Le Petit Lord/20

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Traduction par Eudoxie Dupuis.
Ch. Delagrave (p. 173-176).


XX


Chaque jour augmentait l’intimité du grand-père et du petit-fils et en même temps, accroissait la confiance de celui-ci dans les bons sentiments de son aïeul. Il ne mettait pas en doute que son grand-père fût l’homme le meilleur et le plus généreux de la terre. Ce qu’il y a de sûr, c’est que tous les souhaits du petit lord étaient exaucés presque avant qu’ils fussent formés, et les cadeaux, les plaisirs, lui arrivaient avec une telle prodigalité qu’il en était quelquefois embarrassé. Cette méthode eût présenté des dangers, appliquée à d’autres enfants du même âge ; mais avec Cédric elle ne produisait que de bons effets. Peut-être, en dépit de son excellente nature, en eût-il été autrement si sa mère n’avait veillé si tendrement et si attentivement sur lui. Mais il allait toujours passer avec elle quelques heures chaque jour ; ils causaient longuement ensemble, et jamais elle ne le laissait partir, pour retourner au château, sans avoir déposé sur son front un baiser et dans son cœur quelques paroles qui devaient porter leurs fruits.

Il y avait une chose, malgré tout, qui embarrassait beaucoup le petit garçon, et à laquelle il pensait plus souvent que ne le croyait sa mère elle-même. Avec sa vivacité d’esprit et d’observation, il n’avait pas tardé à remarquer que le comte et sa mère ne se rencontraient jamais. Quand la voiture de son grand-père le conduisait à la Loge, jamais le comte ne descendait, et, dans les rares occasions où le comte allait à l’église, il laissait son petit-fils parler à sa mère sous le porche ou même la suivre chez elle, mais sans jamais s’en approcher. Cependant chaque jour des fruits et des fleurs, provenant des jardins ou des serres du château, étaient envoyés à la Loge. Là ne se bornaient pas les munificences du comte à l’égard de sa belle-fille : il avait donné des ordres pour qu’elle ne manquât de rien, sans doute d’après le principe émis devant M. Havisam, qu’il ne voulait pas qu’on pût lui reprocher de ne pas fournir à la mère de lord Fautleroy de quoi tenir convenablement son rang.

Ainsi, quelques semaines après son arrivée, Cédric, se disposant un jour à aller voir sa mère, trouva au bas du perron, au lieu de la grande calèche qui l’y conduisait ordinairement, un joli coupé attelé d’un beau cheval bai brun.

« C’est un présent de vous à votre mère, dit le comte brusquement. Elle ne peut pas aller à pied ; il lui fallait une voiture. Will, l’homme qui vous conduit, en aura soin, et sera à ses ordres ; mais souvenez-vous que c’est vous qui lui donnez cette voiture. »

La joie de Fautleroy put à peine s’exprimer, et ce fut par des paroles entrecoupées qu’il remercia son grand-père. Ce présent mettait le comble à toutes les attentions qu’il avait pour lui et pour sa mère. Pourquoi donc semblait-il ne pas consentir à voir Chérie, quand il s’occupait sans cesse à lui être agréable ?

Il eut grand’peine à contenir ses sentiments jusqu’à ce qu’il fût arrivé à la Loge. Sa mère cueillait des roses dans le jardin au moment où la voiture s’arrêta devant la porte. Il s’élança du marchepied, et courant à elle :

« Chérie ! cria-t-il, pourrez-vous le croire ! Ce coupé est pour vous. Il a dit que c’était moi qui vous en faisais cadeau. Il est à vous, pour vous promener partout où vous voudrez. »

Il était si heureux qu’il ne savait ce qu’il disait. Mme Errol ne pouvait gâter le plaisir de son fils en refusant ce don, quoiqu’il lui vînt d’une personne qui la regardait comme son ennemie. Elle fut obligée de monter dans la voiture, avec les roses qu’elle portait dans sa jupe, et de consentir à faire une promenade. Pendant que la voiture roulait, l’enfant l’entretenait de la bonté, de la générosité de son grand-père. Ces récits dénotaient une âme à la fois si innocente, si pure et si tendre, une si sainte ignorance de tout ce qui était intérêt ou calcul, que, par moments, Mme Errol ne pouvait s’empêcher de sourire. En même temps elle attirait son petit garçon plus près d’elle encore, le baisait, heureuse de penser qu’il ne savait voir que du bien autour de lui, même chez le vieillard au cœur dur qui n’avait pas su se faire un ami.