Le Possédé (Gilkin)

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La NuitLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 118-120).
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LE POSSÉDÉ



Ne crois point me tromper par ton calme sourire,
Énigme de science et de sérénité,
Par la bonté si douce et par la majesté
De ton noble visage où Dieu même se mire !

Sombre maîtresse au cœur de plomb, aux yeux d’onyx,
Qui tends à mes baisers ta bouche empoisonneuse,
Ô rose de l’Enfer, ô Vénus vénéneuse,
Née, en un froid minuit, des flots bourbeux du Styx,

Ton manteau violet, ta lourde robe verte,
Qui semblent te vêtir de belladone en fleur
Sous les tulles de deuil qui chantent ta douleur,
Tes bijoux d’améthyste aimantés pour ma perte,

Tout l’étrange appareil où se plaît ta beauté
Comme un ciel sulfureux où pleure un soir d’automne,
Fascine mon cœur fou, qui s’épeure et s’étonne
Et qui sent défaillir toute sa volonté.

Tu respires le mal. Ta bouche et ta narine
Exhalent avec l’air brûlant de tes poumons
Le souffle magnétique et pervers des démons
Qui peuplent l’enivrant enfer de ta poitrine.

Il pénètre mes os, ce fluide mauvais ;
Ton âme satanique en mon âme s’infiltre ;
Mon cœur boit ta présence impure comme un philtre
Et je ne connais plus le Dieu que je servais.

Des instincts malfaisants la monstrueuse flore
Aux effluves de tes vices contagieux
Dans les marais pourris de mon sein spongieux
Fermente, grouille, monte et s’exalte d’éclore.

Et voilà qu’asservi par ton charme fatal,
Je suis de tes péchés l’esclave et le complice ;
Je deviens le reflet vivant de ta malice
Et l’incarnation de ton Verbe infernal.

Un jour j’accomplirai les forfaits que tu rêves.
Tout cela, je le sais. Mais que sert de savoir ?
J’ai fait de tes baisers ma prière du soir,
Notre-Dame des chairs aux délices trop brèves !

Hosanna ! Ton front chaste est le jardin des lys !
Hosanna ! Tes yeux clairs sont l’azur peuple d’anges !
Tous mes sens prosternés célèbrent tes louanges
Et retrouvent en toi les édens abolis !

Et toujours tu seras pour moi l’impératrice,
Sur les cœurs ruinés bâtissant ton pouvoir,
La prêtresse vouée au dangereux savoir,
L’infirmière, l’épouse et la consolatrice !