Le Prince Louis-Napoléon/04

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Le Prince Louis-Napoléon
Revue des Deux Mondes4e période, tome 139 (p. 299-344).
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LE PRINCE LOUIS-NAPOLÉON

III.[1]
LE MINISTÈRE DU PRÉSIDENT


I

Le Piémont fut le premier vaincu que le Président de la République couvrit de sa protection, ouvertement et à tout risque. Il ne demanda point Parme et Plaisance, comme l’eût voulu cet « abbé qui croyait avoir gagné la bataille de Novare », mais, par ses instances auprès de l’Autriche, il obtint que l’indemnité de guerre serait réduite de 210 millions à 75. Au dernier moment, des difficultés sur une amnistie à accorder aux Lombards ayant interrompu à Milan les négociations entre les plénipotentiaires autrichiens et piémontais, Radetzki notifia, le 19 juillet, un ultimatum dans lequel il déclarait que si, dans quatre jours, on ne s’était pas mis d’accord, l’armistice serait dénoncé et la guerre reprise. Aussitôt informé, le Président ordonne de concentrer l’armée de Lyon au pied des Alpes et fait expédier par Tocqueville à Bois-le-Comte, à Turin (25 juillet 1849), une lettre dans laquelle il était dit : « La situation ne serait plus la même que celle où le Piémont s’était mis avant la bataille de Novare, quand il reprenait spontanément les armes et recommençait la guerre malgré nos conseils. Ici, ce serait l’Autriche qui prendrait elle-même l’initiative sans y être provoquée. La nature de ses exigences et la violence de ses procédés nous donneraient lieu de croire qu’elle n’agit point seulement en vue de la paix, mais qu’elle menace l’intégrité du territoire piémontais ou tout au moins l’indépendance du gouvernement sarde. Nous ne laisserons pas, à nos portes, accomplir de tels desseins. Si, dans ces conditions, le Piémont est attaqué, nous le défendrons. » Il envoya copie de cette dépêche par Drouyn de Lhuys, ambassadeur à Londres, à Palmerston, en le priant de savoir quelles étaient ses intentions. Palmerston accueillit par les signes du plus vif assentiment cette lecture. « Vous voyez, Milord, ajouta Drouyn de Lhuys, jusqu’où nous voulons aller. Pouvez-vous m’apprendra jusqu’où vous irez vous-même ? » Palmerston répondit sur-le-champ : « Le gouvernement britannique, dont l’intérêt ici n’est pas égal au vôtre, ne prêtera au Piémont qu’une assistance diplomatique et un appui moral[2]. » Mais Schwarzenberg, instruit de nos dispositions, avant même que la dépêche de Tocqueville fût parvenue à Turin, donna l’ordre d’en finir et envoya à Paris toutes sortes d’explications et d’excuses. Le 6 août fut signée une paix, qui, après de tels malheurs, était véritablement inespérée. Ainsi, « dans la mesure de ses pouvoirs, Louis-Napoléon prêta au Piémont un vigoureux appui, même au-delà de ce qu’aurait exigé l’intérêt seul de la France[3]. »

Du reste, en tout ceci, les ministres secondèrent avec empressement les vues du Président, et Massimo d’Azeglio n’était que juste quand il faisait parvenir à O. Barrot ses remerciemens « pour l’appui qu’il avait trouvé dans le cabinet français. »

Le même accord entre Président et ministres subsista quand il s’agit de rendre moins dure la défaite des révolutionnaires vaincus. Leur folie avait empêché qu’on les soutînt ; leur malheur permit de leur témoigner quelque intérêt. Les gouvernemens qui les avaient réduits exerçaient contre eux de rudes représailles. Dans le duché de Bade, les Prussiens se montraient presque aussi cruels que les Autrichiens en Hongrie et en Lombardie ; ils exécutaient, suspendaient les libertés publiques. Les petits princes italiens restaurés se montraient impitoyables. A Modène et à Parme, François II et Charles III dépassèrent en férocité ce qu’on a raconté des plus horribles tyrans. « Une révolte a éclaté, écrivait François au gouverneur de Reggio, les rebelles sont en mon pouvoir, envoyez-moi le bourreau. » Charles assistait parfois lui-même aux bastonnades qu’il infligeait. A Naples, des procès furent intentés aux hommes d’intelligence et de probité suspects d’idées libérales. On s’attaqua à d’anciens ministres du roi, tels que Charles Poerio, dont l’innocence défiait toutes les machinations. A l’aide d’un « sauvage et lâche système de tortures physiques et morales, on obtint, de cours de justice dépravées, des sentences abominables. La négation de toute loi divine fut érigée en système de gouvernement[4]. » En Toscane, la réaction conserva quelque modération et n’alla pas aux extravagances féroces des grands-ducs et du roi de Naples. On fit à Guerrazzi son procès, on ne le passa point par les armes. Mais le grand-duc ne tint aucun des engagemens pris avec les auteurs de la Restauration. Sans abolir immédiatement le statuto, il le considéra comme non avenu. Il oublia qu’on l’avait rappelé surtout pour empêcher les Autrichiens d’occuper le duché ; il les fit venir sous prétexte de réduire la révolte de Livourne et les installa ensuite à Florence ; il n’apparut plus aux populations que comme leur lieutenant. Aussi, quand il rentra dans ses États (29 juillet 1849), il trouva l’hostilité de ceux qui les lui avaient rendus. Le jour de l’entrée des Autrichiens, Salvagnoli, un des plus illustres constitutionnels toscans, écrivit à une amie : « Aujourd’hui 25 mai 1849, les impériaux sont entrés à Florence. Dans dix ans le fils de Charles-Albert sera roi d’Italie. »

Le gouvernement du Président n’adressa ni à la Prusse ni à l’Autriche des remontrances dont elles n’eussent tenu aucun compte. Il essaya du moins de refréner les petits princes sur lesquels il avait quelque action. Tocqueville, apprenant que le représentant de la France dans le grand-duché de Bade paraissait approuver les exécutions prussiennes, lui écrivit : « Nous avons contribué, autant que nous le pouvions sans entrer dans la lutte, à la répression de l’insurrection. Raison de plus pour désirer que la victoire à laquelle nous avons aidé ne soit pas souillée par des actes de violence que la France réprouve et que nous jugeons odieux et impolitiques… Nous ne pouvons prêter les mains à une restauration antilibérale. Voyez le grand-duc et faites-lui comprendre les désirs de la France. » Presque aussitôt les exécutions cessèrent. A Naples, nos agens s’employèrent activement à faciliter la fuite des principaux persécutés. Rayneval, notre ambassadeur, cacha dans sa demeure Mancini, qui l’a bien oublié depuis, et assura son départ ainsi que celui de ses amis Pisanelli et Conforti.

Ce fut à l’occasion d’autres réfugiés que se produisit le premier choc entre le prince L. Napoléon et le tsar. A la suite de l’intervention de la Russie en Hongrie, les chefs du mouvement, Kossuth, Bem, Zamoyski, s’étaient réfugiés à Widdin, au-delà de la frontière turque. L’Autriche demanda à la Porte Ottomane de les lui livrer. Nicolas l’appuya ; le sultan répondit que les traités ne l’obligeaient à rien de pareil et il refusa. Aussitôt les ambassadeurs autrichien et russe rompent les relations en déclarant que, si la Turquie permet à un seul réfugié de s’échapper, cette autorisation serait considérée comme une déclaration de guerre. La Porte demande le secours de la France et de l’Angleterre. Tocqueville hésitait sur la réponse : le prince, sans le consulter, ni lui ni ses collègues, se met d’accord avec Palmerston, et ensemble ils envoient des représentations à la Russie et à l’Autriche et expédient leurs flottes vers les Dardanelles pour raffermir le sultan « comme on met un flacon de sels sous le nez d’une dame qui aurait été effrayée[5] ». Les ministres instruits de cette résolution se consultent et ne savent à quoi s’arrêter. Thiers accourt, critique, tempête, menace, s’écrie que la France est perdue si l’on ne revient pas sur une détermination téméraire. Le prince écoute Thiers et ses ministres et persiste. La détermination était si peu téméraire que le tsar, remis d’un premier mouvement de colère, instruit des sentimens des cabinets anglais et français, renonça à ses exigences afin d’éviter l’humiliation de céder à des remontrances ou la nécessité de dégainer. Il ne nous marqua même aucun ressentiment et ne se montra blessé qu’à l’endroit de Palmerston avec lequel il se trouvait habituellement en délicatesse. Au lendemain de la reculade de l’Empereur, l’ambassadeur anglais se rendit chez le chancelier russe, et lui lut une note : « L’affaire est arrangée, répondit le chancelier, d’ailleurs l’Angleterre n’a rien à y voir. — Recevez au moins copie de ma note. — A quoi bon ? » Cependant il la reçut, de mauvaise grâce, ajoutant nonchalamment qu’il allait répondre à cette note, qu’elle était terriblement longue et que ce serait fort ennuyeux. « La France, ajouta-t-il, m’a déjà fait dire les mêmes choses plus tôt et mieux. » Pour la première fois, le grand empereur, le dominateur obéi s’arrêtait devant une résistance. L’Europe en fut stupéfaite ; et elle commença à regarder et à écouter du côté de Paris.

On comprendra dès lors le désappointement et le dépit du Prince, quand il apprit que les trois cardinaux, envoyés par le Pape pour prendre possession en son nom du gouvernement temporel, poursuivaient, sous la protection de notre drapeau, la même réaction de vengeances, de procès, d’inexorabilités contre laquelle nous protestions dans les pays qui n’étaient pas soumis à notre influence directe ; qu’ils rétablissaient les coutumes policières de l’ancien temps ; rouvraient le tribunal de l’inquisition ; remettaient en vigueur la bastonnade dans les prisons ; arrêtaient les suspects, commençaient des poursuites sévères, annonçaient des vengeances, abolissaient les franchises constitutionnelles et le statut, et, ne gardant aucun égard, affectaient de ne pas même mentionner la France dans les remerciemens adressés à l’Europe.

Tocqueville protesta vigoureusement contre cette conduite, que semblaient encourager l’indolence presque complaisante du général Oudinot et les illusions généreuses, mais trop faciles, de Corcelles. « A aucun prix, écrivait-il à celui-ci, à aucun prix des procès politiques sur le territoire que nous occupons et surtout pas d’exécutions à l’ombre de notre drapeau ! Nous serions déshonorés dans le monde (2 août). » Falloux lui-même pressait de ses avertissemens la Nonciature : « Prenez garde, vous jouez avec le feu. Modérez-vous. »

Le Pape répondait avec une ironie paisible : « Vous autres Français, vous êtes toujours trop pressés, laissez-nous le temps ! » Et ses cardinaux, le triumvirat rouge, comme on les appelait, continuaient leur office. L’idée qu’aux yeux de l’Europe et de l’Italie il paraîtrait un auxiliaire de l’Autriche, un séide de la sainte alliance, un oppresseur de cette Italie à laquelle son cœur était dévoué, troublait chaque jour davantage le Président. Sans doute ses ministres protestaient avec dignité dans leurs dépêches. Mais qui lisait ces dépêches ? l’opinion publique les ignorait. Il résolut de se dégager par des actes publics, de dégager notre pays, notre armée d’une pesante solidarité. Il rappela Oudinot et Corcelles, et écrivit à Edgar Ney, un de ses aides de camp : « La République française n’a pas envoyé une armée à Rome pour y étouffer la liberté italienne, mais pour la régler en la préservant contre ses propres excès et lui donner une base solide en remettant sur le trône pontifical le prince qui, le premier, s’était placé à la tête des réformes utiles… Dites de ma part au général Rostolan qu’il ne doit pas permettre qu’à l’ombre du drapeau tricolore on commette aucun acte qui puisse dénaturer le caractère de notre intervention. J’ai été personnellement blessé, en lisant la proclamation des trois cardinaux, de voir qu’il n’était pas même fait mention du nom de la France ni des souffrances de nos soldats. Toute insulte à notre drapeau ou à notre uniforme me va droit au cœur et je vous prie de faire bien savoir que, si la France ne vend pas ses services, elle exige au moins qu’on lui sache gré de ses sacrifices. Lorsque nos armées firent le tour de l’Europe, elles laissèrent partout, comme trace de leur passage, la destruction des abus de la féodalité et les germes de la liberté ; il ne sera pas dit qu’en 1849 une armée française ait pu agir dans un autre sens et amener d’autres résultats. » La lettre résumait ensuite les conditions du rétablissement du pouvoir temporel : amnistie générale, sécularisation de l’administration, code Napoléon et gouvernement libéral (18 août 1849).

Tocqueville, Dufaure, Barrot approuvèrent. Le « clérical » du conseil, Falloux, ne fut (tas non plus fâché : il ne lui déplaisait pas que les triumvirs rouges se convainquissent qu’il n’exagérait pas l’irritation du Président et qu’il avait justement réitéré ses avertissemens. Il se contenta de demander que la lettre demeurât confidentielle. Mais, quelques jours après, une dépêche adressée au cabinet anglais, interceptée par la police, fut mise sous les yeux du Président. On l’y raillait d’être devenu le jouet des Autrichiens. Irrité, il télégraphia au général Rostolan de publier sa lettre. Le général prétexta qu’elle n’avait pas été contresignée par un ministre et refusa. Alors Edgar Ney l’envoya au Moniteur toscan qui l’inséra. Sur quoi les ministres français, sans plus de résistance, la laissèrent publier par le Moniteur officiel.

Cette lettre avait plus qu’une importance accidentelle ; elle -était et elle est une date dans la question toujours ouverte de d’organisation terrestre du pouvoir pontifical.

Sous Consalvi, le cardinal Sala avait proposé, dans un mémoire, supprimé comme un méfait, la séparation du temporel et du spirituel. Il conseillait de confier aux laïques les emplois temporels, et de ne plus menacer, à propos d’un droit d’octroi, de l’indignation du Très-Haut et de celle des bienheureux Pierre et Paul ! Rossi, en 1848, avait repris ce projet, mais en le poussant plus loin. La séparation du spirituel et du temporel opérée, il voulait que le temporel devînt libéral, constitutionnel. Il semblait que sa mort eût enseveli à jamais cette conception. La lettre à Edgar Ney la ressuscitait et lui donnait une forme systématique.

Jusque-là il n’y avait parmi les catholiques que deux thèses relativement au pouvoir temporel. Les uns, s’appuyant sur les temps primitifs et sur les paroles de Tertullien : « Rien de terrestre, rien absolument, rien n’est nécessaire à la foi », maudissaient avec Dante « ce Constantin qui, pour le malheur de l’Eglise, fit le pape riche », et avec Manzoni, conjuraient le successeur de Pierre, « de rendre Rome à l’Italie, et de n’être plus que le roi des prières et le Pontife du Sacrifice. » Les autres disaient : La souveraineté temporelle du Saint-Siège a été instituée par un décret particulier de la divine Providence ; elle est nécessaire afin que le Pontife romain, n’étant sujet d’aucun prince ou d’aucun pouvoir civil, exerce dans toute l’Eglise, avec la plénitude de sa liberté, la suprême puissance et l’autorité dont il a été divinement investi par Jésus-Christ. Désormais il y eut un parti moyen demandant avec une égale insistance le maintien du pouvoir temporel et sa transformation en un gouvernement plus ou moins constitutionnel. « S’il ne se décide pas, disait-on, à des institutions libérales, compatibles avec la condition actuelle des peuples, quelle que soit la puissance des mains qui s’étendront pour le soutenir, il sera bientôt en grand péril[6]. » Lacordaire jugeant qu’un « gouvernement d’ancien régime, c’est-à-dire refusant l’égalité civile et la liberté de conscience, ne se concevait plus, même à Rome », préconisa ce système[7]. Proudhon, par d’autres raisons, arriva à la même conclusion[8]. Ce système resta celui de la diplomatie française et européenne jusqu’à l’ouverture de la brèche de la Porta Pia.

Pie IX eût-il voulu l’adopter, cela ne lui aurait pas été possible. Pour faire de la liberté, il faut des libéraux. Or il n’y en avait pas à Rome. Ceux qui l’avaient été se cachaient au fond de leurs demeures. Epouvantés, ils demandaient aux agens français, désireux de les entretenir, de les faire mander par des gendarmes afin qu’ils parussent céder à la contrainte. Quant aux unitaires, aucune concession ne les eût attirés, puisque la seule réforme qu’ils poursuivaient sous le nom de liberté, c’était le renversement du pouvoir pontifical.

Pie IX ne pouvait donc pas, et en outre il ne voulait pas. Sa tentative libérale lui avait laissé un souvenir d’horreur. Bourrelé de remords, il se considérait comme coupable d’avoir compromis l’Eglise ; et il n’avait plus qu’une pensée, qu’une passion : effacer jusqu’au moindre vestige de ses innovations téméraires. Lui proposer de les reprendre, c’était lui demander de trahir son devoir, de renier sa foi, d’exposer le salut de son âme[9].

Pie IX avait raison de ne pas vouloir. La Papauté hors de chez elle, peut-être, a été, suivant les nécessités du temps, républicaine, démocrate, sociologue, si ce n’est socialiste ; à Rome elle ne peut être que théocratique. La liberté politique, dans n’importe quelle mesure, sous quelque forme que ce soit est incompatible avec le Principat ecclésiastique du vicaire de Jésus-Christ. On ne conçoit pas un monarque constitutionnel, à la façon de Louis-Philippe, accolé à un pontife infaillible, et des ministres responsables marchant de pair avec des cardinaux, ces sénateurs de la catholicité. Le cardinal Pacca, à propos des doctrines de l’Avenir, sur la liberté des cultes et la liberté de la Presse, ces parties essentielles de tout régime libéral, écrivait à Lamennais : « Ces doctrines ont beaucoup étonné et affligé le Saint-Père, car si, dans certaines circonstances, la prudence exige de les tolérer comme un moindre mal, elles ne peuvent jamais être présentées par un catholique comme un bien ou une chose désirable. » Or si un pape se résigne, parfois, chez les autres, à un moindre mal, chez lui, il est en conscience obligé de n’établir que ce qui en soi est bien et désirable ; de n’admettre ni la liberté des cultes, ni celle de la presse ; et d’employer la force de son bras séculier à assurer le respect des décrets de son autorité pontificale.

La lettre à Edgar Ney ne détourna pas Pie IX de ces pensées. Elle lui conseillait, afin de n’être pas jeté par la fenêtre, de s’y jeter lui-même : il préféra attendre qu’on l’y jetai. Il déclare qu’il ne peut plus se confier à la garde des soldats français et se rendre à Rome. Il recule jusqu’à Portici, et de là il répond au Président par son Motu proprio du 12 septembre. On y retrouvait à peu de chose près le mémorandum des puissances de 1831 : des libertés communales et provinciales, la réforme des lois civiles, des institutions judiciaires et des règles de la justice criminelle, de plus un conseil des ministres, un conseil d’Etat, une consulte des finances, une amnistie avec de nombreuses exclusions.

Le Président fut mécontent du Motu proprio. Ses ministres, moins exigeans, jugèrent qu’il réalisait en grande partie les vœux émis par la France, et qu’il n’y avait plus qu’à presser le Pape de compléter l’amnistie et de hâter la réalisation des réformes annoncées. Une demande de crédits fournit à l’Assemblée l’occasion d’exprimer son avis sur la politique du ministère, sur la lettre à Edgar Ney, sur le Motu proprio. Thiers, nommé rapporteur, se déclara satisfait : les lois annoncées opéreraient un bien incontestable si elles étaient réalisées ; et la parole de Pie IX suffisait pour lever tous les doutes à cet égard. Il reconnaissait cependant que, sans attenter à l’indépendance et à la dignité du Pape, on pouvait le presser de réaliser son Motu proprio, et d’étendre sa clémence. C’était l’approbation de la politique ministérielle, et cela rendait d’autant plus significatif le silence voulu gardé sur la lettre à Edgar Ney. Le Président comprit l’intention. Pour la première fois, ses ministres le virent « animé de quelque chose qui ressemblât à de la passion. » Il ne se résigna pas à rester silencieux sous le dédain de Thiers. Il écrivit à Odilon Barrot une nouvelle lettre, en le priant d’en donner lecture à la tribune : « Vous n’avez pas oublié, monsieur le ministre, avec quelle persévérance j’ai secondé l’expédition romaine, alors qu’un premier échec sous les murs de Rome et une opposition formidable à l’intérieur menaçaient de compromettre notre honneur militaire : je mettrai la même constance à soutenir contre des résistances d’une autre nature ce que je considère comme l’honneur politique de l’expédition. »

Cette lecture eût provoqué la vive adhésion de la gauche républicaine. Cavaignac l’avait laissé pressentir[10], Tocqueville et Barrot n’osèrent s’y risquer. Ils défendirent la lettre à Edgar Ney. Elle traduisait dans un élan fier et généreux leur politique, ils ne l’avaient jamais désavouée et ne la désavoueraient jamais ; mais ils ne lurent pas la lettre à Odilon Barrot. De ce jour leur chute fut décidée à l’Elysée.


II

Cette résolution fut d’autant plus facile au Président qu’il avait fini par découvrir que ce ministère, qu’on lui avait présenté comme inévitable, ne subsistait que grâce à son appui, et que la majorité en était autant fatiguée que lui-même. Dans les couloirs on le déchirait ; on lui reprochait ses ménagemens pour les républicains, sa mollesse à destituer et à donner les places aux bien pensans. Si les chefs des partis ne l’attaquaient pas à la tribune, et ne lui refusaient pas leurs votes, ils ne déguisaient pas qu’ils ne se servaient de lui que pour prendre les mesures répressives et que, cette tâche ingrate terminée, ils le congédieraient. Les ministres se défendaient mal contre ces attaques sournoises et souvent y donnaient prétexte, car si parmi eux se trouvaient les esprits les plus honnêtes qu’on pût rencontrer, ils étaient si raides et si bornés en politique que Tocqueville regretta plus d’une fois de n’avoir pas plutôt pour collègues des coquins intelligens[11].

Ce fut Odilon Barrot en personne qui vint révéler au Président ce secret de sa faiblesse. Il convoqua Thiers et Mole à une conférence à l’Elysée et leur dit brusquement que, puisqu’ils étaient si peu satisfaits de lui, il les priait de prendre sa place. Naturellement ils nièrent leur hostilité et refusèrent de prendre la place. Le Président avait gardé le silence. Resté seul avec Barrot, il lui dit : « Croyez-vous que si M. Thiers vous eût pris au mot et consenti à devenir ministre, j’aurais consenti, moi, à lui confier un portefeuille ? Si vous l’aviez, cru, vous vous seriez étrangement trompé »[12]. Il n’ajouta pas qu’il se sentait libre désormais de le renvoyer lui-même.

Il le fit dès qu’il eut réuni les élémens d’une nouvelle combinaison autour du frère même du ministre à évincer, Ferdinand Barrot, à qui cela valut le sobriquet de Barrot-Caïn. Autour de celui-ci se groupèrent des personnages qui avaient commencé à poindre sous Louis-Philippe, Magne, Achille Fould, deux généraux, d’Hautpoul et de La Hitte, un amiral, Romain Desfossés ; trois politiques tout neufs, Parieu, Rouher, le savant J. -B. Dumas.

Restait à instruire Odilon Barrot et la Chambre du changement. Barrot-Caïn fut dépêché à Bougival. Il y fut accueilli par son frère avec une telle loquacité confiante qu’il n’osa débiter son compliment. Cependant, au moment de sortir, la porte déjà entr’ouverte, il lui dit : « Tu ne sais pas, Odilon, on m’offre l’Intérieur. » — Mon pauvre Ferdinand, répondit Odilon, tu ne vois pas qu’on se moque de toi ! » Le pauvre Ferdinand, interdit, s’en alla sans rien dévoiler. Odilon n’apprit qu’il était remplacé que par une lettre du Président reçue le jour même où l’Officiel publiait la liste des nouveaux ministres. Pour adoucir la déconvenue, on lui envoya le grand cordon de la Légion d’honneur, qu’il refusa.

La communication à l’Assemblée se fit par un message. « La France, était-il dit, inquiète parce qu’elle ne voit pas de direction, cherche la main et la volonté de l’élu du 10 décembre. Or, cette volonté ne peut être sentie que s’il y a communauté d’idées, de vues entre le Président et ses ministres et si ces ministres ne le compromettent par aucune irrésolution, et sont aussi préoccupés de sa propre responsabilité que de la leur, et de l’action que de la parole. » Il affirme sa volonté de respecter la Constitution qu’il a jurée, de relever l’autorité sans inquiéter la vraie liberté, de dompter hardiment les mauvaises passions, d’affermir le principe religieux, sans rien abandonner des conquêtes de la Révolution, de sauver le pays malgré les partis et malgré même les imperfections de nos institutions. » Le message fut complété le lendemain par une déclaration de d’Hautpoul, qui, après avoir couvert d’éloges l’ancien cabinet, dit « que le ministère n’était pas formé contre la majorité, mais au contraire développerait avec énergie ses principes, et que les antécédens de ses membres en étaient les garans. » Sur quoi l’Assemblée, rassurée sinon satisfaite, ne permit pas même une interpellation sur l’événement.

Quelle était donc la véritable portée de cette révolution ministérielle ? Faussait-elle le système parlementaire ? Mais le cabinet Barrot ne représentait que la minorité ; au contraire, les nouveaux ministres, choisis dans la majorité même, en partageaient les passions et les idées bien plus que les ministres congédiés. La portée du changement, en effet très grave, est ailleurs. La Constitution juxtaposait deux responsabilités collatérales et incompatibles, celle du Président et celle des ministres. Le ministère Barrot venait de démontrer, en fait, l’impossibilité de leur coexistence : ministres et Président, sans souci l’un de l’autre, avaient tiré chacun de leur côté. Le Président supprime le conflit ou l’incohérence en abolissant la responsabilité ministérielle. Il n’aura plus en face de lui un président du conseil, au moins son égal, il sera à la fois le chef du pouvoir exécutif et le président de son ministère.

Au lieu de deux volontés il n’en existera plus qu’une. Cette simplification déplut aux monarchistes constitutionnels qui ne concevaient à la tête de l’Etat qu’un chef irresponsable, couvert par des ministres responsables ; elle aurait dû plaire aux républicains, convaincus alors, que la responsabilité présidentielle, et par conséquent la subordination des ministres, est de l’essence même du système républicain.

La distribution des ministères se fit ainsi : à l’Intérieur Ferdinand Barrot, un de ces personnages qui tiennent honorablement en politique, le rôle des utilités au théâtre ; aux Finances, Achille Fould, homme d’esprit, de club, de salon, amateur de beaux-arts, sachant même un peu de finances, ce qu’il en avait appris de son frère Benoît, banquier éminent ; aux Affaires étrangères La Hitte, dont il n’y avait rien à dire en bien ou en mal ; à la Guerre d’Hautpoul. Quand j’arrivai à Marseille, en 1848, ce général commandait la division militaire. Après m’avoir salué bien bas, il me dit : « J’ai servi le gouvernement déchu, au fond j’ai toujours été républicain. » Il avait probablement dit au Président : « Au fond j’ai toujours été bonapartiste. » Aux Travaux Publics Bineau, ingénieur distingué ; à l’Agriculture et au Commerce Dumas, homme de science éloquent qui, partout, se trouvait naturellement au premier rang.

Les deux membres les plus intéressans parce qu’ils sont devenus le noyau du personnel qui a suivi le Prince dans toutes les fortunes, ce sont les deux jeunes avocats de Riom, introduits par Morny à l’Elysée, Rouher et Parieu. Rouher[13], de taille moyenne, robuste, la tête régulière, agréable, forte et claire, animée par des yeux éveillés, intelligens, d’une finesse qu’on avait parfois quelque peine à distinguer de la fausseté, montrait dans toute sa personne un air d’assurance et d’autorité, que ne gâtait aucune morgue et qu’adoucissaient des façons d’une captivante familiarité. Son grand-père était huissier à Riom, son père avoué, son frère aîné avocat. Après de bonnes études il fut envoyé à Paris. Il fit son droit en travaillant chez un avoué, c’est-à-dire, fort mal, tout juste assez pour passer ses examens. Le mouvement littéraire artistique et politique était alors fort intense, et les jeunes gens s’y mêlaient avec passion : les uns admirateurs d’Ingres, les autres de Delacroix, les uns sectateurs de Victor Hugo, les autres fidèles aux classiques, beaucoup républicains, quelques-uns socialistes, bien peu conservateurs. Rouher n’élevait pas sa pensée au-dessus de ses dossiers, et ne se préoccupait ni de peinture, ni de poésie, ni de politique. En revanche, nul ne figurait dans les bals du quartier Latin avec un entrain plus endiablé, ne troussait mieux un calembour ou un jeu de mots, ou ne chantait avec plus de verve les chansonnettes alors mises en vogue par l’acteur Levassor. Devenu second clerc dans l’étude de Me Rozier, il allait plaider les référés devant le président du tribunal et on l’y remarquait pour son assurance et sa facilité. Reçu licencié, il retourna à Riom ; son frère lui céda sa clientèle de première instance, ce qui lui fit aussitôt une situation importante. En cour d’assises, il ne tarda pas à en acquérir une brillante par la fougue, la forme imagée de ses plaidoiries. On accourait pour l’entendre. Vers 1840, il épousa la fille d’un avocat maire de Clermont, Conchon, nommé bientôt après conseiller à Riom à la suite d’un soulèvement populaire causé par le recensement Humann, dans lequel sa maison avait été brûlée. Rendu orléaniste par son beau-père, il se présenta en 1847 aux élections comme candidat de MM. Guizot et Duchâtel contre le député centre gauche, Combarel de Leyval. Il échoua. Quoique fort dépité de la révolution de 48, il en prit vite son parti, se représenta aux élections de la Constituante, se dit républicain autant qu’on le voulut, et fut nommé. Sceptique, déjà sectateur convaincu du « mandarin Je-m’en-f…, » selon une de ses expressions célèbres, il arriva à Paris tout prêt à se donner au plus fort, à celui qui le placerait sur le théâtre où il pourrait déployer ses rares facultés. Il crut d’abord que ce serait Lamartine ; il se précipita vers lui, l’entoura et en reçut même on présent une levrette. Lamartine effondré, il se tourna vers Cavaignac et vota pour lui. Cavaignac battu, il se fit conduire à l’Elysée par Morny, et le voilà ministre de la justice, garde des sceaux à la place de Barrot.

Bien différent l’autre avocat de Riom, Esquirou de Parieu[14]. Il appartenait à une famille de robe du Cantal. En sa physionomie sévère, aux traits concentrés, aux lignes larges, carrées, dans ses yeux aux reflets sombres, encadrés sous des sourcils proéminens, épais, se retrouvait la vigueur et l’âpreté des montagnes natales. Il n’était ni faiseur de calembours ni chanteur de chansonnettes. Il passait de longs instans en prière dans sa chambre, la tête inclinée, se frappant la poitrine avec mortification, ou bien il se promenait seul dans les champs un Code à la main. Ses solides études de droit furent poussées jusqu’au doctorat ; en même temps il avait étudié l’économie politique. En toute matière il possédait autant de doctrine que Rouher en avait peu, mais il n’était pas doué de son aimable humeur, de sa flexibilité d’esprit ; sa réserve était morose, sa finesse renfrognée, son esprit dédaigneux. Plus tard Rouher l’a beaucoup distancé. A ce premier moment ce fut lui qui l’emporta. A la Constituante il s’était révélé par un discours très applaudi contre l’élection du Président par le suffrage universel. Ministre, il s’éleva très haut dans l’estime et l’admiration de l’Assemblée par ses discours sur la liberté de l’enseignement ; malgré son débit saccadé, précipité, il gagna une réputation d’éloquence.

Rouher ne se signala alors que par l’aplomb et la facilité. Il réussit surtout auprès des magistrats. Homme d’affaires déjà très consommé, procédurier sans égal, il ignorait la science du droit et n’avait pas vécu en familiarité avec ses belles théories. Et cependant une question de législation se présentait-elle, grâce à une mémoire et à une facilité d’assimilation exceptionnelles, dès qu’on la lui avait expliquée, il en dissertait de manière à éblouir ceux mêmes qui venaient de l’instruire. Une fois cependant il fut pris au dépourvu. Un procès se plaidait devant la Chambre des requêtes de la Cour de cassation sur la propriété des Mémoires du duc de Saint-Simon. Le célèbre président Lasagni vint à la Chancellerie pour lui demander s’il ne revendiquerait pas pour l’État cette propriété. « Quel intérêt peut avoir l’État, répondit Rouher, à posséder les Mémoires de ce fou de socialiste ? »

Les nouveaux ministres, plus dociles que leurs devanciers à servir l’ambition du Prince, ne partageaient pas plus qu’eux ses idées, et ne les soupçonnaient même pas ; leurs véritables opinions étaient celles de Thiers ou de Guizot. Sur la plupart des sujets, le Prince se fût beaucoup mieux entendu avec le premier républicain venu. Toutefois satisfait d’avoir trouvé la docilité, il ne s’inquiéta pas des opinions. D’ailleurs ne voulant pas se fermer, par une rupture irrémédiable, l’issue de la révision constitutionnelle, ni laisser à ses ministres congédiés un recours contre lui, il lui convenait de s’entourer de conseillers que la majorité savait animés de ses passions, de ses rancunes et de ses craintes.

Cette arrière-pensée entraîna l’exclusion bien regrettable de Victor Hugo. Le poète avait-il demandé un portefeuille ? Le lui avait-on promis ? Cela importe peu. Le certain est qu’il le désirait de la même ardeur que sous Louis-Philippe il avait recherché la pairie. Considérons comme heureux que des hommes doués d’une telle puissance de génie daignent parfois être ambitieux. Personne n’avait plus que Victor Hugo le droit de l’être sous un Napoléon. Qui avait exalté dans des chants plus sublimes les gloires et les malheurs du grand homme ? Qui avait demandé plus chaudement le rappel des lois d’exil contre les Napoléon ? Qui avait plus noblement défendu et adopté la candidature du Prince ? Qui méritait mieux d’écrire son nom au-dessous de celui d’un Napoléon ? Le Président sentait ce devoir de gratitude. Il comprenait le danger de laisser faire antichambre à une telle ambition, car il savait combien sont longues et retentissantes les vengeances des poètes, combien il en a coûté aux Bourbons d’avoir congédié Chateaubriand et à Louis-Philippe d’avoir dédaigné Lamartine. Aussi avait-il le ferme propos d’appeler dans ses conseils le rapsode de l’épopée napoléonienne. Malheureusement Victor Hugo rendit sa bonne volonté impuissante. Après avoir siégé longtemps sur les bancs de la majorité, voté avec elle l’état de siège, refusé l’amnistie aux insurgés de Juin, il venait de s’en séparer à l’occasion d’un effet oratoire manqué.

On discutait une proposition très large d’assistance légale en faveur des classes ouvrières. — Victor Hugo commença son discours en disant : « J’entendais dire tout à l’heure autour de moi, au moment où j’allais monter à la tribune, qu’en dehors de la force tout est vain et stérile et que la proposition de M. de Melun et toutes autres analogues doivent être tenues à l’écart parce qu’elles ne sont que du socialisme déguisé. » Protestations de toutes parts : « Qui a dit cela ? » Le Président déclare que personne n’accepte l’objection, que personne ne l’a faite. Molé et Montalembert disent : « La proposition de M. de Melun a été acceptée à l’unanimité dans les bureaux, et la preuve, c’est que son auteur a été chargé de faire le rapport. » Les demi-dieux n’ont jamais tort et n’admettent pas que d’eux tout ne soit admirable. Ce rappel à la vérité parut au poète une impertinence et il rompit avec ceux qui se l’étaient permise. Il notifia cette rupture par un discours sur la question romaine, dans lequel, gardant encore des égards envers le Prince, il s’attacha à froisser les sentimens les plus vifs de la majorité par des paroles intentionnellement emportées. Dès lors sa nomination eût paru une injure aux conservateurs. D’ailleurs aucun des ministres si péniblement recrutés n’en voulait pour collègue ; plus ils étaient effacés et lui éclatant, plus il les effrayait. Lamartine, repoussé naguère par une opposition semblable ; n’en avait conçu aucun courroux, Victor Hugo ne sut pas s’élever à une telle magnanimité. Il avait désiré, il s’était offert, on ne le prenait pas, il ne pardonna pas. En quelques enjambées, dans son courroux, il alla, comme les Dieux d’Homère, d’une extrémité à l’autre de l’horizon. Au centre gauche, il eût trouvé Thiers, à la gauche modérée Cavaignac ; à l’extrême gauche la place de Ledru-Rollin restait vacante, il y sauta et donna à la démagogie le clairon d’airain qui lui manquait.


III

En offrant un portefeuille à J. -B. Dumas, Louis-Napoléon lui avait dit : « Il y a les blancs, les rouges, les bleus ; l’immense majorité est avec les bleus : si c’est votre opinion, nous pouvons nous entendre. » Le nouveau cabinet, par haine des rouges, se jeta cependant vers les blancs, au grand scandale des bleus.

Après le 13 juin, la tourmente perpétuelle qui secouait l’Assemblée s’était apaisée. Les séances ne se consumaient plus en de stériles débats de paroles ; la même tranquillité régnait en apparence dans la rue ; l’Etat ébranlé paraissait raffermi ; la société régulière, le gouvernement légal, les institutions, la paix publique sauvés[15]. Toutefois dans les conciliabules secrets, dans les journaux rouges, ni le calme ni la tranquillité n’avaient succédé aux excitations et aux préparatifs séditieux. A côté des socialistes pacifiques recherchant d’un cœur fraternel l’abolition de la misère, les révolutionnaires purs continuaient leur propagande avec une indomptable ténacité. A peu près assurés des ouvriers des villes, ils s’efforçaient d’entraîner le paysan par le colportage, par la prédication des instituteurs. Ils travaillaient surtout à organiser la défection de l’armée. On attendait les soldats à la sortie des casernes pour leur glisser des brochures et des journaux ; on les conduisait dans des cabarets où, entre deux verres d’absinthe, on les pressait de se ranger du côté de leurs frères, de leurs parens, maudits de la vie et prédestinés de la souffrance comme eux. On faisait enrôler des démagogues auxquels on promettait des récompenses et des primes. Ces engagés faisaient la propagande des régimens et transmettaient à un comité central des renseignemens précis sur les dispositions des officiers et des soldats. Quand on pourrait compter sur deux ou trois cents hommes par régiment, on engagerait la bataille.

En dehors de ceux qui organisaient la subversion, qui blâmera les ministres d’avoir pris des mesures énergiques pour déjouer ces trames, et prévenir ces levées d’armes, pour contenir et châtier les instituteurs révolutionnaires et athées, éliminer les fonctionnaires convaincus de connivence au moins par la mollesse, refréner les clubs, pourchasser les conspirateurs, encadrer l’armée, afin de la rendre plus compacte et plus mobile, en quelques grands commandemens militaires ?

Mais ils ne s’en tinrent pas à cette œuvre légitime de préservation. Assaillant ceux qui ne menaçaient pas l’ordre social, et ne respectant pas ceux qui méritaient le respect, ils poursuivirent les républicains raisonnables, ils parurent s’acharner moins à l’anarchie qu’à la république. Etre noté comme républicain devint un motif de suspicion. Tout fonctionnaire soupçonné de ne pas souhaiter le retour d’une monarchie fut destitué. Avoir participé aux « journées funestes de Février », selon l’expression récente de Thiers, devint une cause radicale d’exclusion. A la tribune retentissaient les provocations ministérielles : « Nous serons prêts à toute heure, disait d’Hautpoul ; vous pouvez commencer demain si vous le voulez. » La police, dirigée par un ennemi acharné de l’ordre républicain, sans tact et sans scrupule, Cartier, paraissait s’être donné pour tâche d’exaspérer les moins hostiles. Le peuple tenait aux arbres de la Liberté récemment plantés, il les fit couper ; l’anniversaire du 24 février était une de ses fêtes, il l’interdit. Il multiplia les visites domiciliaires, les perquisitions, les arrestations arbitraires suivies de longues détentions préventives dans les cellules horribles de Mazas. Jusque-là l’hostilité des républicains n’était pas justifiée, elle le devint. Ceux qui, comme l’honnête Peauger, avaient cru aux paroles du prisonnier de Ham, s’éloignèrent tristement ; et ceux qui eussent été tentés de se rapprocher s’applaudirent de ne s’y être pas décidés.

Les résultats de cette politique de contre-bon sens ne tardèrent pas à se montrer. À la suite des condamnations prononcées par la Haute Cour contre les députés compromis le 13 juin, trente élections complémentaires eurent lieu à Paris et dans les départemens. Bien que la campagne fût dirigée par les radicaux socialistes, les républicains de raison pressèrent Carnot, un des plus honorables d’entre eux, de se laisser inscrire sur la liste à côté de Vidal et De Flotte. Il serait la protestation contre le cléricalisme de la loi d’enseignement en faveur de l’instruction laïque, gratuite, obligatoire ; Vidal était l’affirmation du socialisme ; De Flotte, ancien transporté, réhabilitait les journées de Juin. Cette liste l’emporta à l’énorme majorité de 130 000 voix en moyenne (10 mars 1850). En province, grâce à la même coalition, dix-huit radicaux socialistes furent nommés. Vidal, élu deux fois, ayant opté pour un département, Paris renouvela et accentua sa manifestation par la nomination d’Eugène Sue, l’aristocratique romancier converti au socialisme (28 avril). Les départemens ne se démentirent pas non plus, six socialistes l’emportèrent dans Saône-et-Loire, le département de Lamartine. « Ce qui s’est fait, pendant quinze mois, contre la république, contre la révolution, écrit Proudhon, est déclaré par ce vote nul et non avenu. Il faut que le pouvoir, à peine de rébellion envers le peuple et de tyrannie, non seulement change de système, mais se mette, toute affaire cessante, à réparer le mal. »

Les conservateurs qui se croyaient hors de péril se réveillèrent en sursaut. Un frisson de terreur parcourut la France, la Bourse baissa de deux francs, les étrangers quittèrent précipitamment Paris. Ce qu’on voyait s’avancer avec une effroyable assurance, ce n’était pas une émeute mal préparée et dont Changarnier viendrait à bout, c’était le socialisme légal, s’emparant des pouvoirs publics, s’infiltrant dans les lois et défaisant régulièrement la société avec l’aide du gendarme.

Le Président, ce Président tant dédaigné, parut alors le seul refuge. Il ne cessait d’être l’objet des empressemens du peuple ; u chaque revue, les soldats continuaient à lui jeter comme salut ; l’Ave Cæsar. Lui ne modifiait ni son langage ni son attitude ; il maintenait sa volonté « de ne pas sortir du sentier étroit tracé par la Constitution et de travailler, avec tous les hommes de cœur et d’intelligence, à consolider quelque chose de plus grand qu’une Charte, de plus durable qu’une dynastie[16]. »

Dans la panique qui sévissait, sur bien des lèvres habituées à déclamer contre le coup d’Etat le silence se fit, et nombre de celles qui le dénonçaient le conseillèrent. Les missives, les adresses, les adjurations orales arrivaient à l’Elysée. « Ne vous défendez plus de méditer un coup d’Etat. Accordez à ceux qui l’annoncent la satisfaction d’avoir été bons prophètes. Faites-en un. Nous ne vous avons pas nommé pour que vous montriez de la vertu à nos dépens, mais pour que vous nous délivriez. « La nation vous a choisi pour tout oser ; ce qu’elle attend de vous, c’est de l’audace et non de la prudence[17]. » « Est-ce quand le navire sera coulé à fond que vous arracherez le gouvernail aux mains incapables qui ne savent pas le tenir ?

Et lui, impassible, répondait avec douceur : « Non, je n’aurai pas recours à des moyens illégaux, je ne sortirai pas du sentier étroit que m’a tracé la Constitution. — Vous trouvez mon ministre de l’intérieur F. Barrot insuffisant, je le remplace par Baroche, qui vient de faire ses preuves comme procureur général devant la Haute Cour. — Vous estimez la licence de la presse excessive, j’essaierai de la mater en rétablissant le timbre et en doublant le cautionnement. — Les réunions électorales vous inquiètent, je les fermerai. — Les maires n’obéissent pas, je les suspendrai. — La loi électorale vous semble défectueuse, j’essaierai de l’amender. — La constitution appelle une réforme fondamentale, je suis prêt à la réviser avec le concours du pays. Mais je vous refuse un coup d’Etat. »

Vous croyez peut-être que ce langage excita de l’admiration ? Il fut accueilli par un strident éclat de rire. Proudhon, que j’aime à citer parce qu’il était alors le véritable tribun du peuple, domina toutes les voix par son ricanement sardonique : « L’aventurier s’est éclipsé devant l’homme d’Etat, le président a tué le prétendant, le magistrat l’emporte sur le conspirateur ; et nous sommes forcés de convenir que la République, cette chaste fiancée du peuple, pour mettre sa vertu à l’abri des entreprises du Prince Louis et le tenir à distance respectueuse, n’avait rien de mieux à faire que de le prendre pour chaperon[18]. » Le fin et aristocratique Tocqueville ne raille pas, mais prononce que, décidément, ce prétendu César est un « épicurien épris de la passion des jouissances vulgaires et du bien-être et qui, dans les facilités du pouvoir, alanguissait son énergie et amortissait, rabaissait son ambition même[19]. » Ses confidens et ses amis, qui l’avaient autrefois connu si audacieux, se demandaient, déconcertés, pourquoi il répugnait maintenant aux moyens décisifs. Il leur semblait entendre dans l’air une voix irritée lui criant : « Tu dors. César ; l’aigle étend au-dessus de ta tête ses ailes frémissantes et tu ne le vois pas, nous t’enverrons les corbeaux. »


IV

Modifier une conduite parce qu’elle vous fait supposer autre qu’on est marque qu’on n’est pas destiné aux grandes choses. Couvent le courage consiste à se laisser taxer de pusillanimité et la fermeté à paraître irrésolu. Le Prince laissa crier et, sachant qu’il ne serait pas la proie des corbeaux, il ne voulut pas se casser le cou en courant avant l’heure après l’aigle. Par sa volonté expresse, Baroche, le nouveau ministre de l’intérieur, fut réduit à chercher quels étaient les expédiens légaux par lesquels on pouvait lutter contre le mouvement socialiste.

De leur côté les chefs illustres des conservateurs songèrent à aviser. Quoique divisés, depuis la nouvelle Assemblée, en plusieurs groupes particuliers, les députés conservateurs se réunissaient parfois dans la salle du Conseil d’Etat pour délibérer en coin mu n. On ne pouvait tirer d’un amalgame de légitimistes, d’orléanistes, d’élyséens, de républicains, un président agréé par tous ; on en avait créé douze qui, à tour de rôle, dirigeaient les délibérations. Ces présidons se renouvelaient par moitié tous les six mois, et les six sortans restaient adjoints aux douze en fonctions, formant avec eux une sorte de comité directeur chargé de convoquer les réunions générales, de préparer les propositions à leur soumettre. Ce sont les membres de ce comité qu’on nommait les Burgraves, par réminiscence de la pièce très sifflée de Victor Hugo, dans laquelle des vieillards sermonneurs jouent un rôle principal[20].

Les Burgraves se réunirent chez Victor de Broglie. La première fois on s’en tint à des considérations vagues, sans rien conclure ; la seconde réunion allait se passer de même, quand Thiers prit la parole et serra de près la question. Il dit[21] :

« Je crois que l’on n’avance pas les affaires dans des circonstances telles que celles où nous nous trouvons en esquivant les questions et en pataugeant. Il faut parler net. Y a-t-il quelque chose à faire ? S’il n’y a rien à faire, qu’on en prenne son parti. Ne continuons pas à nous agiter et surtout ne continuons pas à agiter le pays par une recherche inutile. Disons-lui : Non, il n’y a rien à faire, il faut aller tout doucement jusqu’à 1852. — Je l’ai dit plus d’une fois, il y a les moyens décisifs et ceux qui le sont moins, ou, pour parler plus clair, les moyens inconstitutionnels et ceux qui peuvent s’accommoder avec la constitution. Veut-on des premiers ? Si oui, il ne suffit pas que vous soyez seuls à en vouloir. Pour modifier la Constitution le concours du Président est nécessaire. Je ne parle qu’en mon nom, je ne suis nullement autorisé à parler en son nom. Je ne suis pas, on le sait, un homme de l’Elysée, j’y ai rarement mis les pieds. Je dirai même qu’appelé, avec quelques membres de la majorité, par le prince Louis après les élections du 10 mars et consulté par lui sur la conduite à tenir, je lui dis : « Il y a les moyens légaux et les moyens illégaux. » Il me répondit immédiatement. « Ecartons les derniers, je ne veux pas y recourir.[22] » Je lui fis observer que je me bornais à analyser le sujet. Quoi qu’il en soit, le Président ne s’est pas engagé alors à s’unir à la majorité pour réviser la Constitution. Mais enfin il est permis de supposer qu’il a comme les partis son hypocrisie, et que si, nous mettant en rapport avec M. de Persigny, nous lui disions : « Que le Président adresse à l’Assemblée un nouveau message : » il déclarera qu’il s’est trompé, qu’il attribuait aux hommes ce qu’il reconnaît être aujourd’hui la faute des institutions, qu’il considère la modification immédiate de ces institutions comme indispensable au salut de la société, qu’il demande à l’Assemblée de s’unir à lui pour accomplir cette œuvre nécessaire, que, si le concours du pouvoir législatif lui est refusé, il se démettra de ses fonctions et résignera un pouvoir qui ne lui permet pas de faire le bien. Si nous lui tenions ce langage et lui promettions l’adhésion de la majorité, à moins que Louis Bonaparte soit un poltron, il est probable que son langage aussi changerait. L’Assemblée et le Président unis entraîneraient l’opinion publique et l’armée. On aurait peut-être la bataille, mais la victoire est certaine. Je vais plus loin, je suis convaincu que s’il s’est présenté telle occasion où le Président pouvait risquer cette démarche sans s’être assuré l’assentiment de la majorité, il aurait été suivi bon gré mal gré. Mais on ne peut le pousser dans cette voie sans lui donner l’assurance qu’il sera soutenu par le pouvoir législatif. Eh bien ! voilà ce que j’appelle le moyen décisif. Veut-on l’employer ? Les partis sont-ils capables de cet acte de courage et d’abnégation ? Penseront-ils aux périls de la société et ne seront-ils pas arrêtés par leurs affections et leurs espérances ? Je pose la question. Nous sommes en face de l’histoire. Les circonstances sont des plus solennelles. Il faut nous dire une bonne fois ce que nous avons sur le cœur. »

Berryer et Vatimesnil semblaient très contrariés de la tournure que prenait ce discours. Ils avaient donné plusieurs fois, ainsi que Jules de Lasteyrie, des marques de mécontentement, disant à demi-voix : « Ce n’est pas de cela qu’il s’agit ; nous ne sommes pas venus ici pour nous tâter. » — Quand Thiers eut cessé de parler, Berryer dit d’un ton qui exprimait à la fois la contrariété et l’embarras : — « Permettez, il est difficile de répondre. Vous voulez que nous nous engagions sans savoir où nous allons, que nous promettions notre adhésion à des mesures qui ne sont pas même formulées, et que nous consentions d’avance à des sacrifices dont on ne précise ni le caractère ni l’étendue. »

Thiers reprit : « Eh bien ! je vais essayer de préciser. Vous savez que je ne veux pas l’Empire. Ce n’est donc pas de faire un empereur qu’il s’agit. Cela serait funeste au pays. D’autre part, je considère la restauration de l’une ou de l’autre branche de la maison de Bourbon comme impossible aujourd’hui. Je suis donc d’avis de conserver la république. Mais si je respecte la république, je respecte peu la constitution Marrast. C’est la plus sotte, la plus absurde, la plus impraticable de toutes celles qui ont régi la France. Tout son esprit est dans sa perfidie, dans les conditions exigées pour sa révision et qui rendent cette révision impossible. Nous y sommes comme dans une souricière. Voulez-vous y rester ? Pour moi je n’éprouve pas le moindre scrupule à en sortir ; je tiens que les grands pouvoirs de l’État peuvent rompre les mailles du filet dans lequel on a voulu perfidement retenir le pays. Ma conscience ne me fera aucun reproche de déchirer, si le salut du pays l’exige, la sale pancarte de MM. du « National ». L’entreprise ne peut évidemment être tentée qu’avec le concours du pouvoir exécutif. Eh bien ! imaginez-vous que nous puissions aller dire au Président : « Jouez avec nous cette partie hasardeuse, engagez-y votre tête, si elle échoue ; si elle réussit, vous serez exactement ce que vous êtes aujourd’hui, vous remplirez simplement jusqu’au bout votre mandat actuel. » Ce ne serait pas sérieux. Vous ne pouvez obtenir le concours du Président qu’en lui offrant quelque chose, la prolongation de son pouvoir ou sa rééligibilité. On ne peut préparer au prince Louis un rôle de niais. Pour rester ce qu’il est, il n’a qu’à se tenir tranquille, déposer le pouvoir à l’expiration de son mandat, comme Cavaignac ; on rendra hommage à sa loyauté et à son désintéressement et il aura la consolation d’être applaudi même par ses adversaires. La révision a donc pour condition nécessaire la prolongation des pouvoirs ou la rééligibilité du Président. Voilà exactement le sacrifice qu’il faudrait obtenir des partis. Y sont-ils résignés ? »

Quand il n’était pas aveuglé par un intérêt personnel, nul n’était aussi sensé et aussi lucide que cet Athénien de notre Midi. Dans sa vive causerie, il avait posé, débattu, résolu le problème, indiqué la seule solution qui eût prévenu et le coup d’État de l’Elysée et l’insurrection de la rue, dissipé les craintes inspirées par l’échéance menaçante de 1852, immédiatement rendu la confiance aux esprits et la prospérité aux affaires. Cette proposition avait, il est vrai, le tort — la révision ne pouvant être réclamée que dans la dernière législature — d’être inconstitutionnelle et, par conséquent, de conduire à un coup d’Etat. Thiers ne l’avait pas dissimulé ; et il avait pris son parti du coup d’Etat et de la bataille des rues qui s’ensuivrait.

Berryer et ses amis qui, en dehors de la monarchie, n’entrevoyaient que calamités, et qui ne voulaient, à aucun prix, favoriser un coup d’Etat, repoussèrent péremptoirement le sacrifice que Thiers leur demandait. La réunion, selon eux, ne devait avoir qu’un but : chercher les moyens de replacer dans l’Assemblée le gouvernement que le dernier message du Prince lui avait ôté. On y parviendrait en constituant un Comité directeur ayant sur la majorité une action à laquelle le ministère ne saurait prétendre, et en chargeant ce comité de prendre l’initiative de mesures importantes telles qu’une loi électorale, etc.

Thiers répliqua : « Je vais aller plus loin dans la franchise. Je suis philippiste, je ne suis infidèle à aucune de mes affections, mais quand il s’agit du salut du pays toutes les dynasties du monde ne me sont rien, j’en sacrifierai cent si l’intérêt de la France le commande. Peut-on rétablir la branche aînée ou la branche cadette ? Peut-on ménager entre elles un arrangement qui ferait cesser leur antagonisme ? Si un tel arrangement se concluait à Claremont ou Frohsdorf, je ferais mes efforts pour qu’on le tint secret, car il augmenterait d’une manière effrayante la force de nos adversaires. Le jour où on pourra nous jeter l’épithète de blancs, nous serons beaucoup plus faibles. Quand j’ai adopté avec mes amis la candidature du prince Louis, avais-je l’espoir de trouver en lui le premier consul ? Pas le moins du monde. Certes, le Président a fait des fautes, je les juge sévèrement. Mais, à tout prendre, ces fautes sont moins graves que celles auxquelles on pouvait s’attendre après ses antécédens. Pourquoi donc ai-je appuyé sa candidature ? Pour une raison fort simple. J’ai vu au milieu du naufrage un débris monarchique qui surnageait. Ce n’était qu’une planche de bâtiment submergé, la Méduse ou le Vengeur, mais une planche qui portait le nom du vaisseau. J’ai cru qu’il fallait s’attacher à ce débris et s’en servir pour établir ce régime semi-monarchique, semi-républicain que nous avons. Eh bien ! il s’agit simplement de savoir si l’on veut une continuation de ce régime, un peu plus longue que la Constitution ne le permet. Les partis sont-ils disposés à ce sacrifice ? Si on dit non, la question est résolue. Je comprends ce qu’il y a d’honorable dans la persistance fidèle des partis ; mais alors, quand on écarte les grands moyens, il ne faut plus traiter dédaigneusement les secondaires ni faire ressortir leur insuffisance sauf à nous y ramener quand on en indique de plus énergiques. »

La réunion écartant la solution décisive, on résolut de s’en tenir à l’expédient d’une loi électorale dont le dépôt serait le premier acte du comité directeur créé en opposition du ministère du Président.

Thiers, entrant dans cet ordre d’idées, dit : « On a parlé d’une loi électorale. Eh bien, je demande encore sur ce point à quels sacrifices les partis sont-ils disposés, où s’arrêtera leur susceptibilité constitutionnelle ? On ne peut rien faire d’efficace en restant dans l’esprit et dans la lettre de la Constitution, mais on peut, en exigeant que le domicile soit prouvé par l’inscription au rôle des contributions directes, éliminer plusieurs millions d’électeurs des plus dangereux : ce ne sera pas le rétablissement d’un cens, car un cens implique l’idée d’une somme déterminée. La légalité d’une telle mesure est soutenable ; si on viole un peu l’esprit de la Constitution, on ne le fait pas trop sentir. Avec de l’aplomb, beaucoup d’aplomb, on peut soutenir qu’il ne s’agit pas de changer les conditions de l’électorat, mais d’en constater l’existence. »

La réunion approuva et Thiers se chargea de préparer une loi qui subordonnerait le droit électoral à trois ans de domicile, et n’admettrait, comme preuve de ce domicile que, l’inscription au rôle des contributions directes. En apportant son projet, il estima à trois millions le nombre des électeurs exclus. « Anzin, dit-il en riant, n’aura pas à se plaindre ; sur onze mille électeurs, je ne lui en retranche que neuf. »


V

Le projet arrêté, au moment de le déposer comme une proposition de l’initiative parlementaire et de constituer ainsi, selon la fière proposition de Berryer, à côté du gouvernement de l’Elysée un gouvernement tiré de l’Assemblée, l’audace manqua aux Burgraves. Ils redoutèrent de ne pas disposer de l’Assemblée sans le concours des ministres et de leur chef ; ils déléguèrent Chasseloup-Laubat et Faucher à Baroche, pour obtenir que le gouvernement prît à son compte et présentât lui-même le projet préparé. Après avoir consulté le Président et ses collègues, Baroche répondit que, dès que la loi ne s’appliquerait qu’aux élections législatives, le ministère consentait à l’adopter, en préférant néanmoins que l’initiative en fût prise par les Burgraves. Ceux-ci craignirent alors que le gouvernement ne les lâchât après les avoir compromis et ils répondirent : « Si vous ne prenez pas l’initiative nous ne ferons rien. » À quoi Baroche répliqua : « Puisque vous ne déguisez pas votre crainte d’être lâchés, vous ne sauriez être blessés que le gouvernement ressente la même crainte. » On chercha donc le moyen de se compromettre et de s’engager réciproquement. On s’arrangea ainsi : le gouvernement, par décret inséré au Journal officiel, chargeâtes Burgraves, comme membres d’une commission extra-parlementaire, de préparer une réforme électorale. En deux ou trois jours, rapidité qui surprit, le projet, sur lequel on était d’accord, fut achevé et déposé.

Par cette concession le Prince avait espéré que les Burgraves rendus plus maniables ne lui refuseraient pas la révision, et écarteraient de son horizon cette perspective de coup d’État dont on l’obsédait.

Le fanatisme du suffrage universel ne vaut pas mieux que tout autre fanatisme. Tout citoyen parvenu à l’âge de la pleine majorité, non déclaré indigne, indépendamment de toute exigence de fortune et d’instruction, possède le droit inaliénable de participer aux affaires de son pays, à l’établissement de sa constitution, et de ne payer l’impôt qu’après l’avoir consenti. La Révolution de 1789 n’a pas inventé cette règle qu’avait respectée Guillaume le Conquérant[23] et formulée Philippe de Commynes[24] ; elle l’a restaurée. Mais de ce que tout citoyen a droit à un vote il ne s’ensuit pas que les votes de chacun aient le même poids, que la même part dans la souveraineté soit due au manœuvre alcoolisé et au penseur, au savant, à l’artiste, à l’homme d’État, gloires de la nation, à l’industriel, au commerçant ; créateurs de sa richesse, et que le jeune homme à peine émancipé de l’école ou de l’apprentissage compte autant que le père de famille mûri par les années et par la responsabilité. C’est néanmoins ce que les législateurs de 1848 ont trouvé légitime sous prétexte d’égalité politique. Or l’égalité politique n’est pas plus légitime et plus rationnelle que l’égalité sociale. La loi fatale de tout organisme sur notre obscure planète comme dans les mondes dont nous n’apercevons que les lointains reflets, c’est la diversité, c’est-à-dire l’inégalité. Il n’existe pas deux brins d’herbe, deux feuilles, deux animaux, deux mortels, deux soleils semblables, c’est-à-dire égaux. Si l’égalité est la loi politique, pourquoi ne deviendrait-elle pas la loi sociale ? quelle raison de condamner à l’inégalité devant le coffre-fort ceux qu’on a rendus égaux devant l’urne ? Quoi qu’on fasse, ou l’inégalité sociale tuera l’égalité politique, ou l’égalité politique conduira à l’égalité sociale. L’inégalité ne serait intolérable que si, fermée, elle empêchait le génie, et le travail, de monter du niveau inférieur aux échelons les plus élevés ; dès que, ouverte, elle n’empêche pas l’ouvrier de devenir millionnaire, le tanneur président de la République, on jouit de toute l’égalité compatible avec la loi naturelle.

Les égalitaires eux-mêmes sentent si bien qu’il y a dans notre suffrage universel un vice inquiétant, qu’ils ne sont pas encore fixés sur sa procédure définitive, et ils oscillent du scrutin de liste au scrutin d’arrondissement. L’un ne vaut pas mieux que l’autre. Le scrutin de liste donne à la déraison les facilités qu’il retire à la corruption : le mal ne fait que changer de nature. Le remède serait dans une organisation hiérarchique en groupes spéciaux et professionnels, substituant des hommes instruits, compétens aux bavards superficiels qui, selon l’expression de Falloux, n’étant capables de rien sont capables de tout[25]. On ne saurait espérer qu’une assemblée quelconque ait le courage ou la prévoyance de cette réforme, faute de laquelle ou nous périrons ou nous descendrons au dernier rang des nations. Elle est réservée à l’homme providentiel qui, à l’heure marquée, sera suscité pour sauver Israël. En attendant, on pourrait adopter un certain nombre de palliatifs d’une plus facile et immédiate application.

Les Burgraves n’imaginèrent ni ne proposèrent un de ces palliatifs. On ne peut concevoir une combinaison aussi maladroite, aussi empirique, plus inefficace que celle de leur loi. Elle supprimait les électeurs capables et honnêtes, autant que les électeurs coquins ou ignares ; elle frappait au hasard, à tort et à travers, sans savoir ce qu’elle faisait ; elle n’organisait pas, elle mutilait. Enfin elle violait la Constitution de deux manières : en enlevant le suffrage aux trois millions exclus quand la Constitution l’accordait à tous sans exception ; en reculant jusqu’à vingt-cinq ans l’exercice du droit électoral pour les non-exclus, tandis que la Constitution le concédait à vingt-et-un ans.

Tel fut le fond solide de l’argumentation des républicains des diverses nuances, depuis Cavaignac et Grévy jusqu’à Victor Hugo et Michel de Bourges. « Vous rétablissez, dirent-ils, le cens, le pays légal ; sous prétexte de contenir ou de prévenir la révolution, vous la déchaînez, vous-même, car vous mettez un fusil dans chacune des mains auxquelles vous arrachez un bulletin. » — Les défenseurs du projet ne réussirent pas à rétorquer l’objection. Montalembert, le plus intrépide, l’esquiva par un de ces mouvemens de haute raillerie et d’indignation auxquels il excellait : « Savez-vous quels sont les ennemis de la Constitution ?… Ce sont ceux qui la représentent comme toujours violée et prête à l’être, qui en font une sorte de vestale pour rire dont la pudeur dérisoire serait la fable des carrefours et la risée des nations… Nous voulons défendre la société par tous les moyens que la Constitution permet et que la justice ne réprouve pas. Nous voulons la guerre légale au socialisme afin d’éviter la guerre civile… Nous voulons commencer contre l’anarchie une expédition de Rome à l’intérieur. On croit nous enfermer dans la Constitution comme dans une espèce de circonvallation ; nous avons trouvé une issue, l’issue du domicile, nous avons le droit et le devoir d’en profiter… On a dit dans un journal démocratique, le plus répandu de tous, qui n’a été désavoué par aucun de ses confrères, que nous, les dix-sept chargés de préparer la loi, nous avions voué nos têtes aux dieux infernaux… L’histoire des hauts faits de vos ancêtres nous apprend ce que c’est que les dieux infernaux de la révolution : c’est le choix entre l’échafaud ou le poignard démocratique… Eh bien ! ce sort je l’accepte et je le préfère à l’infamie et au mépris écrasant dont la postérité accablera ceux que la France aurait chargés de la sauver, et qui, en proie à une pusillanimité sans excuse, auraient livré la patrie déshonorée, la société trahie, la France éperdue, à la servitude, à la honte et à la barbarie que vous lui préparez. »

Le gouvernement, quoique ayant accepté la responsabilité de la loi, la défendait sans chaleur. Un moment le succès en parut même incertain. « Il est un moyen de l’assurer, dit Thiers à ses amis inquiets, déclarons que notre but est d’exclure non pas les classes pauvres, mais la vile multitude. Ces paroles mettront la Montagne hors d’elle-même ; ses fureurs épouvanteront les hésitans du parti modéré, et la loi sera votée au milieu d’une tempête. — Et qui donc, lui demanda-t-on, bravera la fureur des rouges en prononçant ce mot de vile multitude ? — Je m’en charge », répondit-il. Il n’y manqua pas. « Je comprends, s’écria-t-il, que des tyrans s’accommodent de la vile multitude, parce qu’ils la nourrissent, la châtient et la méprisent. Mais des républicains chérir la multitude et la défendre, ce sont de faux républicains, ce sont de mauvais républicains. Ce sont des républicains qui peuvent connaître toutes les profondeurs du socialisme, mais qui ne connaissent pas l’histoire. Voyez-la à ses premières pages, elle vous dira que cette misérable multitude a livré à tous les tyrans la liberté de toutes les républiques. C’est cette multitude qui, après avoir livré à César la liberté de Rome pour du pain et des cirques, égorgeait les empereurs ; qui tantôt voulait du misérable Néron, et l’égorgeait quelque temps après par des caprices aussi changeans sous le despotisme qu’ils l’avaient été sous la république ; qui prenait Galba et l’égorgeait quelques jours après ; qui voulait le débauché Othon, qui prenait l’ignoble Vitellius, et qui, n’ayant plus le courage même des combats, livra Rome aux barbares. C’est cette vile multitude qui a livré aux Médicis la liberté de Florence ; qui a, en Hollande, égorgé les Witt, qui étaient, comme vous le savez, les vrais amis de la liberté ; c’est cette vile multitude qui a égorgé Bailly ; qui, après avoir égorgé Bailly, a applaudi au supplice, qui n’était qu’un abominable assassinat, des Girondins ; qui a applaudi ensuite au supplice mérité de Robespierre ; qui applaudirait au vôtre, au nôtre ; qui a accepté le despotisme du grand homme qui la connaissait et savait la soumettre ; qui a ensuite applaudi à sa chute et qui, en 1815, a mis une corde à sa statue pour la faire tomber dans la boue. »

À cette apostrophe, accueillie par les bravos enthousiastes de la majorité, la Montagne, hors d’elle-même, perdant toute dignité et tout sang-froid, répondit par des rugissemens qui redoublèrent pendant la réponse du général Fabvier : « J’ai vu la multitude accueillir les ennemis, mais ce n’était pas la multitude dont l’honorable M. Thiers parlait, c’était la multitude en habits et en jabots. » L’effet voulu par le malin orateur n’en fut pas moins produit. La Montagne avait montré son masque effrayant, et la loi fut votée.

Le droit populaire mis ainsi hors la loi par le parlement, il ne restait plus qu’à désavouer et à anathématiser la révolution qui l’avait promulgué. Le ministère n’y manqua pas. Rouher, retrouvant les ardeurs du candidat de Duchâtel, renchérissant sur Thiers qui avait qualifié de funeste la révolution de 1848, l’appela une catastrophe. Catastrophe sans laquelle son prince fût resté à Londres, désespéré, consumant les derniers débris de son patrimoine et de son espérance.


VI

En décimant le suffrage universel dont il était l’élu, en supportant les imprécations d’un de ses ministres contre la révolution à laquelle il devait sa magistrature, en permettant aux autres de persécuter arbitrairement les républicains, le Président avait abandonné le fondement solide d’où il avait grandi, et s’était perché sur des nuages flottans. On le crut perdu à jamais dans l’impopularité et on ne prit plus la peine de le ménager. « Décidément, se dit-on, sa véritable mission aura été d’user la légende napoléonienne ; il occupe la place et ne la tient plus. » Et l’on mit à l’encan le champ sur lequel campait Annibal.

L’acquéreur serait-il le comte de Chambord ou la duchesse d’Orléans ? On en disputa dans les journaux. Pourquoi ne serait-ce pas l’un et l’autre si on les rapprochait par la fusion ? On négocie entre) les deux branches. Louis-Philippe cousent, la reine, le duc de Nemours de même ; la duchesse d’Orléans résiste et le duc d’Aumale, comme le prince de Joinville, se rangent de son côté. Les négociateurs ne se découragent pas. Cela s’arrangera ; l’urgent est de s’assurer d’un général qui, au besoin, mette la main au collet du Président. Changarnier était naturellement indiqué. Les temporisations systématiques avaient lassé son dévouement et déconcerté ses prévisions. Homme d’audace, plus encore que Tocqueville, il déplorait que le Prince osât si peu, quoique ayant été élu pour oser beaucoup, et qu’il laissât échapper, de sa main indécise ou timorée, les meilleures occasions. Il en était venu à le considérer, lui aussi, comme un rêveur nébuleux, un jouisseur amolli, incapable d’une résolution virile et qui ne se déciderait jamais à franchir le Rubicon.

Cet état d’esprit fut compris par les directeurs clairvoyans de la majorité monarchique. Secondés par ses deux aides de camp, ils entourent le général de leurs prévenances, le comblent d’adulations enthousiastes, le promènent dans leurs salons comme le triomphateur de demain, lui rendent des honneurs presque souverains. Qu’était le Président à côté de lui ? Un simple mannequin. Dans la perspective de plus en plus visible d’une insurrection ou d’un coup d’État, l’instrument de la solution suprême serait l’armée. L’armée appartenait-elle au général postiche de la garde nationale, dont toute la gloire était d’avoir passé des revues ? N’était-elle pas, au contraire, acquise au glorieux soldat de Constantine, à l’intrépide qui, depuis 1848, avait plusieurs fois sauvé la société en péril ?

La défiance de soi-même et la modestie n’étaient point parmi les belles qualités de Changarnier. Il se laisse persuader, la tête lui tourne, et tandis que les acclamations non interrompues du peuple et de l’armée ne troublent pas le calme bon sens du Prince, les flagorneries des salons, des grands seigneurs et des grandes dames grisent l’âme du soldat. On lui rend tout facile, on ne le gêne par aucune interrogation indiscrète. Sera-t-il pour le Comte de Chambord ou pour la Duchesse d’Orléans ? Il ne le dit pas et on ne le lui demande pas ; on lui fait crédit de silence et de mystère. Il suffit qu’en ne se prononçant pas pour les uns, il ne mette pas les autres dans l’embarras. Qu’il reste sphinx tant qu’il voudra pourvu qu’il se prononce sans ambages contre le Président et se déclare prêt à en débarrasser la France et l’Assemblée.

À cet égard, Changarnier dépasse ce qu’on attendait. Passionné, habitué à se jeter tout entier dans son sentiment présent, il ne se laisse arrêter ni par les empressemens affectueux, ni par les offres de Persigny ; il accepte d’être l’épée de la restauration monarchique, et il se prépare au rôle de Monk. Mais pour devenir le Monk de la situation présente, il fallait se rendre le maître incontesté de l’État. Il le deviendrait. Grâce à son armée, il s’emparerait de la dictature, assumerait, pour détruire les révolutionnaires, l’impopularité qui ne doit pas peser sur le retour de la monarchie. Après quelques mois de cette omnipotence intérimaire, « part de son dévouement plutôt que de son ambition », il rétablirait, non la duchesse d’Orléans, mais la monarchie légitime et vraie[26].

Ce plan, arrêté dans son esprit, il ne ménage plus rien. Il devient fou d’orgueil et d’importance. Chaque dimanche il réunissait à sa table aux Tuileries un certain nombre d’amis, surtout d’officiers, et là il criblait le Président d’épigrammes, blâmait ses actes, ridiculisait sa personne et s’ébaubissait sur ses dettes et ses galanteries ; il l’appelait un « perroquet mélancolique ». Souvent, un peu avant le conseil, il venait causer avec le Président dans sa chambre à coucher pendant que celui-ci dépouillait sa correspondance et déjeunait. Il en sortait lorsque les ministres arrivaient. En se retirant, il échangeait quelques mots avec eux. Un jour qu’il était venu en costume négligé, une badine à la main, il prend à bras-le-corps. J.-B. Dumas, et devant ses collègues stupéfaits, lui dit de sa voix un peu éraillée et criarde : « Que peut-on faire avec un homme qui a ce visage de Diafoirus ? » A tout propos il se vantait d’avoir l’armée dans la main. Devant les officiers généraux et chefs de corps, il dit au général Guillabert : « Votre division est chargée de la garde de la Chambre. Si le ministre de la guerre vous donnait des ordres, vous ne lui obéiriez pas et le f… à la salle de police[27]. »

Il ne prenait pas la peine de dissimuler qu’il guettait l’occasion. Une demande d’argent de l’Elysée parut un instant la lui apporter. Assailli par une infatigable mendicité, le Prince ne savait pas s’en défendre. On avait porté à 1 200 000 francs sous Odilon Barrot sa dotation, d’abord fixée à 600 000. Cela ne lui avait pas suffi. Son intendant lui faisant observer qu’avec un revenu de 100 000 francs par mois, il donnait comme avec une liste civile de 15 millions ; il répondit avec gaieté : « Que voulez-vous ? ce sont mes frais de représentation. » Le ministère déposa un projet de loi élevant à 2400 000 francs les frais de représentation (21 juin). Le moment n’était pas propice. Dans un voyagea Saint-Quentin, Louis-Napoléon venait de dire aux industriels et à leurs ouvriers : « Je suis heureux de me trouver parmi vous, et je recherche avec plaisir les occasions qui me mettent en contact avec ce grand et généreux peuple qui m’a élu ; car, chaque jour me le prouve, mes amis les plus sincères, les plus dévoués ne sont pas dans les palais, ils sont sous le chaume ; ils ne sont pas sous les lambris dorés, ils sont dans les ateliers, dans les campagnes. » La majorité avait été froissée de ce langage. La demande ministérielle fut accueillie avec raillerie et presque outrage. Cependant la commission se décide à allouer dédaigneusement, à titre d’assistance provisoire, 1 600 000 francs. Comme transaction, un ami du Prince, Lefebvre-Duruflé, propose 2 160 000 francs. Changarnier se demande si le moment de l’attaque n’est pas arrivé, et s’il ne fera pas rejeter à la fois les deux propositions. Il va consulter Odilon Barrot. Celui-ci pensa que les choses n’étaient pas assez avancées et qu’il était plus politique de soutenir le projet. Le général suit le conseil et accorde une protection plus blessante qu’une hostilité. Il fut visible à tous que l’Assemblée votait, non pour le Président, mais pour le général. Ainsi la dotation arrivait à l’Elysée comme un gage de servitude (24 juin)[28].

Dans la polémique soulevée par cette affaire, les journaux bonapartistes fulminèrent contre l’Assemblée. Celle-ci voulut rendre le gouvernement responsable de ces excès de presse, tandis qu’elle trouvait naturels ceux non moins graves des journaux monarchiques. Elle cita devant elle le Pouvoir, le condamna. Les déclamations contre le coup d’Etat redevinrent à la mode, et les déclarations constitutionnelles du ministère recommencèrent : « C’est une calomnie ! dit Baroche. La seule préoccupation de jour et de nuit des ministres, c’est le maintien de ce qui est… Les coups d’Etat sont impossibles tant que les hommes qui sont sur ces bancs seront au ministère. » Affectant de n’être pas rassurée, l’Assemblée, en se séparant du 11 août au 11 novembre, nomma une commission de permanence composée des ennemis déclarés de l’Elysée, Changarnier en première ligne.


VII

Pendant la prorogation, les partis monarchiques affichent de plus en plus ouvertement leurs visées. Le Comte de Chambord appelle à Wiesbaden (10 août) ses futurs ministres ou sujets. Il donne des instructions, arrête des programmes et prononce l’excommunication contre ceux de ses amis qui, avec La Rochejaquelein, adhèrent au système de l’appel au peuple, « négation du grand principe national de l’hérédité monarchique, dont la restauration est l’unique moyen d’arracher la France aux convulsions révolutionnaires. » Louis-Philippe étant mort sur ces entrefaites (28 août), les orléanistes se retrouvent à Claremont, et, aux hommages rendus à leur roi, mêlent les débats sur la fusion. A Paris, Changarnier fait célébrer une cérémonie funèbre dans le palais même des Tuileries. « Cérémonie très sainte et très respectable dans son objet, mais très hardie dans son local, cérémonie à laquelle il convie les derniers ministres des rois de la dernière dynastie, comme si les Tuileries eussent été une maison patrimoniale, et non le palais de la nation, et le quartier général de la République ! comme s’il n’y eût pas eu sur toute la terre de France un autre arpent de sol neutre pour dresser un autel et élever la libre et touchante prière de cœur à la mort[29]. »

Les journaux commentent, exagèrent, enflent ces manifestations et annoncent le retour de la monarchie. A quoi les bonapartistes répondent par des cris redoublés de : « Vive l’Empereur ! » Le seul cri qu’on n’entende jamais nulle part est celui de : « Vive la Constitution ! » Les révolutionnaires ne restent pas non plus muets et inactifs : ils prêchent l’avènement de la sociale, et ils le préparent.

A la suite des journées de Juin, à côté des nombreuses sociétés secrètes déjà existantes, s’était constituée, sous le patronage de Ledru-Rollin à Londres et de son ami Delescluze, à Paris, une société non moins secrète, la Nouvelle Montagne. Elle avait pour drapeau le drapeau rouge, pour programme : « Plus de représentans délégués ; le gouvernement direct du peuple ». Les affiliés divisés en décuries ou sections de dix hommes, commandés par un fourrier, un sergent, un caporal, payaient des cotisations mensuelles de 25 à 50 centimes. Dans chaque département, un comité reliait les sous-comités d’arrondissement aux comités des autres départemens et aux comités directeurs de Lyon, de Paris et de Londres. L’affilié, amené dans un lieu fermé, les yeux bandés, jurait sur un poignard, au nom des martyrs de la liberté, d’armer son bras contre la tyrannie, tant politique que religieuse, et de donner la mort au traître qui serait parjure à son serment. Cette société se propagea avec rapidité dans toute la France. Elle enlaça surtout douze à quinze départemens du Sud-Est. Après le vote de la loi du 31 mai, elle se mit à la disposition de la Montagne parlementaire, qu’elle pressa de donner le signal de l’insurrection. Les parlementaires, qui craignaient également d’être débordés par la canaille démagogique et d’être châtiés par les soldats de Changarnier, répondirent que sans doute une pareille loi motivait et même exigeait une insurrection, mais qu’il fallait attendre 1852. Alors on se présenterait au scrutin en compagnie des trois millions d’électeurs exclus, avec un bulletin d’une main et de l’autre une arme de combat. La Nouvelle Montagne, n’ayant pas de chef accrédité, dut se résigner à cet atermoiement. Elle trouva ce chef dans Alphonse Gent, jeune homme intrépide et intelligent. Dès qu’il eut été acclamé dans un congrès à Valence par les délégués de quatorze départemens, il changea l’ancien signe de reconnaissance en celui-ci : « Suffrage universel », et il organisa incontinent une levée d’armes. Dans un nouveau congrès à Maçon (30 septembre), il obtint le concours d’un certain nombre de députés de la Montagne et l’on s’arrêta à ceci : à la rentrée des Chambres, les députés demanderaient le retrait de la loi du 31 mai. En cas de refus, on s’insurgerait ; des feux allumés sur les hauteurs donneraient le signal, et la montagne du Lubéron serait le point de ralliement.

Dans l’été et l’automne de 1850, à l’exception du groupe de Cavaignac, défenseur plus ou moins convaincu de la Constitution, tous les partis conspiraient donc contre elle. Les uns sans trop savoir où ils allaient ; les autres pour ramener le roi ; Changarnier pour obtenir une dictature prétorienne ; les révolutionnaires pour rétablir la Constitution de 1793 ; les socialistes pour opérer la liquidation sociale. À ce spectacle, l’optimisme de Lamartine se, trouble. Jusque-là il n’avait cessé de dire : Confiance ! pour la première fois, il crie : Conspiration ! Les observateurs étrangers s’alarment. Cavour écrit : « Tous les jours davantage je me sens dégoûté de la France. Je commence presque à lui préférer l’Autriche. J’éprouve surtout une aversion croissante pour le parti légitimiste : je serais fort embarrassé si j’avais à choisir entre eux et les rouges[30]. »

Dans ce déchaînement de conspirations et d’intrigues, seul le Président ne conspire ni n’intrigue : obstiné à la défensive, il se contente de parer les coups. A la menace du complot de la Montagne dont sa police reçoit la révélation, il répond par l’arrestation immédiate de Gent et de ses principaux complices (29 octobre 1850). Aux soupçons des partis il oppose l’exposé toujours le même de ses desseins, au principe déployé de l’hérédité de droit divin, l’affirmation de la souveraineté nationale. Il corrige les maladresses réactionnaires de ses ministres et conjure les effets de la loi du 31 mai qu’on exploite contre lui, en rappelant avec ostentation l’origine populaire de son pouvoir. Aucun chef d’Etat n’a pris davantage la peine de s’expliquer. Il le fait successivement à Lyon (13 août), à Strasbourg (22 août), à Reims (28 août), à Caen (4 septembre). À Lyon il dit : « Je suis, non pas le représentant d’un parti, mais le représentant des deux grandes manifestations nationales qui, en 1804 comme en 1848, ont voulu sauver par l’ordre les grands principes de la Révolution française. Fier de mon origine et de mon drapeau, je leur resterai fidèle ; je serai tout entier au pays, quelque chose qu’il exige de moi, abnégation ou persévérance. Des bruits de coup d’Etat sont peut-être venus jusqu’à vous, Messieurs, mais vous n’y avez pas ajouté foi ; je vous en remercie : les surprises et les usurpations peuvent être le rêve des partis sans appui dans la nation ; mais l’élu de six millions de suffrages exécute les volontés du peuple, il ne les trahit pas. » Il revient sur la même idée à Strasbourg : « En quoi aurais-je démérité de votre confiance ? Placé par le vote presque unanime de la France à la tête d’un pouvoir légalement restreint, mais immense par l’influence morale de son origine, ai-je été séduit par la pensée, par les conseils d’attaquer une Constitution faite pourtant, personne ne l’ignore, en grande partie contre moi ? Non, j’ai respecté et je respecterai la souveraineté du peuple, même dans ce que son expression peut avoir eu de faussé ou d’hostile. Si j’en ai agi ainsi, c’est que le titre que j’ambitionne le plus est celui d’honnête homme. Je ne connais rien au-dessus du devoir. »

À Strasbourg le conseil municipal le boude ; à Besançon on organise contre lui une tentative d’assassinat, qu’il déjoue par son sang-froid, mais là, comme ailleurs, les populations se pressent autour de lui, lui prodiguent les témoignages d’affection, l’encouragent. Assuré des sentimens du peuple, il croit nécessaire de provoquer une manifestation publique de ceux de l’armée. On la disait à Changarnier ; il est indispensable de démontrer qu’elle est à lui. Le ministre fait savoir aux officiers le désir du Prince qu’à la revue de Satory (10 octobre) la troupe, ainsi qu’elle l’avait fait, dans les revues précédentes en présence de Changarnier, criât au défilé, non : « Vive l’empereur ! mais, Vive le Président ! Vive Napoléon ! Changarnier, qui avait naguère donné cette consigne, s’y oppose et prescrit de défiler en silence. Les deux ordres s’exécutent à la fois ; la cavalerie crie : Vive Napoléon ! quelques-uns même : Vive l’Empereur ! la ligne reste muette. Changarnier et le Président, côte à côte, peuvent du regard embrasser chacun les forces qui lui appartiennent. Voilà donc en présence de la France inquiète, de l’Europe railleuse, l’existence constatée de deux armées rivales, peut-être à la veille d’en venir aux mains, celle du Président et celle de Changarnier, celle de César et celle de Pompée.

Changarnier tempête, va faire des scènes à l’Elysée et des confidences à la commission de permanence. Il demande carrément à Carlier le préfet de police : « Etes-vous en mesure d’arrêter le Président ? — Donnez-m’en l’ordre, répond celui-ci, je le mettrai dans un panier à salade et le conduirai sans plus de cérémonie à Vincennes. » Puis il vient conter sa démarche à Odilon Barrot. « Ne craignez-vous pas, lui répond celui-ci, que Carlier n’ait reporté cette conversation au Prince et peut-être lui ait offert de vous conduire, vous, dans son panier à salade ? — Tant mieux, répond l’aide de camp Valazé, nous sommes bien aises qu’on sache à l’Elysée ce que nous pouvons faire. — Et qu’attendez-vous pour en finir ? reprend Barrot. — Je n’attends qu’une signature de Dupin. — Vous l’attendrez toujours. »

A la réflexion Changarnier crut prématuré de tenter l’épreuve, et il se contenta de lancer un ordre du jour rappelant aux troupes qu’aux termes de la loi, l’armée ne délibère pas ; qu’aux termes des règlemens militaires, elle doit s’abstenir de toute démonstration et ne proférer aucun cri sous les armes. Si cette bravade fût restée impunie, le Président était virtuellement déposé, et Changarnier, appuyé par l’Assemblée, maître de l’armée, obtenait la dictature. Les impétueux tels que Persigny voulaient riposter à l’ordre du jour, dès le lendemain, par la révocation du général. Le Prince, lucide, maître de lui, comprend que l’heure décisive de sa destinée présidentielle est arrivée et qu’il ne doit pas laisser la moindre chance au hasard. Changarnier brisé, il n’a plus à craindre aucun obstacle sérieux. Mais pour qu’il soit irrévocablement brisé, il faut que l’opinion adhère à l’exécution, en comprenne l’intention et la portée ; il faut que, d’avance, il soit clair que la révocation n’est pas une préface de coup d’Etat, comme on va le hurler ; qu’elle est un acte nécessaire d’ordre gouvernemental, de discipline militaire et de défense. Il dévore l’outrage et se prépare, impassible en apparence.

Il dissout la Société du Dix-Décembre, qu’on accuse d’être organisée en vue du rétablissement de l’Empire, substitue le général Schramm à d’Hautpoul. A l’ouverture de la session dans son message, il reprend, en termes sur lesquels il n’est pas permis d’équivoquer, ses assurances de Lyon et de Strasbourg : « J’ai souvent déclaré, lorsque l’occasion s’est offerte d’exprimer publiquement ma pensée, que je considérais comme de grands coupables ceux qui, par ambition personnelle, compromettaient le peu de stabilité que nous garantit la Constitution. C’est ma conviction profonde, elle n’a jamais été ébranlée. Les ennemis seuls de la tranquillité publique ont pu dénaturer les plus simples démarches qui naissent de ma position. Comme premier magistrat de la République, j’étais obligé de me mettre en relation avec le clergé, la magistrature, les agriculteurs, les industriels, l’administration, l’armée, et je me suis empressé de saisir toutes les occasions de leur témoigner ma sympathie et ma reconnaissance pour le concours qu’ils me prêtent ; et surtout, si mon nom, comme mes efforts, a concouru à raffermir l’esprit de l’armée, de laquelle je dispose seul d’après les termes de la Constitution, c’est un service, j’ose le dire, que je crois avoir rendu au pays, car j’ai toujours fait tourner au profit de l’ordre mon influence personnelle. Il est aujourd’hui permis à tout le monde, excepté à moi, de vouloir hâter la révision de notre loi fondamentale. Si la constitution renferme des vices et des dangers, vous êtes tous libres de les faire ressortir aux yeux du pays. Moi seul, lié par mon serment, je me renferme dans les strictes limites qu’elle a tracées. » Il conclut ainsi : « Quelles que puissent être les solutions de l’avenir, entendons-nous, afin que ce ne soit jamais la passion, la surprise ou la violence qui décident du sort d’une grande nation. Inspirons au peuple l’amour du repos, en mettant du calme dans nos délibérations ; inspirons-lui la religion du droit, en ne nous en écartant jamais nous-mêmes ; et alors, croyez-le bien, le progrès des mœurs politiques compensera le danger d’institutions créées dans des jours de défiances et d’incertitudes. Ce qui me préoccupe surtout, soyez-en persuadés, ce n’est pas de savoir qui gouvernera la France en 1852, c’est d’employer le temps dont je dispose, de manière que la transition, quelle qu’elle soit, se fasse sans agitation et sans trouble. Le but le plus digne d’une âme élevée, quand on est au pouvoir, ce n’est point de rechercher par quels expédiens on s’y perpétuera, mais de veiller aux moyens de consolider, à l’avantage de tous, les principes d’autorité et de morale, qui défient les passions des hommes et l’instabilité des lois. »

« Voilà, s’écrie Lamartine, le langage qu’un Washington n’eût pas désavoué, et si, comme nous n’en doutons pas, un Bonaparte suit invariablement cette ligne de droiture, de bon sens et de désintéressement, il aura dans un seul nom la gloire de deux. » L’immense majorité de la nation pense, sent, parle comme Lamartine. Les politiques de l’Assemblée ne renoncent pas néanmoins à leur invariable tactique : le Prince est-il ferme, ils l’appellent séditieux ; se montre-t-il modéré, ils le traitent de poltron. Quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse, il ment. Ce message est considéré comme une manœuvre traîtresse ; on n’en doit retenir qu’une parole parce qu’elle contient une menace : « Je dispose seul de l’armée. » A l’Hôtel de Ville, dans un banquet, il répudie « les spéculations de la force et du hasard », c’est-à-dire le coup d’Etat. On ne s’y arrête pas. Mais il ajoute : « Les gouvernemens qui, après de longs troubles civils, sont parvenus à rétablir le pouvoir et la liberté, et à prévenir des bouleversemens nouveaux, ont, tout en domptant l’esprit révolutionnaire, puisé leur force dans le droit né de la révolution même. Ceux-là, au contraire, ont été impuissans, qui sont allés chercher ce droit dans la contre-révolution. — Cette observation profonde, confirmée par l’histoire de toutes les révolutions, scandalise. Encore une menace ! dit-on.

A la réception du 1er janvier 1851, le Prince échange quelques propos aigres-doux avec le président Dupin, salue sèchement Changarnier et ne lui tend pas la main. La tension était arrivée à ce terme extrême où la crise devient inévitable. Il fallait que l’Assemblée envoyât le Président à Vincennes, ou que le Président chassât Changarnier des Tuileries. — « Il n’osera pas », disaient les conspirateurs pour s’enhardir à plus d’audace. En conséquence ce fut le général qui osa. Le prince Jérôme Napoléon lui en fournit l’occasion. Dans une intention peu bienveillante pour son cousin, il avait interpellé le ministre de la guerre sur des instructions que, plusieurs mois auparavant. Changarnier aurait Données à ses officiers, de considérer comme nulle toute demande de troupes émanant d’un fonctionnaire civil, judiciaire, politique, — ce qui impliquait la négation directe du droit de réquisition du président de l’Assemblée. Le ministre de la guerre sollicita un ajournement de la discussion. Changarnier, son subordonné, monte à la tribune, et, tranchant de son autorité privée le doute sur lequel son supérieur demandait à réfléchir, il répond : « Aucune de ces instructions ne met en question le droit constitutionnel de l’Assemblée de requérir les troupes, non plus que l’article du règlement qui défère à M. le président de l’Assemblée l’exercice de ce droit. Elles se bornent à prendre les précautions nécessaires pour l’exacte transmission des ordres, et pour l’unité du commandement durant le combat. »

À ces mots accentués avec énergie, comme une menace directe au Président de la République, l’applaudissement de l’Assemblée éclate frénétique. On crut que l’assaut commençait. Persigny et Morny, sans s’être concertés, courent en même temps à l’Elysée, exhortent le Prince à se mettre sur ses gardes et à prévenir les chefs de corps sur lesquels il compte. Personne ne se montra ; Changarnier avait menacé, sans être en mesure de frapper. Le Prince, qui n’avait pas menacé, frappe. Il décide la destitution de Changarnier.

Au premier mot de révocation, le ministre de la guerre Schramm pâlit et offre sa démission ; ses collègues effarés l’imitent. Toucher à un tel homme, mais ce serait ébranler l’ordre social dont il est la sauvegarde, ils n’assumeront pas cette responsabilité. Cependant ils se ravisent et reprennent leurs portefeuilles, espérant qu’aucun général ne consentira à signer la mesure fatale. On met la main sur un qui s’y décide, le maréchal Regnaud de Saint-Jean-d’Angély. Alors les ministres déçus et de nouveau saisis d’épouvante renouvellent leur démission. Qui choisir pour les remplacer ? Billault lui-même, quoique acquis au Président, se récuse.

Ces péripéties n’avaient pu être cachées. Les groupes politiques siègent en permanence, l’agitation gagne la rue ; le mot de guerre civile circule. Le Président imperturbable observe. Le désarroi universel le tire cependant de son immobilité ; il sort l’épée à moitié hors du fourreau. La veille, il réprimandait Persigny d’avoir dit à Molé et Thiers : « Après tout je n’ai à perdre, moi, ni hôtel à Paris, ni château en province. » Il annonce que ce violent prendra le ministère de l’intérieur dans une combinaison extraparlementaire. A l’instant l’épouvante change de camp ; des ministres elle passe aux chefs de la majorité ; ils se voient déjà appréhendés au corps, conduits à Vincennes sous la griffe du terrible Persigny. Ils accourent vers les ministres démissionnaires dont ils ne redoutent aucune violence et les supplient de reprendre leur démission. Puisque la révocation est inévitable, autant vaut qu’elle soit signée par eux. Les ministres consentent. Mais avec quelle précaution ils procèdent. Personne n’est jugé digne de recueillir l’héritage entier : il sera divisé ; l’armée sera donnée au général Baraguey-d’Hilliers, la garde nationale au général Perrot.

Avant la publication du décret, les principaux Burgraves (8 janvier 1851), Molé, Thiers, Berryer, Victor de Broglie, Daru, et avec eux le président de la Chambre, Dupin et Odilon Barrot, sont convoqués à l’Elysée, le Prince leur annonce sa résolution ; ils répondent tous d’une voix : « N’en faites rien ! n’en faites rien ! Le parlement se sentira directement atteint dans son honneur et dans sa sécurité. Votre droit est indiscutable ; usez-en avec modération ; vous allez compromettre deux années de sagesse et de bonne politique. Vous vous exposez à ce que l’Assemblée s’arme du pouvoir que lui donne l’article 32 de la Constitution[31]. — Cela ne m’embarrassera pas, répond le Prince : je donnerai au ministre de la guerre l’ordre de vous accorder toutes les forces que vous réclamerez et j’attendrai tranquillement à l’Elysée qu’il vous plaise de faire cesser cette scène ridicule. — Les assemblées, riposte Thiers piqué, ont aussi leur esprit de conduite. La nôtre saura éviter ce qui ne sera que ridicule. » Et avec l’aplomb qu’il avait recommandé dans la délibération des Burgraves, il ose, sans rire, ajouter : « Vous jugeriez très mal le général Changarnier si vous le supposiez capable de conspirer. Non, le général n’est pas un conspirateur, il vous a servi loyalement et continuera de même. » Le Président sourit : « Pourquoi alors a-t-il annoncé qu’il se chargerait de me conduire à Vincennes ? » Et il coupe court en déclarant que sa résolution est irrévocable, qu’il ne reculera pas, qu’il veut respecter la Constitution, mais par conscience, non par peur ; il n’a convoqué les chefs de la majorité que pour les prier de donner à l’Assemblée l’assurance de la légalité de ses intentions et la rassurer contre tout empiétement de sa part. — Berryer refuse la mission. Ils ne seraient pas écoutés s’ils entreprenaient d’enlever à cet acte le caractère et la gravité que le bon sens lui attribue. L’Assemblée appréciera et avisera. Odilon Barrot ajoute quelques niaises adjurations ; on se sépare, et les Burgraves sortent en levant les bras au ciel.

Restait à prévenir Changarnier. S’il allait faire arrêter le messager ? On choisit un brave, Fleury. Il arrive en uniforme à 7 heures du matin. Pendant que le général saisi au saut du lit se frotte les yeux, il lui remet la lettre suivante : « Général, ce n’est pas sans de vifs regrets que je me vois forcé de vous annoncer ma détermination de supprimer le commandement dont vous êtes investi. La gravité des motifs qui me décident n’affaiblira en rien le souvenir de vos services passés, et, malgré notre séparation, je continuerai à compter sur voire concours, si jamais la patrie était en danger, de même que vous pourrez compter sur les sentimens que je vous ai voués. » — Changarnier pâle, nerveux, lit rapidement et dit : « Votre prince reconnaît singulièrement mes services. — Mon général, vous n’avez pas d’ordre à me donner ? — Non, répond-il, avec une colère contenue, vous savez bien que je n’ai rien à dire, si ce n’est que je vous accuse réception de ma destitution. » Fleury s’incline et sort. À l’Elysée, on respira quand on le vit de retour sain et sauf.

La nouvelle tomba sur l’Assemblée comme un cyclone. « Il a osé ! » se disait-on en se regardant avec stupeur, puis avec indignation, colère, fureur. Le véritable prétorien, c’était le général qui méditait de renverser la République et son Président et de se proclamer dictateur à l’aide de son armée : c’est le Président menacé, cantonné dans la Constitution qu’on accuse de l’être. Le perfide ! le tyran ! on évoquerait volontiers un nouveau Brutus contre ce nouveau César. Les uns parlent d’arrestation immédiate, d’autres de mise en accusation, d’autres proposent l’établissement d’un comité de salut public. Caveant Consules ! On se borne à nommer une commission pour aviser. Cette commission présente un ordre du jour par lequel « l’Assemblée, tout en reconnaissant que le pouvoir exécutif a le droit incontestable de disposer des commandemens militaires, blâme l’usage que le ministère a fait de ce droit et déclare que l’ancien général en chef de l’armée de Paris conserve tous ses titres au témoignage de confiance que l’Assemblée lui a donné dans sa séance du 3 janvier. »

La discussion fut plus calme qu’on ne l’attendait. Berryer déclare qu’il ‘est temps d’arrêter des tentatives réitérées d’omnipotence personnelle. Il trouve abominable que des soldats se soient permis de crier : Vive Napoléon ! et il crie à la tribune : « Vive le Roi ! » Il se vante d’être allé à Wiesbaden saluer l’exilé qui ne peut pas poser le pied sur cette terre que les rois ses aïeux ont conquise, agrandie, constituée, sans être le premier des Français, le roi ! — Baroche riposte : « De quel droit attaquez-vous de prétendues manifestations impérialistes, vous qui portez avec éclat votre hommage à un prétendant et qui arborez à cette tribune le drapeau de la légitimité ? Le gouvernement ne veut ni une restauration monarchique pour la branche aînée ou la branche cadette, ni une restauration impériale. Quant à présent il ne voit de salut pour la France que dans le gouvernement républicain, et c’est sur ce terrain constitutionnel et légal qu’il fait appel aux bons citoyens de tous partis. » Changarnier, un peu embarrassé, sans entrer dans aucun détail, assure « qu’il n’a favorisé aucune faction, aucune conspiration, aucun conspirateur. » Il ne se risque pas à attaquer le Président en face, il insinue discrètement que sa présence aux Tuileries n’a pas été inutile à l’Assemblée. « Si mon épée est condamnée à un repos momentané, elle n’est pas brisée, et, si un jour le pays en a besoin, il la retrouvera bien dévouée et n’obéissant qu’aux inspirations d’un cœur patriotique et d’un esprit ferme très dédaigneux des oripeaux d’une fausse grandeur. » — Lamartine oppose aux méfiances les déclarations formelles du Message, et Charras s’écriant : « Non, c’est de l’hypocrisie ! » il répond : « Quand un homme élevé profère, sans y être obligé, un nouveau serment, je le crois. »

Thiers alors entre en scène. Depuis le discours sur le Motu proprio de Pie IX, ses relations avec l’Elysée, sans se rompre, s’étaient refroidies. Il vient les rompre à la tribune. Quel motif l’amena à cet éclat ? On a prétendu qu’à Claremont la Duchesse d’Orléans avait mis sur ses genoux en le lui recommandant son jeune fils, touchante imploration qui l’aurait attendri et décidé à sauvegarder les droits du Comte de Paris, en écartant les deux prétentions qui les menaçaient : la fusion et la prorogation des pouvoirs présidentiels. Thiers n’avait pas coutume de guider sa conduite par des sentimentalités. La véritable explication me paraît celle donnée par Falloux[32]. Enivré par une infatuation supérieure à celle de Changarnier, il se croyait le maître de la France, plus encore que celui-ci ne pensait l’être de l’armée. Le Prince avait été nommé parce que lui, Thiers, l’avait voulu : il ne serait pas réélu s’il ne voulait pas. Il l’avait voulu tant qu’il l’avait cru résigné au rôle de Télémaque sous sa houlette de Mentor. Son refus de couper ses moustaches, son obstination à revêtir l’habit de général de la garde nationale l’avaient indisposé. Mais le Prince le comblait de tant d’attentions, il l’avait si respectueusement loué dans un discours à Rouen, il offrait si galamment le bras à Mme Thiers, pour la conduire à table, qu’il avait patienté, presque pardonné les premières désobéissances, au point de s’écrier : « Ce n’est pas un César, c’est un Auguste ! » La lettre à Edgar Ney, sur laquelle on n’avait pas pris son avis préalable, gâta de nouveau les relations : elle le courrouça autant que son rapport blessa le Président. Il dut enfin se convaincre que ce flegmatique poli, que ce taciturne impénétrable, sans dire jamais brutalement ni oui, ni non, n’en faisait qu’à sa tête. Il méritait d’être puni. Thiers décréta qu’il ne serait pas réélu. Trop perspicace pour croire aux chances du Comte de Chambord, il voyait néanmoins que, si les légitimistes n’avaient pas la force de restaurer leur roi, ils avaient le pouvoir d’empêcher les orléanistes de ramener le leur. Dans la République, Cavaignac était fini, Ledru-Rollin inéligible, Victor Hugo, une nébuleuse en formation ; on parlait bien du prince de Joinville désigné par ses qualités unanimement reconnues, mais ce n’était qu’une velléité ; Changarnier ne se concevait qu’à la tête d’une armée, il ne se maintiendrait pas un jour à la tête de l’Etat. Il n’y avait donc de choix possible qu’entre lui, Thiers, et le Prince Louis.

Les républicains modérés, persuadés de l’échec de leur chef, viendraient à lui. Ne leur répétait-il pas dans les couloirs, son champ de bataille autant que la tribune : La république est le gouvernement qui nous divise le moins ? Ne se moquait-il pas avec eux, dans les coins, des chimères surannées des légitimistes ? Pour les légitimistes n’était-il pas aussi la carte forcée, au moins à titre de moindre mal ? Il dissipait les ombrages suscités par son ralliement à la république en leur disant, dans d’autres coins que ceux où il les avait chansonnés : « La république oui, mais sans les républicains, vulgaires, ignorans, inexpérimentés, violens. » Les catholiques indifférens aux démêlés politiques oublieraient-ils sa défense du Pape, ses amendes honorables dans la commission de renseignement, ses déclarations en faveur des Jésuites proscrits par lui en 1847 ? Les industriels, les commerçans ne lui seraient-ils pas reconnaissans de ses discours en défense de la propriété et des principes sociaux ? Son élection était donc certaine, pourvu que le Prince fût écarté. C’est pour y travailler qu’il montait à la tribune.

Son discours est une merveille de finesse, d’habileté, parfois d’éloquence, toujours de duplicité maligne. J’étais à la séance où il le prononça. Je le vois encore, un petit mouchoir à la main pour s’essuyer le front, tour à tour excitant, retenant, enchantant l’Assemblée suspendue à ses lèvres. Il défend Changarnier, mais en dénonçant malicieusement son mauvais caractère. Il célèbre son propre désintéressement, mais en même temps il pose sa candidature présidentielle. Il ne servira plus qui que ce soit, si ce n’est la république ; il la servira franchement, complètement, sans arrière-pensée. Il a cru longtemps à la monarchie, il s’est peut-être trompé, et le système américain est peut-être préférable au système anglais. C’est au Président, au compétiteur surtout qu’il s’attaque sans un gros mot, il le déchiquette, critique l’ensemble de sa conduite et particulièrement la destitution du général au mauvais caractère. Il n’y a plus à s’y tromper, on veut nous ramener au temps maudit où les prétoriens proclamaient les Césars. On y est, si la destitution du général demeure impunie. Puis, sans indiquer aucun moyen pratique de résistance ou d’action, il prophétise que « si l’Assemblée faiblit, au lieu de deux pouvoirs, il n’y en aura plus qu’un ; le mot viendra quand on voudra ; l’Empire est fait. »

Malgré ces exhortations et cette prophétie, l’Assemblée fait plus que faiblir. Comme après le message d’octobre, comme après les réunions chez Victor de Broglie, dès qu’elle sent devant elle le Président résolu, elle rompt et recule. Après tant de tapage, elle ne décrète rien contre le Président ; elle n’ose pas même accorder un mot de consolation à la victime ; elle concentre ce qui lui reste d’énergie contre le ministère demeuré aux affaires sur ses instances et, anodine même contre lui, elle se contente de déclarer qu’il n’a plus sa confiance. La Montagne, à laquelle elle devait sa majorité, avait exigé le silence sur le général qui avait si souvent étrillé ses amis. On remarqua beaucoup le vote de Victor de Broglie, Montalembert, Casimir Perier, Vitet, Odilon Barrot contre l’ordre du jour.

La destitution de Changarnier n’avait pas été, de la part du Président, le prélude du coup d’Etat prédit contre l’Assemblée, mais la parade préventive d’un coup d’Etat de l’Assemblée en préparation contre lui. Il se garda bien de dépasser le but et de se laisser emporter à une offensive qui n’était pas encore dans ses intentions. Il se contente d’avoir brisé un auxiliaire en révolte, repris la direction de l’armée qu’on lui disputait, fortifié son autorité, accru son prestige. Il n’écoute pas plus qu’il ne l’avait fait dans les crises précédentes les impatiens ou les emportés qui le pressent d’en finir. Il avait fini et bien fini la tâche de l’heure présente, et cela lui suffit. Ses adversaires n’étaient pas assez usés et démasqués, la solution légale conservait ses probabilités. Il se remet de nouveau sur la défensive, il n’essaie pas une résistance inopportune au vote de défiance, et il renvoie ses ministres. Je suppose qu’il n’en éprouva pas un vif regret. Si le ministère Odilon Barrot lui avait été désagréable, il ne l’avait pas conduit comme celui-ci à deux doigts de sa perte par sa condescendance funeste pour la loi du 31 mai.

Les préoccupations extérieures n’avaient pas fait défaut non plus pendant la durée de ce ministère. A côté de quelques incidens bruyans, — l’affaire Pacifico et celle des réfugiés en Suisse, qui aussitôt réglées n’avaient laissé aucune trace, — s’en étaient déroulés d’autres en Italie, en Allemagne et en Orient, sans conséquences immédiates, en apparence sans intérêt pour nous, et qui en réalité constituaient le premier acte du drame dont cette étude prépare le récit. Détournons donc un instant nos regards de l’orage déjà noir qui commence à gronder à l’intérieur et voyons se former au dehors les premières vapeurs à peine visibles de l’ouragan terrible qui fondra sur nous en 1870.


EMILE OLLIVIER.

  1. Voyez la Revue du 1er décembre 1896.
  2. Dépêche des 25 et 26 juillet 1849.
  3. Luigi Chinla, Lettere di Cavour, tome Ier, page 218. M. Chiala est un historien de premier mérite qui honore grandement l’Italie.
  4. Gladstone.
  5. Palmerston.
  6. Tocqueville.
  7. De la liberté de l’Italie et de l’Eglise, p. 32.
  8. La Confédération et l’unité de l’Italie, p. 100.
  9. Papiers du maréchal Vaillant.
  10. « Je déclare qu’après avoir pris connaissance de la lettre de M. le président de la République, j’ai trouvé les sentimens qui y sont exprimés parfaitement dignes, parfaitement patriotiques ; dignes, non pas seulement du grand nom que porte son auteur, d’autres que moi se sont chargés de le lui dire, mais dignes de la nation qui l’a choisi pour son premier magistrat. Ainsi donc, je rends hommage, hommage sans réserve, hommage respectueux aux sentimens exprimés dans la lettre de M. le président… Et si, par malheur, les décisions de l’Assemblée ne lui étaient pas conformes, et s’il en résultait quelque atteinte morale portée à l’autorité du pouvoir exécutif, assurément dans ma pensée, ce n’est pas à lui que j’en rapporterais la faute. (A gauche, très bien, très bien ! ) »
  11. Tocqueville, p. 345.
  12. Odilon Barrot, t. III, p. 472.
  13. Né à Riom le 30 novembre 1814.
  14. Né à Aurillac le 13 mars 1815.
  15. V. Hugo, Discours du 9 juillet 1849.
  16. Discours au banquet de l’Hôtel de Ville, 10 décembre 1849.
  17. Tocqueville, Souvenirs, p. 315.
  18. La Voix du peuple.
  19. Souvenirs, p. 315.
  20. Les Burgraves à ce moment étaient MM. Berryer, V. de Broglie, Thiers, Molé, Montalembert, Vatimesnil, Léon Faucher, Buffet, Benoist d’Azy, Beugnot, Chasseloup-Laubat, Daru, J. de Lasteyrie, Montebcllo, de Sèze, Piscatory, Saint-Priest.
  21. Je cite textuellement, d’après les notes inédites prises sur l’heure par un des assistans. Du reste, quiconque a entendu une causerie de Thiers l’y reconnaîtra.
  22. Thiers a reproduit publiquement la même assertion dans son discours du 10 janvier 1851 : « M. le président de la République n’avait pensé « autre chose qu’à des moyens légaux. »
  23. Aug. Thierry, Conquête de l’Angleterre, t. I, p. 304.
  24. Commynes, I. V, ch. XIX ; 1. VI, ch. VII.
  25. Les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié les belles et substantielles études de M. Charles Benoist sur cette question. — Voir aussi Emile Ollivier, 1789 à 1889, p. 245 et 255. — Solutions politiques et sociales, p. 502.
  26. Falloux, Mémoires, t. I, p. 597.
  27. Maréchal de Castellane, Mémoires.
  28. Emile de Girardin.
  29. Lamartine.
  30. Lettre du 10 septembre 1850.
  31. Art. 32. « L’Assemblée fixe l’importance des forces militaires établies pour sa sûreté, et elle en dispose. »
  32. Mémoires de Falloux, t. II, p. 114.