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Le Point de vue du capitaine

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LE POINT DE VUE DU CAPITAINE


Saint-Just n’a qu’à dire – mais il doit dire – « On ne règne pas innocemment », pour emporter le morceau, en l’espèce une tête de roi.

Or, comme un Louis XVI à décapiter n’offre pas tous les jours, au sentiment de justice, l’occasion de s’exprimer sous une forme parfaite et décisive, ceux qui, malgré une évidente bonne volonté, n’arrivent point à oublier les vieilles et haïssables phraséologies, cèdent aux fantômes de ces iniques lieux communs et jurisprudences qu’ils se proposaient de détruire.

Ainsi, l’effroi du verdict implacable n’est pas forcément simple lâcheté, du moins au sens charnel.

Pour un Saint-Just, il y a, hélas ! plusieurs brochettes de Girondins rhéteurs à n’en plus finir et des fricassées de bas bleus (à défaut de cuisses), style Mme Roland.

Avec la poussière des consciences secouées comme des vieux tapis, ce joli monde fera un soleil négatif, pour tacher de gris la pure, la sanglante aurore boréale.

Le crime des prétendus révolutionnaires, qui cèdent au chantage d’une tardive soi-disant humanité, sera de permettre, en voulant sauver quelques individus de la guillotine, les guerres de l’Empire.

Dame, le jeune Bonaparte avait la gale, et, de se gratter, ça lui donnait des idées pour la campagne d’Italie.


Il caracole
Au pont d’Arcole.


À nous l’épopée.

Parce que la Révolution née en France a dû se défendre contre la coalition des monarchies européennes, par un petit tour de passe-passe, simple comme bonjour, il s’agira de parler non plus du sentiment qui anima un pays, mais de ce pays, comme si se trouvaient justifiés, du seul fait de son existence, les plus extravagants de ses délires batailleurs.

Ainsi naquirent le sentiment national, l’envol de la Marseillaise, la gloire d’être français, l’omnipotence des adjudants corses et tout le bataclan.

Or, quant à moi, de la Russie nouvelle, ce qui me touche le plus, ce n’est pas l’affaire Roussakov narrée par M. Istrati, non plus que les scolies en marge de cette histoire de concierge, non, c’est le choix, pour désigner un immense territoire, d’un nom aussi honnête que U. R. S. S.

Si notre douce France, au temps du capitaine Dreyfus, se fût appelée Cunégonde, cette aventure n’eût certes point pris ce ton grandiloquent, si peu d’accord avec le lieu, le temps, les personnages de l’intrigue.

L’honneur de Cunégonde.

Titre digne d’un vaudeville dont un grossier quiproquo militaire ferait les frais sur la scène de quelque Théâtre Cluny.

Le traître Esterhazy deviendrait alors l’aimable roublard, joyeux drille qui tire au cul.

On rirait du petit juif Clodoche, sa victime, qui aurait mieux fait de ne pas contredire aux belles qualités démoralisatrices de sa race.

Mais quoi, on choisit le genre tragique.

Dreyfus dit : « Je suis capitaine, et je jure que j’ai de l’honneur pour trois galons. Je n’aime pas les femmes, mais j’aime ma femme. J’ai de l’argent, un cœur de français. Dès lors, pourquoi trahir ?… »

Eh bien, le généreux Jaurès, au lieu de discuter les preuves, les rapports des experts, Jaurès, au lieu de s’abaisser jusqu’au point de vue du capitaine, n’avait qu’à lui dire : « Monsieur, vous avez choisi un vilain métier, et nous laissons les loups se dévorer entre eux. »

Alors, peut-être, pour une fois un capitaine aurait réfléchi et aurait eu, après la révision de son procès, une autre ambition que de devenir commandant.

Mais la France ne s’appelle pas encore Cunégonde.


René Crevel.