Le Puits de la vérité/L’entêtement

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Le Puits de la véritéAlbert Messein (p. 24-25).



L’ENTÊTEMENT



Il est très bien ce jeune homme qui a traversé tout le Sahara, d’Alger à Tombouctou, sans caravane, avec un ou deux compagnons, et qui est revenu avec la même simplicité. Mais pourquoi le journal qui a conté cette promenade hardie, ajoute-t-il que ce M. Le More l’accomplit avec « le tranquille entêtement qui caractérise sa race. » Est-il donc Breton ? Nullement, il est Tourangeau. C’est la première fois que j’entends qualifier ainsi les habitants de la Touraine, mais on connaît si mal les caractéristiques des provinces de France, et même de la sienne ! Même le blason populaire ne dit pas grand’chose des Tourangeaux, qui paraissent n’avoir jamais étonné leurs voisins. Les dictons qui les concernent sont rares. Le plus aimable est celui-ci : « Les rieurs de Tours », et le plus fâcheux, cet autre : « Mou comme un Tourangeau ». Associés aux Angevins, ils ont encore fait dire :

Des Tourangeaux, Angevins,
Bons fruits, bons esprits, petits vins.

Mais, nulle part, je ne vois trace d’entêtement, bien au contraire. Tandis qu’il n’y a aucun doute sur la réputation de la Bretagne entêtée. La tête de Breton est ainsi qualifiée jusqu’en Languedoc : Testud coumo un Bretoun. Est-ce bien exact d’ailleurs ? Si on prend les Bretons célèbres, on voit qu’ils furent surtout versatiles, ainsi d’ailleurs que le commun des hommes. C’est Chateaubriand, c’est Lamennais, c’est Renan. Aussi bien un homme intelligent ne peut pas être entêté. Il ne faut pas confondre l’entêtement avec la persévérance, avec la fermeté. L’entêtement caractérise l’être borné et méfiant. Ce n’est pas un compliment, malgré toutes les épithètes qu’on y peut ajouter. La vieille réputation d’entêtement est sans doute venue aux Bretons de leur ignorance et de leur particularisme. Ne comprenant pas les autres, ils n’en étaient pas compris. Ils se refermaient sur leurs idées et vivaient dans un isolement dénué de curiosité, considérant avec hostilité le monde qu’ils croyaient hostile. L’entêtement du Breton était surtout de la méfiance.


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