Le Philandre/Livre 5

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Œuvres poétiques François de MaynardAlphonse Lemerre, éditeur (p. 113-134).


Après que le père du jour
Eut quitté l’humide sejour
Pour r’allumer une journée,
Lyridan, en sortant du bois,
La douleur lui ostant la voix,
Pleura sa triste destinée.


Et puis esploré s’en allant
D’un pas tardif et chancelant,
S’estant enquis de sa cruelle
A un berger qui l’apperceut,
La nouvelle qu’il en receut
Luy fit une playe mortelle.

Car apprenant par son discours
Qu’ayant oublié ses amours
Elle n’aymoit rien que Philandre,
L’excès de son ressentiment
Ne permit pas plus longuement
A son oreille de l’entendre.

Tout soudain ardent de fureur
Desnoüant le lien vainqueur
Qui tenoit sa franchise estreinte,
Il alla Florize revoir,
Et oublieux de son devoir
En courroux luy fit ceste plainte :

– quoy, parjure, ne sçais-tu pas,
Qu’après le présomptif trespas
De Philandre ton adversaire,
Ton ame volontairement
S’esprit de mon embrazement
D’une mesme loy tributaire ?

Ô dieux à tesmoins appelez,
Rivages les plus recelez,
Antres, prez, et douces fontaines,
N’est-il pas vray que mille fois
Sa parjure et trompeuse voix
A promis d’alléger mes peines ?

– que te sert d’invoquer les dieux,
Les antres, les prez, et les lieux
Où je te fis mille promesses ?
Il est vray, tu receus de moy
Pour asseurance de ma foy
Mille et mille douces caresses.

Mais c’estoit par ce que mon cœur
Croyoit Philandre mon vainqueur
Couvert d’une oublieuse lame :
Mais maintenant que son bel œil
N’est point voilé du noir cercueil,
Mon amour esteint se r’enflame.

Si je vivois tant seulement
Pour luy, mon doux contentement,
Avant sa douloureuse absence,
Le revoyant ne dois-je pas
Plustost me donner le trespas,
Que de ne chérir sa présence ?


En luy l’object de mon desir
Estoit ma vie et mon plaisir
Que mon cœur souhaittoit de suyvre,
Si les destins m’estans amis
Ployables me l’eussent permis,
Aussi m’ennuyoit-il de vivre.

Ores que je revois ses yeux
Brillants en attraits gracieux,
Comme deux soleils sans nuage,
Je sors de ta captivité,
Et r’enchaîne ma liberté
Aux fers de mon premier servage.

Ainsi dit la nymphe, et soudain
Lyridan blessé du desdain
De ces rigoureuses paroles,
Ayant l’œil de courroux ardant,
Repartit en la regardant :
– loin donc, loin, trompeuses idoles.

Mon cœur, foulons sous le mespris
Ces beautez dont tu fus espris,
Encor que j’aye la puissance
De les posséder, toutesfois
Je ne le veux, et ne le dois,
Fol qui recherche sa souffrance.


Et toy, giroüette à tout vent,
Qui vas mon âme decevant
Du point de sa moisson de joye,
Si vivant tu l’as pleuré mort,
Désormais regrette son sort,
Et dessus son tombeau larmoye.

Avant que ce jour qui reluit
Ait faict place à l’ombreuse nuict,
Tu ne verras plus ton Philandre,
Que comme on voit un corps blessé,
Et de mille coups traversé
Sous la tombe obscure descendre.

Atant se teut, puis d’un pied prompt
Ayant la rage sur le front,
Et aux yeux ardemment dépeinte,
Il partit colérant son cœur,
Pour estaindre celuy dont l’heur
Rendoit son espérance estainte.

La nymphe alors appréhendant
Que par un sinistre accident
Sa gloire ne lui fust ravie,
Fit prière aux dieux immortels
De reboucher les traits mortels
Du fier ennemy de sa vie.


Après que ses vœux amoureux
Eurent de son esprit peureux
Appaisé le timide orage,
Philandre recherchant son jour
Vit pourtant dans ses yeux l’amour,
Et la grace sur son visage.

Soudain que la nymphe le vit,
Son ame son regard suivit
Sur l’aisle de cette parole :
– ha ! Cher Philandre, que je crains,
Que bien tost de nos chainons saincts
La félicité ne s’envole !

– comment, ma belle, doutez-vous
Que vos beaux noeuds, dit-il, si doux
Soient rompus par mon inconstance ?
– non, dit-elle, mais je cognois
Que l’heur dont tu me reconnois
N’ira pas loing de sa naissance.

Lyridan plein d’un ireux fiel,
A cent fois juré par le ciel,
Pour vanger ma promesse enfrainte
Et son cruel ressentiment,
Que de mon doux contentement
La cause seroit tost estainte.


Si bien, mon cher et doux espoir,
Que je crains que le désespoir
Ne porte sa main irritée
A couper le fil de tes jours,
Et qu’ainsi de ton doux secours
L’espérance me soit ostée.

Mais las ! Vueillent les dieux benins
Prolonger nos heureux destins,
Et leur donner mesme limite,
Faisans avorter sans effect
Le barbare et mortel project
De son cœur où la rage habite.

– ne doutez pas, mon cher soleil,
Que sa main, dit-il, au sommeil
Pousse ma journée imparfaicte,
Les dieux ne le permettront pas,
Et puis il court à son trespas
Tant plus à me nuire il s’appreste.

D’un coup je l’iray terrassant !
– ha ! Non, dit-elle l’embrassant,
Fuy sa rencontre infortunée :
Car plus un mortel est heureux
Alors le destin rigoureux
Rend plus tost sa course bornée.


Le temps esteindra son courroux,
Cependant amour dessus nous
Fera pleuvoir mille délices.
Hélas ! En ton esloignement
N’ay-je assez souffert de tourment
Sans renouveller mes supplices !

– et bien, je l’iray donc fuyant,
Respondit Philandre, essuyant
Les douces pleurs de sa déesse,
Qui présageoient qu’un grand malheur
Changeroit bien tost leur bon-heur
En une mortelle tristesse.
 
n ce point qu’ils s’entrebrassoient
Et doucement se caressoient,
Survint le vieillard Polemandre,
Triste et desolé géniteur
De Lyridan plein de langueur,
Et Phildor père de Philandre.

Avec eux entra maint berger ;
Quand Palemon d’un sien verger,
Où parlant avec sa pensée,
Il méditoit sur l’accident,
Qui l’hymen alloit retardant
De sa fille ailleurs enlassée,


Voyant sa maison se remplir
De ses bergers pour accomplir
La feste ardemment desirée,
Vint à qui Florize soudain
Ayant l’œil de larmes tout plain
Et l’âme d’amour altérée,

S’escria : – las ! Souffrirez-vous
Qu’on m’arrache de mon espous,
Ainçois que l’on oste à moi-mesme ?
Philandre est celuy seulement
Pour qui je vis plus longuement,
Que seul je veux, et que seul j’ayme.

Il est vray, Lyridan m’a pleu :
Mais c’estoit alors que j’ay creu
Mon Philandre une ombre blesmie.
Hé ! Vous l’avez creu comme moy !
Or voudriez-vous lier ma foy
En une prison ennemie ?

Si jadis il me fut plaisant,
Il m’est ore aussi desplaisant,
Que l’absence de mon Philandre.
Ces ruisseaux de larmes versez,
Et ces mots par desdain poussez
Touchèrent au cœur Polemandre.


Si qu’il dit de courroux espris :
– quoy ! Tu as doncques à mespris
Celuy dont la pudique flame
Daignoit par un noeud d’amitié
Te rendre sa douce moitié,
Ainçois la royne de son àme ?

Soit, mais les équitables dieux
Ne laissent jamais dans les cieux,
Ny sous les eaux, ny sur la terre
Impuni le moindre forfaict,
Toy ayant un hymen défaict
Crains que son ire ne l’atterre.

Palemon, vivement touché
De ce traict de courroux laché,
Luy respondit : – quand la contrainte
Met un corps en captivité,
L’esprit ne vit point arresté
Dedans cette importune estreinte.

On jouyt du corps seulement ;
Car l’âme s’enfuit doucement
Sur les aisles de la pensée,
Devers l’object de ses désirs
En qui gisent tous les plaisirs
Dont l’amour la tient enlassée.

Elle ne sçauroit retenir
L’insupportable souvenir
Du fier tyran qui la possède,
Si bien que vivant en langueur
Ailleurs qu’en son fâcheux vainqueur
Elle va cherchant son remède.

Polemandre alors repartit,
Pourquoy elle ne consentit
De suivre les loix d’Hyménée
Avec Lyridan qu’elle aimoit,
(car il est vray qu’il l’enflammoit
Par une ardeur sainctement née).

Lors Phildor respondit ainsi :
– bien qu’alors il fust son soucy,
Son âme et sa plus douce vie,
Si maintenant il lui desplait,
Voire mesme plus que ne fait
La mort des hommes ennemie,

Voudrois-tu forcer son vouloir ?
Force qui la feroit douloir
Comme la triste tourterelle,
Qui d’une pitoyable voix
Essourde les monts et les bois
Plaignant sa compagne fidelle.


A ces mots elle larmoya,
Et maint souspir triste envoya,
Avec un regard pitoyable,
Vers Polemon que l’amitié
Rendit sensible à la pitié,
Et à ses prières ployable.

Polemandre mal satisfait,
Voyant l’hymen estre défait,
Se retira bouffi de rage,
Et Lyridan à son abord,
Le jugeant esloigné du port,
Lascha son esprit à l’orage.

Il s’en alla vagabondant
Gros de courroux, en attendant
Le temps à son ire propice,
Afin de réparer le tort,
Et faire au prince de la mort
De Philandre un noir sacrifice.

Desja le soleil s’abaissoit
Lorsque Florize languissoit
De revoir le lieu de leur perte,
Et le rivage où doucement
De leur plus doux contentement
La barrière leur fut r’ouverte.


Le berger l’y accompagna,
A qui l’œil senestre saigna
Présage de son infortune :
Mais las ! Aveugle à son malheur,
Il ne pensa pas qu’un grand heur
Est envié de la fortune.

Après avoir reveu les lieux
Où jadis avecques les dieux
Leur âme vivoit d’ambrosie,
Où Amour leur esprit blessa
Et où leur malheur commença
Par une fière jalousie,

Ils s’en allèrent reposer
Pour mieux à l’aise deviser
De leurs infortunes passées,
Au plus haut d’un mont verdissant
Qui s’alloit en pointe advançant
Sur les colines abbaissées.

Là main et maint embrassement,
Suivy d’un doux contentement,
Pour asseurance de leur flame,
Interrompit souvent le cours
De leurs agréables discours
(les doux enchantemens de l’âme).


Cependant Lyridan couroit,
Et plain d’ire ne respiroit
Que la mort de son adversaire.
Alors qu’il l’entrevit, soudain
L’aigre souvenir du desdain
Noya son cœur dans la colère.

Il alla vers luy d’un pas lent,
L’œil de courroux estincelant
Et la main d’un long fer armée,
Le long d’un halier espineux,
Ainsi qu’en un troupeau laineux
Un loup à la gueule affamée.

A mesmes qu’il fut près de luy
Il s’escria : – donc mon ennuy
Verra sa puissance bornée
Avec toy, cruel ravisseur
Du bien dont j’estois possesseur
Par les douces loix d’hyménée ?

A ce bruit, le chétif berger
S’estant relevé pour vanger
Ceste insolente outrecuidance,
Fut prévenu d’un coup, hélas !
Qui le faisant tomber à bas
Luy en avorta la puissance.


Estant cheu, Lyridan soudain
Du fer, du pied et de la main
Le poussa vers le précipice
Pour satisfaire à sa douleur,
Croyant que ce mortel malheur
Luy rendroit Florize propice.

Mais las ! Philandre tresbuchant
Alla de sa main s’accrochant
Au pied de sa chère Florize,
Si qu’en chéant il la traîna,
Et piteusement l’amena
Dessous les ombrages d’Elize.

De pitié le soleil attaint
Cacha la clarté de son teint
Dessous les campagnes salées,
Ayant veu le funeste sort
Qui fit d’un pitoyable effort
Pleurer les monts et les valées.

Lyridan, en ce triste point,
D’un extrême regret espoint,
Poussa ceste tardive plainte :
– qu’avez-vous fait, ô dieux jaloux !
Mais que dis-je ? Ce n’est point vous
Qui m’avez sa lumière estainte.


C’est moy seul, cruel inhumain,
Qui de mon homicide main,
Vengeant une offense commise
A ma longue fidélité,
Ay toute ma félicité
Avec ma belle à la mort mise.

A quoy doncques plus longuement
Après un si grand changement
Traîner ma vie infortunée ?
L’horreur de mon crime commis
A fait que le soleil a mis
Dessous les ondes la journée.

Les monts en ont tremblé d’horreur.
Et moy serois-je sans terreur,
Ou, las ! Voudrois-je bien survivre
Un bien que je tenois si cher ?
Non, rien ne sçauroit m’empescher,
Non pas retarder de le suivre.

Lors il s’eslança furieux
Ainsi le sort victorieux
Triompha ce jour de trois vies,
Qu’Amour cruelle déité
Tenoit en sa captivité
Tyranniquement asservies.


Or, desjà les sombres flambeaux
Quittoient l’humide sein des eaux
Avec la déesse estoilée,
Quand la lumière de leur jour
Fut par un fol excès d’amour
Des ombres de la mort voilée.

– Palemon, quand le jour fut clos,
Ayant son cher troupeau enclos,
S’estonna de ne voir Florize ;
Toutes-fois sans craindre le sort
Qui d’un impitoyable effort
Les bon-heurs plus assurés brise,

Il s’en alla voir le sommeil.
Auparavant que le soleil
Sortist de l’onde marinière,
Florize, ayant le front terni,
Le corps sanglant, l’œil embruni
Et le teint couvert de poussière,

Luy parut disant : – si jadis,
Quand mes destins estoient ourdis
Par les douces mains de la parque,
Tu m’aymas, enterre mon corps ;
Car sans tombeau, maison des morts,
Nul n’entre en l’infernale barque.

C’est Florize, hélas ! Autresfois
Le plus doux soin de tes vieux mois !
Lyridan, enflammé de rage,
M’a fait du haut d’un vieil rocher
Avec Philandre trébucher
Devers le funeste rivage.

Luy-mesme y erre vagabond,
Portant encore sur le front
Sa fière cruauté dépeinte
Pour Philandre, non plus celuy
Qui pouvoit chasser mon ennuy
Quand ma vie n’estoit esteinte.

Tous trois gisons dedans le bois
Au pied du mont, où autresfois
Tu vis au son de la musette
De Philandre, mon doux soucy,
Sauter le roc plus endurcy
Avec ta troupe camusette.

Mais adieu, car le nautonnier
Me va demandant le denier
Deu pour le droit de son passage.
A tant se teut l’ombre, et soudain
Palemon voulut de sa main
Arrester ceste vaine image.


Mais légère elle s’envola.
Alors son ame s’afola
Voyant sa richesse ravie
Par la rigueur d’un fier trespas,
Et s’esveillant dit : – donc, hélas !
Florize, tu n’as plus de vie.

Ha ! Que vous m’estes ennemis,
Cruels destins, ayant permis
Que Florize me fust ostée !
Florize, en qui gisoit mon bien,
Florize sans qui je n’ai rien
Qu’une ame d’ennuys agitée.

Las ! Mais que sert de plus tarder,
Si je ne puis te posséder
Tandis que le soleil du monde
Esclaircira mes tristes yeux ?
Hé ! Je te reverray mon mieux
Au moins parmy la nuict profonde.

Toutesfois premier que partir
Je veux en ruisseaux convertir
Mes yeux pour pleurer ta ruine,
Et t’enfermer dans le tombeau,
Puis quittant le jour mon plus beau
J’iray voir la parque mutine.


Ainsi ce vieillard désolé,
Ayant son ennuy consolé,
Espérant de revoir Florize
Après son funeste cercueil,
Alla seul sanglottant son dueil
Jusqu’à ce que le jour s’atize.

Car alors sa plaintive voix
Fit de loin retentir les bois,
Estonnant mainte et mainte oreille,
Et faisant courir maint berger
Parmy le séjour bocager,
Pour apprendre ceste merveille.

Polemandre le sceut soudain,
Et Phildor receut dans le sein
Une attainte si violente,
Que las ! à peine peut-il voir
Le lieu où il vit à son soir
L’object de sa plus douce attente.

Ces vieillards estant arrivés
Où ces amans d’ame privez
Gisoient sanglants sur la poussière,
Leurs yeux dessous leurs fronts chenus
En un point ruisseaux devenus
Firent une ondeuse rivière.


Leurs regrets vers le ciel poussez,
A la mort leurs souspirs dressez
Et leur face en larmes trempée,
Ny tous leurs pitoyables plaints
Ne peuvent de leurs jours esteints
Refiler la trame coupée.

Un chacun regreta leur sort,
Mais nul ne peut toucher la mort
Par une atteinte pitoyable.
Dès qu’un esprit descend en bas
A haut il ne retourne pas ;
Car le destin est imployable.

Aussi bien le contentement
Ne dure icy-bas longuement
Que quelque soin ne le traverse :
Après les jours viennent les nuicts,
Après les joyes les ennuits,
Et puis la mort qui tout renverse.

Cest accident loin espandu
Fut avec larmes entendu
De tous ceux qui portoient une âme
Sensible aux traicts de la pitié ;
Mesmes le sort sans amitié
Eust voulu refiler leur trame.


Callyrée alors le plaignit
Puis de ses larmes esteignit
L’ardeur de son âme amoureuse,
Et Lyris cessa de l’aymer
Si tost qu’il la vit enfermer
Dessous la tombe ténébreuse.

Aussi voit-on fort rarement
Deux cœurs brusler si vivement
Que l’un conserve la mémoire
De l’autre ravy par la mort ;
Car l’inconstance de leur sort
Dans l’oubly soudain les fait boire.