Chansons posthumes de Pierre-Jean de Béranger/Le Phénix

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LE PHÉNIX



        Jadis, en des climats lointains,
        Vivait sur de fertiles plages
        Une république de sages
        Heureux des plus obscurs destins.
        Le phénix vint sur l’autre rive.
Vite, à sa cour il les fit appeler.
        Son héraut criait : — Qu’on me suive !
Dépêchez-vous ; l’oiseau peut s’envoler.


        Partout l’esclave galonné
        Va disant : — Mon maître a des ailes
        À couver vingt peuples fidèles ;
        Venez voir l’oiseau couronné.
        Pas n’est besoin de vous l’apprendre,
Au bien de tous il aime à s’immoler.
        S’il meurt, il renaît de sa cendre.
Dépêchez-vous ; l’oiseau peut s’envoler.
 
        Nul ne bouge. Il ajoute encor :
        — Ne pas le voir serait dommage.
        Rien d’aussi beau que son plumage,
        Son bec de perle et ses pieds d’or.
        Vrai soleil, sa riche couronne,
Sur vos moissons daignant étinceler,
        Les mûrirait, Dieu me pardonne !
Dépêchez-vous ; l’oiseau peut s’envoler.

        Un vieillard enfin lui répond :
        — Cesse, ami, tes vaines fanfares ;
        Nous préférons, nous, vrais barbares,
        À ton oiseau poule qui pond.
        Pourtant il nous plaît fort entendre
Chanter linots, colombes roucouler.
        Le chant du phénix est moins tendre :
C’est chant royal ; l’oiseau peut s’envoler.

        Sache qu’en son bûcher fumant
        Nos pères l’ont osé surprendre.
        Qu’ont-ils découvert dans sa cendre ?
        Hélas ! un cœur de diamant.
        Tout être unique en son espèce
D’aucun amour n’a pouvoir de brûler.
        Plaignez les rois, dit la Sagesse.
Nous les plaignons ; l’oiseau peut s’envoler.