Le Prisme (Sully Prudhomme)/Amis d’enfance
AMIS D’ENFANCE
Il me semblait un grand garçon,
J’étais une petite fille ;
Grave il m’apprenait ma leçon
Et, tendre, il me disait gentille.
Cet enfant, quel âge avait-il ?
En vérité mon cœur l’ignore :
Toute l’enfance est un Avril,
Nous étions en Avril encore.
Comment son regard me parla ?
Je ne saurais pas bien le dire :
J’espérais quand il était là,
Depuis qu’il est loin je soupire.
N’ai-je rien oublié de lui ?
Se souvient-il de moi ? J’en doute ;
Mais sa voix, encore aujourd’hui,
Chez d’autres enfants je l’écoute.
S’il reviendra, si je l’attends,
Je ne saurais pas vous l’apprendre ;
Mais ses adieux, malgré le temps,
J’en suis encore à les lui rendre ;
Je n’ai pas compris son départ.
Ses adieux seuls m’en ont instruite ;
Ah ! quand même il reviendrait tard,
Je l’épouserais tout de suite.