Le Prisme (Sully Prudhomme)/A mon beau-frère

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Œuvres de Sully Prudhomme, Poésies 1879-1888Alphonse Lemerre, éditeurPoésies 1879-1888 (p. 15-16).


À MON BEAU-FRÈRE


francisque gerbault


Heureux frère, lorsqu’en famille,
Après le diner tous les soirs,
Tu vas pencher tes arrosoirs
Cent fois de charmille en charmille,

Moi, par la Chimère hanté,
Suivant une rime à la piste,
Je jalouse, ô champêtre artiste !
Ton œuvre utile à ta santé.

Jardinier naïf et modeste,
Riant sous ton double fardeau,
Tu portes aux fleurs un peu d’eau,
Et la Nature fait le reste ;
 
Des chaudes sueurs de mon front
Moi j’arrose un vers qui végète,
Et dans mon labeur de poète
Jamais les dieux ne m’aideront.


Toi, récompensé par la terre,
Au point du jour, le lendemain,
Tu t’en vas à ton ministère,
Une fleur éclose à la main ;

Moi, frère, après des nuits moroses
Je trouve tous mes vers mauvais,
Et dans les chemins où je vais
Je ne suis pas connu des roses.


À Enghien.