Le Purgatoire — Souvenirs d’Allemagne/13

La bibliothèque libre.
Librairie Edgar Malfère (p. 169-181).

à Emmanuel Bourcier


CHAPITRE XIII

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(10 avril 1916).


On m’a souvent demandé :

— Quand vous étiez prisonnier, vous ne sortiez donc pas ?

Et je répondais :

— À l’intérieur du camp, oui, à de certaines heures ; mais en dehors des fils de fer, jamais.

À Vöhrenbach, le pourtour du bâtiment nous appartenait. C’est là que nous prenions un peu d’exercice. Quelques officiers, désireux de s’entretenir en forme malgré la captivité, se consacraient chaque jour à un entraînement méthodique, et, plusieurs heures de suite, passaient de la marche à la course et de la course à la marche. Ceux-là, on avait l’œil sur eux, et la kommandantur les soupçonnait de se préparer à l’évasion, cauchemar des geôliers allemands. Mais, sans pratiquer le sport à ce point, la plupart des prisonniers tournaient autour de la prison, tous dans le même sens, et c’est surtout avant le moment de l’appel que la cour étroite s’emplissait de marcheurs.

Le plus horrible, dans cette captivité des officiers, c’est l’inaction. Pourriez-vous imaginer plus sombre châtiment : tu seras enfermé et n’auras rien à faire. Rien à faire ! Je me rappelais souvent les paroles du capitaine B***, de Mayence. Mais je voulais espérer que je réussirais là où tant d’autres avaient échoué. Quelle vanité !

Tout le monde travaillait autour de moi, dans une espèce d’émulation silencieuse. Peu à peu, des livres nous arrivaient de France. La kantine nous en procurait d’autres, et je garde un exemplaire du Double Jardin de Maeterlinck, parce qu’il avait été volé quelque part, comme la reliure de l’ouvrage le prouve. Les officiers qui savaient un peu d’allemand, essayaient de se perfectionner et donnaient à des camarades studieux les premières notions de cette affreuse langue. Ainsi j’avais décidé d’approfondir mes études de jadis. Je revis la grammaire, et m’attelai de nouveau aux contes de Grimm et au Romancero de Heine avant d’aborder les véritables Niebelungen dont j’aurais voulu pénétrer les arcanes. Deux contes puérils et trois courtes chansons de Wilhelm Müller suffirent à me dégoûter de mon ambition. Tout me semblait odieux de ce pays, les sons rauques de ses tendresses poétiques, la couleur de ses paysages, l’aspect de sa typographie et l’odeur de ses soldats. Écœuré, je rangeai mes livres allemands pour ne plus les ouvrir. De nombreux camarades n’eurent pas plus de courage. La langue des Boches rebute.

D’autres s’accrochèrent aux Anglais et aux Russes, qui se mettaient fort gentiment à leur disposition. Ceux-là ne furent pas plus heureux. À peine commençaient-ils à se débrouiller au milieu des fantaisies de l’alphabet slave et à se tirer tant bien que mal d’une page des Voyages de Gulliver, qu’ils durent renoncer à pousser plus loin. Le camp de Vöhrenbach devenait camp de représailles, et les compagnons anglais et russes nous quittèrent. Seuls les Français devaient connaître les joies du sévère régime. Ce fut une débâcle.

La musique était pour beaucoup un refuge. La kommandantur avait loué un piano. La kantine fournissait des violons, des flûtes, et jusqu’à des cithares dont on pouvait jouer sans initiation aucune. Un groupe de capitaines et de lieutenants s’exerçait à déchiffrer les quatuors les plus ardus. L’heure où il nous était permis de les écouter était une heure d’un grand prix. Mais le programme des représailles nous interdit la musique, et les officiers gardèrent leurs instruments dans les étuis de carton que la kantine refusa de reprendre.

Grâce à des cotisations, nous avions créé une bibliothèque. En attendant que la charité française vînt à notre aide, elle était bien modeste, notre bibliothèque de Vöhrenbach, à ses débuts. Toute sa richesse consistait en quelques romans des collections à 0 fr. 95 de Fayard, de Calmann-Lévy, de Laffitte et d’Albin Michel. Toutes les œuvres n’étaient pas de choix. Nous avions dû accepter ce que la kantine avait pu concentrer de volumes divers. Et nul d’entre nous ne sut jamais par quel mystère figuraient au catalogue les Aventures du Colonel Ramollot.

Pourtant, aux premiers jours de notre captivité, nous étions encore si las et si meurtris que nous trouvions souvent un peu de charme à nous étendre au soleil, dans la cour. La kantine vendait naturellement des pliants et des fauteuils de paquebot. L’après-midi, aux instants le plus chauds, la prison prenait des airs de maison de convalescence, comme une autre Villa des Oiseaux. Les Anglais en particulier pratiquaient beaucoup la chaise-longue au grand air. Ils s’installaient au milieu de nous, fumaient une pipe de tabac blond, tiraient un livre de leur poche, l’ouvraient, renversaient la tête, se posaient les poèmes de Rossetti sur les yeux, et s’endormaient.

Mais c’est le dimanche que les fauteuils s’accumulaient le long des fils de fer. Le dimanche, en effet, les prisonniers mettent une certaine coquetterie à suspendre leurs minces occupations. On revêt sa meilleure vareuse ; presque tous les officiers assistent à la messe, dans le réfectoire transformé en chapelle pour la circonstance, et ce zèle religieux n’est pas une des choses qui surprennent le moins nos bons geôliers. Ils nous croyaient de farouches athées, comme le docteur juif nous croyait tous syphilitiques. La guerre aura redressé bien des erreurs dans l’omnisciente Allemagne.

Que pensent de nous les civils qui passent de l’autre côté de la clôture, sur le chemin qui monte vers le bois de pins, là-haut, au sommet de cette colline ? Ils nous regardent comme on regarde les fauves dans un jardin zoologique. Car, comme nous, ils chôment, et ils profitent de la douceur du temps pour aller à la campagne.

Un de ces dimanches d’avril, au bout de la prairie, là où le domaine des prisonniers se termine en pointe de triangle, deux officiers faisaient les cent pas en fumant des cigarettes. Une vieille femme descendait la côte. En passant près d’eux, comme la sentinelle lui tournait le dos :

— Courage, messieurs ! leur dit-elle en français. On ne peut pas vous parler. C’est défendu. Ils sont méchants. Ils me frapperaient, moi, une pauvre vieille !

Et elle s’éloigna dans la direction du village, laissant les deux officiers émus et déconcertés, tandis que la sentinelle revenait lourdement vers la guérite jaune et rouge.

Les Anglais prenaient un plaisir extrême à ces spectacles du dimanche. Ils étaient trois ou quatre, pas davantage, tous très jeunes et presque tous aviateurs. Ils n’avaient rien de l’attitude un peu raide qu’on prête à ceux de leur race. Ils riaient de nos plaisanteries sans retenue, et eux-mêmes ne détestaient pas d’exercer leur humour aux dépens des Boches. Ils y apportaient une ardeur juvénile qui nous réjouissait. C’étaient les meilleurs garçons du monde.

Un jour, la kommandantur avait introduit quelques vaches dans le camp, pour leur faire paître l’herbe qui devenait trop haute entre les deux rangées de fils de fer de l’enceinte. Elles fournirent à un Anglais l’occasion d’une farce. Il s’approcha des fils de fer et, apostrophant la sentinelle à qui il montrait un morceau de pain bien blanc et d’un beau poids :

— Vous n’en avez pas, hein, du pain comme celui-là ?

— Ah ! non, répondit la sentinelle, malgré le règlement, car elle espérait qu’un présent inespéré allait lui échoir. Et elle roulait des yeux cupides.

L’Anglais reprit :

— Nous ne savons plus qu’en faire, tellement nous en avons.

— Oui, oui, approuva la sentinelle.

— Et nous le donnons aux vaches, conclut l’Anglais en offrant le quignon merveilleux à la bête la plus voisine.

Nos alliés sont terribles. On racontait d’un autre lieutenant une anecdote qui révèle exactement la façon dont les Anglais se comportent en face des autorités allemandes. Le gouvernement de Berlin oblige les officiers prisonniers à saluer les officiers allemands, sans égard aux grades de ceux-ci ou de ceux-là. Les Français esquivent la difficulté en exécutant un demi-tour par principe chaque fois qu’ils s’aperçoivent qu’ils vont croiser un leùtnant ou un haùptmann. Les Anglais agissent plus franchement. Ils affectent d’ignorer leurs gardiens. Un jour, celui dont je parle se trouva nez à nez avec un Boche.

— Monsieur ! fit l’Allemand.

— Monsieur ?

— Vous ne m’avez pas salué.

— Je ne sais pas.

— Je suis officier.

— Je ne connais pas.

— Vous devez me saluer.

— Je ne sais pas.

L’Allemand était blême.

— Vous serez puni.

— Je ne sais pas, répondit l’Anglais. Il fut puni, en effet.

Or, quand il sortit de la chambre des arrêts de rigueur, après sept jours d’isolement, il rencontra l’officier qui lui avait valu ces loisirs, et il ne le salua pas. La scène fut violente de la part du Boche et laissa l’Anglais tout à fait calme.

— Monsieur ! Vous ne m’avez pas salué !

— Je ne sais pas.

— Je suis officier.

— Je ne connais pas.

— Mais vous venez de quitter les arrêts parce que vous ne m’avez pas salué, la semaine dernière. C’était moi…

— Je ne sais pas.

L’Allemand n’avait qu’à lâcher la partie. Il la lâcha, en grognant des imprécations. Mais l’Anglais ne retourna point dans la chambre des arrêts.

Il ne faut pas croire cependant que les autorités impériales et royales ménageaient les prisonniers britanniques. Sans doute, tout au moins jusqu’à la fin de 1916, ils ne leur infligeaient pas les mille tracasseries dont les Français eurent constamment à souffrir. Mais ils avaient parfois contre eux des gestes pénibles dont je rapporterai l’exemple suivant, que je tiens de la victime, un jeune lieutenant irlandais.

Les Boches ne digéraient pas le dédain que les officiers de la « méprisable petite armée » leur témoignaient en tout temps et en tout lieu. Quand ils en capturaient un, ils éprouvaient un besoin sadique de l’intimider. Mais les Anglais ne tremblaient pas. Ainsi pour ce lieutenant. Il avait été pris du côté de Loos, le 25 septembre 1915. Tout de suite, dans le premier village où on l’emmena, on l’enferma au fond d’un cachot obscur comme en décrivent les romans populaires, et on lui annonça qu’il serait fusillé. Pendant trois jours, on le laissa dans son cachot ; on ne lui apporta pas la moindre nourriture et pas le moindre verre d’eau ; chaque soir on lui disait :

— Vous serez fusillé demain.

Enfin, après ces trois jours de torture, qui n’arrachèrent pas un seul mot de protestation à ce malheureux, on le tira de son trou et on le poussa vers une grande cour. Le peloton d’exécution promis attendait dans un coin, l’arme au pied.

— Demandez grâce ! cria un officier allemand.

— Non, répondit le condamné.

Alors, on le planta devant le peloton, et on lui attacha les mains derrière le dos. On voulut lui bander les yeux, il refusa. Un ordre bref : les soldats mirent en joue. Mais, la plaisanterie ne pouvant aller plus loin, car on n’avait pour but que de terroriser le prisonnier et de le réduire à merci, l’officier allemand marcha vers l’officier irlandais, et, les yeux dans les yeux :

— Je vous fais grâce, dit-il.

L’autre ne répondit rien. Il n’avait pas bronché.

Les Russes ne ressemblaient pas aux Anglais. Ils acceptaient les derniers outrages avec un fatalisme tranquille. Le gouvernement du Tsar ne s’occupait pas de ses prisonniers. Pour lui, c’étaient des hommes perdus, et il les abandonnait aux mains de l’ennemi, quitte à ne pas s’inquiéter davantage des prisonniers allemands qu’il oubliait sans façon dans un quelconque district. Et nous avons pu voir, jusqu’en 1916, cette anomalie : les prisonniers russes recevant en Allemagne du pain fourni par la France, alors que les prisonniers français n’en recevaient pas. Car les captifs voyaient des choses extraordinaires. Mais, pour en revenir aux officiers du Tsar, ils savaient qu’ils n’avaient rien à attendre des bontés du Petit-Père. Ils ne lui en gardaient pas moins une dévotion touchante et un dévouement complet. Je n’ai aucun renseignement sur leur conduite au moment de la Révolution. En 1916, ils haïssaient l’Allemagne autant que nous la haïssions nous-mêmes, et, s’ils n’affichaient pas des sympathies très chaudes pour l’Angleterre, ils ne cachaient pas en revanche leur amitié pour la France.

Rien de plus émouvant que leur camaraderie. Ils nous comprenaient mal, et nous ne les comprenions guère. Souvent, pour nous entendre, nous devions recourir à la langue allemande dont ils possédaient quelques bribes. L’intention suppléait à l’effet. Ils étaient les premiers à nous annoncer les bons communiqués, et il fallait accepter leurs félicitations immédiates à la kantine. On m’avait dit à Mayence que les Russes étaient d’incroyables ivrognes. Hélas, ils l’étaient. Ils ne buvaient pas pour le plaisir de boire : ils avaient toujours d’excellentes raisons de s’enivrer, mais ils en avaient trop, de ces excellentes raisons. Ils célébraient tout : la fête du tsar et la fête de la tsarine, la fête des principaux grands-ducs et celle des plus importantes grandes-duchesses. Ils buvaient quand la Russie remportait un succès ; ils buvaient quand les alliés étaient victorieux, cela pour manifester leur contentement ; mais, quand les alliés enregistraient un revers, ils buvaient aussi, pour oublier la fâcheuse nouvelle, et, quand la Russie encaissait une de ces raclées comme elle seule en encaissa pendant la guerre, la kantine n’avait pas assez de boissons pour noyer leur désespoir.

On nous payait la solde le premier jour du mois. Pendant les quarante-huit heures qui suivaient, les Russes ne quittaient pas la kantine. Ils touchaient des mensualités plus considérables que les nôtres. Ils les dépensaient rapidement, aussi bien en achats d’objets d’une inutilité flagrante qu’ils soldaient au prix fort, qu’en consommation de liquides variés. Ils invitaient tout le monde, tant qu’ils avaient de l’argent, car ils étaient généreux à l’excès. Puis, les poches vides, ils cuvaient leur ivresse dans un coin et demeuraient à l’ombre, entre eux, timides, réservés, délicats, et se faisant prier pour accepter les politesses qu’on voulait leur rendre. Capables de tous les courages et de toutes les faiblesses, c’est sous cet aspect qu’ils nous apparurent en captivité.

D’après ce que nous pouvions saisir de leurs récits, ces pauvres Russes avaient fait la guerre dans des conditions lamentables et leur première grande retraite avait été quelque chose de sinistre. L’un d’eux, un lieutenant de réserve qui avait déjà été prisonnier, mais des Japonais, nous déclarait que sa compagnie était armée de baïonnettes et de bâtons, et il nous expliquait, par des gestes nombreux et de rares onomatopées, comment, devant les canons et les mitrailleuses boches, elle avait manœuvré jusqu’au jour du désastre final. Ce Russe était bon enfant. Il avait une vague ressemblance avec notre Président de la République, et nous le surnommions Poincarévitch. Mais, plus souvent, nous l’appelions : l’oncle Michel. Grand et fort, il appartenait au corps des grenadiers de Sibérie. Il s’étonnait qu’avec ma taille je ne fusse que chasseur à pied et il tenait absolument à me classer dans les grenadiers, comme lui. Trop embarrassé pour le convaincre, j’acquiesçais à son désir. Chaque fois qu’il prenait son verre pour boire, il se levait, disait : « Vive la France ! Vive famille ! » Et nous répondions : « Vive Russie ! » Et l’oncle Michel se levait à tout instant pour recommencer.

Son camarade habituel (on les rencontrait rarement l’un sans l’autre) était un petit bonhomme maigriot, sec comme un coup de trique, qui nous saluait comme eût salué un automate, en observant un impeccable garde-à-vous. Il ne savait pas un mot de français, mais il baragouinait un peu d’allemand. Il ne supportait pas le vin, tandis que l’oncle Michel supportait tout. Aussi, dans nos réunions, pendant que le Johannisthal emplissait nos verres, il se faisait servir de la bière, par quatre bocks à la fois. Encore nous avouait-il qu’il n’avait pas beaucoup de goût pour la bière.

Le troisième des officiers russes de Vöhrenbach ne fréquentait guère les deux autres. Sobre, il n’allait jamais à la kantine. Il recherchait plutôt les conversations sérieuses. Il parlait sans difficulté le français, l’allemand et l’anglais. Il travaillait beaucoup. Grand, mince, le front soucieux, les yeux profonds, il semblait sorti d’un roman de Dostoïewsky. Aujourd’hui, après tant de vicissitudes, je pense à Kerensky, quand il me souvient de cet artilleur un peu mystérieux.

Faut-il ajouter que la meilleure entente régnait entre les prisonniers français, anglais, et russes ? Il n’y avait pas de Belges à Vöhrenbach, et je n’ai vu jamais ni des Italiens, ni des Serbes, ni des Roumains. Mais, par ce qui se passait en 1916, je crois pouvoir affirmer que le temps n’a dû que raffermir cette entente entre tous les alliés. Plus que sur le champ de bataille, en effet, on apprend à se connaître et à s’aimer dans les camps d’Allemagne. Les malheurs communs rapprochent plus encore que les joies partagées. Ce n’est pas à ce résultat que l’Allemagne voulait arriver en réunissant dans la même infortune des représentants des différentes nations qu’elle cherchait à disjoindre, et pendant la guerre et en vue des temps futurs. Mais c’est à ce résultat qu’elle est arrivée.

En captivité, dans ces heures d’une longueur mortelle, on prend conscience de soi-même et des autres. Rude école ! Si l’Allemagne, en nous imposant toutes les vexations, tendait à nous déprimer et à nous diminuer, elle s’est trompée, une fois de plus, comme toujours. Le prisonnier français échappe au maléfice. Combien de fois n’ai-je pas retourné ces idées dans ma tête, là-bas, aux jours les plus difficiles ! Je m’accoudais à la fenêtre, après le dernier appel. La nuit d’été coulait, calme et lente. Par-dessus la cour baignée de lumière électrique, au delà du bourg endormi, au delà des monts boisés, je fuyais vers l’Ouest, loin, très loin de ces endroits maudits, et je sentais contre ma main les battements de mon cœur. Je dominais tous les camps de l’Allemagne, du haut de ma fenêtre de Vöhrenbach. Car nous le dominions, ce camp de Vöhrenbach.

C’est un lieu tragique, un vallon,
Un pays sans grâce et sans gloire,
Trop vert, trop gris, trop roux, trop blond,
Quelque part dans la Forêt-Noire.

Près d’un village des plus laids
Un morne bâtiment s’élève.
Est-ce une usine, est-ce un palais ?
C’est la prison de notre rêve.

Un double rang de fils de fer
Nous enclot du reste du monde.
C’est la borne de notre enfer
Et de notre tombe profonde.

C’est là que nous vivons, parmi
Nos songes que le temps mutile.
L’air qu’on respire est ennemi
Et le ciel lui-même est hostile.
 
N’importe. Rien n’atteint jamais
Le vol radieux de nos rêves.
Ils trouvent bas tous les sommets
Et toutes les distances brèves.

Ils vont, nos rêves douloureux,
Par-delà les monts et les plaines.
Il n’est pas de prison pour eux :
Qui pourrait leur forger des chaînes ?