Le Pouce crochu/Chapitre IV

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Ollendorff (p. 86-131).
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IV


Pendant que Julien Gémozac et son camarade Fresnay cherchaient au concert des Ambassadeurs l’énigmatique comtesse de Lugos, qui venait de disparaître avec son équivoque cavalier, Camille Monistrol et ses auxiliaires se préparaient à entrer en chasse.

Dix heures venaient de sonner. Ils étaient réunis dans la cuisine de la maisonnette du boulevard Voltaire et tous les trois sous les armes, c’est-à-dire en tenue d’expédition.

Courapied avait exécuté avec intelligence et célérité les ordres de Camille. Un magasin de vêtements confectionnés l’avait habillé de pied en cap et lui avait fourni un costume pour Georget et un costume d’homme pour mademoiselle Monistrol, qui, avant de l’expédier, lui avait remis de quoi payer comptant tous ces achats et même de quoi commencer sur un bon pied une existence nouvelle.

Un des cinq rouleaux d’or avancés par M. Gémozac père y avait passé.

Le pitre s’était travesti en petit bourgeois de banlieue, et il possédait ce qu’on nomme au théâtre le physique de l’emploi.

Georget avait très bon air sous la veste à boutons et la casquette galonnée d’un petit groom de restaurant.

Mais le déguisement le plus réussi était celui de Camille, vêtue en apprenti d’imprimerie, avec la longue blouse blanche, et coiffée d’un béret qui cachait entièrement ses beaux cheveux noirs, relevés, pour la circonstance, sur le sommet de la tête.

On eût dit qu’elle avait porté toute sa vie le costume masculin, et, comme elle était au moins aussi grande que Courapied, personne ne l’aurait prise pour une femme.

Brigitte n’en revenait pas de ce changement, et commençait à croire que, dans la rue, les gens s’y tromperaient.

Ce n’était pas qu’elle approuvât cette excursion nocturne, en compagnie d’un saltimbanque de profession et d’un gamin élevé sur les tréteaux. Elle avait au contraire prêché sa jeune maîtresse pour tâcher de la détourner de ce projet. Mais comme son éloquence n’y faisait rien, elle s’était résignée, fort à contre-cœur, à souffrir ce qu’elle ne pouvait empêcher.

Cette ancienne nourrice était une robuste gaillarde, sèche et hâlée comme une paysanne, brave comme un vieux soldat et dévouée comme un caniche.

Elle avait d’abord assez mal reçu Courapied ; mais elle aimait les enfants, et Georget l’avait apprivoisée à ce point qu’elle s’était mise en quatre pour cuisiner un bon dîner, auquel le père et le fils avaient largement fait honneur.

Brigitte aurait même donné volontiers la pitance à Vigoureux, mais pour qu’il la mangeât, il aurait fallu le démuseler, et Courapied s’y était opposé. Courapied, qui connaissait l’animal, affirmait que ce dogue féroce dévorerait quelqu’un aussitôt qu’il pourrait se servir de ses crocs, et il ne se trompait pas. Il avait eu déjà assez de peine à le mater et dût Vigoureux devenir enragé à force de privations, mieux valait ne pas lui délier la gueule.

Il était là, dans un coin de la cuisine, attaché par le cou à un des pieds massifs d’une énorme table, le mufle allongé sur ses pattes étendues, la boîte entre les dents, l’écume aux babines, grondant sourdement, et roulant des yeux injectés de sang. On voyait qu’il se sentait vaincu, mais qu’il attendait une occasion de prendre sa revanche, et en vérité il n’aurait fait qu’une bouchée de Georget.

— Nous sommes prêts, dit Camille. Il est temps de partir.

— Tu ferais bien mieux de rester, grommela Brigitte, qui avait gardé l’habitude de tutoyer la jeune fille qu’elle avait nourrie de son lait.

— D’autant plus, ajouta Courapied, que, nous deux Georget, nous ferions bien la besogne sans vous, mademoiselle. Je préférerais même la faire tout seul.

— Non, père, dit vivement Georget. Mademoiselle m’a permis d’en être et j’en serai.

— Nous en serons tous les trois, reprit d’un ton ferme mademoiselle Monistrol. S’il y a des dangers à courir, j’en veux ma part.

— Des dangers ? dit entre ses dents Courapied ; j’espère que non, puisqu’il ne s’agit que de découvrir où niche nette canaille de Zig-Zag. S’il fallait l’arrêter, ça serait une autre paire de manches. Il se défendrait, le gueux, et nous passerions un mauvais quart d’heure.

— Ce soir, il suffira que je le voie. Quand je l’aurai reconnu, je sais ce qu’il me restera à faire.

— Le voir sans qu’il nous voie, j’ai peur que ça ne soit pas très commode. Vous pensez bien qu’il ne se montre pas dans les endroits publics. Et s’il loge en garni, il ne fera pas bon monter chez lui.

— Le principal c’est que je sache où il est et si le chien nous y conduit, comme vous l’espérez…

— Oh ! ça, j’en réponds… à moins que Vigoureux ne s’échappe en route… et il ne s’échappera pas… la corde est solide et j’ai bonne poigne ; il nous mènera tout droit au gîte de son maître. C’est quand nous en approcherons que les difficultés commenceront. En attendant, ça me chiffonne de laisser partir la boîte… si je pouvais la casser à coups de marteau, nous verrions ce qu’elle a dans le ventre.

— Pas moyen, père. Elle est doublée en acier, dit Georget. Mais nous pourrions assommer Vigoureux et après…

— Tu lui en veux, parce qu’il t’a mordu souvent. Ça m’irait aussi de l’exterminer. Seulement, sans lui, nous ne repincerions jamais cette canaille de Zig-Zag. C’est vrai que si nous réussissions à ouvrir le petit coffre, nous y trouverions probablement ses papiers…

— Et autre chose avec, père. S’il n’y avait que des papiers, ça ne ferait pas de bruit quand Vigoureux se secoue.

— Des fausses clés, peut-être, ou un couteau catalan. Je lui en ai connu un dans le temps… et je n’ai jamais su ce qu’il en avait fait.

Camille écoutait, en fronçant le sourcil, ce dialogue entre le père et le fils.

— Vous avez donc peur de cet homme ? dit-elle froidement.

— Mais, mademoiselle… il y a de quoi, murmura Courapied.

— C’est bien. J’irai seule. Ce chien me guidera. Je suis assez forte pour le tenir en laisse.

— Et je souffrirais ça ! Faudrait que je sois bien lâche. Ce que j’en disais, voyez-vous, c’était parce que ça me crève le cœur de ne pas garder la boîte. Mais il y aura peut-être moyen de tout arranger. Une fois que nous saurons où Zig-Zag s’est terré, si vous ne tenez pas à entrer, nous pourrons ramener Vigoureux, et comme nous n’aurons plus besoin de lui, je me payerai le plaisir de le pendre avec sa laisse.

En attendant, Courapied lui lança un coup de pied dans les côtes et le dogue se leva en poussant des grognements étouffés. En même temps, Georget défit le lien qui l’attachait au pied de la table et remit le bout de la corde à son père.

Il y eut alors une bataille entre l’homme et la bête, mais Vigoureux, solidement muselé, n’était pas très redoutable. Il eut beau se cabrer et se ruer sur Courapied, force lui fut de se remettre sur ses quatre pattes. Il recommença alors à tirer sur sa chaîne de chanvre pour gagner la porte.

— Voyez ! il ne demande qu’à marcher, dit Courapied. Nous n’avons plus qu’à le suivre, et il va nous mener bon train.

Camille embrassa Brigitte, qui avait le cœur gros, et lui dit avec le sang-froid d’un soldat partant pour monter à l’assaut :

— Si je n’étais pas rentrée avant le jour, tu irais prévenir M. Gémozac, quai de Jemmapes, 124, et tu lui dirais ce qui s’est passé ici ce soir. Il ferait ce qu’il faudrait pour qu’on me retrouvât.

— Oh ! mademoiselle, s’écria Courapied, ça n’arrivera pas ce que vous dites là. Pensez donc que nous sommes trois. Zig-Zag ne nous escamotera pas tous les trois comme des muscades… quoiqu’il travaille aussi dans cette partie-là. Il file la carte comme pas un et il ferait sa fortune au bonneteau, s’il n’avait pas de meilleurs tours dans son sac. Mais il ne s’agit pas de ça… s’il y a un mauvais coup à recevoir, ce sera pour moi… et je n’ai pas peur de mourir, parce que je suis sûr que vous auriez soin du petit.

— Il ne me quittera jamais, quoi qu’il arrive, dit Camille. Mais je ne veux pas que vous risquiez votre vie… et vous ne la risquerez pas cette nuit, car nous nous bornerons à une simple reconnaissance. Du reste, si nous étions obligés de nous défendre, j’ai un revolver sous ma blouse, et je saurais m’en servir.

Brigitte leva les bras au ciel, en entendant cette déclaration belliqueuse. La brave femme savait que Camille ne craignait rien au monde, mais elle ne s’était jamais figuré que Camille ferait, au besoin, le coup de pistolet.

— Mademoiselle, reprit Courapied, c’est le moment de nous mettre en route. Plus nous tarderons et plus nous aurons de mauvaises chances contre nous. Zig-Zag ne doit pas loger dans les beaux quartiers, et s’il s’est caché du côté des fortifications, il ne fait pas bon, par là, après minuit.

Mademoiselle Monistrol embrassa Brigitte, qui pleurait sans mot dire, et sortit en faisant signe à ses nouveaux amis de la suivre.

Elle avait pris la tête de la petite troupe qui partait en guerre contre l’affreux Zig-Zag, mais elle reconnut bientôt la nécessité d’intervertir l’ordre de marche.

L’itinéraire n’était pas fixé, puisqu’on ne savait pas où on allait. Il fallait donc s’en rapporter à Vigoureux, et Courapied, qui le tenait en laisse, devait logiquement passer le premier.

Ainsi fut fait, quand la colonne se forma sur le boulevard Voltaire. On décida même que le mari d’Amanda marcherait seul, un peu en avant, et cela par la raison qu’il était vêtu comme un bourgeois aisé, et que les passants pourraient s’étonner de le voir flanqué d’un ouvrier en blouse et d’un gamin en livrée de fantaisie.

Camille et Georget restèrent donc à l’arrière-garde, et, habillés comme ils l’étaient, ils pouvaient aller côte à côte sans qu’on les remarquât.

La question qui les intéressait tous, c’était de savoir quelle direction le dogue allait prendre.

Vigoureux n’hésita pas une seconde. Il se mit à descendre le boulevard avec un élan que Courapied eut toutes les peines du monde à contenir.

Jamais limier, approchant d’une enceinte où s’est remisé un sanglier, ne tira avec plus de force sur sa longe, tenue par un valet de chiens.

Bien en prit à l’ancien pitre d’avoir du biceps.

Du reste, il n’y avait personne pour assister à ce départ et rien n’empêchait Camille et Georget d’échanger leurs impressions.

— Elle sait bien où elle va, la sale bête, murmura Georget.

— Je le crois, dit Camille, et son maître ne doit pas être loin d’ici.

— Savoir, mademoiselle ! Zig-Zag serait à Versailles que Vigoureux le sentirait tout de même. Tenez ! l’an passé, nous faisions la Picardie… on l’avait enfermé dans une écurie, à Roisel, où nous avions couché et on l’y avait oublié… il a cassé la porte, et il nous a rattrapés le soir, à Péronne… il y a bien trois lieues de pays. Zig-Zag, des fois, s’amusait à le perdre exprès, pour montrer comme il savait retrouver son chemin, et pour épater les bourgeois des villes où on travaillait. On lui en a offert des deux et des trois cents francs, mais il n’a pas voulu le vendre. Il sait que Vigoureux le défendrait si on voulait l’arrêter.

— Il craint donc d’être arrêté ?

— Dame ! il n’a jamais eu de papiers, depuis qu’il voyage avec nous, ou, s’il en a, personne ne les a vus. Ça fait qu’il n’aime pas les gendarmes. Mais il est malin comme un singe et il se tire toujours d’affaire, à preuve qu’on voulait l’arrêter l’autre semaine et qu’on l’a laissé aller.

Et puis, ajouta Georget en baissant la voix, si jamais un agent lui mettait la main dessus, Zig-Zag n’aurait qu’à siffler son chien. Amanda l’a dressé à sauter à la gorge de n’importe qui, dès qu’elle lui fait signe… et un signe qu’on ne voit pas… elle a un truc… Père dit que c’est en faisant craquer ses ongles et en regardant l’homme qu’elle veut faire étrangler… Vigoureux comprend.

Camille tressaillit. Son père était mort étranglé et le mot que Georget venait de prononcer lui rappelait une effroyable scène. Elle se tut et l’enfant n’osa pas continuer l’entretien.

Ils marchaient d’ailleurs aux allures vives, afin de ne pas se laisser distancer par Courapied que le bouledogue entraînait plus vite qu’il ne voulait ; si vite qu’ils arrivèrent bientôt au bout de ce long boulevard, c’est-à-dire sur la place du Château-d’Eau.

Là, il y avait du monde, des voitures, une station d’omnibus, mais ils n’attirèrent pas trop l’attention. Quelques flâneurs s’arrêtaient ou se retournaient pour examiner ce gros chien qui tenait un coffret dans sa gueule, mais ils ne voyaient pas la courroie qui lui liait le museau et ils n’y prenaient pas garde ; à Paris, les chiens portant des paquets ne sont pas rares, et Courapied n’avait rien qui le distinguât des autres passants.

Camille et Georget hâtèrent un peu le pas parce qu’ils craignaient de perdre de vue leur chef de file, et ils virent qu’après avoir traversé l’esplanade plantée qui s’étend devant la caserne, il enfilait, sans hésiter, le boulevard Magenta.

C’était presque une indication. Cette large voie remonte vers les hauteurs de l’ancienne banlieue du Nord. Elle conduit à Montmartre ou à La Villette, suivant qu’on tourne à gauche ou à droite, lorsqu’on arrive aux boulevards extérieurs.

Ainsi commençaient à se vérifier les prédictions de Courapied qui, en s’abouchant avec mademoiselle Monistrol sur la place du Trône, annonçait déjà que Zig-Zag devait s’être réfugié dans un des arrondissements les plus éloignés du centre.

L’ardeur de Vigoureux ne s’était pas calmée. Il tirait plus que jamais sur sa laisse et s’il s’arrêtait parfois, c’était pour grogner sourdement contre Courapied, qui se maintenait à la même allure régulière au lieu de prendre le pas de course.

— Vous devez être fatiguée, mademoiselle, dit doucement Georget.

— Non, répondit Camille. Je marcherai toute la nuit, s’il le faut. Mais ne m’appelle plus : mademoiselle. Donne-moi un nom d’homme et retiens-le bien pour t’en servir, si on nous parle.

— Jacques ?… voulez-vous ?

— Autant celui-là qu’un autre, pourvu que tu ne l’oublies pas.

— Oh ! il n’y a pas de danger. Mais j’espère qu’on ne nous dira rien.

— Tu crois donc que, si on me parlait, on s’apercevrait que je suis une femme ? C’est possible, après tout. Je ne peux pas changer ma voix, mais, s’il faut répondre, tu répondras pour moi. Et la preuve que je suis bien déguisée, c’est que les gens que nous rencontrons passent sans me remarquer.

À vrai dire, il n’en passait pas beaucoup. À cette heure avancée, le boulevard Magenta n’est pas très fréquenté. Mais, plus loin, il n’en serait peut-être pas de même, et Georget, qui s’en doutait, redevint silencieux.

Au boulevard extérieur, Vigoureux prit à gauche. C’est le chemin qui mène à la place Pigalle, qui reste animée et fréquentée jusqu’à deux heures du matin.

On pouvait s’attendre là à quelques incidents, et il n’en survint aucun. Les couples attablés devant les cafés de ce rond-point ne se dérangèrent point pour regarder sous le nez mademoiselle Monistrol ni ses auxiliaires.

Le voyage continua donc sans encombre, et arrivé à la place où s’élève la statue du maréchal Moncey, Vigoureux s’engagea dans l’avenue de Clichy, qui aboutit aux fortifications.

Elle n’en finit pas, cette avenue de Clichy, et elle est assez mal fréquentée, le soir surtout. Au commencement, du côté de la place Moncey, ce ne sont que cafés où se rassemblent les artistes du quartier, débits où les ouvriers viennent se mettre le gosier en couleur, restaurants où les bourgeois des Batignolles dînent en partie fine. C’est bruyant, mais c’est honnête.

Plus loin, l’avenue bifurque. Une des voies qui se présentent aboutit à la porte de Clichy, l’autre à la porte de Saint-Ouen. Cette dernière passe tout près du cimetière Montmartre et ce voisinage fait qu’elle n’est pas très habitée. Sur l’autre, au contraire, s’embranchent une foule de ruelles, d’impasses et de cités où logent d’innombrables familles de travailleurs et quelques mal-vivants. Ce n’est pas encore dangereux, mais on s’aperçoit déjà que ces populations n’ont rien de commun avec les paisibles citadins des arrondissements du centre.

On n’est pas en pays ennemi ; on est en pays inconnu.

Vigoureux prit le chemin le moins désert, à la grande satisfaction de Courapied, qui ne tenait pas à traverser des solitudes où on rencontre assez souvent des rôdeurs de barrière en quête d’un mauvais coup. Une bande de ces malandrins aurait eu beau jeu contre une femme, un enfant et un homme embarrassé d’un chien qui, certes, ne l’aurait pas défendu, en cas d’attaque, et qui se serait probablement sauvé en emportant la précieuse cassette.

Mais la joie de Courapied n’était pas sans mélange, car il voyait bien que le voyage allait se terminer hors de l’enceinte fortifiée et il savait qu’après la porte de Clichy, il n’y avait plus que des terrains vagues et des bouges.

Vigoureux tirait plus furieusement que jamais, comme tire un cheval qui approche de son écurie. Et Courapied se laissait traîner, quoiqu’il eût bonne envie de s’arrêter.

Camille et Georget suivaient d’un peu plus près qu’auparavant. En campagne, au moment de traverser un défilé périlleux, les soldats éprouvent le besoin de se sentir les coudes.

On rencontrait de temps à autre des figures peu rassurantes, et on passait devant des cabarets borgnes d’où sortaient des vociférations d’ivrognes. Mais Camille n’y prenait pas garde.

Elle ne pensait qu’au meurtrier de son père et il lui tardait d’arriver au repaire où il se cachait. Elle ne réfléchissait pas qu’il lui serait probablement impossible d’y pénétrer, que, la nuit, elle aurait beaucoup de peine à reconnaître Zig-Zag, alors même qu’elle le verrait, et plus de peine encore à examiner ses mains. Elle allait, poussée par un violent désir de vengeance, et fermement convaincue qu’au moment décisif, Dieu lui suggérerait un moyen d’en venir à ses fins.

Courapied, qui dirigeait la marche, passa devant la station du chemin de fer de ceinture et arriva au chemin de ronde qui longe les fortifications et qu’on a décoré de noms de maréchaux du premier empire. À gauche, le boulevard Berthier ; à droite, le boulevard Bessières. En face la porte de Clichy et une caserne de l’octroi.

Avant d’aller plus loin, le mari d’Amanda jugea qu’il était opportun de tenir conseil.

Le lieu s’y prêtait, car on ne voyait personne ; des conspirateurs auraient pu s’y réunir et y jurer la mort des tyrans en pleine sécurité, comme les trois Suisses de l’opéra de Guillaume Tell, dans la prairie du Grütli.

Il ne s’agissait pas de prêter serment, mais de se concerter sur les opérations qui allaient enfin commencer sérieusement.

Courapied se tira un peu à l’écart, prit position sur le talus intérieur du bastion le plus rapproché et appela à lui ses deux compagnons.

— Mademoiselle, dit-il, quand le petit groupe fut formé, voici le moment de prendre un parti. Au delà de cette porte, nous allons nous trouver dans un des plus mauvais endroits de la banlieue. Et c’est là que Vigoureux nous mène, il n’y a plus moyen d’en douter. Eh bien ! on risque sa peau à se promener, à l’heure qu’il est, sur la route de la Révolte.

— Pourquoi ?… demanda Camille. Parce qu’elle est déserte ?

— Au contraire, mademoiselle. Parce qu’elle passe entre des rues trop peuplées. Des deux côtés, il n’y a que des garnis où tous les chenapans de Paris viennent coucher. Si Zig-Zag s’est terré là, ce n’est pas la peine de l’y chercher. Nous ne l’y trouverions pas, et nous n’en sortirions pas vivants.

— Allons toujours, jusqu’à ce que le chien s’arrête devant une maison. Et, après, nous verrons.

— Et s’il nous conduit dans une cité ?

— Une cité ? répéta mademoiselle Monistrol, qui n’avait aucune idée de la manière de vivre de ces gens-là.

— Une cité, mademoiselle, c’est comme un campement de sauvages. Des baraques plantées dans la boue et séparées par des fondrières où on enfonce jusqu’au genou. On y marche sur les charognes et il y a de quoi être asphyxié. La police n’ose pas y mettre le nez… à moins qu’il ne s’y commette un crime et ça n’est pas rare.

— Zig-Zag, qui veut, dites-vous, changer d’existence, n’a certainement pas pris gîte dans un de ces taudis.

— Oh ! pas pour longtemps, mais on prend ce qu’on trouve, en attendant qu’on ait fait peau neuve. Et puis, Amanda a des connaissances par ici, je le sais. Elle m’y a envoyé plus d’une fois. Ça fait que je connais la route depuis Neuilly jusqu’à Saint-Denis.

— Alors, vous serez un guide excellent. D’ailleurs, à quoi bon délibérer, puisque je suis résolue à aller jusqu’au bout, quoi qu’il puisse arriver. Avançons, vous et moi. Georget nous attendra ici.

Le brave gamin ne dit mot, mais il s’achemina tout doucement vers la porte de Clichy.

Courapied ne pouvait pas moins faire que de suivre l’exemple donné par son fils. Il rendit la main à Vigoureux, qu’il avait eu beaucoup de peine à retenir pendant cette courte conférence, et Camille marcha à son côté.

Ils franchirent la barrière, gardée par deux commis qui les regardèrent beaucoup et qui, sans doute, ne les auraient pas laissés passer en sens inverse sans exiger qu’on ouvrît la cassette, car on a vu plus d’une fois des chiens porter de la contrebande. Mais il s’agissait de sortir de Paris et les liquides ne payent qu’à l’entrée. Les gens de l’octroi n’avaient rien à dire.

— Sommes-nous maintenant sur cette terrible route de la Révolte ? demanda mademoiselle Monistrol, quand ils eurent franchi la porte.

— Non, mademoiselle, répondit Courapied, émerveillé du sang-froid de sa protectrice ; nous allons y arriver ; elle est là devant nous, mais ici, c’est encore l’avenue de Clichy.

— Et ces cabanes, des deux côtés ?…

— Servent de domicile aux joueurs d’orgues et aux montreurs de singes qui travaillent dans les rues. Pas de danger que Zig-Zag se soit remisé là. Il y en a, là-dedans, qu’il a rencontrés dans nos tournées, et il ne tient pas à être reconnu. Aussi, vous voyez que Vigoureux ne s’y arrête pas.

Vigoureux, en effet, continuait à tirer de toutes ses forces, et cinq minutes après, le groupe des chasseurs d’homme déboucha dans un carrefour triangulaire formé par l’intersection de l’avenue de Clichy avec la route mal famée.

— Nous y sommes, dit à demi-voix Courapied.

Courapied parlait bas, comme s’il eût craint d’être entendu et cependant le carrefour était désert.

Mademoiselle Monistrol regarda autour d’elle et à la lueur des becs de gaz beaucoup trop espacés, elle vit une large route qui s’étendait à droite et à gauche.

L’aspect n’avait rien d’extraordinaire. C’était ce qu’on appelle, en langage administratif, un « chemin de grande communication, » comme il y en a par toute la France, y compris le département de la Seine.

C’est pourtant une voie sinistre, et le vieux saltimbanque n’avait point exagéré la triste réputation que lui ont acquise les nombreux crimes commis dans ces parages.

Son nom même qui lui vient, dit-on, d’une révolte des gardes-françaises, au camp des Sablons, son nom presque menaçant semble l’avoir prédestinée à servir de théâtre à des scènes sanglantes.

Elle commence au rond-point de la Porte-Maillot, et c’est précisément là que le duc d’Orléans mourut, à trente ans, d’une chute de voiture. Elle traverse Neuilly, elle pénètre dans Paris, elle en sort un peu plus loin et s’allonge dans la plaine de Clichy, après avoir coupé à angle droit la route d’Asnières.

Là, elle entre en plein pays de Bohème. Elle passe d’abord sur le territoire des chiffonniers qui campent à la belle étoile, ou peut s’en faut et se nourrissent dans des gargots, où on leur sert des aliments sans nom et des boissons au vitriol.

Ce n’est rien encore. Les chiffonniers sont presque tous de braves gens, qui travaillent la nuit et qui dorment le jour. Mais la route arrive à Clichy, en passant sous la voûte du chemin de fer de l’Ouest, un vrai souterrain où on peut assommer un homme sans craindre d’être dérangé pendant l’opération.

À droite, s’étendent des terrains vagues où viennent dormir les vagabonds et les malfaiteurs. Puis, viennent des ruelles fangeuses, des impasses sombres, des passages qui sont des coupe-gorges, et la cité du Soleil, ainsi nommée parce qu’elle est entourée d’une ceinture de tournesols, car le soleil ne s’y montre guère.

Et ce n’est pas fini. Plus il s’étend, plus ce chemin maudit s’enfonce dans l’horrible.

Au delà du carrefour où s’étaient arrêtés Camille Monistrol et ses auxiliaires, il y a d’autres repaires échelonnés des deux côtés. Chaque rue rappelle un souvenir judiciaire. Le sang y a coulé.

Et c’était dans cette direction que l’horrible dogue cherchait à entraîner Courapied.

— Allons ! murmura le pauvre pitre, résigné à tout, Zig-Zag est probablement caché dans la cité Foucault. Nous ne pouvions pas plus mal tomber. Sur cent locataires de la Femme en culottes, il y en a quatre-vingts qui sortent de Mazas.

— Marchons ! dit résolument Camille.

Il fallut obéir. Seulement, elle se renseigna tout en cheminant, et Courapied lui apprit que la « femme en culottes » était une demoiselle qui administrait, en costume masculin, cette cité bizarre ; qu’elle ne craignait pas de prendre au collet les récalcitrants, et qu’elle ne se gênait pas pour démonter les portes de leurs chambres quand ils s’obstinaient à ne pas payer.

On arriva bientôt à la hauteur de cet assemblage de baraques construites toutes sur un modèle unique. C’est une longue suite de rez-de-chaussée surmontés d’un étage avec balcon de bois.

Tout le monde dormait dans la cité, ou du moins on n’y entendait aucun bruit, et ce silence était rassurant.

Mais en face, et de l’autre côté de la route, s’élevait une grande maison blanche où l’on vendait à boire et à manger, comme l’indiquait une énorme enseigne peinte par un artiste inconnu, un vrai tableau représentant, au premier plan, une immense casserole ; autour de cette casserole, un prêtre, un bedeau, un enfant de chœur et un croque-mort : tout le personnel d’un enterrement ; au fond dans un lointain vague, de longues files de lapins, accourant sur deux rangs pour se précipiter dans le bassin de cuivre où ils vont passer de vie à gibelotte.

Au-dessus de cette toile fantaisiste, s’étalait en gros caractères l’inscription : Au tombeau des lapins ; inscription qui avait beaucoup contribué à la renommée de l’établissement.

Le Tombeau des lapins était connu dans tous les mondes, à ce point que l’élégant Alfred de Fresnay le citait à la comtesse de Lugos comme une des curiosités du Paris marginal.

Ce soir-là, on y menait grand tapage et toute la vie du quartier semblait s’être concentrée dans la salle basse, brillamment éclairée au dedans et même au dehors, car une énorme lanterne se balançait, suspendue au-dessus de l’enseigne. On criait, on se disputait, on chantait à tue-tête des refrains orduriers et la compagnie devait être nombreuse, à en juger par le vacarme qu’elle faisait.

— Est-ce là ? demanda Camille en voyant que Vigoureux s’arrêtait devant la façade du cabaret et levait le nez en l’air pour prendre le vent.

Mais le chien, après avoir flairé pendant quelques secondes, secoua la tête et se remit à traîner Courapied qui répondit :

— Non, mademoiselle. Le père Villard, qui tient la maison, ne loge pas à la nuit. Zig-Zag ne trouverait pas à coucher, ici. J’aime autant ça. Il y a trop de monde dans la cambuse et si nous y entrions, les pochards nous tomberaient dessus.

Et le pitre défroqué ajouta, après un instant de réflexion :

— Ça se pourrait bien, tout de même, que le gueux y soit venu ce soir. Vigoureux l’a senti, car il a marqué l’arrêt.

— Alors, son maître ne doit pas être loin, dit Camille. Avançons.

— Il n’y a plus devant nous que le quartier des Épinettes, et, s’il y est, je m’étonne que le chien ne nous y ait pas menés par la porte de Saint-Ouen. C’est le plus court chemin.

— Il a pris le chemin par lequel Zig-Zag a passé.

— Oui… il le suit à la piste… Nous sommes sûrs de ne pas le manquer, mais… savoir comment ça finira…

Mademoiselle Monistrol ne releva pas cette phrase restrictive, qui ne lui apprenait rien de nouveau, car elle savait parfaitement que le mari d’Amanda n’était pas tranquille sur l’issue de l’expédition. Mais elle savait aussi qu’il ne l’abandonnerait pas. Et ce n’était plus le moment de discuter les chances de l’entreprise.

Ils continuèrent à cheminer en groupe serré derrière Vigoureux qui se démenait de plus en plus, parce qu’il approchait du but, et ils passèrent devant d’autres ruelles à peine éclairées par quelques réverbères à l’huile.

Un peu plus loin, au bord de la route, se montraient çà et là des baraques faites, les unes avec des planches pourries, les autres avec des moellons volés dans des maisons en démolition ; de vraies huttes de sauvages, construites par des civilisés, car il y en avait deux ou trois pour lesquelles on n’avait employé d’autres matériaux que des boites à sardines, bourrées de terre, empilées avec un certain art et cimentées avec du plâtre.

Il ne paraissait pas qu’elles fussent habitées, car on n’y voyait pas briller la moindre lumière.

Du reste, le chien tirait toujours et, au delà de ces bicoques, on n’apercevait plus que des champs incultes.

— Ah ! çà, dit entre ses dents Courapied, est-ce qu’il va nous mener à Saint-Denis ? Nous y arriverions demain matin.

Tout à coup, Vigoureux fit un bond à gauche, un bond si violent qu’il faillit rompre la corde et après le bond, un crochet qui jeta Courapied hors de la route.

La route, à cet endroit, se trouvait de plain-pied avec les terrains plats qu’elle traversait et elle n’en était séparée que par un fossé, pas beaucoup plus profond qu’un sillon de labourage. Courapied, entraîné pas le chien, franchit ce creux sans presque s’en apercevoir et se trouva dans un champ pierreux où l’herbe poussait à peine.

Camille et Georget s’empressèrent de l’y suivre et là on tint conseil encore une fois, en dépit des sauts furibonds de Vigoureux qui brisaient les poignets du pauvre mari d’Amanda.

Il fallait, avant tout, s’orienter, et ce n’était pas très facile par une nuit sans lune.

À droite, de l’autre côté de la route, la butte Montmartre se dessinait comme une énorme bosse sur l’horizon embrumé. En arrière, des points lumineux piquaient les ténèbres, les uns immobiles et assez rapprochés, les autres s’agitant dans le lointain, comme des feux follets.

— Ici, les lanternes de la cité Foucault et là-bas les falots des chiffonniers qui commencent leur tournée, murmura Courapied.

— Mais… devant nous ? demanda mademoiselle Monistrol.

— Devant nous, c’est la plaine Saint-Denis et à moins que Zig-Zag ne soit gîté dans un puits de carrière, je ne comprends pas où ce chien veut nous mener.

— Père, dit Georget, il me semble que je vois une maison… à deux cents pas d’ici… un peu sur la gauche.

— Tu as de bons yeux, toi… Je ne vois rien.

— Moi, j’aperçois quelque chose, dit Camille ; mais je ne distingue pas très bien si c’est une maison ou un tertre. Dans tous les cas, c’est là que le chien veut aller. Laissez-le faire.

— Je ne demande pas mieux, car je n’en peux plus. La corde me coupe les doigts. Mais, si nous le suivons, Dieu sait où il va nous mener. Encore, si on était sûr que c’est à une maison ! Mais ces terrains-là sont pleins de trous…

— Il a trop d’instinct pour y tomber, et il nous servira à les éviter. Nous n’avons qu’à marcher derrière lui,… un à un.

La jeune fille avait réponse à tout, et Courapied se résigna, d’assez mauvaise grâce, à exécuter la manœuvre qu’elle lui indiquait. Il suivit Vigoureux, et il lui eût été difficile de faire autrement, à moins de le lâcher, car il n’était plus de force à lui résister.

Georget venait après son père, et Camille après Georget.

C’était la file indienne, et cet ordre de marche convenait parfaitement à des gens qui tenaient à surprendre un ennemi au gîte ; car, ainsi rangés, ils n’étaient qu’un point, presque invisible dans cette vaste plaine, et ils avaient des chances d’arriver jusqu’à la maison, sans qu’on signalât leur approche.

À cent mètres de leur point de départ, ils rencontrèrent un gros tas de pierres qu’ils n’avaient point aperçu de loin et qui était cependant assez élevé pour les abriter. Courapied, toujours prudent, s’y arrêta et se mit à examiner les abords de la place.

C’était bien une maison, mais une maison en ruines. Le toit s’était effondré, et de deux cheminées qui surplombaient autrefois cette bâtisse, il n’en restait qu’une debout ; l’autre, en s’écroulant, avait couvert le sol de débris amoncelés. Cependant il y avait encore des volets aux fenêtres et les quatre murs paraissaient solides. Peut-être n’entouraient-ils qu’un espace vide, car aucune clôture ne protégeait extérieurement ces restes d’une villa abandonnée.

Qui l’avait détruite ? Il ne paraissait pas que ce fût un incendie, car elle était construite en briques rouges qui avaient conservé leur couleur. Ce n’était pas non plus le canon, car on ne s’est pas battu là pendant le siège.

Courapied s’inquiétait fort peu de le savoir. Il se demandait si sa femme et l’odieux et Zig-Zag étaient venus se cacher parmi ces décombres, et il hésitait à le croire, quoique Vigoureux persistât énergiquement à l’y conduire malgré lui. Mais quoi qu’il en fût, les deux coupables ne pouvaient avoir trouvé là qu’un refuge provisoire, et ceux qui viendraient les y déranger devaient s’attendre à être mal reçus.

— Eh bien, qu’attendez-vous ? lui dit tout bas mademoiselle Monistrol.

— Je n’attends pas, murmura Courapied. Je pense que nous n’avons plus qu’à nous en retourner, car ce serait une folie que d’entrer là-dedans, cette nuit. En plein jour je ne dis pas, mais…

— Demain, ce misérable aura déguerpi. Je veux en finir. Rien ne prouve, d’ailleurs, qu’il est là. Et je vais m’en assurer.

Qui m’aime me suive ! ajouta Camille, en quittant le tas de pierres qui l’abritait, et en se dirigeant résolument vers la maison.

Georget s’élança et la dépassa en un clin d’œil. Courapied n’osa pas rester en arrière, et céda aux efforts de Vigoureux qui le traînait.

Ils n’avaient guère que cinquante pas à faire pour arriver devant la façade mystérieuse, et quand ils y furent, ils s’arrêtèrent encore, mais cette fois d’un commun accord.

Camille elle-même sentait la nécessité d’examiner l’édifice avant d’aller plus loin.

Que Zig-Zag fût là, ce n’était plus douteux. Le chien se dressait sur ses pattes de derrière et faisait des efforts inouïs pour rompre le lien qui l’enchaînait. Il essayait aussi d’aboyer, et, la courroie s’étant un peu relâchée, il réussissait à pousser des grognements qu’on aurait pu entendre d’assez loin. Mais où se tenait l’odieux clown au pouce crochu ? Derrière le mur, ou dans quelque cave creusée sous les ruines ? Et comment l’aborder ?

Au milieu de la façade, on voyait une ouverture béante ; l’entrée d’un corridor sombre dont la porte avait disparu. Mais ce chemin n’était pas engageant.

— Faisons le tour, mademoiselle, dit tout bas Courapied. Nous trouverons peut-être mieux.

— Père, il y a de la lumière, souffla Georget en montrant une des fenêtres du rez-de-chaussée.

Camille regarda et vit qu’un mince filet de clarté filtrait entre les volets mal joints. Il y avait donc là une chambre habitable et Zig-Zag s’y était installé. Elle le tenait enfin et rien ne l’empêchait de le forcer à se montrer. Elle verrait son visage, ses mains, s’il se présentait à la fenêtre tenant le flambeau qui l’éclairait et après… après, elle monterait à l’assaut de son repaire et, le pistolet au poing, elle le forcerait à se laisser lier par Courapied.

C’était absurde, c’était extravagant, mais Camille ne raisonnait plus. Le sang lui montait à la tête. Elle voyait rouge.

Sans hésiter, sans avertir Courapied, elle tira son revolver de sa poche, l’arma, se baissa, ramassa une poignée de cailloux et la lança dans les volets.

La lumière s’éteignit aussitôt et Camille comprit enfin que l’idée qui l’avait poussée à s’annoncer ainsi n’avait pas l’ombre du sens commun, car en admettant que Zig-Zag vînt à la fenêtre au lieu de s’enfuir, elle n’apercevrait pas ses mains dans l’obscurité.

— Sauvons-nous, mademoiselle, lui dit Courapied. Ils sont peut-être une bande… et ils vont nous assommer. Je n’aurai pas la force de vous défendre, car je me suis éreinté à tenir Vigoureux… et je vais être obligé de le lâcher.

— J’aime mieux mourir ici que de fuir au moment où je retrouve l’assassin de mon père.

À ce moment, quelqu’un entrouvrit doucement les volets.

— Qui est là ? demanda une voix de femme.

Mademoiselle Monistrol resta stupéfaite. Elle cherchait Zig-Zag, elle venait d’essayer de l’attirer à la fenêtre et c’était une femme qui répondait à l’appel des cailloux lancés dans les volets.

Et pourtant Vigoureux bondissait de telle sorte qu’il devait avoir reconnu la personne qui parlait.

Courapied aussi l’avait reconnue, car il s’écria :

— C’est la voix d’Amanda.

Il avait malheureusement parlé assez haut pour qu’on l’entendît de la maison et l’effet de cette imprudente exclamation ne se fit pas attendre.

Les volets s’ouvrirent à deux battants et une forme blanche se montra.

Camille et ses auxiliaires restaient groupés sous la fenêtre où se tenait l’apparition, et la nuit n’était pas assez noire pour les cacher.

— Ah ! gueuse ! reprit Courapied, emporté par la colère. Je te retrouve donc enfin et tu vas me payer le tour que tu m’as joué.

— Comment ! c’est toi, imbécile ! reprit la voix. Qu’est-ce que tu viens faire ici ?

— Je viens te chercher, coquine.

— Me chercher ! Ah ! elle est bonne, celle-là ! Tu te figures que je vais encore courir les foires avec toi. Merci, mon bonhomme ! J’en ai assez de ta société et du métier. Tu repasseras une autre fois.

— Oui, compte là-dessus. Je te tiens. Je ne te lâcherai pas.

— Viens donc me prendre. Entre, mon vieux ! La porte est ouverte.

— Oui, et ton amant m’attend dans le corridor pour me tomber dessus par derrière.

— Tiens ! tu as trouvé ça tout seul ? Eh bien, tu te mets le doigt dans l’œil. Je suis seule et il faut que tu sois bien lâche pour ne pas oser avancer. Je ne suis qu’une femme, mais je ne canerais pas comme ça.

— Tu mens !… Zig-Zag est avec toi.

— Zig-Zag ! ah ! ben, tu retardes. Il a filé en même temps que moi, parce que le patron ne nous payait pas notre dû… Mais il n’a pas traîné à Paris. Il a trouvé un engagement à Londres et il est loin, à cette heure, s’il court toujours depuis qu’il est parti.

— C’est pas vrai… et si c’était vrai, on le repincerait. Il serait guillotiné, le scélérat.

— À cause de l’histoire du boulevard Voltaire ? Ah ! bien, il s’en fiche un peu, de cette affaire-là. Le juge l’a lâché ; c’est qu’il n’y avait rien contre lui. Mais tu es donc de la police, maintenant ? Combien te paye-t-on pour filer ton ancien camarade ? Vilain métier que tu fais là. Encore si tu étais malin, tu pourrais y gagner ta vie, mais tu es trop bête… tu ne trouveras jamais rien, et le roussin en chef te mettra à pied un de ces quatre matins.

Est-ce que tu en as amené avec toi, des roussins ?

— Non… mais je vais en chercher. Il y a un poste pas loin d’ici.

— Oui, va, mon garçon. Je les attends. Vous êtes trois. Les deux autres monteront la garde ici, pendant que tu feras ta course. Qui c’est-il, ces deux-là ? Il y en a un petit et un grand. Parions que le petit, c’est ce crapaud de Georget.

L’enfant avait bonne envie de répondre : oui, mais son père lui mit la main sur la bouche.

Camille écoutait en frémissant d’impatience cet étrange dialogue et trouvait qu’il était temps de passer des paroles aux actes. Elle ne doutait plus que Zig-Zag fût là, dans le fond de cette pièce, dont Amanda occupait l’unique fenêtre, et elle cherchait un moyen de le forcer à se montrer.

Il ne s’agissait plus maintenant de voir ses mains et son visage. Il s’agissait de le prendre, et, pour l’empêcher de fuir, elle n’aurait pas hésité à l’arrêter en le blessant d’une balle de revolver.

Mais le clown se gardait bien de paraître.

— Oui, reprit Amanda, j’en suis sûre, maintenant, c’est ce vilain moucheron de Georget. Il se mêle aussi de me faire des misères… C’est bon, je lui revaudrai ça, Mais où as-tu pêché l’autre ?… La blouse blanche, … est-ce que tu l’as embauché dans la troupe pour remplacer Zig-Zag ?

Tout en interpellant ainsi ses adversaires, la coquine se retirait tout doucement de la fenêtre et Courapied pensa qu’elle s’apprêtait à se sauver par l’autre façade de la maison. Il se trompait. Après avoir disparu un instant, Amanda revint et lança un objet qui décrivit une courbe lumineuse comme une étoile filante et qui, en tombant aux pieds de Camille, s’enflamma tout à coup et se mit à répandre une lumière aveuglante.

C’était un de ces feux de Bengale que les baigneurs des plages normandes s’amusent quelquefois à allumer pour éclairer les falaises.

Mademoiselle Monistrol, surprise et éblouie, recula en levant la tête et montra en plein son visage, insuffisamment abrité par son béret.

— Bon ! j’y suis, ricana la voix stridente d’Amanda, c’est la princesse que j’ai mise à la porte de la baraque, l’autre jour, place du Trône. Tu es donc à ses gages, maintenant, que tu l’as conduite ici ? Elle court après Zig-Zag, parce qu’elle se figure que Zig-Zag a tué son papa. Fi ! mademoiselle, que c’est laid de se faire moucharde !… Savez-vous bien qu’il pourra vous en cuire… nous ne sommes pas ici au boulevard Voltaire et j’ai bien envie de me payer la fantaisie de vous traiter comme vous le méritez.

Camille n’écoutait pas ces menaces. À la lueur du feu de Bengale, elle avait cru entrevoir au fond de la chambre la silhouette d’un homme, et cette vision, rapidement évanouie, l’occupait tout entière.

— Et toi, vieux filou, reprit Amanda, tu as donc volé Vigoureux ? Je m’explique, à présent, comment tu es arrivé ici avec ton gosse et la gonzesse, qui se mêle de jouer les travestis. Je l’avais envoyé me chercher ma boîte à bijoux, qui était restée dans la baraque, et tu l’as empoigné, à la sortie… Tu as dû le prendre en traître, car il t’aurait mangé, si tu l’avais attaqué en face. Il a su retrouver son chemin, le brave caniche, et il me rapporte le coffret… Tu n’as pas osé le lui retirer de la gueule, grand couard !… et tu l’as muselé !… et tu l’as attaché avec une corde !… Mais tu vas me faire le plaisir de le lâcher… et plus vite que ça.

Courapied n’obéit point à cet ordre, mais il ne savait quel parti prendre. Il ne se souciait point de suivre Vigoureux dans l’intérieur de cette maison en ruines qui avait bien la mine d’être un coupe-gorge, et, d’un autre côté, lui rendre la liberté, c’eût été perdre tout le fruit d’une longue et pénible expédition. Battre en retraite et ramener le terrible dogue, c’était impraticable. Il aurait fallu le traîner, et Courapied n’en pouvait plus. L’ennemi, d’ailleurs, n’aurait pas manqué de faire une sortie pour délivrer le prisonnier et tomber sur la petite troupe qui se repliait.

Le pauvre pitre regarda Camille pour lui demander conseil, mais le feu de Bengale commençait à s’éteindre et leurs yeux ne se rencontrèrent pas.

— Décidément, tu ne veux pas le lâcher ! cria la complice de Zig-Zag. Eh bien ! nous allons voir !

Un coup de sifflet sec et sonore perça le silence de la nuit.

Vigoureux, qui connaissait ce signal, prit un élan si furieux qu’il entraîna Courapied jusqu’à l’entrée du corridor sombre.

— Aide-moi, Georget, cria le malheureux mari d’Amanda.

Georget saisit la corde à deux mains, mais le chien donna une dernière secousse, qui la rompit, au moment où le père et le fils disparaissaient dans l’allée.

Camille entendit deux cris de détresse, puis un bruit sourd, puis… plus rien.

Le premier mouvement est toujours le bon, à ce qu’on prétend, et mademoiselle Monistrol se précipita pour secourir ses amis disparus. L’entrée du corridor n’était pas loin ; elle y arriva en trois enjambées. Elle allait la franchir et tomber dans le piège comme Georget et Courapied, mais, par bonheur, elle trébucha sur le seuil et elle s’arrêta pour reprendre son aplomb avant de reprendre son élan. Ce léger accident lui sauva la vie. Elle sentit un air frais et humide et ses yeux, qui s’étaient accoutumés à l’obscurité, reconnurent qu’il y avait dans le plancher de l’allée une solution de continuité.

Alors elle comprit. Le père et le fils, entraînés par Vigoureux, n’avaient rencontré sous leurs pieds que le vide et ils étaient tombés tous les deux dans une trappe ouverte, tandis que l’horrible chien, qui connaissait ce trou perfide, le franchissait d’un bond, et allait rejoindre ses maîtres cachés dans la maison.

Et les malheureux auxiliaires de Camille avaient dû se tuer dans leur chute, car ils ne criaient plus. Camille prêta l’oreille et elle n’entendit pas un appel au secours, pas même un gémissement. Sans doute, ils étaient morts sur le coup. Et cette affreuse mort avait été préparée par Amanda, qui espérait supprimer en même temps mademoiselle Monistrol.

Une forteresse est protégée par des fossés ; la villa maudite était protégée par un obstacle invisible, une cave profonde et béante, où se jetaient forcément tous ceux qui essayaient d’entrer sans être avertis du danger.

Et en appelant son chien, Amanda savait fort bien ce qui allait se passer ; son coup de sifflet équivalait à un assassinat.

Camille fit ces raisonnements en moins de temps qu’il n’en faut pour les écrire ; mais se rendre compte de la situation n’était rien. Il s’agissait de prendre un parti, et de le prendre sur-le-champ, car l’atroce femelle qui venait de se débarrasser, par un crime, de son malheureux mari, n’allait certes pas en rester là. L’occasion était trop bonne pour détruire en bloc tous les ennemis de Zig-Zag, alors même qu’elle eût été seule dans son repaire, et son complice devait être là. Camille devait donc s’attendre à une sortie, et elle se prépara d’abord à recevoir à coups de revolver ceux qui l’attaqueraient. Elle eut même la présence d’esprit de calculer que l’attaque ne viendrait pas du fond du corridor, car les assaillants ne pourraient pas, comme Vigoureux, franchir d’un saut l’ouverture de la cave. Mais rien ne les empêchait de faire le tour de la maison, qui avait certainement une autre issue, et de venir couper la retraite à mademoiselle Monistrol.

La pauvre enfant restait penchée sur le gouffre noir qui avait englouti ses alliés, et hésitant malgré tout à les abandonner.

Elle appela Georget à plusieurs reprises et personne ne lui répondit. Essayer de les sauver c’eût été se perdre elle-même et bien inutilement. Mieux valait aller chercher du secours et il n’y avait pas une minute à perdre pour échapper au péril qui la menaçait. Et quel péril ! tomber entre les mains d’un monstre à visage de femme, qui était capable d’inventer des supplices raffinés pour torturer sa prisonnière ! être déchirée par les crocs de ce dogue féroce qu’Amanda ne manquerait pas d’exciter contre elle !

Zig-Zag, du moins, tuait d’un seul coup.

L’imprudente expédition où Camille s’était embarquée coûtait bien cher à ses amis. Pour essayer de réparer le mal qu’elle leur avait fait, il ne lui restait d’autre moyen que de courir au poste le plus voisin et de ramener des agents qui retireraient du gouffre les deux victimes d’Amanda.

Au moment où elle se décidait à fuir, elle entendit deux voix qui parlaient dans l’intérieur de la maison, la voix d’Amanda, qu’elle reconnut très bien, et une autre voix plus grave. Camille ne distinguait pas les paroles, mais le diapason de cette conversation s’élevait progressivement, comme il arrive lorsque les interlocuteurs se querellent. Évidemment, Amanda discutait avec un homme qui ne pouvait être que son complice et mademoiselle Monistrol devina quel était le sujet de la dispute.

Sans doute, l’un des scélérats voulait la tuer sur place et l’autre était d’avis de la laisser fuir.

La jeune fille n’attendit pas la fin de ce colloque. Elle prit sa course, en évitant de passer sous la fenêtre ouverte et quand elle fut arrivée au tas de pierres qui l’avait abritée un instant avec ses infortunés compagnons, elle se retourna pour s’assurer qu’on ne la poursuivait pas.

Elle ne vit personne, mais la nuit était si noire que la vue ne portait pas très loin. En revanche, elle entendit très distinctement aboyer le chien. Ses maîtres l’avaient démuselé et il exprimait sa joie. Les aboiements partaient de la maison. Restait à savoir s’ils n’allaient pas se rapprocher et Camille, médiocrement rassurée, se remit à courir à toutes jambes vers la route de la Révolte.

Il lui semblait qu’elle y serait plus en sûreté que dans cette plaine déserte ; et puis, elle se figurait que cette route, si mal famée qu’elle fût, devait aboutir à une des portes de Paris.

Son costume d’homme ne la gênait pas et elle avait de bonnes jambes. En moins de cinq minutes, elle se retrouva sur le macadam. Là, elle s’arrêta pour souffler et aussi pour décider de quel côté elle allait se diriger.

Camille savait bien qu’en refaisant le chemin qu’elle avait déjà suivi avec Courapied, elle arriverait à la porte de Clichy, mais il lui aurait fallu passer devant ce Tombeau des lapins, où tous les ivrognes de ces parages semblaient s’être donné rendez-vous, ce soir-là. C’était une chance inouïe qu’elle n’eût pas fait de mauvaise rencontre, et elle n’aurait peut-être pas le même bonheur en se risquant une seconde fois de ce côté, surtout maintenant qu’elle était seule. L’armée des chiffonniers venait de se mettre en branle. On apercevait encore leurs falots dans le lointain et Camille ne se souciait pas de les rencontrer, en quoi elle avait tort, car en général les chiffonniers sont d’honnêtes gens, et leur compagnie l’aurait probablement préservée de rencontres plus fâcheuses.

Elle préféra prendre la direction opposée, sans réfléchir que, de ce côté, la route de la Révolte s’éloigne de plus en plus des fortifications. Elle aurait pourtant dû se rappeler que le pauvre Courapied avait dit : « Ce sale chien va finir par nous mener à Saint-Denis. » Mais il était écrit que mademoiselle Monistrol courrait, cette nuit-là, d’autres aventures.

Elle prit le pas accéléré, en ayant soin de marcher au milieu de la route pour éviter les embuscades, et elle alla ainsi pendant un gros quart d’heure, l’œil au guet et le pistolet à la main. Elle voyait toujours la butte Montmartre à sa droite, mais devant elle rien qu’une plaine sans fin et pas une seule lumière.

Alors, elle commença à se demander si elle ne tournait pas le dos à la porte qu’elle cherchait, la porte où elle trouverait des commis de l’octroi qui lui indiqueraient un poste de sergents de ville, et elle cessa d’avancer.

À ce moment, deux ombres surgirent d’une dépression de terrain, deux ombres qui semblaient ramper pour se rapprocher d’elle.

Mademoiselle Monistrol, occupée à chercher son chemin, ne vit pas tout d’abord ces deux ombres suspectes, ou si elle les vit, elle ne remarqua point qu’elles avaient forme humaine, et elle se remit à avancer lentement.

À cet endroit, commençait une côte en pente douce et Camille espérait qu’en montant elle finirait par apercevoir un point de repère qui lui permettrait de s’orienter.

Elle n’alla pas loin. Un léger bruit la fit tressaillir. Il lui sembla qu’on marchait derrière elle sur la route et elle se retourna vivement pour faire face à ceux qui la suivaient. Mais elle n’eut pas le temps de se mettre en défense.

Deux hommes se jetèrent sur elle ; l’un la prit par le cou, l’autre la prit à bras le corps, et elle entendit ces mots :

— Tiens bon ! je vas lui passer le collier, et quand je l’aurai enlevé sur mon dos, tu barboteras les poches.

Camille, en se débattant, pressa machinalement la détente de son revolver ; le coup partit et la balle se perdit dans le vide.

— De quoi ? le pante qui fait le méchant ? reprit un des malandrins. Attends un peu que je le prive de ce joujou-là.

Et d’un coup de bâton vigoureusement appliqué sur le pistolet que tenait la malheureuse jeune fille, il le fit sauter à dix pas, pendant que son complice la serrait à l’étouffer.

Camille poussa un cri, un seul. Elle sentit qu’on lui jetait une courroie autour du cou et elle crut qu’elle allait mourir comme son père, étranglée. L’idée que cet assaillant était Zig-Zag lui traversa l’esprit ; mais elle s’aperçut, presque aussitôt que ces gens-là n’en voulaient qu’à son argent.

L’homme qui tenait d’une main les deux bouts de la courroie et de l’autre une trique, se retourna vivement et enleva Camille qui perdit pied et resta suspendue comme un paquet sur les épaules du bandit, pendant que le second détrousseur commençait à la fouiller.

Elle étouffait et cependant elle conservait le sentiment de l’existence, parce que le lien de cuir ne pesait que sur sa nuque, au lieu de lui serrer la gorge.

La pauvre enfant avait affaire à deux de ces voleurs qui pratiquent le charriage à la mécanique. L’opération est très simple et réussit toujours. Elle se termine assez souvent par la mort du patient, quand il a été enlevé dos à dos, parce que, dans cette position, la courroie porte sur le larynx et supprime complètement la respiration.

Cette fois, les deux coquins avaient employé le procédé le plus doux, et leur victime n’était encore que suffoquée.

Camille sentait de grosses mains se promener dans ses poches, et elle entendait des mots d’argot bourdonner à ses oreilles.

— Il y a gras !… de l’or dans sa montante…, une toquante dans son gilet… en v’là un drôle d’apprenti !… faut que ça soit un rupin qui s’est camouflé en ouvrier pour aller voir une largue de la haute… il a les mains blanches comme une fille.

Tiens ! c’en est une ! dit tout à coup le fouilleur.

Le béret dont Camille était coiffée, venait de tomber, ses cheveux, qu’elle avait rassemblés sur le haut de sa tête, venaient de se dénouer et ses longues tresses pendaient sur sa blouse.

— Comment ! vrai ? c’est une largue ? demanda l’autre, le porteur.

— Oui, mon vieux… et une chouette encore !

— Eh ! ben ! finis le barbot… après, nous l’emporterons dans le champ de fèves… et on pourra rigoler.

— Elle va crier.

— Je m’en bats l’œil. Les roussins sont couchés et les biffins de la cité du Soleil ne passent jamais par ici.

— Ça ne fait rien. Je vas la museler.

Et le coquin, détachant le cache-nez crasseux qui lui servait de cravate, l’appliqua sur la bouche de la jeune fille, lui entortilla la tête avec cette loque de laine et la bâillonna en un clin d’œil.

Cette fois Camille, à moitié asphyxiée, s’évanouit.

— C’est fait. Lâche-la ! reprit l’homme après avoir vidé et retourné toutes les poches.

L’autre ouvrit ses mains qui tenaient la courroie et mademoiselle Monistrol tomba comme une masse sur le macadam de la route.

— Bien ! elle a son compte. Prends la gonzesse par les épaules, moi je vais la prendre par les pieds. Et enlevons !… c’est pesé… je connais, pas loin d’ici, un endroit où nous ne serons pas dérangés.

— Je ne dis pas non, mon vieux. Mais, minute !… je demande à compter d’abord… les bons comptes font les bons amis.

— Tu crois donc que je veux te refaire ?

— Je n’en sais rien, mais je n’ai pas d’yeux derrière la tête et je n’ai pas pu te surveiller pendant que tu la barbotais… Maintenant, je demande à voir… et à partager.

— Voilà, frangin !… quatorze louis de vingt balles qui se baladaient dans la poche de gilet… une montre en or avec sa chaîne… une montre de femme… deux écus de cent sous et neuf francs de monnaie blanche que j’ai pêchés dans la poche du pantalon.

Aboule-moi cent cinquante francs et la toquante… je te tiens quitte du reste.

— Ah ben ! non, par exemple ! C’est moi qui serais refait… Rien que sur la montre, on prêterait cent francs au clou… Part à deux… je la garde, et je vas te coller deux cents francs en tout : c’est ce qui te revient.

— Donne toujours… c’est pas le moment de nous disputer… nous réglerons demain définitivement.

Le fouilleur mit dix louis, un à un, dans la main de son acolyte, qui les empocha en disant :

— Maintenant, ne flânons pas ici. Aide-moi à charrier le colis. Elle ne doit pas peser lourd, c’te p’tiote-là. Et elle me fait l’effet d’être rudement gentille. Nous ne nous embêterons pas, tout à l’heure, dans la cahute que le père Alexandre avait bâtie avec des pots cassés et qu’il a quittée pour déménager depuis qu’il a le sac.

Camille, étendue sur la route, commençait à reprendre ses sens ; elle entendait confusément cet édifiant dialogue entre deux scélérats qui disposaient d’elle et elle devinait quel sort ils lui réservaient. Elle était résolue à ne pas le subir et pour y échapper, elle n’avait qu’un moyen, c’était de les forcer à la tuer.

Ses mains étaient libres : elle s’en servit pour se débarrasser du bâillon qui lui fermait la bouche, et au moment où les deux misérables se baissaient pour l’enlever, elle appela :

— À moi ! au secours ! à l’assassin !

Elle n’espérait pas qu’on viendrait à son aide ; elle espérait que pour la faire taire, ses bourreaux l’achèveraient.

Et ils ne manquèrent pas de lui crier tous les deux :

— Si tu continues à piauler comme ça, on va te faire passer le goût du pain.

Ferme ta margoulette, ou je t’assomme.

En même temps, ils l’empoignaient, comme c’était convenu entre eux, et ils l’emportaient déjà, lorsqu’en passant le fossé qui bordait la route, celui qui la tenait par la tête dit à l’autre :

— Méfions-nous… il me semble qu’on court, là-bas, sur le trimar.

— Eh ben ! après ? C’est un biffin qui va à son ouvrage et qui se dépêche parce qu’il est en retard. Tu sais bien que les roussins, en ronde de nuit, ne courent jamais.

Camille entendait aussi ce pas précipité, et se demandait si c’était le pas d’un sauveur ou celui d’un ennemi.

Camille, heureusement, sut bientôt à quoi s’en tenir.

Les deux gredins la lâchèrent encore une fois. Elle tomba sur le dos, et, pendant qu’elle cherchait à se relever, un homme, qu’elle ne fit qu’entrevoir, se rua sur eux et commença à jouer d’une canne qu’il avait à la main.

Il en joua si bien que les bandits reculèrent tout d’abord.

Celui qui tenait un bâton essaya de se défendre. Un coup vigoureusement appliqué le désarma, et ce coup fut suivi d’une grêle de horions impartialement distribués. Le fouilleur en reçut un à travers la figure et s’enfuit en hurlant ; l’autre, atteint au crâne, n’eut que le temps de suivre son camarade pour éviter d’être assommé.

L’inconnu qui arrivait si à propos resta maître du champ de bataille. Il lui avait suffi de quelques secondes pour disperser ces lâches coquins et il dédaigna de leur donner la chasse. Il savait qu’ils ne reviendraient pas à la charge et il voyait que leur victime avait grand besoin qu’il la secourût. Il vint à elle, et il lui tendit la main pour l’aider à se remettre sur pied.

— Eh bien ! mon garçon, lui dit-il, nous n’avons rien de cassé, à ce qu’il me paraît. C’est égal, il était temps que je vinsse à votre secours, et j’ai eu une heureuse idée quand j’ai pris ce chemin pour rentrer dans Paris. Mais aussi, que diable cherchez-vous par ici à des heures pareilles ? Si vous y êtes venu pour dépenser votre paye dans les cabarets, vous avez fait un mauvais calcul, car ces drôles ont dû vous prendre votre argent et je m’étonne qu’ils ne vous aient pas assassiné par-dessus le marché. Vous avez eu peur, hein ? Remettez-vous… et appuyez-vous sur moi… vous ne tenez pas debout.

— Oh ! monsieur, murmura Camille, vous m’avez sauvé la vie.

Et elle se dégagea doucement du bras de son défenseur, qui la soutenait pour l’aider à reprendre son aplomb.

Le timbre féminin de la voix qui le remerciait l’étonna sans doute, car il recula de deux pas et il se mit à dévisager cet apprenti qui parlait comme une demoiselle.

Il ne tarda guère à remarquer les longues tresses qui pendaient sur la blouse et il s’empressa de changer de langage.

— Excusez-moi, madame, dit-il ; je ne pouvais pas deviner que sous ce costume d’ouvrier…

— Il y avait une jeune fille, acheva mademoiselle Monistrol. Je vous expliquerai pourquoi je me suis déguisée ainsi… mais avant tout, je vous en supplie, monsieur, aidez-moi à secourir mes amis…

— Vos amis ? vous n’étiez donc pas seule ?

— Non, je suis venue ici avec un brave homme et un enfant…

— Eh bien, que leur est-il arrivé ?

— On leur a tendu un piège… une trappe ouverte… ils y sont tombés… et je doute qu’ils aient survécu à cette chute effroyable.

— Une trappe ?… dans cette plaine ?… demanda l’inconnu en souriant d’un air incrédule.

— Non… dans une maison en ruines…

— En ruines, mais habitée sans doute, puisque vous dites que le piège était préparé.

— Oui… par des scélérats que je cherchais pour les livrer à la justice… un assassin et sa complice.

Le sauveur ne broncha point, mais il crut probablement que Camille était folle.

— Comment se fait-il qu’ils vous aient épargnée ? dit-il en la regardant avec une attention mêlée de pitié.

— Parce que j’ai fui. J’aurais dû mourir avec mes amis, mais je ne pouvais plus rien pour eux et j’ai voulu vivre pour les venger.

— Et les brigands vous ont poursuivie jusque sur la route où je viens de vous rencontrer ?

— Non, monsieur ; les gens dont vous m’avez délivrée sont des voleurs que je ne connais pas et qui m’ont attaquée comme ils auraient attaqué un autre passant.

— Mais… ceux de la maison, vous les connaissez ?

— L’un des deux a tué mon père.

— Alors, répondit froidement le monsieur, vous auriez dû vous faire accompagner par des agents de police.

— J’avais, pour agir seule, des motifs que je vous expliquerai. Mais, au nom du ciel, ne perdons pas de temps… deux malheureux se sont sacrifiés pour moi et si je les abandonnais…

— Pardon, mademoiselle, vous venez de dire vous-même qu’ils ont dû se tuer en tombant dans une cave. Vous vous exposeriez inutilement. Les coupables sans doute n’ont pas quitté la place et, à nous deux, nous ne serions pas les plus forts, si nous les attaquions dans la maison où vous les avez laissés. Pour ma part, je ne m’y risquerais pas et cependant je crois vous avoir prouvé que je ne suis pas un lâche.

— Oh ! certes !… je ne sais comment vous prouver ma reconnaissance, mais faut-il donc laisser mes défenseurs à la merci de ces misérables ?

— Il faut d’abord vous mettre en sûreté, et vous n’y serez qu’en rentrant dans Paris. Si nous restions ici, nous serions infailliblement attaqués et, cette fois je ne serais peut-être pas aussi heureux que je viens de l’être contre deux rôdeurs de barrières.

— Je ne veux pas vous exposer à de nouveaux dangers, dit vivement mademoiselle Monistrol.

— Alors, permettez-moi de vous escorter jusqu’à votre domicile. Demain, si vous m’y autorisez, j’irai exposer les faits au chef de la sûreté.

— Non… il ne ferait rien, murmura Camille, qui ne croyait plus à l’intelligence, ni au bon vouloir des agents de la Préfecture, depuis qu’ils avaient relâché Zig-Zag.

— Préférez-vous que j’agisse seul ? reprit l’obligeant inconnu. Je suis tout à votre disposition. Ce qui serait impraticable cette nuit, je le tenterai en plein jour et je vous jure de vous renseigner non seulement sur le sort de vos amis, mais encore sur les agissements de vos ennemis.

Acceptez mon bras, mademoiselle, et ne nous attardons pas ici, je vous en conjure.

À ce moment, un aboiement lointain fit tressaillir Camille.

— Le chien ! l’horrible chien ! murmura-t-elle. Ils l’ont lancé sur mes traces… il se jetterait sur vous… partons !

Elle prit le bras que lui offrait son protecteur, qui s’empressa de quitter la place avec elle. Il l’emmena dans la direction qu’elle suivait lorsqu’il l’avait rencontrée, mais un peu plus loin, au lieu de continuer à avancer sur la route de la Révolte, il s’engagea dans un chemin latéral qui ne passait pas trop près des maisons du quartier des Épinettes et qui les conduisit tout droit à la porte de Saint-Ouen.

Ce sauveur pensait à tout, car il avait préalablement ramassé le béret de Camille, et elle s’était recoiffée en marchant, de sorte qu’on pouvait encore la prendre pour un garçon, et qu’elle ne devait plus attirer l’attention des gens qu’ils rencontreraient.

Vigoureux avait cessé d’aboyer, ou du moins on ne l’entendait plus. Mademoiselle Monistrol reprenait peu à peu son sang-froid et ne parvenait pas à se défendre d’un remords en pensant à ses amis. Elle commençait aussi à se préoccuper de ce défenseur providentiel, que le plus étrange des hasards avait amené tout à coup sur le terrain où elle soutenait une lutte inégale.

La nuit était trop sombre pour qu’elle pût voir ses traits, et il lui tardait d’arriver à la barrière où la clarté du gaz lui permettrait d’examiner l’homme à qui elle devait son salut.

Ils avaient marché rapidement, sans échanger une parole, et Camille savait gré à son nouveau compagnon de se montrer si réservé, mais elle ne devinait pas à qui elle avait affaire.

Ils approchaient de la porte de Saint-Ouen et les becs de gaz étaient déjà moins rares. En regardant à la dérobée son défenseur, elle put constater qu’il était grand, mince et élégamment tourné. Elle reconnut aussi qu’il était habillé comme un gentleman : pardessus d’une bonne coupe, chapeau haut de forme, bottines pointues, gants de chevreau. La canne dont il s’était si magistralement servi pour rosser deux drôles vigoureux était un jonc de moyenne grosseur, monté en argent ciselé. On ne se serait pas douté que ce cavalier vêtu à la mode de demain venait de livrer une bataille assez sérieuse. Sa toilette était intacte. Pas un des boutons de ses gants n’avait sauté pendant qu’il s’escrimait comme un bâtonniste de profession.

Que pouvait faire, à minuit passé, dans la plaine Saint-Denis, un personnage qui semblait appartenir au meilleur monde ?

Mademoiselle Monistrol se le demandait et s’étonnait de cette anomalie. Il lui passait par l’esprit que la rencontre avait peut-être été préméditée par ce monsieur, d’une tenue si correcte. Mais dans quel but ? Le sauveur ne pouvait pas savoir qui elle était et il n’avait assurément aucune accointance avec le clown forain ou la danseuse de corde qui venaient de se débarrasser par un crime du pauvre Georget et du malheureux Courapied.

On aurait pu croire que l’inconnu lisait dans la pensée de Camille, car, à cent pas de la barrière, il rompit le silence où il se renfermait discrètement et ce fut pour dire à sa protégée :

— Vous devez vous étonner, mademoiselle, de m’avoir rencontré à des heures indues sur la route de la Révolte. Je vous prie de croire que je ne fais pas de ce chemin mal famé ma promenade habituelle. Mais j’ai dîné, ce soir, chez de vieux amis à moi qui ont une villa près de Saint-Ouen, et au lieu de rentrer à Paris en voiture, il m’a pris fantaisie de traverser à pied ces régions inconnues qui, dit-on, fournissent très souvent de faits-divers les journaux bien renseignés. Je cherchais vaguement une aventure et je me félicite de celle qui m’est échue.

Remarquez, ajouta-t-il gaiement, que je pourrais m’étonner aussi de vous avoir trouvée perdue dans ces solitudes où les jeunes filles ne s’aventurent guère.

— Vous savez déjà ce que j’y venais faire, murmura mademoiselle Monistrol, assez embarrassée.

— Oh ! je ne vous demande pas d’explications. Mais vous me permettrez bien de vous dire qui je suis. Je m’appelle Georges de Menestreau, j’ai trente ans, quelque fortune, et il ne reste plus que moi de ma race. J’ai beaucoup voyagé en Orient, après avoir longtemps habité Paris, où je suis rentré, il y a huit jours, et où je compte me fixer définitivement. Je trouve que j’ai assez couru le monde et je veux me reposer.

Mais mon histoire, je le crains, ne vous intéresse guère, et j’arrête là le chapitre des renseignements.

Maintenant, il faut bien que je vous prie de ne plus vous appuyer sur mon bras. Nous voici à la barrière, et les commis sont curieux par état. Ils pourraient trouver extraordinaire de voir un monsieur en redingote noire remorquant un jeune ouvrier en blouse, et ils s’imagineraient peut-être que nous nous sommes entendus pour frauder l’octroi. S’ils s’avisaient de vous fouiller, ils découvriraient que vous êtes une femme déguisée, et ce serait bien pis.

— Je ne m’exposerai pas à cette mésaventure, dit Camille en s’éloignant de son protecteur. Je vais prendre les devants et vous me rejoindrez quand j’aurai franchi la porte.

Ainsi fut fait. Le protecteur avait un peu exagéré les difficultés du passage, qui s’opéra sans accident. Les commis dormaient à moitié et ne se dérangèrent pas pour regarder sous le nez mademoiselle Monistrol.

Elle enfila rapidement l’avenue de Saint-Ouen, et, à deux cents mètres de la barrière, elle s’arrêta sous un candélabre, dont la lumière allait éclairer enfin les traits de ce M. Georges de Menestreau dont elle venait d’apprendre le nom, mais dont elle avait à peine entrevu le visage.

Il ne se fit pas attendre et il s’empressa de reprendre l’entretien interrompu.

— Nous voilà dans Paris, mademoiselle, dit-il du ton le plus courtois, et je suis tout à vous. Vous plaît-il que je vous reconduise chez vous ou bien préférez-vous rentrer sans moi ? Dans ce cas, je vous accompagnerais seulement jusqu’à ce que nous rencontrions une voiture. Mais, j’y pense… les chenapans qui vous ont assaillie vous ont peut-être pris tout l’argent que vous aviez sur vous…

— Mon argent et ma montre, murmura Camille. Mais, peu importe, je payerai le cocher en arrivant à la maison.

En même temps, elle examinait son défenseur et elle constatait avec plaisir qu’il avait une figure agréable et une physionomie sympathique. Il était très brun ; ses yeux étaient vifs et doux : sa bouche souriait sous une fine moustache noire et il ne paraissait pas avoir l’âge qu’il venait d’accuser.

Mademoiselle Monistrol était femme et elle aimait mieux avoir été sauvée par un joli garçon, avenant et distingué, que de rester l’obligée d’un rustre mal tourné.

À ce moment, elle vit venir un fiacre attardé qui rentrait dans Paris après une course suburbaine ; mais elle ne pouvait pas quitter ainsi un homme qui avait risqué sa vie pour elle et elle lui dit :

— Monsieur, je vais rentrer seule. Ce sera mieux. Mais j’espère vous revoir demain. Je demeure boulevard Voltaire, 292… Mademoiselle Monistrol… et si vous voulez bien faire ce long voyage…

— Vous n’en doutez pas, répliqua vivement le jeune homme. Mais… il me semble que votre nom ne m’est pas inconnu…

— Vous l’avez sans doute lu dans les journaux qui ont parlé de l’assassinat de mon père.

— Quoi ! vous seriez…

— La fille de Jean Monistrol qu’on a tué sous mes yeux et que j’ai juré de venger…

— Oh ! je comprends maintenant pourquoi je vous ai trouvée dans cette plaine sinistre. Vous cherchiez le meurtrier et il vous a échappé… en se débarrassant par un nouveau crime des amis qui vous secondaient. Je les remplacerai et ce misérable ne se défera pas de moi si facilement. Dites un mot, mademoiselle, et j’entre en campagne dès demain. Je retrouverai cette maison, si vous voulez bien me la décrire… j’y pénétrerai et…

— Elle est bâtie en briques rouges… mais… arrêtez, cocher !

— Voilà, bourgeois ! répondit le cocher en retenant son cheval. Dans quel quartier que vous allez ?

— Place du Trône.

— Ça me va. Je remise avenue Parmentier. Montez !

— À demain, monsieur, dit Camille avec une émotion qu’elle ne pouvait plus contenir.

M. de Menestreau serra la main qu’elle lui tendait, l’aida à monter en voiture et donna au cocher l’adresse qu’il avait parfaitement retenue.

Mademoiselle Monistrol avait désormais, en la personne de ce gentilhomme, un allié plus sérieux que Julien Gémozac, et qui lui plaisait davantage.