Le Peintre Haydon

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le Peintre Haydon
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 11 (p. 842-868).
LE


PEINTRE HAYDON





Life of B. R. Haydon, 3 vol. in-8o, London 1854.





Une étrange et triste carrière, débutant à dix-huit ans par l’enthousiasme et finissant à soixante par le suicide, a été récemment dévoilée au public anglais dans la Vie de Haydon, peintre d’histoire. Bien qu’à peine connu en France, cet artiste avait, pendant plus de quarante années, tenu l’attention de son pays fixée sur lui, non-seulement par ses nombreux tableaux, mais encore par le rôle qu’il joua dans diverses questions plus ou moins relatives à sa profession, et plus particulièrement par des articles insérés dans les journaux du temps et par des cours publics sur l’art. Les trois volumes qui nous déroulent cette existence si affairée ont été compilés en grande partie d’après les propres manuscrits du peintre, qui eux-mêmes ne représentent pas une faible somme de travail, car, outre plusieurs recueils de notes rédigés sous forme de journal, ils embrassent une autobiographie qui à elle seule emplit vingt-sept in-folio. Une infatigable activité, unie à l’exaltation d’un martyr, lui donna la force d’accomplir cet immense labeur, et plus d’une fois, dans son impétuosité, Haydon parut sur le point d’atteindre au but de ses plus hautes ambitions; mais en définitive il n’arriva pas. Malgré cette puissante énergie et malgré d’autres qualités qui n’étaient pas vulgaires, l’histoire de sa vie n’est que l’histoire d’une défaite, d’une lutte obstinée et douloureuse, qu’il ne sera pas sans intérêt, ce nous semble, de suivre dans quelques-unes de ses péripéties en cherchant à nous rendre compte de ses avortemens. Raconter les débuts de Haydon, caractériser l’homme et le peintre d’après ses relations et ses travaux, puis le suivre dans la dernière période de sa vie, et l’apprécier d’après ses écrits aussi bien que d’après les tentatives de son pinceau, tel sera l’objet des deux parties de notre étude.


I.

La pensée constante de Haydon, le grand mobile qui détermina tous ses efforts, ce fut l’ambition de devenir un peintre d’histoire. Sa décision était prise dès le bas âge, avant même qu’il eût quitté le port de mer du Devonshire où il était né, c’est-à-dire avant qu’il pût se faire une idée du genre de peinture qu’il choisissait pour son domaine. Et il ne semble pas que, durant ses premières années, il eût manifesté aucune aptitude particulière ; il avait seulement montré, ce qui est si commun chez les enfans, un certain penchant à crayonner sur du papier, ou sur n’importe quoi, d’informes essais d’imitation. Son père, qui tenait une bonne maison de librairie, avait assez naturellement considéré ces croquis comme des fantaisies d’écolier, et n’ayant que ce fils, il le destinait à continuer ses lucratives affaires. Pour le jeune Haydon, c’eût été là sans doute le chemin facile de l’aisance ; mais il se refusa à y entrer, et après un conflit de volontés qui dura de sa treizième à sa dix-huitième année, ce fut lui qui l’emporta sur ses parens. En dépit des larmes de sa mère et de la colère de son père, il partit, comme il le dit lui-même, « pour Londres, sir Joshué Reynolds, le dessin, l’anatomie et le grand art. »

Ce qu’il sentit et ce qu’il fit à son arrivée dans la grande ville, ses propres paroles nous l’apprendront. « Je fus bientôt installé, et après

m’être lavé, habillé et restauré par un déjeuner, je me mis en route 

pour l’exposition. » — C’était l’exposition annuelle de l’Académie royale, qui se trouvait alors ouverte, et où il put passer en revue les principaux artistes du jour. — « Après quoi je battis en retraite en me disant : Je ne vous crains pas ! Puis je m’informai d’un mouleur, j’achetai une tête du Laocoon, des bras, des pieds et des mains ; je déballai mes albums, et le lendemain, avant neuf heures, j’étais en pleine besogne, dessinant d’après la bosse, et tout bouillonnant d’ardeur pour le grand art, et de défis lancés à toute opposition. »

De la part d’un novice de cet âge, et qui plus est d’un provincial à peine débarqué, cela est caractéristique et suffisamment empreint d’assurance. On pourrait être tenté de ne voir là que le langage de l’ignorance et de l’inexpérience ; mais il n’est guère possible de s’arrêter à cette interprétation. Nous aurons lieu de nous apercevoir que tel fut d’un bout à l’autre de la vie de Haydon l’état normal de son esprit. « Pendant trois mois, reprend-il, je ne vis que mes livres, mes plâtres et mes dessins. Mon enthousiasme était immense, mon zèle pour l’étude celui d’un martyr. J’avais résolu d’être un grand peintre, de faire honneur à mon pays, de laver l’art du stigmate d’ineptie qui s’y attachait. Si chimériques que ces aspirations puissent paraître chez un jeune homme de dix-huit ans, je. ne doutai pas un instant de mon aptitude à les réaliser. J’avais arrêté ce que j’avais à faire, je n’avais besoin d’aucun guide. »

Une pareille passion pour le grand art, se révélant tout à coup sous l’influence de quelques lectures restreintes, dans une ville reculée de la province, n’est évidemment qu’un égarement de l’enthousiasme. La vocation véritable s’annonce d’une façon plus humble : la tendance à observer les formes et les couleurs, le désir de les reproduire, en sont les premiers et les plus sûrs symptômes. De Giotto à Raphaël, c’est là l’histoire universelle des commencemens du génie. L’ambition peut se déclarer par la suite, et elle vient apporter au goût spontané un surcroît d’audace ou de persévérance; mais comme impulsion première, elle n’est qu’une énergie factice que ne saurait remplacer l’instinct naturel. Bien qu’elle puisse, l’intelligence aidant, enfanter de ces talens qui réussissent auprès des masses, on peut prédire presque à coup sûr que, partout où elle prédomine de si bonne heure, on ne verra jamais naître aucune œuvre d’une valeur plastique vraiment remarquable.

Un autre trait non moins saillant de cette singulière organisation se dessine à nos yeux dès les débuts du jeune artiste. Nous voulons parler de la disposition marquée de Haydon à mêler la prière à ses études et à ses travaux. « Le dimanche après mon arrivée, écrit-il dans ses mémoires, j’allai à l’Église-Neuve invoquer humblement la protection du grand Esprit. Je le priai de guider, de soutenir et de bénir mes efforts, d’ouvrir mon âme et d’éclairer mon intelligence. J’implorai de lui la santé du corps et de l’esprit, et en me relevant je sentis une certitude d’assurance spirituelle qui ne saurait être exprimée. J’étais calme, froid, illuminé, comme si du cristal eût coulé dans mes veines. Je revins chez moi, et j’achevai la journée dans un silencieux isolement. » Sans doute la ferveur de Haydon était celle d’un adolescent qui n’avait pas encore mis huit jours entre lui et les paisibles vertus d’un intérieur de province, et en pareil cas la piété n’est pas toujours l’effet d’une disposition naturelle du caractère : elle ne prouve souvent que la force des premières habitudes; mais ici encore la vie entière du peintre ne nous permet pas d’expliquer sa conduite par la seule influence de la jeunesse. L’âge eut beau venir, les habitudes reçues eurent beau avoir le temps de s’user en lui durant une longue carrière : ses pieuses supplications ne s’interrompirent point, et jusqu’à son dernier moment elles ont laissé trop de traces dans ses mémoires pour qu’il ne faille pas en chercher la source dans un instinct vivace de son être. Cet instinct, on pourra le traiter de superstition; on pourra le ranger au nombre des faiblesses qui dérogent au rôle majestueux que les hommes croient jouer dans la création, et à vrai dire le présomptueux Haydon, importunant le ciel de ses prières, présente une image assez ridicule de la piété. Cependant n’est-il pas possible que l’esprit le plus indépendant et le plus résolu à compter sur ses propres forces conserve encore un vague sentiment de la faiblesse humaine, que, même au moment où il rejette tout appui de ses semblables, il entende encore en lui une voix qui doute et qui le pousse, tout effrayé, à demander secours à une intervention surnaturelle et divine? Que ce soit là une énergie ou une infirmité, toujours est-il que c’est là une tendance essentiellement humaine. Elle s’est certainement révélée chez les natures les plus hautement douées, et pour peu que l’on creuse, on la retrouve jusque chez les hommes dont l’audace et l’assurance semblent avoir foulé aux pieds toute autre hésitation.

Après quelques mois d’étude assidue et de vie solitaire, nous voyons le jeune Haydon entrer en rapports avec le monde des artistes de la capitale. Une lettre de recommandation, qu’il tenait d’un oncle, lui ouvrit la maison d’un M. Prince Hoare, qui d’abord s’était occupé d’art, et qui depuis avait quitté la palette pour la littérature. Par son entremise, il arriva bientôt à connaître assez familièrement plusieurs des peintres les plus célèbres, et il s’entretint avec eux de la direction de ses études; mais, autant qu’on peut en juger, c’était bien plutôt pour leur faire approuver ses méthodes que pour connaître leur opinion et en profiter. Voici en quels termes il nous parle d’un de ces maîtres, le dernier qu’il eût consulté : « Il me donna beaucoup de bons avis; mais c’est étrange quelle puissance j’avais pour cribler les conseils et pour rejeter tout ce qui allait à l’encontre de mes propres décisions. »

Cette manière de procéder est au contraire fort générale chez ceux qui sont libres de n’écouter que leur volonté, et ce fut là la principale cause des avortemens de Haydon. Rien ne saurait être plus funeste à un jeune homme que d’avoir trop tôt la bride sur le cou, à moins qu’il ne se trouve tout de suite aux prises avec les plus impérieuses nécessités de la vie. Nous savons que notre jeune artiste avait déjà secoué toute autorité de famille bien avant d’être au terme de sa minorité, et non-seulement il resta sans guide, mais son père eut encore la faiblesse de .subvenir à ses dépenses pendant les premières années de son séjour à Londres. Cette complaisance provenait, nous l’admettons, d’un sentiment très naturel; cela ne l’empêcha pas de porter de mauvais fruits. Il est vrai que, sur sa pension, Haydon donna peu ou rien à la débauche; mais la position d’un jeune homme comme lui, abandonné, sans raisons valables, au milieu d’une grande ville, avec ses dix-huit ans et de l’argent à dépenser, n’était pas moins entourée de périls; et si Haydon eût réussi à s’élever dans sa profession, il faudrait noter le fait comme une heureuse exception, peut-être sans précédent. Même en présence de son insuccès, il y a déjà lieu d’admirer que cette course sans frein et sans guide ne l’ait pas entraîné dans les bas-fonds du vice et de la dégradation.

Haydon avait passé environ un an à Londres lorsqu’il fut rappelé dans sa ville natale par une grave maladie de son père, maladie qui toutefois n’eut pas de suites funestes. Lorsqu’il arriva, le danger était déjà passé, et sans perdre de temps il reprit sous le toit de la famille ses études anatomiques, à la grande incommodité de sa mère. Les débats du passé recommencèrent entre lui et ses parens : sa résolution de s’adonner à la peinture fut de nouveau combattue, et de nouveau la lutte se termina pour lui par une victoire. Non content de céder, son père renouvela la promesse de le soutenir de sa bourse jusqu’à ce qu’il pût lui-même se suffire, et après quelques arrangemens il regagna Londres. C’est pendant ce séjour en province que Haydon reçut une lettre où on lui annonçait la première apparition d’un débutant destiné à devenir célèbre. « Il nous est arrivé, lui écrivait de Londres un jeune collègue, une grande, pâle et baroque charpente d’Écossais, un drôle de garçon, mais qui a en lui quelque chose; il se nomme Wilkie. » Wilkie étudiait alors sur les bancs de l’Académie royale; Haydon, qui lui-même à son retour y fut admis comme élève, eut journellement l’occasion de le rencontrer, et leur liaison se changea vite en une étroite amitié, malgré une différence de caractères si prononcée, qu’ils ne semblent pas avoir pensé ou agi de même pendant trente-six années d’intimité.

On pourrait supposer qu’une fois admis à l’Académie, Haydon était enfin entré dans la voie régulière des études spéciales, et que désormais il allait avoir des guides plus éclairés et plus sûrs que les entraînemens et les hasards de sa propre exaltation; mais en 1806 l’Académie royale était loin de ressembler à l’École des Beaux-Arts de Paris, et de nos jours même on ne peut pas dire qu’elle s’en soit beaucoup rapprochée, car c’est en dehors de son influence que s’est en grande partie accompli le progrès moderne de l’école anglaise. A l’époque dont nous nous occupons, les élèves faisaient à peu près ce qui leur plaisait. Il n’y avait pas de professeur pour leur enseigner la base de tout art : la science pure et sans manière du dessin et du modelé; à vrai dire, un homme à la hauteur de cette tâche eût été introuvable. Le corps des académiciens, dans lequel étaient réunies, les sommités du jour et se choisissaient les professeurs, renfermait sans doute un groupe de talens incontestables; mais tous n’étaient parvenus qu’en dépit d’une instruction incomplète et sans discipline. Leurs œuvres, malgré d’évidentes qualités, prêtaient tellement le flanc à la critique la moins expérimentée, et eux-mêmes étaient tellement des peintres d’instinct et non de science, que leurs préceptes comme leur exemple ne pouvaient transmettre qu’un enseignement vague ou décevant.

Il courait d’ailleurs à cette époque nombre d’opinions absurdes sur l’art et le génie. C’était chose commune de s’imaginer que l’homme vraiment doué produisait son œuvre sans labeur et sans préparation. De pareilles idées étaient faites pour aller à un esprit aussi présomptueux que celui de Haydon, et on ne sera pas surpris, de le voir aux prises, dès sa seconde année d’étude, avec un grand tableau et un sujet de haut style. « Je commandai une toile pour mon premier tableau (six pieds sur quatre), — le Repos de Marie et Joseph pendant la fuite en Égypte, — et le 1er octobre 1806, après avoir chargé ma palette et pris en main mes brosses, je m’agenouillai pour demander à Dieu qu’il bénît ma carrière, qu’il m’accordât la puissance de créer une ère nouvelle et d’ouvrir les yeux de la nation et des patrons de l’art sur la véritable valeur de la peinture historique. J’épanchai à ses pieds mes actions de grâces pour sa tendre protection durant mes études préparatoires, pour la faveur qu’il m’avait faite de me. mettre de bonne heure dans la droite voie, et je le conjurai de me continuer dans sa miséricorde le secours qu’il m’avait accordé jusque-là. Je me relevai tout rempli de ce calme particulier qui chez moi accompagne toujours de telles effusions de reconnaissance, et les yeux résolument fixés sur ma toile immaculée, dans une sorte de fureur spasmodique, je lançai mon premier coup de pinceau. »

Cet enthousiasme fébrile, — si de pareils dérangemens d’esprit, n’échappent pas à tout contrôle, — semblait avoir trouvé son médecin dans la personne de Wilkie, chez qui la nature avait réuni les deux meilleurs correctifs de l’ignorance et de l’exaltation déréglée, — une intelligence supérieure et une calme persévérance. Pendant l’élaboration de son œuvre, Haydon tira grand profit des visites, fréquentes de son ami, ou, pour parler plus juste, ce fut le tableau, qui en profita. Sous l’influence immédiate de ce Mentor, l’extravagance et l’absurdité furent contenues dans de certaines limites, et bien des fautes flagrantes se trouvèrent étouffées avant de naître; mais quant au peintre lui-même, il avait une tournure d’esprit trop opposée à celle de son conseiller, et ses facultés d’artiste étaient trop peu développées, pour qu’il lui fût possible de s’assimiler des notions essentiellement plastiques, ou d’amasser des provisions pour l’avenir.

Ces conseils du reste et six mois de travail n’empêchèrent pas le résultat d’être un tableau manqué, et cela était inévitable. Aucune assistance au monde ne saurait faire sortir d’une main inexpérimentée une œuvre de haut style. Une couple d’années dépensées à l’aventure dans des études sans principes ne suffisent point pour accumuler les multiples élémens d’une création de cet ordre. Un esprit plus calme et plus maître de lui-même que celui de Haydon eût succombé à l’épreuve en l’abordant avec si peu de préparation ; mais ce qui rend plus grave cette erreur de jeunesse, c’est que Haydon a jugé son propre tableau à une époque avancée de sa carrière, et qu’en l’approuvant, il nous a permis d’y voir sa mesure définitive. C’est en 1834 qu’il écrivait ces lignes qui nous offrent un curieux exemple du point où peut arriver la faculté de s’aveugler soi-même : « Le sujet dont j’avais fait choix prêtait à une jolie composition, pour peu qu’il fût traité dans le sens poétique, et c’est ainsi que je l’avais entendu. L’ensemble était silencieusement tendre ; le paysage partageait l’intérêt avec les figures. La couleur était modulée et harmonieuse, le dessin correct. J’avais cherché à allier la nature et l’antique. Je n’ai jamais peint sans la nature, ni arrêté mes formes sans l’antique. Je n’avais avancé qu’avec une extrême circonspection, et je crois que mon œuvre, pour un premier tableau, peut être considérée comme une production extraordinaire. C’était une tentative pour réunir toutes les parties de l’art, et pour en faire un moyen d’exprimer la pensée, en les tenant dans une juste subordination. Le tableau avait de la couleur, de la lumière et de l’ombre, de la pâte et de la main, du dessin, de la forme et de l’expression. En le revoyant au bout de vingt ans, je fus tout étonné. »

Nous avons à peine besoin de remarquer que jamais, dans les chefs-d’œuvre mêmes des plus grands maîtres, on ne trouverait ce complet accord de toutes les perfections. Que le jeune Haydon, dans l’enivrement de ses vingt ans et de son ignorance, ait pu s’imaginer qu’il avait atteint un aussi haut degré d’excellence, cela est concevable ; mais rien que pour arriver à distinguer ces qualités, il faut à la plus belle organisation une longue pratique et un grand savoir, à plus forte raison la faculté de les apprécier et de les mettre en œuvre est entièrement hors de la portée d’un commençant. Que penser donc d’un homme qui, après vingt-cinq années d’expérience, n’a pas hésité à prononcer en ces termes sur son premier essai ? L’intelligence qui dans la maturité de l’âge gardait ainsi sans modifications les convictions de l’adolescence n’avait fait évidemment aucun progrès réel.

Le Repos de Marie et Joseph était terminé. Il s’agissait maintenant de son apparition devant le public, et c’était une grande affaire pour le peintre, chez qui l’amour de l’éclat n’était pas moins ardent que sa passion pour l’art. Les amis furent consultés, et leurs avis furent traités comme il est d’usage quand c’est la vanité et la présomption qui demandent conseil. Quiconque désapprouve, — parlât-il comme un ange, — est envieux, injuste et de mauvaise foi. En 1834 encore, à la suite des lignes que nous avons citées, Haydon jugeait ainsi les juges de son tableau : «Le succès de Wilkie m’avait causé une joie sans mélange; je lui étais fort attaché, et il semblait me rendre la pareille; mais lorsque mon tableau toucha à sa fin, je ne reçus pas de lui les encouragemens que dans la chaleur de mon cœur je lui aurais donnés en pareille occasion. Il avait peur de ceci et il avait peur de cela. Et quand sir George Beaumont (tout en admettant que c’était un merveilleux coup d’essai) me conseilla de ne pas exposer, Wilkie, au lieu de me soutenir, tourna brusquement le dos à sa première opinion, pour penser, lui aussi, qu’à tout prendre, comme c’était un début, j’aurais raison de m’abstenir. Envers un ami dévoué, il y avait quelque chose de si glacial dans cette désertion de Wilkie, que c’est réellement du jour où je le vis ainsi m’abandonner et se dédire, parce qu’un homme haut placé pensait autrement, que je fais dater la fin de ma confiance en lui. »

Nous avons déjà donné la clé de ce langage. Le tableau de Haydon était un mauvais tableau, et Wilkie le voyait; mais assez naturellement il avait hésité à dire à son ami toute la vérité. Tant que dura leur intimité, le même antagonisme ne cessa d’exister entre eux, et à chaque occasion Haydon s’en plaignit sur le même ton, en s’abandonnant à d’amères interprétations qui donneraient la plus fausse idée du caractère des deux hommes, si on les connaissait seulement d’après ces mémoires. Wilkie, avec son organisation si bien douée au point vue plastique, devait fatalement se trouver en opposition avec une nature aussi peu ouverte de ce côté et aussi dominée par le besoin de briller. Ce que l’un faisait d’instinct, l’autre s’obligeait à le faire par ambition et par vanité, se condamnant ainsi à ne jamais arriver dans une voie où l’impulsion du sentiment naturel est la seule bonne. Le peintre d’histoire (c’est ainsi qu’il se qualifiait) ne pouvait apercevoir les mérites des petits tableaux de genre de Wilkie, et il l’avoue lui-même, quoiqu’il ait admis leur valeur quand ils eurent reçu l’apostille de son dieu, de l’approbation publique. Pour Wilkie, s’il y eut des momens où il se laissa étourdir par les clameurs de Haydon et par la notoriété qu’il prenait d’assaut, ce n’était pas lui qui pouvait accepter comme de véritables révélations plastiques des enfantemens informes, où quelques reflets tronqués du beau et du vrai en fait d’art étaient étouffés sous une masse de prétentions et de grossièretés qui ne faisaient que parodier les qualités d’ordre supérieur.

En jugeant aussi sévèrement les prétentions de Haydon, nous ne voudrions pas laisser croire que nous lui refusons toutes les facultés de l’artiste. En matière de forme et d’effet, il avait sans contredit certaines perceptions assez droites; mais en général ses aperçus les plus justes restent vagues et incomplets, et les saines données de ses productions sont toujours amalgamées avec une multitude de contre-sens, d’inconvenances et de conséquences fausses. Ce ne sont guère que des bribes de bonnes idées, qui produisent (soit dit sans irrévérence) l’effet des pièces neuves sur un vieil habit; elles ne rendent que plus sensible l’incohérence de leur entourage.

A partir de sa première tentative pour se produire, Haydon ne s’accorda, pour ainsi dire, aucun repos. La peinture, tout en continuant à être l’objet de ses préférences, fut loin d’absorber toute son attention. Il se fit imprimer, comme nous l’avons dit, et cela fréquemment. Il écrivit sur des questions qui sortaient de sa spécialité, comme sur des questions qui y touchaient. Il quitta le cabinet pour donner des cours sur l’art; il ne cessa pas enfin de s’agiter sous les yeux du public. Avec une énergie physique assez grande pour faire les frais de ces fatigues, une vanité qui ne donnait pas lui en donna le courage, et, à force de vanité, il finit par s’élever à un degré considérable de célébrité, en dépit d’une suite d’œuvres dont aucune, — écrit ou tableau, — ne peut soutenir un sérieux examen : nouvel exemple, après mille autres, de l’incompétence absolue des jugemens populaires. Malgré nous et malgré l’indignité de !a comparaison, le bruyant acteur nous fait songer à ces solliciteurs en plein vent, que l’on voit dans les rues tout hérissés d’instrumens, cymbales, grosse caisse, flûte et grelots, et se démenant de tous leurs membres pour attirer par leur tapage le regard des passans. Nous hésitons d’autant moins à évoquer une image aussi basse que l’homme auquel nous l’appliquons s’est montré entièrement dénué de scrupules et de délicatesse.

A l’appui de cette accusation, il nous serait facile de multiplier les preuves, en puisant au hasard dans les propres aveux de Haydon; mais une seule ligne de sa main, entre mille, sera suffisante. Après avoir fait allusion à un de ses Mécènes envers lequel il s’était conduit avec insolence, et après avoir parlé de sa polémique dans les journaux à propos du grand art, ce qui voulait dire sous sa plume mon art à moi, Haydon écrit ces mots dans son journal : « Il est clair qu’en faisant ainsi un éternel tapage, je réussis à tenir en éveil l’attention publique. » Cela est franc et sans artifice. Il y a une naïveté qui vient de l’absence de toute malice, mais il en est une autre qui vient de l’absence de toute délicatesse, et c’est à celle-là que nous attribuons sans hésiter la confession dont il s’agit.

Il est triste sans doute de porter une condamnation aussi impitoyable sur un homme qui dans ses mœurs est certainement resté pur de toute grave souillure; mais un jugement plus élevé que celui qui gouverne les opinions humaines l’avait condamné à l’avance, car, malgré ses mérites moraux, il a échoué. Sa destinée nous montre que la vertu, hélas ! quand elle est montée sur les échasses de la folie, s’attire souvent une chute aussi rude que le vice. Ce n’est pas nous qui le frappons sans merci. Nous venons seulement à la suite de la foudre, pour tâcher de comprendre ce qui l’a attirée sur sa tête et pour chercher comment ses bonnes œuvres n’ont pu le sauver.

Passer en revue ses divers travaux, ce serait de fait raconter autant d’échecs, et qui plus est autant d’échecs dont il est difficile de rejeter la faute sur l’indifférence d’autrui, car les secours, les encouragemens et même les louanges ne lui firent pas défaut durant sa chute prolongée. Mieux vaut épargner au lecteur le détail inutile et affligeant de tous ses vains efforts pour exécuter ce que sa nature se refusait à faire. Nous préférons arrêter nos regards sur ce qui était dans ses moyens et sur ce qu’il put accomplir en quelque sorte malgré lui. C’est là le côté lumineux de sa carrière.

Quand on examine Haydon en dehors de son rôle de peintre, on est frappé du bataillon serré d’amitiés dont cet esprit fantasque a sans cesse été entouré. Quoique le monde en général ait peu d’amour ou de pitié au service des vaincus, et fasse plutôt comme les chiens qui se jettent sur leur compagnon estropié, Haydon eut le privilège d’inspirer la sympathie et d’obtenir à chaque instant la seule espèce d’assistance dont il se souciât et voulût profiter : des bourses ouvertes pour sa main. Il trouva promptement des patrons dans l’aristocratie et les classes riches; il se fit une foule d’amis et de compagnons parmi les poètes, les écrivains et les artistes; il rencontra nombre de créanciers généreux et même de bienfaiteurs dans les rangs des ouvriers, des marchands et des autres hommes d’une position analogue, avec lesquels il eut des rapports pendant toute sa vie. Cela prouve qu’en dépit de son excessive présomption et de tous ses défauts comme artiste, on, pis encore, comme mauvais débiteur, il devait avoir quelques qualités éminemment sociables et attrayantes. Dans les trois volumes qui lui sont consacrés, on voyage en quelque sorte à travers de charmans épisodes d’obligeance empressée et d’affection toute désintéressée, épisodes très honorables pour le monde au milieu duquel ils se sont produits, et qui sont aussi à l’honneur de l’homme qui a mis en jeu tant de bons sentimens. On est heureux de rencontrer ces traits consolans, et de s’y reposer au milieu d’un sombre récit, qui sans cela n’offrirait que le douloureux spectacle d’une folle lutte contre l’impossible et d’une suite d’espérances sans raison aboutissant presque toujours au désappointement, après beaucoup de peine dépensée sans profit pour personne. Et à dire vrai, ce fanatique de l’amour-propre n’aurait pu prolonger ainsi ses tentatives fébriles d’apothéose personnelle, s’il n’eût eu prise sur quelque fibre humaine plus tendre que la raison ou le sentiment de la justice, car l’une et l’autre étaient contre lui. Comme un enfant capricieux, il semble avoir eu le don de se faire aimer; la main qui cherchait à le retenir était toujours prête à le caresser, à l’assister, à protéger son enfantine imprévoyance.

Après tout, il y avait probablement quelque levain de folie au fond de cette nature excentrique. Il est charitable du moins de le supposer, et le généreux instinct de ses amis leur fit découvrir cette excuse, non pas qu’ils l’aient jugé comme une tête dérangée; mais la pitié chez eux remplaça la clairvoyance de la raison pour leur enseigner ce qu’ils avaient à faire, et ils le firent largement et avec empressement sans qu’aucun d’eux se demandât pourquoi.

Nous mettrons à contribution les pages nombreuses où sont enregistrés ces bons offices de l’amitié, en commençant par dire que les dettes de Haydon, dans ses huit premières années d’étude à Londres, s’étaient déjà élevées à plus de 15,000 francs, malgré la pension que son père avait continué de lui faire pendant la plus grande partie de son séjour.


Un jour, écrit-il, que je marchais dans la rue, l’esprit tourmenté d’une dette que j’étais hors d’état de payer, je rencontrai mon ancien et bon ami P. Hoare. Il admit la vérité de tout ce que j’avais écrit (il s’agissait d’une attaque contre l’Académie royale) ; mais il ajouta : — Les académiciens nieront votre talent, et ils vous fermeront les débouchés. — Mais, repris-je, si je produis une œuvre d’un mérite tellement évident qu’il n’y ait pas moyen de le contester, le public me soutiendra et me fera triompher. — Le public, dit-il, n’entend rien à l’art. — C’est ce que je nie, répondis-je, le plus sot décrotteur comprendrait l’Ananias (un des carions de Raphaël). — Il secoua la tête, et reprit: — Qu’allez-vous entreprendre? — Le jugement de Salomon. — Rubens et Raphaël l’ont déjà traité. — Tant mieux, répliquai-je, je le traiterai mieux. — Il sourit, et, posant une main sur mon épaule, il me dit affectueusement : — Comment ferez-vous pour vivre? — Fiez-vous-en à moi. — Qui paiera vos termes? — Fiez-vous-en à moi, répondis-je encore. — Fort bien, fit-il, je vois que vous avez réponse à tout. Vous ne vendrez jamais votre tableau. — Je m’en remets à Dieu. — Sur ce il me serra la main, comme si j’étais une tête montée, et après m’avoir dit de l’envoyer chercher en cas qu’on m’arrêtât, il s’éloigna de moi. »


Cette affectueuse leçon si délicatement donnée, la vieille leçon de l’âge mûr à la jeunesse, la plus tendre et la plus cordiale que l’homme ait à espérer dans sa vie, porta ses fruits ordinaires. Le jeune peintre rentra chez lui tel qu’il en était sorti, et, jetant au vent toute considération, il se procura une vaste toile pour commencer son Jugement de Salomon. Voici le bilan de sa fortune à cette époque (1812) : « J’avais 15,000 francs de dettes, j’étais engagé dans un nouveau travail, et depuis des semaines je n’avais pas eu dans ma poche un shilling, excepté ce que j’avais pu emprunter ou me procurer en vendant successivement mes livres, mes habits, tout ce que je possédais. » Tant d’exaltation et de démence ne réussit pas cependant à dégoûter ou à décourager ses amis, — la suite de la même page en fait foi : « Leigh Hunt, y lisons-nous, s’est noblement montré. Il m’a réservé un couvert à sa table jusqu’à ce que j’eusse terminé mon Salomon. John (le frère de Leigh Hunt) m’a assuré de son côté que, dans la limite de ses moyens, je ne manquerais de rien. »

Les deux Hunt étaient des hommes de lettres, et comme tels on pourra se dire qu’ils voyaient dans un artiste une sorte de confrère; mais un peu plus loin les mémoires de Haydon nous font connaître un plus grand cœur encore, et cela chez un individu de tout autre classe, qui ne pouvait pas .sentir de sympathie pour l’enthousiaste ou pour le peintre, et qui bien certainement n’adressait qu’à l’homme sa générosité. C’était le restaurateur Ruper, chez qui Haydon avait l’habitude de prendre ses repas :


« J’allai diner où j’avais coutume, avec l’intention de ne pas payer ce jour-!à. Il me sembla que l’on ne me servait pas avec la même prévenance. Le cœur fut près de me manquer quand je balbutiai : Je vous paierai demain. La servante sourit et parut prendre un air d’intérêt. Au moment où je m’échappais avec une sorte de sourde horreur, elle me dit : « Monsieur Haydon, monsieur Haydon! mon maître désire vous parler. « Mon Dieu! pensai-je, c’est pour me déclarer qu’il ne peut pas me faire crédit. Je m’acheminai comme un accusé vers la pièce où il m’attendait. « Monsieur, me dit-il, je vous demande pardon; j’espère que vous ne vous fâcherez pas... je n’ai pas l’intention de vous blesser... mais... vous ne vous offenserez pas de cette liberté... Je désirais vous dire... Comme vous dînez chez moi depuis des années, et que vous avez toujours payé régulièrement,... si cela vous arrangeait, pendant que vous travaillerez à votre tableau, de dîner encore... vous comprenez, jusqu’à ce que vous ayez fini... pour ne pas être obligé de laisser ici votre argent, dont vous pouvez avoir besoin.. Enfin je veux dire que vous n’avez pas à vous inquiéter... pour la bagatelle d’un dîner. » J’avais vraiment le cœur gros, et je lui répondis que j’acceptais son offre. Le digne homme avait la sueur au front, et il sembla tout à fait soulagé. Depuis ce moment, les servantes (qui étaient de jolies filles) me regardèrent avec des yeux attendris et redoublèrent d’attentions à mon égard. Leur honnête patronne me dit que s’il m’arrivait d’être indisposé, elle me ferait porter du bouillon, ou d’autres délicatesses du même genre, et les enfans avaient coutume de s’attacher à mes genoux en me priant de leur dessiner une figure... Maintenant, me dis-je en regagnant mon logis d’un pas élastique, maintenant à mon propriétaire ! »


Il n’avait pas payé son logement depuis bien longtemps, au point qu’il était déjà en retard de 5,000 francs avec son propriétaire. Il nous décrit ainsi son entrevue avec ce dernier :


« Je fis dire à Perkins de monter, et je lui exposai ma situation désespérée. Il en parut fort affecté. — Perkins, lui dis-je, je quitterai votre maison si vous le désirez; mais ce serait dommage, n’est-il pas vrai? de ne pas achever un tel commencement. — Perkins jeta les yeux sur mon ébauche et murmura: — C’est magnifique! Combien vous faut-il de temps pour finir? — Deux ans. — Quoi! deux ans sans me rien donner? — Pas un shilling. » Il se frotta le menton et murmura : « Je n’aimerais pas à vous voir partir. C’est dur pour tous deux; mais voici ce que je dis, vous m’avez toujours payé quand vous le pouviez, et pourquoi ne me paieriez-vous plus quand vous le pourrez? — C’est ce que je me dis aussi. — Eh bien! monsieur, voilà ma main (et c’était une grasse et grosse main). Je vous accorderai deux années encore; puis, si cela ne se vend pas (et là-dessus il affecta un air fort sévère), eh bien! monsieur, nous réfléchirons à ce qu’il y aura à faire. Ainsi ne vous minez pas l’esprit et travaillez. »


De semblables traits, où la bonté se montre si simple et si abondante, n’ont pas besoin de commentaires, et nous le répétons, c’est jusqu’à la veille de sa mort que Haydon trouva ainsi des cœurs généreux pour lui répondre. Son imprévoyance, qui semblait s’accroître avec l’âge, engloutissait vite ses ressources personnelles, et pour se tirer des impasses où il s’acculait chaque jour par sa faute, il en appelait à ses amis sans s’inquiéter s’ils étaient riches ou pauvres. Ainsi il emprunta à Wilkie une somme de 600 francs, somme considérable pour un homme qui luttait lui-même avec la gêne, mais qui com- battait la bonne bataille et avec une tout autre manière d’entendre l’honneur et le devoir. Un autre pauvre débutant venait de vendre un tableau, et cela, nous apprend Haydon, l’avait arraché à la ruine. Je lui dis qu’il « était un heureux gaillard, car moi-même j’étais sur le bord du précipice. Tout de suite il m’offrit une forte somme pour me tirer d’affaire. Je n’acceptai que 850 francs. » C’était prendre beaucoup déjà dans une bourse aussi mal garnie; mais nous cédons encore la parole à notre artiste, qui à ce moment venait d’être indisposé, et à qui son médecin avait recommandé l’usage du vin. « J’envoyai chercher un marchand de vin, je lui fis voir mon Salomon; je lui racontai que ma santé n’était pas bonne, et je lui dis de décider s’il était juste qu’après un tel effort je fusse privé d’un verre de vin quand mon médecin me l’ordonnait. — Certainement non, répondit-il; je vous enverrai deux douzaines de bouteilles. Payez-moi dès que vous le pourrez, et souvenez-vous de boire, au succès dû Salomon, le premier verre que vous viderez. »

Assurément une succession aussi constante et aussi longue de dévouemens dénote chez celui qui en fut l’objet un charme particulier, et cette puissance d’attirer, on aurait tort d’en chercher la source dans l’élévation de l’intelligence ou du caractère, dans de grandes actions ou dans une scrupuleuse rectitude. L’admiration et l’approbation n’impliquent pas nécessairement l’affection. L’amour a son cercle à part; il se donne à des qualités qui souvent n’ont rien de commun avec la vertu ou les capacités, et s’allient même intimement à la faiblesse et aux égaremens. Pendant que la tête ne peut s’empêcher de condamner, il n’est pas rare que le cœur s’obstine à absoudre. Haydon était de ceux qui trouvent grâce de la sorte devant le cœur. Il était affectueux et expansif, prêt à prendre part à tout ce qui intéressait les autres, ouvert et bon compagnon. Il avait enfin cette magie personnelle qu’on peut appeler affabilité, souplesse d’humeur, disposition facile, mais qui, sous tous les noms, n’est pas moins indéfinissable, quoique sa présence se fasse clairement et puissamment sentir.

En pénétrant plus avant dans la vie privée de Haydon, nous voyons ressortir encore plus clairement le côté tendre de sa nature. Après tout, s’il n’avait eu que l’amabilité du bon compagnon ou de l’homme de salon, on pourrait garder des doutes. Le talent de plaire en passant est loin de signifier toujours un caractère aimant ou une grande disposition à penser aux autres : un esprit vif et dispos, une certaine gaieté d’humeur, en font souvent tous les frais; mais Haydon fut marié, il avait fait un mariage d’inclination, et l’attachement que gardèrent pour lui sa femme et ses enfans nous le présente, comme père et comme époux, sous un jour très favorable. Ses mémoires d’ailleurs attestent suffisamment qu’il les payait de retour. Le nom de sa chère Marie et de ses enfans revient à tout instant sous sa plume, et chaque fois qu’il parle d’eux, c’est sous l’empire d’une pensée de tendresse, ou c’est pour se préoccuper de leur bien-être avec cette inquiétude anticipée qui est un si sûr indice du sentiment sincère. Sans dire enfin qu’il ait eu la pleine mesure de l’abnégation domestique, il n’est pas douteux qu’il éprouva avec force les affections de la famille et qu’il sut en remplir les obligations. Pour nous, cela pèse beaucoup dans la balance, car la vie du foyer, avec ses contacts immédiats et ses frottemens quotidiens, est la vraie pierre de touche du cœur. A moins d’y apporter beaucoup de conscience et de dévouement, on ne s’en tire pas à son honneur, et si le pouvoir d’ouvrir le ciel était entre nos mains, c’est aux bons pères et aux bons maris que nous réserverions l’auréole. Ils sont malheureusement assez rares pour mériter l’adoration, et leurs devoirs semblent déjà trop hauts pour la généralité des hommes tels qu’ils sont. Dans quel creuset nos évangélistes modernes du progrès comptent-ils raffiner l’humanité pour la préparer à l’état de perfection qu’ils lui annoncent? Comment comptent ils remplacer le mariage avec ses obligations, ses fusions, ses influences fortifiantes et purifiantes? Nous ne le devinons pas. En attendant les miracles, ceux qui soutiennent dignement le rôle de chef de famille auront notre estime et notre amour, et tant que la société tirera ses meilleures inspirations et ses meilleures lois des vieux et tendres liens du foyer, nous les regarderons comme les piliers les plus solides de son existence et de sa prospérité. Nous tenions à rendre cet hommage au beau côté du caractère de Haydon; en ne le faisant pas, nous aurions cru manquer à la justice, et certainement nous aurions manqué à nos propres sentimens. Toutefois l’homme privé n’est pas ce qui doit nous retenir; nous avons surtout affaire au peintre et au critique d’art, et il faut revenir d’abord au peintre pour achever d’apprécier ce qu’il a voulu être, ce qu’il a été.

On a vu le bruit que Haydon avait fait de son vivant, et nous avons dit aussi comment il nous était impossible de lui accorder, sur la foi d’une telle preuve, des mérites qui ne se montraient nulle part. Quelques lueurs, quelques disjecta membra de sentiment plastique, voilà tout ce que nous avons pu reconnaître dans ses œuvres. Encore ces lueurs n’apparaissent-elles avec un peu de clarté que dans les écrits de Haydon. Là elles s’isolent en quelque sorte, et l’attention s’y arrête sans être frappée du même coup par les bévues et les barbarismes; mais, dans ses tableaux, il faut en quelque sorte deviner les parcelles de bonnes intentions qu’il a pu avoir. Ces parcelles sont mêlées à tant de choses choquantes ou communes, à tant de preuves d’aveuglement, et le résultat est toujours tellement incomplet, que, parmi les productions qui comptent, il n’a pas droit même de figurer au plus humble rang. Sans doute il est naturel de voir plus loin qu’on ne peut atteindre, de distinguer des perfections qu’on peut indiquer la plume à la main et qu’on est pourtant incapable de reproduire. Cela est arrivé à Haydon, et en cela il n’a fait que subir la loi commune, qui atteint également l’artiste supérieur; mais le véritable artiste, s’il est souvent faible et incompétent, ne donne pas brutalement à côté : il ne va pas jusqu’à contredire tout sentiment, et Haydon est allé jusque-là.

Ce qui se fait le plus remarquer dans ses peintures, c’est une grande adresse de main déployée sur une grande échelle. La dimension des figures exécutées par Haydon avait en elle seule de quoi frapper un public qui n’était pas habitué à voir fabriquer avec tant d’aisance et d’abondance des hommes et des femmes de cette taille. Cela était extraordinaire, et cela parut singulièrement beau. La majorité des spectateurs n’étaient pas capables d’apprécier ce que valaient en réalité de pareilles créations; si quelques-uns eurent des doutes et des défiances, leurs impressions restèrent confuses, et ils osèrent à peine ouvrir les yeux pour voir en plein et juger. — Et maintenant encore il s’en faut que l’illusion ait complètement cessé avec l’influence personnelle du peintre. Quoiqu’il ne soit plus là pour entretenir l’admiration générale par les fanfares qu’il sonnait en son propre honneur, ou par le bruit des coups qu’il distribuait libéralement autour de lui, sa supériorité est encore assez admise comme un article de foi pour qu’il y ait danger à la contester. Le sauvage qui a vu la civilisation et qui vient engager les siens à couvrir leur nudité se fait lapider pour son impertinente sagesse. Si pareil sort n’attend pas le critique, il s’expose, en étant un peu moins aveugle que l’opinion reçue, à s’entendre accuser de prévention et d’injustice.

Il ne nous est pas moins très difficile de préciser les nombreux défauts que nous avons à reprocher aux tableaux de Haydon. Ceux même qui sont les plus flagrans et qui sautent aux yeux à première vue, — la grossièreté vulgaire des figures et leur manque de proportions, — se réduisent, quand on veut les désigner, à quelques mots vagues comme ceux que nous venons d’employer. Nous ne serons guère plus explicite ni plus précis en disant de sa couleur qu’elle est fausse comme représentation delà réalité, grossière et outrée comme intention pittoresque. Toute critique d’art se heurte de fait au même obstacle : à l’impossibilité d’exprimer par des mots ce qui est du pur ressort des formes et des couleurs. L’écrivain qui discute un livre est à même d’éclairer et de confirmer son dire en citant les passages qu’il loue ou qu’il blâme; celui qui apprécie une peinture n’a aucune ressource analogue. Il faut qu’il se borne à parler d’une chose qui demanderait à être vue pour être connue. Faute de mieux, nous laisserons le lecteur juger du talent du peintre d’après l’impression générale que peuvent donner le caractère et la carrière de l’homme. Nous doutons que jamais les œuvres d’un ouvrier aient plus nettement reflété sa personnalité. Comme l’a dit l’éditeur de ses mémoires, « sa peinture, c’est lui; — ses tableaux pèchent par où il a péché. » — Absolument dénué de calme, sa violence et ses ardeurs incontinentes l’emportaient toujours au-delà du jugement et de la pensée. Suivant ses propres expressions, il se précipitait au travail, il lançait ses couleurs sur la toile, il enlevait une tête ou une figure, et les œuvres qu’il traitait de la sorte n’étaient pas des esquisses ou de légers croquis : c’étaient de vastes compositions historiques ou religieuses, avec des personnages de dimension colossale et quelque vingt pieds carrés ou plus de superficie.

A côté de cette précipitation impatiente et désordonnée, il y a comme une contradiction à mentionner le temps et le soin qu’il mettait à se préparer, par des lectures et des recherches, à chacune de ses compositions; mais sa vie entière n’a été que paradoxe et inconséquence. Il compulsait des autorités pour se renseigner sur les événemens qu’il voulait mettre en scène, sur les mœurs et les costumes vrais de l’époque; il faisait pour ses figures et ses accessoires de nombreux dessins d’après nature; il étudiait même l’anatomie de ses personnages et de ses poses. On peut s’étonner que tant de travail ait été stérile; il en est ainsi pourtant, et cela nous donne lieu d’insister sur le peu de vocation qu’une telle stérilité accuse chez un artiste auquel n’ont manqué ni les occasions ni les ressources. La vérité est d’ailleurs que toute cette érudition historique n’a que peu à démêler avec la question dont s’occupe le peintre. A cet égard, les artistes sont dans une grave illusion. Ce que nous demandons à un tableau ou à une statue, ce n’est pas un cours d’histoire ou de morale; la moindre page d’un livre d’enseignement remplirait beaucoup mieux cet office, — et il y a grande raison de croire que les facultés esthétiques ne tiennent qu’une place très restreinte chez un homme, quanti il les met au service de n’importe quel but qui n’est pas leur but à elles et leur propre satisfaction. Quelles facultés dominaient chez Haydon, et à quoi était-il le plus apte? Nous aurions peine à le dire, tant il s’est dispersé avec une sorte d’indifférence, en montrant la même prestesse dans toutes ses multiples entreprises; mais assurément le choix qu’il a fait de la peinture pour sa principale occupation est ce qu’il y a de plus inexplicable et de plus déraisonnable aussi dans sa vie. Quelles qu’aient pu être ses capacités générales, il est clair que dans cette direction elles étaient radicalement en défaut, et que dès le principe elles s’étaient fermé, en la prenant, toute chance de succès.

En vérité, plus on considère cette destinée extraordinaire, plus on la trouve remplie de contradictions, et la célébrité de l’artiste, à côté de ses preuves réitérées d’impuissance, n’est certes pas la moindre. On a vu, cela n’est pas douteux, bien des réputations usurpées chez des populations beaucoup plus savantes en fait d’art que ne l’étaient les Anglais de cette époque. La multitude, sans laquelle il n’y a pas de popularité, représente même un élément certain d’erreur : elle est comme un aveugle Polyphème, qui ne peut que rester en place ou tâtonner tant qu’on ne le prend pas par la main, et qui va droit ou de travers suivant le guide qui lui vient. Quand elle tombe juste, c’est encore de sa part une sorte de méprise. Toujours est-il qu’un succès comme celui de Haydon suppose des circonstances spéciales; il n’a été possible que dans un milieu où l’ignorance était à peu près universelle à l’égard des matières en litige.

Dans l’Angleterre d’alors, le goût général attendait encore l’éducation la plus rudimentaire. On l’avait égaré. Les règles élémentaires de l’art étaient pour la plupart ignorées ou mal entendues, si ce n’est par un très petit nombre d’individus. Il n’existait aucun corps d’idées justes sur le dessin, le modelé, et les autres principes du même genre. Le brillant et l’effet étaient la grande préoccupation des débutans, et il est à peine besoin de remarquer que ces qualités sont on ne peut moins du ressort d’un novice. Les notions sur lesquelles vivait l’époque se réduisaient à quelques demi-apercus tirés de sir Joshué Reynolds, — et non pas de ses écrits, où il a exposé les vues les plus larges et les doctrines les plus vraies, — mais de ses procédés et de ses œuvres, qui, malgré son génie, n’étaient toujours que les résultats compliqués et longuement perfectionnés, d’une vieille pratique qui s’était faite elle-même sans un fonds suffisant d’études préparatoires.

Des principes qui n’avaient pas d’autre base ne pouvaient manquer d’être vagues et insuffisans, peu propres à développer une école de peintres savans, peu propres, par cela même, à créer un noyau d’appréciateurs compétens, — puisque ce sont les artistes qui forment le goût général. Ajoutons à cela que les principes et les procédés de Haydon, tels qu’il les a exposés et mis en œuvre, dérivaient aussi de la source où son public avait puisé, ce qui leur assurait l’avantage d’être facilement saisis. Ils ne dépassaient pas la portée des intelligences; ils ressemblaient aux choses qu’on avait appris à tenir pour belles, et de la sorte ils se trouvaient comme admirés de plein droit, si mal qu’ils remplissent les conditions d’une véritable excellence.

En tenant compte de ce défaut général d’éducation, on comprend que dans la foule de ses admirateurs l’élite même de la société se soit rencontrée côte à côte avec le troupeau qui ne sait pas ce qu’il fait. On y remarquait les grands, les sages, les gens d’esprit, et, ce qui est plus frappant, bon nombre d’artistes distingués. Ce dernier fait surtout est éloquent. Rien ne saurait accuser plus énergiquement le triste état des lumières en fait d’art. Disons cependant, pour être juste, qu’ici encore il faut probablement faire une part assez large à l’influence personnelle du peintre, et que la plupart des artistes qui l’ont admiré et qui lui ont survécu semblent avoir beaucoup rabattu de leur enthousiasma sur son compte. Après les applaudissemens des peintres, les importantes commandes des riches et des grands s’expliquent d’elles-mêmes. Haydon et ses ouvres étaient la mode du jour, et, comme il arrive toujours quand la mode s’en mêle, un acheteur amenait d’autres acheteurs; mais, comme il arrive également en pareil cas, l’impression du jour était souvent démentie par celle du lendemain; ce qui avait séduit à première vue apparaissait plus tard sous un aspect bien moins flatteur. De là les gémissemens si fréquens du pauvre Haydon sur le dédain et l’indifférence avec lesquels on traitait les productions de son pinceau. Pourtant sa vanité était toujours debout pour lui épargner la plus cuisante des blessures : la conscience de son propre démérite. Loin de s’accuser lui-même, il rejetait toute la faute de ses échecs sur le mauvais goût du public, sur l’intrigue ou sur l’envie. Rien ne put faire tomber de ses yeux les écailles de l’amour-propre; rien ne put l’amener à reconnaître que l’on s’était trompé d’abord, et qu’à la fin on s’était détrompé. Les désappointemens, en se multipliant, provoquèrent de sa part des plaintes plus habituelles contre l’injustice et l’iniquité dont il était la victime; ils n’ébranlèrent point sa croyance en son propre génie, ils ne diminuèrent point sa confiance en lui-même: jusqu’au bout, il ne trahit aucun doute. La fin de son hallucination fut la fin de sa vie.

Il va sans dire que cet aveuglement doit l’acquitter de toute imputation de charlatanisme. Sa carrière, avec tant de promesses pompeuses d’où il ne sort que du vent, a beau ressembler de près à celle du jongleur, le trait essentiel de la fraude ne s’y retrouve pas. Il ne savait pas qu’il exploitait l’ignorance publique; il était sa propre dupe avant de duper les autres. Il faut se rappeler en outre et il faut aussi lui compter comme une circonstance atténuante la quantité et la qualité souvent imposante des flatteries qui lui furent prodiguées. Il eut de l’encens de tous les côtés; mais de nul côté il ne lui en vint tant et de si extravagant que des littérateurs ses amis, au nombre desquels figuraient des personnages de grande célébrité. Les vers écrits à sa louange par Wordsworth, Keats, Charles Lamb, miss Barrett, miss Mitford et leur suite poétique, les mots et les billets complimenteurs de sir Walter Scott, Campbell, Johanna Baillie, Rogers, et de bien d’autres sommités que le peintre avait appris à estimer d’après leur position littéraire, ne pouvaient manquer de flatter largement sa manie. Dans ses mémoires, il a rassemblé toute une moisson de pareils témoignages qui sans doute attestent la bonne volonté de ses amis, mais qui, pour l’esprit plus froid de ses lecteurs, révèlent aussi la grande infirmité de son propre caractère et l’ignorance absolue de ses admirateurs en matière de beaux-arts.

II.

Vers les dernières années de sa vie, Haydon vit se réaliser un de ses vœux les plus ardens. Un principe qu’il avait admis de bonne heure et qu’il s’était efforcé maintes fois de faire prévaloir fut adopté par le gouvernement. Il fut décidé que le grand art serait encouragé par l’état, et en 1841 le nouveau système s’inaugura par la nomination d’une commission royale chargée d’aviser à la décoration des salles du parlement. Bientôt les commissaires proclamèrent un concours préparatoire, en invitant les artistes du pays à envoyer des cartons composés sur une ample échelle et dans le sens de la peinture murale. Le concours, dont la clôture était fixée à l’année 1843, devait être suivi d’une exposition, et les envois devaient servir à donner la mesure des peintres, pour que la commission pût ensuite confier les travaux aux plus capables.

Haydon, malgré ses soixante-six ans, dressa l’oreille au son de cette trompette. Il n’avait rien perdu de son ardeur, et il se mit à l’œuvre avec un redoublement d’enthousiasme et une pleine certitude de l’emporter sur tous ses rivaux. « Hourrah, hourrah, hourrah, et encore un hourrah ! — lisons-nous dans son journal à la date du 13 juillet 1842, — mon carton est debout, et il me fait battre le cœur comme les grandes superficies me l’ont toujours fait battre. Des difficultés à surmonter, des victoires à gagner, des ennemis à terrasser, la nation à charmer, l’honneur de l’Angleterre à soutenir, hourrah, hourrah et encore un hourrah ! » Nous continuons à citer afin que le lecteur puisse apprécier au vif et sur nature la singularité de ce caractère, et afin aussi que les paroles mêmes de l’homme fassent pressentir la catastrophe que des sentimens aussi insensés à pareil âge semblaient inévitablement préparer.


« Mon carton est en train pour tout de bon. J’ai tout mis en place, avec de cruels momens d’agonie morale causés par ma position. Je me suis séparé de mes portraits de Raphaël et du pauvre ami Wilkie, afin de ramasser quelque argent pour les besoins du moment. C’est terrible, mais c’était inévitable. Darling (un de mes plus vieux amis) est venu me voir; il m’a prêté 125 francs. »

« 25 juillet. — Aujourd’hui, j’ai entamé la tête d’Adam (le sujet de son carton était la tentation de nos premiers parens); j’espère en la grâce de Dieu pour l’achever et pour achever la semaine, Amen. »

« J’ai un billet de 385 fr. 80 cent, qui devait être acquitté samedi et qui ne l’est pas. Aujourd’hui encore, à cinq heures, j’ai à payer 175 francs; je n’ai pas de quoi. Et ce sont là les agréables sensations dont il me faut dégager mon esprit avant de concevoir et d’exécuter le plus sublime et le plus faible des mortels! Pourtant, avec la bénédiction de Dieu, j’y réussirai. »

« Huit heures du soir. — Tout s’est passé au mieux. J’ai arrangé l’affaire des 175 francs, en donnant 6 francs 22 cent, pour un renouvellement d’un mois, tout cela après avoir été six heures trois quarts à dessiner, en prenant un quart d’heure pour goûter. »


Un peu plus tard, alors que son œuvre était presque terminée, il éclate en transports d’allégresse :


« Ma gratitude est inexprimable. J’ai confiance d’arriver à une glorieuse conclusion, et d’atteindre à la fin, en vainqueur, le grand but de ma vie, ce qui a été si longtemps mon espoir et ma prière...

« Quelle influence il faut que j’aie sur mes semblables pour qu’ils m’aient donné à crédit papier, toiles, crayons, services, logement et modèles, pour que les percepteurs aient consenti à payer mes impôts et les propriétaires à ne pas exiger leurs termes ! Mais toujours je leur ai fait voir mes œuvres, et ils se sont rendus. Je reprends alors mon travail et je poursuis avec extase, jusqu’à ce qu’il m’arrive quelque autre aboyeur, qui lui aussi voit et est vaincu. Une femme est venue, et à la vue du carton elle a levé au ciel le mains elles yeux en s’écriant : Oh! la sublime ouvrage!

« Mais ce n’est pas mon influence à moi, ce n’est pas une influence humaine. »


Vers la fin de 1842, Haydon se prépara à un second carton. À cette occasion, voici ce qu’il enregistrait dans son journal :


« 29 décembre. — La toile de mon second carton est là qui m’attend. O Dieu ! bénis le commencement, la continuation et la fin. O Dieu! rends-moi capable, avec ta seule aide, de le mener à une noble et triomphante issue, afin qu’il grandisse l’honneur de ce pays et qu’il me mette moi-même en état de soutenir avec honneur ma famille. Fais-moi la grâce qu’aucune difficulté ne m’abatte ou ne m’arrête, mais que je puisse surmonter tous les obstacles. Accorde-moi ces choses, et par-dessus tout la santé du corps et de l’âme, pour l’amour de Jésus-Christ. Amen. »

« Janvier 1843. — Rude coup de collier et beaucoup de besogne. Toute la semaine, j’ai magnifiquement travaillé avec toute la fureur, la persévérance et la vigueur du jeune temps, et demain il faut que je porte la peine d’avoir remis toutes les affaires d’argent, jusqu’à ce qu’il ne restât pas deux shillings dans la maison. Ma chère Marie résiste assez bien, — fort bien, — mais cela prend sur sa force. J’espère qu’elle tiendra jusqu’au bout comme moi. »


L’imprévoyance et l’étourderie en matière d’argent étaient chez lui incurables. Dans son âge mûr, comme dans sa jeunesse, ce n’étaient pas les vices et les débauches qui absorbaient ses ressources; il les gaspillait, laissant les dettes engendrer les dettes, si bien que, durant ses dernières années, nous le voyons littéralement traqué de toutes parts, et que la plainte de l’homme aux abois ne s’interrompt plus sur ses lèvres. Il écrit deux mois plus tard :


« Ainsi j’ai commencé, mais toujours dans un misérable état de détresse comme à l’ordinaire. J’avais à envoyer de l’argent à mon fils à Cambridge, el je me suis mis en course (pour emprunter) avec les angoisses d’un accusé. »


Disons, entre parenthèses, qu’il avait toujours répugné à faire des portraits ou de petits tableaux, parce que, dans ses idées, ce n’était pas là de la grande peinture. Les lignes qui suivent font allusion à cette répugnance.


« Ne vaut-il pas mieux peindre des choses à 125 francs la pièce que d’endurer plus longtemps ce martyre? Certainement, cela vaut mieux, et si l’enjeu du concours ne réussit pas, j’étonnerai mes amis par la facilité avec laquelle je me mettrai à faire du métier pour vivre et pour assurer mes vieux jours.

« 31. — Dernier jour de mars. — J’ai bien travaillé, et j’ai passé par de rudes momens; mais je suis encore debout par la grâce de Dieu avec mes deux cartons terminés et terminés avec effet. Je me dispose maintenant à une troisième composition; mais je n’ai pas encore arrêté si ce sera oui ou non une fresque. Je soupire après le mortier et j’ai commencé mon troisième carton dans cette intention; aujourd’hui même j’ai été occupé à préparer de la chaux. Si jamais artiste a été propre à la fresque, je le suis. J’ai toujours tout fait d’emblée. Pour toutes les grâces et les épreuves de ce mois, mon Dieu, je te bénis de toute mon âme. »


Pour peu que l’on sache ce qu’est la fresque, — celui de tous les genres qui réclame à la fois la science la plus solide et l’initiation la plus sérieuse, — on peut juger, d’après les capacités générales de notre peintre, comment il était propre à ce difficile travail. Il y a dans son assertion un mélange de vanité et d’ignorance qui fait sourire, et cependant vers cette époque il fit des cours publics sur la fresque, et il fut écouté.

La clôture du concours arriva, et nous trouvons ce passage dans son journal :


« 1er juin 1843. — O Dieu! je te rends grâce de ce qu’aujourd’hui j’ai déposé sains et saufs mes cartons à Westminster-Hall. Sois-leur propice! C’est un grand jour pour mon esprit et mon âme. Je te bénis de m’avoir gardé la joie de voir cette journée. Épargne ma vie, ô Seigneur, jusqu’à ce que j’aie montré ta force à cette génération, et ton pouvoir à celle qui doit suivre. Je suis profondément reconnaissant d’avoir été conservé jusqu’à un pareil jour. »


La commission chargée de prononcer sur les mérites des candidats et de décerner les prix rendit ses arrêts vers la fin de juin, et le 27 du même mois Haydon reçut avis du secrétaire que ses cartons n’étaient pas au nombre des œuvres couronnées. Son journal resta fermé jusqu’au 30; ce jour-là il y inséra ces lignes : « Je me suis couché dans un honnête état d’anxiété. Le choc a été violent pour ma famille, surtout pour mon cher garçon Frank, et cela a fait renaître toutes les vieilles terreurs d’arrestation, de saisie, d’insolvabilité. C’est exactement ce que j’avais prédit, et il y a eu, je crois, du parti-pris. »


Le coup avait pénétré profondément. Pendant trois ans encore, c’est-à-dire jusqu’à l’acte de désespoir qui mit fin à sa vie, Haydon continua à se débattre contre le désappointement et contre une position d’heure en heure plus accablante, peignant et se leurrant, suivant son habitude, pour tâcher d’oublier. Ses recours à la bourse d’autrui étaient devenus incessans; il s’adressait sans scrupule à tous ceux qu’il croyait assez riches pour donner, même à des personnes qu’il ne connaissait guère que de nom. Les refus étaient nombreux; les mains secourables furent loin cependant d’êtres rares. Malheureusement la misère vint à la fin ouvrir les yeux qui jusque-là étaient restés si obstinément fermés aux leçons plus douces, quoique rudes, de l’expérience. Il ne lui fut plus possible de se tromper lui-même, et quand le jour se fit, il n’eut pas la force de le supporter. Son journal nous conduit jusqu’à quelques minutes avant sa mort, — il n’avait pas cessé de le tenir aussi régulièrement que par le passé, — et nous en extrairons les derniers paragraphes pour leur laisser achever à eux-mêmes cette lamentable histoire.


« 16 (juin 1846). — De 2 à 5 heures, je suis resté devant mon tableau, assis et les yeux fixes, comme un idiot. Mon cerveau était affaissé par l’inquiétude et par les regards de ma chère Marie et de mes enfans, auxquels j’avais dû m’ouvrir. Je dînai après avoir engagé toute notre argenterie, afin de nous sauver du besoin en cas d’accident...

« J’avais écrit à sir Robert Peel, au duc de Beaufort et à lord Brougham, pour leur dire que j’avais une forte somme à payer J’offrais au duc de Beaufort une étude du duc de Wellington pour 1,230 francs. Qui fut le premier à me répondre? Malgré les attaques de Disraeli et les préoccupations harassantes des affaires publiques, j’eus la lettre suivante :

« Monsieur,

« Je suis fâché d’apprendre vos embarras continuels. Sur un fonds resreint qui est à ma disposition, je vous envoie, pour vous aider à sortir de ces embarras, une somme de 1,230 francs.

« Je suis, monsieur, votre obéissant serviteur,

ROBERT PEEL. »

« Et ce Peel est l’homme qui n’a pas de cœur! »

« 17. — Ma bien-aimée Marie, avec une exaltation de femme, m’engage à 

cesser tout paiement et à en finir. Je ne veux pas. Je veux terminer mes six tableaux avec la faveur de Dieu, réduire mes dépenses, et espérer que la miséricorde divine ne m’abandonnera pas, qu’elle m’accordera de franchir l’épreuve, en gardant jusqu’au bout la santé et la vigueur du corps. la reconnaissance et l’élévation de l’esprit. C’est en elle seule que je mets ma confiance. Que mon imagination retienne sans cesse devant moi mon Christophe Colomb! Dieu, bénis mes efforts à travers tous les changemens de la fortune, mène-les au succès, soutiens ma chère Marie et ma famille. Amen. »

« Ce matin, dans la crainte d’être réduit aux extrémités, je suis sorti pour rendre à un jeune libraire, chargé d’une famille, des livres que je ne lui avais pas payés. Pendant le trajet, l’idée que j’en pourrais tirer de l’argent me vint à l’esprit. Cela me souleva le cœur contre moi-même. Je descendis chez le libraire, et je lui dis que je craignais d’être en danger, que par là je pouvais lui occasionner une perte, et que je le priais de garder ses livres pour quelques jours. Il me fut reconnaissant, et c’est le soir que je reçus les 1,250 francs. Je sais ce que je crois. »

« 18. — O Dieu, soutiens-moi à travers les maux de cette journée. Grand tourment d’esprit. Mon propriétaire Newton est venu. Je lui ai dit : — Newton, je lis un terme sur votre visage, mais de moi rien. Je suis convenu de le revoir demain soir pour lui exposer ma position jusqu’au dernier iota. — Par votre bonne âme, Newton, lui ai-je dit, ne me faites pas saisir. — Qui pense à cela? m’a-t-il répondu à demi blessé... »

«J’ai envoyé les portraits du Duc, de Wordsworth, de mon cher Frédéric et de Marie à miss Barrett, pour les mettre sous sa protection. J’ai les bottes et le chapeau du Duc, l’habit de lord Grey et quelques autres têtes. »

« — 20. Dieu, protége-nous à travers les maux de ce jour. Amen.

« — 21. Nuit horrible. J’ai prié dans l’affliction et je me suis levé dans l’agitation.

« — 22. Que Dieu me pardonne. Amen.

Fin

de

B. R. Haydon.

« Ne m’étendez plus sur ce monde qui blesse » (Lear).

« Fin du vingt-sixième volume. »

Suivant l’éditeur de l’autobiographie, ces paroles dernières furent écrites entre dix heures et demie et dix heures trois quarts, le matin du lundi 22 juin. Avant onze heures, la main qui les avait tracées était glacée et raidie par une mort volontaire.

Nous n’essaierons pas de tirer la morale de cette histoire, ni de l’embellir; nous ne terminerons pas cependant sans consacrer encore quelques lignes aux prétentions littéraires de Haydon. Ses écrits et ses discours ne sont guère qu’un hors-d’œuvre dans sa vie, car c’est à être un peintre qu’il avait mis son ambition et sa gloire. Ils ne sont pas non plus de nature à compenser l’impression pénible que laisse sa carrière d’artiste. Pourtant c’est encore dans ses écrits qu’il s’est montré le mieux; c’est là du moins qu’il a laissé le peu d’indices qui pourraient donner une idée moins défavorable de ses capacités plastiques, et c’est pour nous une raison d’en dire quelques mots avant de finir. Parmi ces écrits, il en est toutefois dont il importe peu de s’occuper : ce sont les articles de politique étrangère ou intérieure qu’il aimait à envoyer aux journaux, uniquement sans doute pour satisfaire la fiévreuse activité dont il ne pouvait secouer l’influence. « C’est étrange combien il faut que je veille sur moi, écrivait-il en 1844, à l’âge de cinquante-neuf ans; dès que j’en ai fini avec l’excitation d’un grand tableau, si je n’entreprends pas immédiatement une nouvelle œuvre, je suis sûr d’avoir une explosion littéraire. » Sans nous arrêter aux milliers de pages que devait produire une machine aussi infatigable, nous arriverons tout de suite à la portion des écrits de Haydon qui touchent directement à l’art. Ces écrits sont au nombre de trois ou quatre : les Discours, un Essai sur la Peinture, enfin des Notes sur l’Art grec et sur l’Encouragement des artistes par l’état.

Les Discours de Haydon eurent un succès qui n’a pas lieu de nous étonner. Sa verve de manières et sa facile hardiesse lui permettaient de parler avec grand effet devant de vastes réunions d’auditeurs. Tout ce qu’il possédait de supériorité était d’ailleurs d’une qualité populaire; il se rapprochait assez du degré d’intelligence qui se rencontre dans les vastes assemblées pour ne pas être exposé à choquer ou à dérouter les idées reçues. Semblable à la brebis qui marche en tête du troupeau plutôt qu’au berger, il était de ceux qu’on suit moins par respect que par sympathie. Les questions d’art, dans ces Discours, sont mêlées à nombre de matières étrangères, et elles sont traitées, on le devine assez, dans le style à effet, ad captandum. Pour un tempérament aussi excitable et aussi avide de paraître, la présence d’un vaste auditoire était comme un breuvage enivrant. Elle ne pouvait qu’ajouter à l’impétuosité et à la diffusion d’un esprit déjà trop vagabond et trop peu porté à s’arrêter pour peser et mesurer. Nous ne tenterons pas de passer au crible ces morceaux, afin d’en extraire les notions esthétiques de Haydon. C’est dans un autre travail qu’on a la meilleure chance de trouver la somme de son savoir en fait d’art, autant qu’il a pu se dégager. Nous voulons parler de son Essai sur la Peinture, qui, dans le principe, avait été écrit pour la septième édition de l’Encyclopedia britannica, et qui fut jugé assez remarquable pour être réimprimé (1838) en un volume séparé.

En abordant ce travail, on s’imaginerait volontiers que l’écrivain va donner tout ce que son esprit renferme, et apporter à sa tâche tout le jugement et la gravité dont il est capable. C’était le cas, ou jamais, pour lui de se recueillir, de considérer, de réunir ses données et de les vérifier, car c’était assurément dans une telle occasion qu’il était tenu de parler de l’art en termes mesurés et nourris. Un ouvrage aussi considérable, aussi important que l’Encyclopédie britannique, réclamait autre chose que les phrases à fanfares et à courbettes, qui peuvent convenir quand on s’adresse à un auditoire mélangé. En pénétrant dans le cénacle des experts et des savans, il s’agissait de travailler avec eux à résumer et à placer, comme sur un piédestal, ce qu’il y avait de meilleur et de plus élevé dans les connaissances existantes; mais il est probable que la puissance de comprendre les exigences d’une pareille entreprise fait partie de la faculté qui est la puissance de les remplir. Aussi se lança-t-il tête baissée dans son sujet. Avant de prendre la plume, il n’avait pas été sans beaucoup lire et beaucoup amasser; malheureusement tout ce labeur, au lieu de mûrir ses conclusions, ne sert qu’à nourrir sa verve et son abondance. La même exagération et la même légèreté qu’il apportait à la tribune le suivent au fond du cabinet. Il semble avoir été le jouet d’une excitabilité maladive, qu’il n’était pas de force à dominer et qui l’emportait sans cesse jusqu’à la déraison. Rien ne saurait être plus inconvenant que le style de son travail, surtout dans la portion très considérable où il s’occupe de l’art moderne. Il se perd dans l’enflure et l’emphase pour retomber bientôt dans le sans-façon d’une conversation vulgaire. Il a toujours l’air de se croire en face du public, et il hausse la voix pour frapper davantage. De la sorte, l’Essai sur la Peinture fait l’effet d’un récit adressé à un groupe d’auditeurs sur un ton à la fois dogmatique et familier. C’est une espèce d’histoire décousue de l’art et des artistes à partir des temps les plus reculés, une revue où des jugemens par ouï-dire et de pures conjectures touchant des ouvrages disparus depuis des siècles sont présentés comme des faits, où les vieilles anecdotes sur les anciens maîtres, anecdotes que tout le monde connaît et dont la plupart ont été rejetées de longue date par les bons esprits, sont répétées avec complaisance, le tout entremêlé de citations puisées dans les auteurs classiques ou modernes et d’appréciations esthétiques. Une syntaxe défectueuse, sans parler d’une mauvaise ponctuation, et beaucoup de phrases enchevêtrées rendent souvent fort difficile la tâche du lecteur, préoccupé de discerner ce que l’écrivain a voulu dire. Haydon a tant de facilité, que ses idées sortent confuses et heurtées comme la foule que dégorge la porte d’un théâtre. Parmi les opinions que l’on peut saisir au milieu de ce chaos, bon nombre reproduisent des aperçus judicieux; mais elles ne sont pas originales, bien que certainement l’auteur les ait énoncées avec la conviction qu’elles étaient de son cru. Haydon était prompt à subir et à suivre les idées d’autrui, il les adoptait facilement, et, comme il arrive d’ordinaire aux esprits ainsi disposés, il considérait chaque enfant-trouvé comme sa propre progéniture. C’était la sienne en réalité, autant qu’on peut s’approprier une chose empruntée en la défigurant et en la déformant, car il était si complètement subjugué par sa personnalité, par la vanité et la passion de l’effet, que toutes ses actions et ses notions se contournaient pour en prendre le pli. Un esprit ainsi constitué peut bien admettre la lumière, mais on sent qu’il ne peut l’analyser. Comme un prisme coloré, il ne donne qu’une réfraction falsifiée. Une organisation pareille est entièrement impropre au rôle de critique et de juge.

En résumé, après avoir passé en revue toutes les prétentions de Haydon, nous sommes forcé de resserrer dans un bien étroit espace ses titres réels, et c’est tout à fait en dehors de ses peintures et de ses dessins que nous devons les placer. A notre avis, s’il a donné une preuve positive de capacité plastique, elle se trouve dans l’hommage qu’il a su rendre à la beauté des sculptures grecques connues sous le nom de marbres d’Elgin, et dans les vues qu’il a émises sur l’encouragement du grand art par l’état. Ses idées sur ces deux points sont répandues dans divers écrits, publiés à des époques différentes; il faut les glaner au passage, et nous ne pouvons que les mentionner. Cependant il ne faut pas oublier une circonstance qui doit aussi être comptée pour Haydon. Non-seulement ce qu’il a dit sur les marbres d’Elgin et sur l’encouragement de la haute peinture est pensé en général avec suffisamment de clairvoyance, mais l’homme qui émit ces vues eut encore le mérite de les défendre de bonne heure. Il avait commencé à soutenir de pareilles opinions bien avant que le public voulût les admettre, et il persista malgré une longue et violente opposition.

Malheureusement pour Haydon, quelque valeur que l’on puisse accorder à ces appréciations, et quelle qu’ait été l’ardeur de son admiration pour les grandes qualités de l’art, la puissance d’appliquer ce qu’il semblait si vivement sentir ne lui avait pas été accordée. Il ne put jamais reproduire les beautés et les sublimités qu’il célébrait avec tant de chaleur. Entre les perceptions qu’il pouvait avoir et la toile où il s’agissait de les transporter, entre son cerveau et ses doigts, il existait comme une barrière invisible. Ce qu’elle était, nous pouvons seulement en juger par conjecture, et il est possible que nos suppositions soient fort loin de la vérité; mais que l’obstacle ait été de telle ou telle nature, il n’était pas moins !à, et il a été assez fort ou pour barrer entièrement le passage à ses sentimens d’artiste, ou pour les altérer et les défigurer au point d’en rendre la valeur native complètement méconnaissable.


W. H. DARLEY.