, n’est-il pas vrai ? dans la possibilité des vicissitudes humaines, et l’on peut tout attendre de notre bon naturel, je te conseille donc de ne pas rayer encore les Batuèques de ta carte.

Je te félicite de ce que les universités se soient ouvertes pour toi, je veux dire de ce que tu aies cessé d’être auteur pour retourner à tes études. Là tu vas franchir la distance qui sépare le moins du plus, le baccalauréat de la licence ou du doctorat ; car, je le suppose, tu vas monter immédiatement en cessant d’écrire des feuilletons ne valant pas ce qu’ils pèsent, et pouvant te peser plus qu’ils ne te valent.

Tu me demandes l’état de ma famille, je vais t’informer comme je pourrai du sort de chacun[2].

Le petit Antoine est bien portant ; on lui a fait la faveur de le nommer capitaine, avec la solde et le reste, à cause des mérites de son père, qui, depuis au moins quatre ans, gagne au service de Sa Majesté quarante mille réaux. Je voudrais que tu le visses, il est si gentil avec ses deux petites épaulettes et son épée, semblable à un jouet. Que veux-tu ? À cet âge ! huit ans ! Il remplit la maison de bonshommes de papier, dit que ce sont les ennemis, leur coupe la tête, et c’est une joie toute la journée avec lui. Déjà on ne peut le servir assez promptement, il bat les valets ; tout cela nous plaît infiniment à nous tous, et jamais il n’oublie de dire qu’il a je ne sais combien de mille réaux de solde. Sa mère le mange de baisers. Il est bon d’en avertir, monsieur le capitaine est déjà d’une certaine force et très-avancé dans la grammaire, d’où nous concluons tous qu’il sera quelque jour un grand militaire.

Michel est aussi en bonne santé, on ne l’a fait rien moins que lieutenant ; à la vérité il avait quarante-deux années de service, s’était trouvé dans toutes les rencontres d’importance de ces temps derniers, avait été fait deux fois prisonnier, comptait dix-sept blessures et un œil de moins : mais qu’est-ce cela auprès d’une lieutenance ! Voilà comme on l’a récompensé ; et il en saute de joie. Il prétend aller au régiment du capitaine Antoine, pour le seul plaisir d’être réuni à lui ; cela se conçoit, ils sont parents, et il le désire tant que, quoique lieutenant, a-t-il coutume de dire, il lui enseignerait volontiers à être capitaine. On ne peut refuser à Michel une âme excellente. Comme l’autre est un enfant, sans aucun doute il pourra tirer profit de quelques petites leçons de son oncle.

On a fait du petit Juan un interprète, aussi a-t-il pris un maître de français, et se propose-t-il d’en prendre un d’anglais ; cela, en soi, quoiqu’il soit déjà en possession de sa place, est fort raisonnable ; il ne faut pas dédaigner d’apprendre des langues, il ne sied pas, dit-il, à un interprète de n’en savoir aucune ; en cela il a quelque raison et fait preuve d’une grande aptitude. Il doit cela à sa fortune ; car, six adolescents de beaucoup de savoir, murmure-t-on, ambitionnaient la place, mais ils n’avaient, ajoute-t-on, ni sou ni maille. Qu’ils cherchent fortune ailleurs, ami, tout le monde ne peut pas être interprète.

Georges Frasco, que tu connais, a eu plus de malheur. Il sollicita une place de surveillant je ne sais où. L’ancien titulaire était fort malade ; les médecins mêmes avaient désespéré de lui, il n’était pas encore mort, mais il allait mourir d’un moment à l’autre. Cela se passait à quatre heures. Notre homme le sut, et présenta un mémoire vers quatre heures et un quart. Mais il arrivait trop tard, lui dit-on, la place était déjà donnée. Quelle promptitude du diable ! En vain il allégua ses grandes connaissances dans la partie et son exactitude bien connue. On donna la surveillance à un bon monsieur, aveugle comme signe particulier, ou à peu près ; on avait eu pitié de lui, disait-on, parce qu’il se trouvait ruiné des suites d’une erreur de compte. Certes, c’était une charité. Le pauvre homme !

Georges revint, tête basse comme un coupable ; mais il était furieux, il voulait redevenir tel qu’il avait été dix ans auparavant, c’est-à-dire quand tout petit… Conçois-tu qu’il se souvienne aujourd’hui de… De fait il est tout changé.

Julianita a fait un bon mariage, elle a épousé un jeune homme fort bien et fort riche. Disons-le en passant : elle avait eu l’habileté de lui cacher une liaison antécédente ayant duré quatre ans, et dont elle avait un fils tenu secrètement au collège. Le jeune époux a un caractère excellent, il se fait aimer de toute la famille, il est fou de sa femme. Ces jours passés il disait en parlant de la vertu de sa moitié qu’il en mettrait sa main au feu, vois s’il est avisé. À ce propos, il ajoutait que de sa vie il ne se serait marié avec une veuve, car il avait toujours cherché une femme neuve pour l’apprendre à sentir, et il se félicitait d’avoir atteint son but.

Tu me demandes si, moi aussi, j’ai visé à quelque chose. Je vais te répondre. Je ne vise à nul emploi, car je sais qu’on doit m’en donner un, quoique Batuèque. Beaucoup me l’ont offert, mais jamais encore on ne me l’a livré. Oui, on me dit de ne pas tant presser, d’y compter, d’attendre un peu. Maintenant ce n’est pas le moment opportun, jamais non plus ça ne l’a été ; quelquefois j’arrive trop tard, d’autres fois trop tôt ! Vois si je suis maladroit, ne semble-t-il pas que je prenne modèle sur Barrabas lui-même ? Cependant j’ai beaucoup de protecteurs, et comme je puis être bon à quelque chose, on me l’assure si souvent, il peut bien se faire qu’un jour on me donne une place. Je te dirai plus : parfois quand j’entends quelqu’un, il m’arrive de le croire, il faut bien faire mon salut avec l’aide de Dieu, notre maître à tous, et de la bonne et chrétienne vie que je pense avoir menée. Tu le vois, de ce côté j’enfreins presque mon système d’incrédulité.

D’ailleurs, quoique ne visant à rien, je ne laisse pas de le reconnaître : il n’y a rien tel qu’une place et une solde courant toujours ni plus ni moins qu’un ruisseau. L’un, se disant malade ou non, laisse là son bureau, et court la paie, l’autre y lit gratis et devant le feu la Gazette et le Courrier, un cigare fait passer l’autre, et l’heure de sortir arrive peu après celle d’entrer. S’il y a dans la maison un enfant de huit ans, on lie commerce avec lui, quoiqu’il ne sache ni ne veuille savoir encore la doctrine chrétienne, et c’est œuvre méritoire. Tel autre sert-il à rien le cas venu ; a-t-il un seul ennemi ? le rançonne-t-on d’un sou ? La bonne petite solde est là, toujours, si ce n’est pour le travail qu’on fait à présent, au moins pour celui qu’on n’a pas fait auparavant. Quoique ces raisons, capables d’ébranler le monde, ne me fassent pas goûter par trop les caprices du hasard, je suis du pays, et rien qu’à cause de cela j’aime cette façon de comprendre les choses, aussi naturellement que le poisson aime l’eau. Le travail, pour telle ou telle carrière, n’est pas dans notre nature, ne va pas à notre entendement ; il n’y a pas besoin d’un semblable aide pour tout savoir.

Il y a d’autres petits avantages des emplois, qu’on pourrait citer : dans quelques-uns, par exemple, il vous passe par les mains des sommes parfois assez rondes. On rend les comptes, ou on ne les rend pas, ou on les rend à sa manière ; non que cela me paraisse mal, non certes ; ce que Dieu a donné que saint Pierre le bénisse. Mais l’employé un tel, disent quelques-uns, ne prend pas garde à ce qu’à chacune de ses mains par où passent lesdits ruisseaux il reste toujours quelque bribe. Peut-il en être autrement, je vous le demande ? Il y a des choses gluantes par elles-mêmes, approche-toi d’une outre de miel, tu t’en empliras nécessairement, ce ne sera en aucune façon ta faute, mais bien celle du miel qui te salit malgré toi.

Un ami de mon père avait un de ces emplois, il recevait dix mille réaux de solde et s’en faisait quarante mille de ses mains engluées, mais tout cela tombait chez un excellent monsieur sachant l’employer. L’an passé, il eût pu jurer ses grands dieux en être venu à donner au bout de douze mois quelques cents réaux de différents côtés, une piastre par ci, un douro par là, soit à de jeunes personnes peu à leur aise, soit à d’autres pauvres gens de cette espèce ; car il était, certes, fort charitable, et aimait faire l’aumône. Oui[3] de cette manière qu’importe qu’il lui reste quelque chose aux mains ? Ce qu’on ôte aux hommes, on le donne à Dieu, si c’est ôter quelque chose aux hommes que s’approprier de petits et innocents profits venant d’eux-mêmes, comme en roulant. S’il s’agissait de quelqu’un allant sur la grande route attaquer les voyageurs, bien ; mais empocher dans le bureau même, avec toute la commodité possible, et sans le moindre risque… je suppose, par exemple, que tu sois en affaire, que de ton affaire résulte un bénéfice ; ce bénéfice, que tu l’abandonnes à un ami, pour le seul plaisir de lui être agréable ; cela me paraît fort raisonnable, tout le monde en ferait autant. Cet ami, redevable de sa fortune à une bonne intention de ta part, ne fera rien de très-extraordinaire, s’il est reconnaissant, en te laissant délicatement dans la main quelques onces… Mais non, use de scrupules, ne les prends pas ; un autre les prendra, et le pis de tout l’ami se fâchera et aura raison. Du moment qu’il est maître de son argent, lui, pourquoi le verrait-on d’un mauvais œil, le donner à qui bon lui semble, ou le jeter par la fenêtre ? En outre la reconnaissance est une grande vertu et ce serait une grandissime grossièreté de blâmer un brave homme qui… Allons… le monde serait bien si les vertus disparaissaient, s’il n’y avait ni employés serviables, ni cœurs bien nés.

C’est comme quand vient te demander une faveur une senora, jolie d’accenture, ou accompagnée d’une enfant, sa fille. Comment te refuser à écouter une senora avec sa fille ? Il faudrait avoir des entrailles de tigre. Je t’assure que ce serait pour moi un des cas où ma galanterie ne resterait aucunement en arrière. Jésus ! Une senora !

Ajoute ceci : savoir dans un cabinet se donner du ton, faire attendre les hommes et les femmes quand elles sont laides dans la salle d’audience, dire au portier que le patron est fort occupé, ne faire attention à personne en entrant ou en sortant, renforcer sa voix, hausser son col, être ahuri, c’est là un métier tout appris. Je ne veux pas dire que là doivent se borner leurs fonctions, aux buralistes, mais je serais curieux d’en voir quelques-uns.

Certes, il y a chez nous des hommes qui ne font autre chose, et c’est le plus grand nombre. « Que peut-on être sinon employé ? me disait, ces jours passés, un ultra-batuèque. Voudriez-vous que, dans nos pays, des gens accoutumés à leurs heures, à leur bureau, à leur Gazette, à leur cigare aillent se fourrer dans la tête une demi-douzaine de sciences et d’arts utiles, comme on les appelle ; changer totalement enfin leur genre de vie passée, perdre la douce perspective du salaire et des profits adhérents aux mains ? Ce serait folie, Dieu le sait, car moi et nombre d’autres de ma connaissance, nous avons des têtes faites peut-être pour les sciences et les arts, mais bien plus certainement pour les perruques, je le dis avec fierté. Assurément mon père et même mon aïeul n’eurent jamais la moindre idée de ce qu’était un livre ; tout au plus s’ils savaient signer, mais l’un mourut à 85 ans, l’autre à 90, aucun des deux ne connut la plus mince maladie ; et n’allez pas croire que ce fussent de pauvres hères, au contraire, employés toute leur vie, on peut dire d’eux qu’ils mirent leurs dents à leur bureau et qu’ils les y laissèrent, et lorsqu’ils moururent l’un avait une croix et l’autre deux. »

Il avait raison le Batuèque. Tu peux donc le voir, si je ne prétends à rien, ce n’est pas faute de savoir ce qu’entraîne avec elle une place. Je ne trouve pas cette manière de vivre plus mauvaise qu’une autre, mais il y en a peu de places, sans cela j’aurais la mienne ; voici notre malheur : ainsi qu’il en a été sous tous les régimes, tout est aujourd’hui question de nombre, toute l’affaire est dans les hauts et les bas ; il s’agit de savoir simplement lesquels seront maîtres des places. Il y a dix emplois, voilà le mal et vingt prétendants. Je considère que tout serait réglé s’il y avait vingt emplois et dix prétendants ; je ne sais même comment on ne s’est pas arrangé pour cela, car c’est une vérité qui saute aux yeux.

Étonne-toi pourtant : comme il y a des hommes de toute sorte, un Batuèque, de ceux qui par moments ne le paraissent pas, me disait hier à ce sujet : « Les Batuèques bien intentionnés pour leur patrie doivent commencer par mettre de côté la manie des emplois, et brûler tous les mémoires faits et à faire ; si le gouvernement a besoin d’hommes, il en cherchera, on sait où ils sont, on les connaît assez, celui qu’on ne cherche pas ne doit pas se faire chercher, mais réfléchir et travailler. S’il y a un pays où un homme puisse se créer un bien-être dans une branche quelconque d’arts ou de sciences, c’est celui-ci où il y a d’arts et de sciences une telle rareté. Mais si l’on vient appeler bon gouvernement celui qui donne à chaque bourgeois vingt-quatre mille réaux de rente pour son adhésion manifeste, il n’y en aura jamais pour les Batuèques, car tous, petits et grands, nous sommes enclins et fort enclins à toucher la paie soit le dernier jour du mois, soit le premier du suivant. Ajoutez à cela que persister dans la voie présente, c’est découvrir Pierre pour couvrir Paul, et, saint pour saint, je préfère, je le déclare hautement, voir rester vêtu celui qui est vêtu. Oui, monsieur André, nous aurons ici un commencement d’espérance, quand tous reconnaîtront la nécessité de ne pas tirer plus de sang de ce corps déjà épuisé, quand tous mes compatriotes auront de sages idées, un plan uniforme, une marche prudente, moins d’égoïsme, moins de peur, moins de partis et de couleurs, moins de paresse et de fainéantise ; quand le ciel nous enverra la lumière pour voir, l’application pour travailler ; quand nous aurons enfin le vrai désir d’être heureux, car celui qui vraiment le désire est fort près de l’être, et le ciel sera probablement assez bon pour vouloir tout ce que nous souhaiterons de bon cœur. »

Vois, mon Bachelier, où s’égara le Batuèque. On le voit, il y a des fous. La lumière pour voir ! Nous sommes mieux dans les ténèbres ; de cette manière Dieu sait ce que chacun peut heurter à tâtons ; il arrive ainsi qu’en cherchant une chose, on en trouve sous sa main une autre à laquelle on ne s’attendait pas. Le plus qui puisse arriver est de faire, en jouant à chercher le bien, comme le joueur à la marmite : il la laisse d’ordinaire derrière son dos, et envoie ses coups de bâton dans l’assistance. Cela se voit.

Moi, qui tiens pour sottises toutes les fariboles qu’on voudrait nous conter, qui m’appelle Niporesas, qui connaît ma patrie et mes Batuèques comme ma maison et mes enfants, je me trouve bien où je suis ; si la semence ne doit pas tomber en bonne terre, ne semons pas.

Sur ce, je termine ma lettre, une lettre ne doit pas être longue comme un mémoire, ni courte comme une addition.

J’ai répondu complètement à la tienne. Je t’ai donné des nouvelles de ma famille, de ma personne, même de mes opinions. Maintenant prie Dieu que ceux qui me protègent me donnent promptement un de ces petits emplois à se salir les mains, pour me courber à terre avec ma défiance, sinon je serai mécontent, et c’est une mauvaise chose. Si au contraire on me le donne, je le servirai comme tout Batuèque, ou il me servira, pour mieux dire ; alors, certes, je dirai que nous vivons en pleine prospérité, comme on veut me le faire croire par des preuves qui ne sont pas des preuves.

Ton ami André Niporesas.
  1. Ni por esas, (sous-entendu : cosas ou pruebas). Ni par ces choses, ou preuves ; c’est-à-dire apparemment : si bonnes que soient les allégations fournies, ne se laissant persuader pas même par elles.
  2. Notre intention n’est en aucune façon d’incriminer dans les tableaux que nous allons tracer la justice de notre gouvernement ; il n’y a nation si bien gouvernée où n’aient accès plus ou moins d’abus, où l’administration la plus énergique ne puisse être surprise par les artifices et les menées des subalternes. Toute autre est notre idée. Au moment même où nous voyons à la tête de notre gouvernement une reine nous mener rapidement, d’accord avec son auguste époux, de progrès en progrès, nous, désireux de coopérer de tous nos moyens, en bons et fidèles sujets, à ses bienveillantes intentions, prenons la liberté de signaler dans nos bavardages des abus qui, malheureusement et par l’essence même des choses, ont été toujours et partout trop fréquents, persuadés que si l’autorité protège ouvertement la vertu et l’ordre, on ne peut lui déplaire en élevant la voix contre le vice et le désordre, ni, à plus forte raison, en faisant sous le couvert d’un ton plaisant et moqueur des critiques générales, sans application d’aucune sorte, et dans une feuille tendant plutôt à éveiller par sa lecture quelque léger sourire qu’à gouverner le monde.

    Nous protestons contre toute allusion, toute application personnelle, comme dans nos numéros précédents. Nous avons fait des peintures de mœurs, non des portraits. Plus loin nous parlons d’emplois et d’employés, des mauvais s’entend ; les bons, que nous respectons, ne se tiendront pas pour offensés ; quant aux autres, ils n’ont droit aux égards de personne. (Note de l’auteur).

  3. L’auteur au lieu d’employer ici le espagnol qui correspond au oui français emploie le mot français lui-même, en l’écrivant selon la prononciation espagnole : ui.