Le Prince Fédor/III/15

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et Georges Spitzmuller
Le Matin (p. 73-75).

XV

L’AIMÉE

Pendant que ces événements s’accomplissaient à Paris, Georges Iraschko brûlait la distance, pour arriver à Arétow.

Si quelque chose avait pu encore lui causer une inquiétude, au milieu du désarroi moral où il se trouvait, c’eût été cette dépêche non motivée le rappelant sans retard dans sa patrie…

Quel nouveau malheur le menaçait ?

Le pauvre garçon ne comprenait plus rien. Son intelligence, fatiguée par le souci, l’insomnie, le chagrin fou, restait annihilée, écrasée.

Après quarante-huit heures de wagon, il arriva au soir, tout à fait brisé, à destination.

Le passage de la douane, à la frontière, l’avait tiré un peu de sa torpeur. Il eut l’idée d’entrer dans une salle d’attente-restaurant et d’y prendre quelque nourriture ; ensuite, il monta dans un des trains glissants d’Alaxa, qui dépassent en rapidité tous les express, et il alla s’étendre dans un sleeping.

Au jour, il serait à Arétow.

L’épuisement lui procura un sommeil agité et fiévreux, au bout duquel il songea qu’il serait bien utile de revêtir tout de suite son uniforme de grande tenue, afin de se présenter sans retard au palais impérial.

Paraître devant l’empereur après la manière dont il l’avait quitté sur le quai de l’Ourga l’effarait. Il conservait avec peine la plénitude de ses moyens, il se sentait la tête lourde, les membres roides, l’esprit obtus.

Néanmoins, il s’habilla et attendit, les yeux perdus sur la campagne fuyant à une allure vertigineuse, l’arrivée bruyante du train en gare.

Personne pour le recevoir…

Il n’avait pas eu l’idée de télégraphier à son cocher de venir le chercher ; il avait juste songé à prendre une valise, oubliant même d’ordonner à son valet de chambre de le suivre.

Sans perdre un instant, il monta dans une automobile de louage et se fit conduire au palais.

Son uniforme lui ouvrait toutes les portes. Il arriva au poste des officiers d’ordonnance de l’empereur et se présenta au capitaine de service, sa dépêche en évidence.

— Enchanté de vous voir, mon cher camarade, dit celui-ci, la main tendue, vous avez agi avec une diligence extrême. J’ai ordre de vous envoyer dès l’arrivée à la salle des Gardes, où vous attendrez votre tour d’audience chez l’empereur.

— Vous n’avez pas idée de ce que Sa Majesté a l’intention de me demander ?

— Nullement. L’empereur ne fait guère de confidence. Quand j’ai pris mon service ce matin, il y avait sur la feuille du jour : « Envoyez le capitaine Iraschko à Sa Majesté, dès son arrivée. » Je ne sais rien de plus. Montez et prenez votre rang. On dirait à vous voir que vous êtes fatigué du voyage.

Georges eut un geste d’insouciance. Il se dirigea vers l’ascenseur central et parvint à la galerie des Ancêtres, qui court sur toute la façade ouest du palais et est affectée à l’attente des personnes ayant une audience de l’empereur.

Au bout de cette galerie se trouve le jardin d’hiver sur lequel donne une partie des appartements du prince impérial. À l’extrémité opposée sont situés ceux du souverain.

Georges remarqua quelques visages connus, mais il alla tout droit se faire inscrire auprès de l’officier audiencier, et ensuite il s’assit dans le coin le plus reculé du vaste hall.

L’idée de prendre un journal ne lui vint même pas. Son état d’épuisement était tel qu’il ferma les yeux, isolé en lui, désireux d’éviter toute causerie.

Deux noms bourdonnaient en lui-même :

— Roma !… Mariska !…

Ce dernier nom, surtout, lui paraissait maintenant contenir un abîme de douleur et de regrets…

— Mariska !… Petite Mariska !…

Il souffrait peut-être plus pour elle que pour lui. Car sa vie à elle était brisée… détruit était son amour…

Et c’était sa faute à lui… La faute des sanglantes tragédies de la guerre passée…

Et c’était fini… L’abîme de l’irréparable se creusait entre eux…

Que d’événements en ces trois derniers jours ! Que de bouleversements aussi !

Georges, silencieux, se remémorait ces choses, se demandant s’il n’était pas le jouet de quelque horrible cauchemar…

Il restait anéanti, las infiniment, comme entouré d’une tristesse funèbre.

Toutes ses espérances de bonheur n’étaient plus que des épaves… des choses mortes.

Au bout de deux heures au moins, un page vint le tirer de sa somnolence, qui était faite de si douloureuses songeries. Georges tressaillit, ses joues pâles se colorèrent, et il suivit l’enfant, la gorge sèche, les genoux un peu tremblants.

Le jeune garçon l’introduisit dans le cabinet de l’empereur et referma la porte derrière lui.

Alexis, assis devant son bureau, donnait rapidement quelques signatures. Il devait rentrer seulement d’une course à cheval. Un chambellan emportait son casque et sa pelisse ; il avait encore ses bottes et ses éperons.

Georges, debout, dans la pose d’ordonnance, attendit un regard du maître.

— Tu es venu immédiatement au reçu de ma dépêche ? demanda l’empereur sans cesser d’écrire.

— Oui, sire, répondit l’officier d’une voix enrouée, la voix de ceux qui n’ont pas parlé depuis longtemps.

— J’ai le regret, mon pauvre garçon, d’être forcé de te retirer la permission de mariage que je t’avais donnée, reprit l’empereur, posant sa plume et regardant cette fois le jeune homme.

En voyant le visage décomposé qui se trouvait devant lui, Alexis eut une bonne parole, assez rare dans sa bouche d’autocrate endurci :

— Je te fais beaucoup de peine mon ami, je voudrais n’avoir pas à te dire une si cruelle chose… mais je vais t’expliquer mes raisons… Elles sont majeures.

Georges n’avait pas osé espérer tant de douceur de la part de son souverain… Rarement, en effet, Alexis prenait la peine d’expliquer ses ordres.

— Hélas ! sire, mon mariage était accompli depuis quelques heures… lorsque j’ai reçu l’ordre du départ.

— Tu as amené ta jeune femme avec toi ici ?

— Non, sire. J’ai laissé celle qui est ma femme devant Dieu et les hommes, mais est de fait une étrangère pour moi. Je suis parti presque au sortir de l’église, après avoir signé une demande de divorce.

— Tu sais alors pourquoi je te retirais mon autorisation.

— J’ignorais absolument que Votre Majesté me retirerait cette autorisation… Mais j’ai été blessé au cœur par une révélation atroce.

— Tu pouvais cependant t’y attendre. Tu étais plus au courant que moi des manœuvres de ton beau-frère.

— Ce n’est pas la raison que pense l’empereur qui a rompu mon mariage, mais une autre plus horrible encore…

— Explique-toi clairement, sans réticences. Je dois savoir tout ce qui se passe dans ce repaire de brigands où tu es entré…

Georges fit un effort.

Contre toute étiquette, il s’appuya un peu sur le haut bureau de chêne massif. Un rayon de soleil venu par la porte-fenêtre donnant sur la terrasse qui domine le jardin, faisait étinceler la poignée d’or du sabre de l’empereur et l’éblouissait.

Il dit, la parole lente :

— Au moment où, tous les invités partis de l’hôtel Romalewsy, j’allais emmener ma femme chez moi, une conversation fatale avec mes deux beaux-frères a amené, l’affreuse découverte…

Le jeune comte Iraschko passa la main sur son front moite pour se reprendre, se remettre, ne pas se perdre en explications non concises, avoir la force de tout dire.

Seulement, il allait toucher, lui aussi, une plaie du cœur de son impérial interlocuteur, et il ne pouvait envelopper le coup puisqu’on lui interdisait toutes circonlocutions oiseuses, plus cruelles souvent que la brutalité.

» Pendant la guerre de Kouranie, fit-il, très vite cette fois, mes compagnons d’armes et auprès la prise de Kronitz, avions à cœur de venger l’acte odieux accomplit dans la forêt de Narwald par une flèche empoisonnée…

» Nous allions, brûlant les villages et tuant les ennemis sournois qui s’en prenaient aux femmes, et nous rendions les coups sans calculer.

» Le hasard nous jeta devant le château des Romalewsky, où nous allumâmes le feu après avoir tué maîtres et serviteurs et emmené prisonnier Fédor, l’aîné des fils du prince… »

Alexis, accoudé sur son bureau, avait laissé tomber son front dans sa main.

Cet homme, si fort, dont nul ne pouvait se vanter d’avoir constaté une faiblesse, rêvait douloureusement, en écoutant ce récit qui le reportait si loin dans le passé, où son cœur restait attaché et dont la blessure, toujours béante, malgré les années, saignait sans trêve.

— Tu as appris, dit-il sans bouger, que tu venais d’épouser la fille des victimes de nos répressions ?

— Oui, en une causerie intime. L’effet a été instantané. Les Romalewsky ont une haine vivace ; ils ont vengé sur mes cinq camarades de la huitième compagnie des chasseurs du Nigel leur colère, juste en somme. Ils cherchaient le sixième… C’était moi.

— Alors ?

— Ils ont exigé le divorce immédiat.

— Et ta femme ?

— Elle a pris le parti de ses frères.

— Il est certain qu’elle ne pouvait appartenir au meurtrier de ses parents. Que vas-tu faire, maintenant ?

— Ah ! sire, je dois me battre avec les trois Romalewsky… je me laisserai tuer…

— Ton sang et ta vie sont à ta patrie ; tu dois lutter loyalement, te défendre… Maintenant, est-il possible de croiser le fer avec un homme taxé d’indignité ?

— J’ai refusé l’assaut avec Fédor, sire. Je crois pouvoir me mesurer avec son frère.

— Dans de pareilles circonstances, je ne puis interdire ce duel, mais je t’ordonne de te garder par tous les moyens qu’autorise l’honneur.

— Ils ont juré de me tuer, sire. J’aurai successivement devant moi les trois frères… et en dernier lieu la sœur… J’avoue que Votre Majesté vient de me montrer un horizon non encore entrevu : débarrasser l’univers — je puis dire cela — d’anarchistes mal intentionnés et recevoir le coup de grâce de celle que j’ai aimée…

— N’invente pas de roman… Que sais-tu des manœuvres anarchistes ?

— Rien de plus que l’empereur, sûrement. Fédor doit être parti depuis hier pour Arétow ; il veut essayer de sauver ses compagnons.

— Il est plus probable qu’il partagera leur sort. Je t’ai fait envoyer l’ordre de retour, espérant arriver à temps pour empêcher l’union d’un de mes fidèles sujets avec une famille tarée et condamnée. J’ai appris, depuis la prise récente des compagnons, de l’Étoile-Noire, des choses telles que nul honnête homme ne peut serrer la main d’un Romalewsky. Ignorais-tu ces détails ?

— J’avais des soupçons très fondés, mais aucune certitude, absolue, sire… J’espérais que Fédor se bornait aux paroles, n’y ajoutait pas les actes… Quand j’ai vu clair, il était trop tard pour reculer, j’étais engagé, je n’osais pas désespérer Mariska innocente et ignorante… Je ne voulais pas non plus faire de peine à une autre…

— Qui ?… Tu ne menais pas de front deux amours ?…

Georges ne sut que répondre.

— C’est presque incompréhensible, sire, mais en dehors de ma fiancée, très belle, très charmante, aimante, j’avais le cœur pris par…

— Ne bégaye pas, sois franc. Si je m’occupe de tes affaires intimes, ce n’est pas sans but. Tu m’as parlé, la dernière fois, d’une femme adorable, mystérieuse, idéalisée en quelque sorte… C’est à elle que tu penses…

— Oui, sire ; à elle comme à une sainte, une martyre… Si je regrette la vie, ce sera à cause d’elle.

— Tu te mariais dans d’étranges conditions.

Georges leva les yeux sur un grand portrait en pied de l’impératrice Yvana, dressé sur le panneau inondé de clarté, resplendissant comme une apothéose.

La jeune femme était d’une ressemblance absolue ; son ravissant visage respirait la gaieté et la santé.

Alexis suivit le regard de l’officier. Il reprit :

— Une lettre de mon fils, venue de Paris, m’a rappelé les folies que tu as rêvées, et que tu as osé dire…

— Oh ! sire, fit Georges avec élan au souvenir de la scène du balcon lors du passage du prince impérial à Paris, Son Altesse a parlé de Roma ?

— Oui, le prince Rorick a été frappé de l’attitude d’une femme, au balcon de l’hôtel Romalewsky, en allant au palais de l’Élysée… Je rapproche les deux faits… As-tu remarqué, ce jour-là, quelque chose de particulier chez… la pupille de Fédor Romalewsky ?

— Oui, sire… J’ai vu l’émotion profonde de Mme Sarepta, lorsque passait Son Altesse le prince impérial. J’étais derrière elle…

— Sarepta, c’est le nom de l’officier dont, dis-tu, elle est veuve ?

— Oui, sire.

— J’ai fait chercher ce nom. On ne le trouve nulle part.

— Il a été tué pendant la guerre de Kouranie.

Alexis pressa un bouton électrique à sa portée. Un page parut :

— Envoie-moi le premier secrétaire de service.

Une minute après, un lieutenant entrait :

— Tu as continué, demanda l’empereur au nouveau venu, les recherches dont je t’avais chargé au sujet d’un capitaine Sarepta, tué pendant la guerre ?

— Sire, je suis allé aux archives, j’ai fouillé les annuaires datant de vingt ans. Je n’ai rien pu découvrir. Il n’y a qu’une terre de ce nom, dépendant de la principauté des Romalewsky.

— C’est bien. Va.

Le secrétaire s’inclina et sortit.

— Tu vois, dit l’empereur.

— Mais c’est une preuve ! s’écria Georges dont la fatigue énervante disparaissait devant l’enthousiasme passionné qui brûlait son cœur… Sarepta est un nom inventé.

— Qu’as-tu remarqué encore, lors du passage de mon fils ?

— Je vous l’ai dit : une émotion extraordinaire de Roma et une attention tout aussi étrange chez Son Altesse le prince Rorick… Leurs regards se sont attirés, et il leur semblait impossible de se déprendre sans en souffrir. Le prince impérial a fini par envoyer un baiser… Il a dû, lui aussi, être frappé par la ressemblance… de Roma… avec…

— C’est tout ce que tu as vu ?…

— Oui, sire.

— Il y a autre chose.

— Je ne sais pas davantage… sinon que Roma est sortie seule ensuite, pour aller chercher à revoir passer le prince, sans doute… et que le soir, très tard, lorsqu’elle est rentrée à l’hôtel Romalewsky, son visage irradiait comme après une immense joie… et que ses yeux flambaient d’étincelles ardentes…

— Ensuite ? demanda Alexis, oppressé.

— À cette minute-là, surtout, elle nous sembla incarner la souveraine que nous pleurons… Paul Karakine m’a regardé, saisi, lui aussi… Mais Fédor fixait Roma… et bientôt elle redevint, comme d’habitude, triste et pâle, comme si un rayon s’éteignait en son âme.

— Tu mêles à tout du roman… Tu ne sais plus rien ?

Alexis se tut un instant… Il avait les yeux fixés sur une lettre d’une écriture enfantine. Il relisait des yeux ces lignes :

« Mon papa chéri,

» Mon secrétaire t’écrit tous les détails de mon voyage ; il te dit ce qu’il voit, moi je vais te dire ce que je pense.

» Sur tout mon parcours, on m’acclame ; cela m’amuse, mais ne me cause aucune émotion… Une seule chose m’en a causé, et je veux te la conter, mon petit père, pour que tu me répondes vite ton idée à toi.

» J’ai aperçu, sur un balcon fleuri, entre des roses et des lilas, une figure de Paradis. Une figure que je vois dans mes rêves… Elle me souriait si tendrement que je ne pouvais plus détacher mes yeux des siens… Je voyais comme des rayons venir d’eux à moi… J’en ai été si troublé que j’ai dû être assez stupide chez le président…

» Plus tard, comme je rentrais à l’hôtel de l’Ambassade, tout préoccupé, j’ai revu de nouveau le joli visage. La dame était là à m’attendre, et alors, sans que je puisse savoir comment ni pourquoi, je l’ai embrassée avec un tel bonheur… qu’il me semblait que j’embrassais… maman ! la chère maman perdue !… Non, je n’ai jamais en tant de joie, de toute ma vie ! Seulement, le général est arrivé et m’a fait de grandes remontrances.

» Dis, papa, je veux revoir la figure de paradis… ordonne qu’on la cherche et qu’elle vienne avec moi…

» Je t’embrasse, père chéri, et je me réjouis de te revoir. Rien n’est si beau que chez nous… Rien n’est si bon que toi…

 » Ton Rorick. »

— Tu as une photographie de ton amie ? finit par dire Alexis.

— Oui, sire ; elle ne me quitte jamais.

— Quelle espèce de relations avez-vous donc ensemble ?

— Étranges, mais si bonnes. J’ai pour elle une vénération très douce… Je suis heureux de la regarder, de l’entendre.

Ce disant, Georges Iraschko avait sorti de la poche intérieure de son dolman son portefeuille. Il prit dans une enveloppe une photographie non collée due au hasard d’un instantané et dont certainement le modèle ne se doutait pas. Il la posa sur le bureau, d’une main tremblant un peu.

Alexis eut un mouvement de violente surprise. Ses joues devinrent plus pâles, et ses yeux plus troubles…

Georges avait photographié Roma à Tourleven, au jardin, à un moment où elle souriait doucement à une image invisible sans doute, car ses yeux étaient perdus dans les lointains montagneux.

— Oui, c’est étrange, murmura l’empereur, quelle ressemblance !…

Il resta un moment indécis, puis :

— Amène-moi Roma Sarepta. Voyage-t-elle aisément ? A-t-elle des ressources ? Mon trésorier mettrai à ta disposition ce que tu voudras.

— Je n’ai besoin de rien, sire. Pour ma part, j’ai beaucoup plus qu’il ne me faut. Roma semble posséder une grande fortune. Quant à voyager pour venir ici, elle en sera ravie, lorsque je lui aurai dit la grande bienveillance de l’empereur.

Mentalement, le jeune comte ajouta :

— Mais… mon Dieu, comment pourrai-je accomplir ma mission, moi dont les jours sont comptés ?

— Alors, va, fit Alexis, sois discret et hâte-toi.

Il tendit la main à l’officier, qui y mit respectueusement ses lèvres, et sortit.

Resté seul, l’empereur, au lieu de sonner pour l’introduction d’un autre visiteur, s’absorba de nouveau en la contemplation de la photographie.

— Yvana ! Yvana !… balbutia-t-il, le cœur battant d’une angoisse inouïe… Serait-ce toi ?…

Puis, soudain, il s’irrita contre lui-même :

— Croire à une semblable folie, alors que je t’ai eue glacée et inerte dans mes bras… et que j’ai pris ton dernier souffle dans un dernier baiser !…

Il se leva, ouvrit la porte, fit quelques pas sur la terrasse…

L’air frais calma l’agitation de ses nerfs.

Il se reporta à l’époque heureuse où, quand il était seul ainsi, il voyait arriver par le passage secret qui reliait leurs appartements, Yvana, joyeuse, pour profiter ensemble des minutes libres dérobées aux affaires de l’État.

Rorick seul franchissait maintenant la porte dérobée et venait s’installer sur les genoux de son père, causer avec lui…

Mais hélas ! combien insuffisant était l’amour de l’unique enfant, pourtant adoré !

Cette photographie était frappante, en effet, mais quelle invraisemblance !… Quel mystère !

Yvana avait eu une mère française qui avait peut-être des sœurs…

Alexis se perdait en troublantes réflexions, dont il chassait l’espoir insensé, qui, malgré lui, s’y mêlait…

L’entrée d’un page le rappela à lui-même.

— Je n’ai pas sonné, fit-il, irrité. Va aux arrêts et y reste huit jours.