Le Prisme (Sully Prudhomme)/A Marie Magdeleine

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Œuvres de Sully Prudhomme, Poésies 1879-1888Alphonse Lemerre, éditeurPoésies 1879-1888 (p. 55-56).


A MARIE MAGDELEINE


 
Sacrifiant au repentir
Les amours que ton Maître blâme,
Après avoir sauvé ton âme,
Tu veux aussi nous convertir.

Hélas ! quand pour nous tu t’appliques
A prier Dieu de tout ton cœur,
Nous idolâtrons la langueur
De tes paupières angéliques,

L’écharpe de tes cils pieux
Dont les ombres, d’azur mêlées.
Baignent les deux molles vallées
Où luit le bluet de tes yeux ;

Tes tempes que la foi colore.
Tes mains joignant leurs doigts polis
Comme les pétales d’un lis
Qui n’a pas achevé d’éclore ;


Ta voix pure à l’accent profond,
Dont la douceur est meurtrière,
La musique de ta prière
Au bord des lèvres qui la font ;

Tes cheveux perlés de tes larmes
Et plus riches du peigne ôté,
Ta jeune et profane beauté,
Œuvre du Dieu que tu désarmes.

Hélas ! tu peux faire un martyr
De l’abandonné qui t’adore,
Mais, en priant plus belle encore,
Tu ne le feras point partir.

Il te faudrait devenir laide
Pour éteindre l’amour en nous :
Tu nous blesses, même à genoux,
Et ta blessure est sans remède.