Le Puits de la vérité/Les Enfants

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Le Puits de la véritéAlbert Messein (p. 91-92).



LES ENFANTS



Je ne sais plus où, on critiquait l’autre jour la manière trop réaliste dont on traite les enfants dans la littérature contemporaine. On les représente trop au naturel et ce naturel même, on l’exagère et à force de l’admirer on lui donne l’importance d’un phénomène. Je crois pour ma part que si les enfants ne nous comprennent guère, nous ne les comprenons pas davantage. L’image que nous nous faisons d’eux est nécessairement fausse. D’un homme à un enfant, il n’y a pas de communication possible. Les seules relations naturelles et logiques qu’il puisse avoir, c’est avec les autres enfants et aussi avec le monde hallucinatoire parmi lequel il vit presque constamment. Ceux qui en font de petits hommes, de petites femmes, se trompent. Ce ne sont pas non plus de petites merveilles. Les choses drôles qu’ils peuvent dire ne le sont que parce que le sens vrai nous en échappe. Les enfants se font rire quelquefois les uns les autres, ils ne s’étonnent jamais au sens où nous sommes étonnés de leurs réparties. La sensibilité de l’enfant est très particulière et sans rapport avec celle des grandes personnes. Elle est encore beaucoup plus égoïste. Elle est surtout beaucoup plus animale, plus fugitive, plus variable et seules les femmes, qui ont quelque chose d’enfant dans le caractère, peuvent y pénétrer un peu. Nous leur semblons toujours des intrus dans leur petite vie si intense et si compliquée. Nous ne connaissons pas les règles du jeu où il se passionne, jeu qui a pour base l’irréalité de tout ce qui nous intéresse et la réalité de tout ce qui nous est indifférent. M. Pierre Mille a dit d’excellentes choses là-dessus dans l’histoire de son Caillou. Ajoutez à tous ces traits que l’enfant a des rêves extrêmement violents, souvent terribles, ce qui explique ses peurs nocturnes, et vous vous rendrez compte que ce petit être, ballotté entre les cauchemars de la nuit et les hallucinations du jour, n’est pas du tout fait pour saisir la vie sur le plan, où elle nous apparaît. Et s’ils nous amusent, soyons sûrs que nous les amusons aussi et que notre jeu leur paraît bien extraordinaire.


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