Le Préjugé à la mode/Acte I

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Le Préjugé à la mode
Œuvres de monsieur Nivelle de La ChausséePraultTome I (p. 117-141).
Acte II  ►

LE PRÉJUGÉ À LA MODE.
COMÉDIE.

ACTE PREMIER.



Scène I.

CONSTANCE, DAMON.
Damon.

Ah ! Constance, est-ce à vous à prendre ma défense,
Et celle de l’hymen, vous ?…

Constance.

Et celle de l’hymen, vous ?…Ce doute m’offense ;

Vous me connoissez peu, si vous me soupçonnez
De penser autrement.

Damon.

De penser autrement.Madame, pardonnez…
(à part)
Épouse vertueuse autant qu’infortunée !

Constance.

Si je fais quelques vœux, c’est pour votre hyménée :
Damon, soyez-en sûr ; croyez qu’il m’est bien doux
De servir un ami si cher à mon époux.

Damon.

C’est l’étroite amitié dont votre époux m’honore,
Qui me perd dans l’esprit de celle que j’adore.

Constance.

Quoi ! votre liaison ?…

Damon.

Quoi ! votre liaison ?…M’expose à son courroux.
Tout le monde n’est pas aussi juste que vous.

Constance.

Je ne reconnois point Sophie à ce caprice ;
Vous m’étonnez. D’où vient cette extrême injustice ?
Elle ne vous hait point.

Damon.

Elle ne vous hait point.Inutile bonheur !
Peut-être elle me rend justice au fond du cœur,
Mais j’y vois encor plus de frayeurs & d’allarmes.
Elle outrage à la fois mon amour & ses charmes.
On se trompe, en jugeant trop généralement.
Elle croit que l’hymen est un engagement,
Dont son sexe est toujours l’innocente victime :
Tel est son sentiment, qu’elle croit légitime.

Je ne sçais quel exemple, ou plutôt quelle erreur,
Autorise encor plus son injuste terreur.
Vous ferai-je un aveu, peut-être inexcusable ?
Elle vous trouve à plaindre, & m’en rend responsable.
Enfin, elle me croit complice d’un époux…

Constance.

Monsieur, elle se trompe, & nous offense tous.

Damon.

Aux chagrins les plus grands elle vous croit en proye.

Constance.

Damon, il n’en est rien.

Damon.

Damon, il n’en est rien.Vous voulez qu’on vous croye.

Constance.

Brisons là, je vous prie. Avant notre départ,
Sophie à mes conseils aura peut-être égard ;
Fiez-vous-en à moi.

Damon.

Fiez-vous-en à moi.C’est en vous que j’espere ;
Vous savez que son sort dépend de votre pere.

Constance.

J’attends Argant ; je vais hâter votre bonheur.

Damon.

Je suis confus…

Constance.

Je suis confus…Allez, je me fais un honneur
De la faire changer d’idée & de langage.
Sur-tout, que mon époux ignore cet outrage.

Damon, à part, en sortant.

Quelle épouse peut rendre un époux plus heureux ?
Que Durval devroit bien y borner tous ses vœux !



Scène II.

CONSTANCE seule.

Faut-il que mon époux ne fasse aucun usage
Des conseils d’un ami si fidèle & si sage ?
Me verrai-je toujours dans l’embarras cruel
D’affecter un bonheur qui n’a rien de réel ?…
Oui, je dois m’imposer cette loi rigoureuse ;
Le devoir d’une épouse est de paroître heureuse.
L’éclat ne serviroit encor qu’à me trahir ;
D’un ingrat qui m’est cher, je me ferois haïr :
Du moins, n’ajoutons pas ce supplice à ma peine ;
Son inconstance est moins affreuse que sa haine.



Scène III.

CONSTANCE, ARGANT.
Constance.

Vous m’avez ordonné de vous attendre ici,
Sans quoi je vous aurois prévenu.

Argant, d’un ton fâché.

Sans quoi je vous aurois prévenu.Me voici.

Constance.

Vous paroissez ému !

Argant.

Vous paraissez ému !Je suis même en colere.
Je sors de chez Sophie ; elle tient de sa mere.
L’entretien que je viens d’avoir à soutenir,
Me fait prévoir celui que vous m’allez tenir ;
Je vais de point en point y répondre d’avance.

Constance.

Quoi ! vous sçavez ?…

Argant.

Quoi ! vous sçavez ?…Ma fille, un peu de complaisance ;
Que je parle d’abord à mon tour.

Constance.

Que je parle d’abord à mon tour.J’obéis.

Argant.

Durval est à peu près ce que je fus jadis ;
Ce tems n’est pas si loin, que je ne m’en souvienne :
Ma jeunesse fut vive encor plus que la sienne.
On me maria donc, & me voilà rangé,
Si bien qu’on me trouva totalement changé :
Et véritablement une union si belle,
Si ma femme eût voulu, devoit être éternelle.
Bien du tems se passa, mais beaucoup, presque un an,
Sans que rien de ma part troublât notre roman ;
Mais auprès d’une femme on a beau se contraindre :
Bon ! naturellement le sexe aime à se plaindre.
Or, comme enfin l’amour se change en amitié…
C’est justement de quoi se fâcha ma moitié.

Elle ne sçavoit pas, ni vous non plus, Madame,
Que sans amour on peut très-bien aimer sa femme ;
Elle crut perdre au change ; elle dissimula,
Peut-être près d’un mois, après cet effort-là,
Il survint entre nous un terrible grabuge ;
Madame se plaignit, & mon pere en fut juge.
Le bonhomme autrefois fut dans le même cas.
Mon fils a tort, dit-il, je ne l’excuse pas.
Puisqu’il ne veut pas prendre un autre train de vie,
Je vois bien qu’il faudra que je me remarie…
Je répondrois de même, & j’irois en avant.

Constance.

Quand on croit deviner, on se trompe souvent.

Argant.

La contradiction me ravit & m’enchante…
Eh ! bien, Madame, soit ; vous êtes très-contente…
Oui… très-heureuse… très…

Constance.

Oui… très-heureuse… très…Monsieur, en doutez-vous ?

Argant.

Et vous dites par-tout du bien de votre époux…

Constance.

Puis-je faire autrement ?

Argant.

Puis-je faire autrement ?Et que le mariage
N’est pas toujours un triste & cruel esclavage…

Constance.

Je l’imagine.

Argant.

Je l’imagine.Et que… J’enrage de bon cœur…

Mais, de grace, achevez de me tirer d’erreur ;
Ma niéce est votre amie, & je lui sers de pere.

Constance.

Elle mérite bien de nous être aussi chere.

Argant.

Oui ; mais on a pris soin de lui gâter l’esprit.
Damon & votre époux en sont dans un dépit…
Qui peut donc avoir mis dans son cœur trop crédule
Cet effroi mal fondé, ce dégoût ridicule,
Cette aversion folle, & ces airs de mépris
Qu’elle a pour l’hymenée ? Où les a-t-elle pris ?
À son âge on n’a point de chimeres pareilles
À celles dont elle a fatigué mes oreilles.
Au contraire, une Agnès se fait illusion,
Et savoure à longs traits la douce impression
Que son cœur enchanté reçoit de la Nature ;
Elle ne voit l’hymen que sous une figure,
Qui, loin de l’effrayer, irrite ses désirs ;
Et ce portrait est fait par la main des Plaisirs.
Mais toutefois Sophie en est intimidée.
Madame, si ma niéce en prend une autre idée,
C’est l’effet des sujets de chagrin & d’ennui
Que vous lui débitez contre votre mari.

Constance, à part.

Mon malheur ne m’épargne aucune circonstance.
(haut.)
Apprenez donc, monsieur, la façon dont je pense,
Et vous persisterez après, si vous l’osez,
Dans l’accusation que vous me supposez.

Je n’ai qu’à me louer d’un heureux hymenée ;
Je ne méritois pas d’être si fortunée :
Mais enfin, si mon sort cessoit d’être aussi doux,
Si j’avois à pleurer le cœur de mon époux,
Je cacherois ma honte, en me rendant justice,
Et je me garderois d’augmenter mon supplice.
Un éclat indiscret ne fait qu’aliéner
Un cœur que la douceur auroit pû ramener.
Si quelque occasion peut mieux faire connoître,
Et sentir de quel prix une épouse peut être,
Si quelque épreuve sert à le mieux découvrir,
C’est lorsqu’elle est à plaindre, & qu’elle sçait souffrir.
Voilà mes sentimens, tirez la conséquence.

Argant.

On n’agit pas toujours aussi bien que l’on pense :
Un beau raisonnement ne détruit pas un fait.
Enfin, si vous voulez me convaincre en effet,
Concourez avec moi pour marier ma niéce ;
Ôtez-lui de l’esprit ce travers qui me blesse ;
Et que bientôt Damon…

Constance.

Et que bientôt Damon…C’est justement de quoi
J’avois à vous parler.

Argant.

J’avois à vous parler.Il me convient, à moi.

Constance.

Je n’imagine pas qu’il déplaise à Sophie.

Argant.

Ma niéce l’aimeroit ?

Constance.

Ma niéce l’aimeroit ?Du moins je m’en défie.
Oui, je crois qu’en secret elle y prend intérêt.

Argant.

Pourquoi refuse-t-elle un homme qui lui plaît ?

Constance.

Ce n’est point un refus ; c’est de l’incertitude.
On ne s’engage point sans quelque inquiétude.
En cela j’aurois tort de la désapprouver :
Peut-être auparavant elle veut s’éprouver ;
Peut-être qu’elle cherche, autant qu’il est possible,
À s’assurer du cœur qu’elle a rendu sensible.

Argant.

Voilà bien des façons qui ne servent à rien.
(Sophie paroît.)
Bon. La voici, je vais commencer l’entretien.



Scène IV

SOPHIE, CONSTANCE, ARGANT.
Argant, à Sophie.

Ma niéce, comment donc entendez-vous la chose ?

Sophie, en regardant Constance.

Vous a-t-on dit vrai ?

Argant.

Vous a-t-on dit vrai ?Mais, ma foi, je le suppose.

Sophie.

Après ce que Madame a dû vous confier,
Votre dessein n’est plus de me sacrifier.

Argant.

Moi, te sacrifier ! Quand je veux au contraire
Te donner pour époux quelqu’un qui t’a sçu plaire ;
Damon ?

Sophie.

Damon ?Qui vous a fait ces confidences-là ?

Argant.

Hé ! c’est apparemment Madame que voilà,
Qui t’approuve, & qui croit qu’une fille à ton âge
Doit commencer d’abord par un bon mariage.

Sophie.

Oui, s’il en étoit un.

Argant.

Oui, s’il en étoit un.Parbleu, c’est pour ton bien,
Pour te faire jouir d’un sort pareil au sien.

Sophie.

Quoi ! vous me souhaitez un semblable partage !
(En montrant Constance.)
Madame est donc heureuse ?

Argant.

Madame est donc heureuse ?On ne peut davantage.

Sophie.

Est-ce elle qui le dit ?

Constance.

Est-ce elle qui le dit ?Je dois en convenir.

Sophie.

Voilà des nouveautés qu’on ne peut prévenir.

Ma crainte cependant n’est pas moins légitime.
Je veux bien pour Damon avoir un peu d’estime,
Plus que je n’en avoue, & que je ne m’en crois :
Peut-être, si mon sexe abusé tant de fois,
Pouvoit espérer d’être heureux en mariage,
Je choisirois Damon… L’exemple me rend sage :
Madame, j’ai des yeux, & je vois assez clair.
Je remarque aujourd’hui qu’il n’est plus du bon air
D’aimer une compagne à qui l’on s’associe.
Cet usage n’est plus que chez la Bourgeoisie :
Mais ailleurs on a fait de l’amour conjugal
Un parfait ridicule, un travers sans égal.
Un époux à présent n’ose plus le paroître ;
On lui reprocheroit tout ce qu’il voudroit être.
Il faut qu’il sacrifie au préjugé cruel
Les plaisirs d’un amour permis & mutuel.
En vain il est épris d’une épouse qui l’aime ;
La mode le subjugue en dépit de lui-même ;
Et le réduit bientôt à la nécessité
De passer de la honte à l’infidélité.

Argant.

Où peut-elle avoir pris une idée aussi creuse ?

Sophie, en montrant Constance.

Sur tout ce que je vois.

Argant.

Sur tout ce que je vois.Elle se dit heureuse.

Sophie.

Constance ! Heureuse, elle.

Constance, avec vivacité.

Constance ! Heureuse, elle.Oui, Madame, je le suis.

Sophie, avec vivacité.

Non, vous ne l’êtes pas.

Constance.

Non, vous ne l’êtes pas.Madame, je vous dis…

Sophie.

Avec tant de douceur, de charmes & de graces,
Deviez-vous éprouver de pareilles disgraces ?
Elle a dit mon secret ; je vais dire le sien.

Argant.

Qui croire des deux ?

Sophie.

Qui croire des deux ?Moi.

Argant.

Qui croire des deux ?Moi.Je n’y connois plus rien.

Constance.

Me suis-je jamais plainte ?

Sophie.

Me suis-je jamais plainte ?En rien, & je vous blâme.

Constance.

M’avez-vous jamais vûe ?…

Sophie.

M’avez-vous jamais vue ?…Oui, malgré vous, Madame,
J’ai vû… j’ai reconnu les traces de vos pleurs ;
Au fond de votre cœur j’ai surpris vos douleurs.
Mais que dis-je ? J’y vois, malgré sa violence,
Le désespoir réduit à garder le silence.

Argant.

L’une se dit heureuse, & l’autre la dément :
Celle-ci ne veut pas épouser son amant.

Constance… mais qui diable y pourroit rien comprendre ?
En attendant, je sçais le parti qu’il faut prendre.
Vous m’avez entendu, Madame, heureuse ou non.
Quant à vous, je m’en vais remercier Damon…
Mesdames, à votre aise ; il ne faut point se rendre :
Ferme, continuez à ne vous pas entendre.

(Il sort.)



Scène V

CONSTANCE, SOPHIE.
Constance, à Sophie.

Qu’avez-vous fait ?

Sophie, en rêvant.

Qu’avez-vous fait ?Damon n’osera s’en aller.

Constance.

Ah ! sophie, on croira que je vous fais parler.
Une épouse plaintive est encor moins aimable ;
Je le disois.

Sophie.

Je le disois.En quoi suis-je donc si coupable ?
Oui, ma chere Constance, il est vrai, je n’ai pû
Me contraindre. Quel tort fais-je à votre vertu ?
Vous êtes à vous-même un peu trop rigoureuse ;
Tant de délicatesse est fausse ou dangereuse.
Quoi ! parce qu’un perfide aura le nom d’époux,


Il pourra me porter les plus sensibles coups,
Violer tous les jours le serment qui nous lie,
M’ôter impunément le bonheur de ma vie,
Sans qu’il me soit permis de réclamer des droits
Qui devroient être égaux !… mais ils ont fait les loix.
Il faut que je ménage un cruel qui me brave !
Sa femme est sa compagne, & non pas son esclave.
Je vais dire encor plus : tant de tranquillité
Peut vous faire accuser d’insensibilité.

Constance, tendrement.

M’en soupçonneriez-vous ?

Sophie.

M’en soupçonneriez-vous ?Non, je vous rends justice ;
Je sçais que vous souffrez le plus cruel supplice ;
Mais vous autorisez un injuste soupçon.
On peut interpréter d’une étrange façon,
Tous vos soins de paroître heureuse en apparence ;
On les peut imputer à votre indifférence,
Au dépit, au mépris, à la haine, au dégoût,
Que nous donne un ingrat, quand il nous pousse à bout.

Constance.

Ah ! sophie, épargnez du moins votre victime.

Sophie.

On peut aller plus loin.

Constance.

On peut aller plus loin.Non, mon époux m’estime.

Sophie.

Vous vous contentez là d’un bien foible retour ;
L’estime d’un époux doit être de l’amour :

Oui, ce sentiment-là renferme tous les autres.
Quoi ! les hommes ont-ils d’autres droits que les nôtres ?
Se contenteroient-ils de n’être qu’estimés ?
Tout perfides qu’ils sont, ils veulent être aimés.
Quant à moi, je suis née & trop tendre, & trop vive,
Pour oser m’exposer à ce qui vous arrive :
J’aimerois trop Damon ; j’en ferois un ingrat,
Et j’en mourrois, après le plus terrible éclat.

Constance.

Sur le cœur de Damon prenez plus d’assurance.

Sophie.

Non, la fidélité n’est pas en leur puissance.

Constance.

Comptez sur son amour & sur sa probité.

Sophie, d’un ton affectueux.

Sur les mêmes garans n’aviez-vous pas compté ?
Que sont-ils devenus ? Qu’est-ce qui vous en reste ?
Ce n’étoit qu’une embûche & qu’un piège funeste,
Couverts de quelques fleurs qui ne durent qu’un jour.
L’hymen n’acquitte plus les dettes de l’amour.



Scène VI.

FLORINE, CONSTANCE, SOPHIE.
Florine.

Madame, je vous cherche. On vient…

Constance.

Madame, je vous cherche. On vient…Que me veut-elle ?

Florine.

Souffrez que je respire.

Constance.

Souffrez que je respire.Eh ! bien, quelle nouvelle ?

Florine.

Tenez, j’en suis encor dans un enchantement !…
Venez, vous trouverez dans votre appartement.

Constance.

Mon époux ?

Florine.

Mon époux ?Votre époux !… Lui !… La demande est bonne !
Est-ce jamais par-là que son chemin s’adonne ?
Il est vrai que ceci seroit assez nouveau,
Vous logez l’un & l’autre aux deux bouts du château.

Constance.

Florine, sçachez mieux respecter votre maître.

Florine.

Je me tais… mais…

Sophie.

Je me tais… mais…Sçachons ce que ce pourroit être.

Florine.

Vous ne devinez pas ?… C’est votre habit.

Constance.

Vous ne devinez pas ?… C’est votre habit.Comment ?

Florine.

Que l’on vient d’apporter, Madame ; il est charmant.

Constance.

Cette fille extravague.

Florine.

Cette fille extravague.Écoutez-moi, de grace ;

Ou plutôt, venez voir : c’est un habit de chasse ;
Mais d’un air, mais d’un goût : venez vous habiller.
Sous cet ajustement que vous allez briller !
Vous allez ajouter conquête sur conquête.

Constance.

Mais quelle vision lui passe par la tête ?
D’où me vient cet habit ?

Florine.

D’où me vient cet habit ?Je ne sçais point cela.

Constance.

Je n’ai point commandé cet habillement-là.

Florine, après avoir rêvé.

Ah ! ah ! Mais ceci passe un peu la raillerie.
Quoi ! Madame, seroit-ce une galanterie ?

Constance.

Une galanterie, & qui s’adresse à moi !

Florine.

À qui voulez-vous donc qu’on ait fait cet envoi ?

Constance

Mais n’est-ce point à vous que ce présent s’adresse ?
Damon, de qui votre oncle approuve la tendresse…

Sophie, Avec vivacité.

Oui, j’aimerois assez qu’il prît ces libertés.

Constance.

Dois-je être plus en bute à des témérités ?…
Mais voici mon époux : dans cette conjoncture,
Dois-je lui confier cette étrange aventure ?



Scène VII.

DURVAL, CONSTANCE, SOPHIE, FLORINE.
Durval, à part.

Voyons un peu l’effet qu’ont produit mes présens.
(haut.)
Madame éclate enfin en regrets offensans.

Constance.

Durval, vous m’étonnez.

Durval.

Durval, vous m’étonnez.On vient de me l’apprendre ;
Cet éclat, je l’avoue, a lieu de me surprendre :
Je ne l’aurois pas cru, malgré tous mes soupçons ;
Vous m’avez procuré d’assez belles leçons,
Qui ne sortiront pas si-tôt de ma mémoire.

Constance, à Sophie.

Je l’avois bien prévu… Monsieur, pouvez-vous croire…
Hélas ! c’est un excès où je n’ai point de part…
Mais à mon désaveu vous n’avez point d’égard.
Vous allez me haïr… ah ! cruelle Sophie !

Sophie.

J’en suis la cause ; il faut que je la justifie.
(à Durval.)
Je n’imaginois pas qu’on eût la cruauté
De joindre l’injustice à l’infidélité.

Durval, à part.

Ce tems n’est plus.

Sophie.

Ce tems n’est plus.Ingrat.

Constance.

Ce tems n’est plus.Ingrat.Épargnez…

Florine.

Ce tems n’est plus.Ingrat.Épargnez…Point de grace.
Ah ! si pour un moment j’étois en votre place.

Sophie.

Sur quel droit pouvez-vous ici vous retrancher ?
Vous voulez empêcher un cœur de s’épancher ;
Quand vous le remplissez de fiel & d’amertume,
Au plus grand des malheurs il faut qu’il s’accoutume,
Et qu’il expire enfin sans pousser un soupir.

Constance, à Sophie.

Vous me perdez, Madame.

Durval, à part.

Vous me perdez, Madame.Il faut lui découvrir…

Sophie.

Prenez-vous-en à moi, c’est moi qui me suis plainte.

Durval.

Vous ?

Sophie.

Vous ?Oui, je souffrois trop de la voir si contrainte ;
Je n’ai pû la laisser dans un si triste état,
Sans faire, en dépit d’elle, un nécessaire éclat :
J’ai vengé sa vertu.

Durval.

J’ai vengé sa vertu.Madame est bonne amie.

Sophie.

De grace, épargnez-nous cette froide ironie.

Florine, avec vivacité.

Quand même vous seriez encor mieux son époux,
C’est que vous devriez filer un peu plus doux,
Et baiser tous les pas par où Madame passe ;
Mais vous n’en ferez rien.

Constance, avec fierté.

Mais vous n’en ferez rien.Florine, je vous chasse ;
Sortez.

Florine, à Constance.

Sortez.Moi ?

Durval, en ramenant Florine.

Sortez.Moi ?Révoquez un arrêt si cruel ;
Cette fille vous aime, il est bien naturel.
(à Florine.)
Viens, cet avis mérite une autre récompense ;
Tiens, prends…

Florine, en recevant quelques louis.

Tiens, prends…Je n’ai pas cru vous induire en dépense.

Durval, à Constance.

Madame, faites grace à ses vivacités.

Florine, à Durval.

Ah ! puisque vous payez si bien vos vérités,
Une autre fois j’aurai le reste de la bourse.

(Durval la lui donne.)
Sophie.

La plaisanterie est d’une grande ressource.

Durval, à Constance, d’un air plus enjoué.

C’est assez… Savez-vous l’étiquette du jour ?
Car il faut amuser ceux qui vous font leur cour.

Florine, à part.

Oui ! c’est bien là de quoi Madame s’embarrasse !

Durval.

Vous avez aujourd’hui le plaisir de la chasse,
Grande musique ensuite, & bal toute la nuit.
Ne déconcertez point le plaisir qui vous suit,
Madame, on partira lorsque vous serez prête…
(en la regardant.)
Vous avez un habit convenable à la fête…

Constance, avec embarras.

Monsieur…

Durval, vivement.

Monsieur…Le rendez-vous est au milieu du bois ;
De-là vous pourrez être au lancer, aux abois,
Avec cette caleche & ce double attelage,
Dont vous avez refait enfin votre équipage.
Votre écuyer laissoit dépérir votre train ;
Même il vous manque encor quelques chevaux de main…
(Constance se trouble, & paroît interdite.)
Madame, ce discours semble vous interdire !
À ces dépenses-là je ne vois rien à dire :
Dépensez hardiment, & vous aurez raison.

Florine, à part.

Cet époux a pourtant quelque chose de bon.

Constance.

Ce que vous m’apprenez a lieu de me surprendre…
Il m’est bien douloureux d’avoir à vous apprendre
Le trop juste sujet de ma confusion.
Que je suis malheureuse !

Durval.

Que je suis malheureuse !À quelle occasion ?

Constance.

Ah ! je n’aurois jamais prévu, lorsque j’y pense,
Que l’on pût avec moi prendre tant de licence.

Durval, contrefaisant l’étonné.

Vous parlez de licence ! en quoi donc, s’il vous plaît ?

Constance.

J’ignore absolument… Je ne sçais ce que c’est…
En un mot…

Durval.

En un mot…Achevez… mais qui vous en empêche ?

Constance.

Cet habit… ces chevaux, avec cette caleche…

Durval.

Eh ! bien ?

Constance.

Eh ! bien ?S’ils sont chez moi…

Durval.

Eh ! bien ?S’ils sont chez moi…C’est une vérité.

Constance.

Quelqu’un aura sans doute eu la témérité…
Mais c’est assez, je crois que vous devez m’entendre.

Durval.

Oui, Madame, il n’est pas difficile à comprendre

Que ce sont des présens qui vous ont été faits.

Constance.

J’ignore à qui je dois ces indignes bienfaits.

Durval.

Et vous ne daignez pas chercher à le connoître ?…

Florine, à part.

J’aurois déjà tout fait sauter par la fenêtre.

Durval.

Mais sur qui vos soupçons pourroient-ils s’arrêter ?

Constance.

Je laisse dans l’oubli ce qui doit y rester.

Durval, à part.

Se peut-il que je sois si loin de sa pensée ?

Constance.

Je voudrois ignorer que je suis offensée.

Durval, à part.

N’importe, donnons-lui de violens soupçons.
(Haut.)
Madame, cependant j’ai de fortes raisons
Pour oser vous presser, & même avec instance,
D’éclaircir ce mystère… il nous est d’importance,
Plus que je n’ose dire… & que vous ne croyez ;
Je vous en sçaurai gré, si vous me l’octroyez.
Voyez, examinez… découvrez… je vous prie,
Qui peut avoir risqué cette galanterie…
De plus… présens ou non… madame… vous pouvez…
Oui, vous m’obligerez, si vous vous en servez.

(Il sort.)



Scène VIII.

CONSTANCE, SOPHIE, FLORINE.
Sophie, à Constance.

Eh ! bien, que dites-vous de cette complaisance ?

Florine.

Cet époux dans la vie apporte assez d’aisance.

Constance, après avoir rêvé.

N’est-ce point mon époux qui m’a fait ces présens ?

Florine.

Des époux ne font pas des tours aussi plaisans ;
Pour qui les prenez-vous ? Ne croyez point, Madame,
Qu’un mari soit jamais prodigue envers sa femme ;
Il lui donne à regret, toujours moins qu’il ne faut,
Et lui fait tout valoir cent fois plus qu’il ne vaut.
Mais nous avons ici Damis avec Clitandre,
Galans déterminés, prêts à tout entreprendre ;
Je crois qu’on en pourroit accuser ces Messieurs.

Sophie.

As-tu quelque soupçon ?

Florine.

As-tu quelque soupçon ?J’en ai même plusieurs.

Sophie.

Je ne puis rien comprendre à cette indifférence.
Se peut-il qu’un époux ait tant de tolérance ?

Constance.

Eh ! n’empoisonnez pas encore mes douleurs.
Hélas ! je sens assez le poids de mes malheurs :
Daignez au moins cacher ma nouvelle disgrace.
Je vais me renfermer… (à Sophie.)
Je vais me renfermer… Allez, suivez la chasse.

Sophie.

Je ne vous quitte point.

Constance.

Je ne vous quitte point.Vous prenez trop de part
À l’état où je suis… Laissez-moi, par égard.
Profitez du plaisir que l’on offre à vos charmes,
Je n’ai plus que celui de répandre des larmes.

(Elle sort.)
Sophie, en la regardant aller.

Quel état ! Et l’on veut que je prenne un époux ?
Qu’on ne m’en parle plus ; ils se ressemblent tous.