Le Prisme (Sully Prudhomme)/Dans une Église
DANS UNE ÉGLISE
Le Christ a prié seul, il vient de la montagne ;
La lumière en tremblant le vêt et l’accompagne,
Il marche sur la mer,
Car tous les éléments à l’envi le saluent :
Ils savent quel il est, et ses yeux les remuent
Du ciel jusqu’à l’enfer.
Ses disciples ont peur, et Pierre lui dit : « Maitre,
Si je marchais sur l’eau j’irais vous reconnaître. »
Il répond : « Viens à moi ! »
Pierre va. Tout à coup s’élève une tempête.
Il chancelle, Jésus dans sa chute l’arrête :
« Homme de peu de foi ! »
— « Vous êtes fils de Dieu, » lui dirent les apôtres.
Ils ne doutèrent plus. Ils l’ont vu ! mais nous autres,
Ne douterons-nous pas ?
Nous ne demandons point de marcher sur les ondes,
Mais seulement, ô Dieu ! qu’une fois tu répondes
Quand nous crions d’en bas.
Bien souvent, accablés, nous implorons des ailes
Sans entendre jamais des hauteurs éternelles
Tomber ce mot : « Venez ! »
Devant l’Infini sourd au vœu, sourd à la plainte,
Humbles comme tes fils devant la table sainte.
Nous songeons, prosternés.
Ah ! s’il faut, pour te voir, que notre orgueil pâtisse,
Que nous nous confessions dénués de justice,
Pauvres de vérité,
Que, las d’interroger, nous te rendions les armes.
Que nos déceptions aient épuisé nos larmes,
Nous t’avons mérité !