Le Pyrrhonisme, le Dogmatisme et la Foi dans Pascal

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Le Pyrrhonisme, le Dogmatisme et la Foi dans Pascal
Revue des Deux Mondes3e période, tome 101 (p. 761-795).
LE PYRRHONISME, LE DOGMATISME
ET
LA FOI DANS PASCAL

Après tant d’importantes recherches d’auteurs considérables sur les intimes sentimens de Pascal, n’est-il pas bien téméraire, tout au moins bien superflu, d’agiter encore ce problème psychologique? Assurément si ces belles études avaient clos le débat, nous aurions été trop heureux d’en accepter les conclusions. Mais elles sont loin d’avoir abouti à des résultats concordans. En somme, après en avoir pris connaissance, nous ne savions qui croire ni à quoi nous en tenir; et nous éprouvons pour le caractère et l’œuvre du grand penseur une admiration si profonde que nous n’avons pas su nous résigner à une indécision passive. Il ne pouvait nous suffire d’assister à la discussion des documens restaurés et complétés qui témoignent aujourd’hui de sa pensée. Nous étions irrésistiblement tenté d’y chercher pour notre propre compte, avec l’audace d’une curiosité passionnée, quelque manifestation décisive de son véritable état intellectuel au point de vue de la certitude et de la croyance, la révélation de son essence morale, dont l’unité se dissimule sous le désordre de ces témoignages fragmentaires. Notre curiosité principale n’était pas celle des historiens ou des critiques qui se sont donné pour tâche de recueillir et de fixer avec exactitude tout ce qu’on peut savoir de sa vie, et se satisfont en rétablissant le texte authentique de ses écrits, plusieurs fois altéré, et en l’élucidant par un savant commentaire, avant tout soucieux de le livrer dans son intégrité au jugement du lecteur. Nous avons mis à profit, avec une respectueuse et vive reconnaissance, ces travaux de liante érudition; mais nous étions aussi incapable d’y borner nos regards que d’y contribuer. Ce qu’il nous importait surtout de reconnaître, c’était la relation proche ou lointaine des idées de Pascal avec les idées modernes et celles que nous avions pu nous former nous-même sur les questions capitales remuées si puissamment par lui. Nous avons ainsi été conduit à indiquer souvent nos propres vues sur les objets traités dans les pages que nous examinions. Si ces parties de notre étude, à défaut du reste, pouvaient obtenir l’aveu des amis de Pascal, nous n’aurions pas entièrement échoué dans nos efforts pour les intéresser.


I.

Chacun s’est aperçu plus d’une fois dans sa vie qu’il s’était trompé, bien qu’il eût cru voir très clairement la vérité. Ainsi l’évidence peut être illusoire; la certitude qu’elle détermine n’assure donc pas la possession de la vérité. A supposer même que l’homme ne se fût jamais surpris dans l’erreur, la sincérité de son jugement n’en garantirait pas la véracité : il se pourrait que son illusion eût été permanente. Il faut donc douter de tout. Il y a plus: étant générale, cette conclusion se retourne contre elle-même, car, si tout est douteux, elle est nécessairement suspecte comme le reste. Il faut donc douter même qu’il faille douter. « Il met toutes choses dans un doute universel si général, dit Pascal en parlant de Montaigne dans son entretien avec M. de Sacy, que ce doute s’emporte soi-même, c’est-à-dire s’il doute, et doutant même de cette dernière supposition, son incertitude roule sur elle-même dans un cercle perpétuel et sans repos... » Nous touchons là au fond contradictoire, tout entier mouvant, du pyrrhonisme.

Cette spéculation est sophistique; le doute absolu est impossible en fait, et, de plus, il blesse la logique. Il ne peut exister, car la raison, par essence, ne peut se défendre absolument d’affirmer; en se l’interdisant, elle a foi, tout au moins, dans l’argument même qu’elle fait valoir pour ne rien affirmer. Ne fût-ce qu’en le pesant elle fonctionne; or fonctionner, c’est se fier à son propre exercice. Le pyrrhonisme, n’accordant d’autorité à aucune proposition, refuse par là toute autorité à ce qu’il propose lui-même. Il abdique ainsi tout droit à influer sur l’état intellectuel ; et effectivement, malgré le motif que la raison se donne de douter de tout, elle n’y réussit pas; elle n’adhère pas à sa propre conclusion sceptique. N’est-ce pas ce qui lui arrive en face d’une proposition évidente par soi, telle qu’un axiome de géométrie, par exemple? Elle a beau se dire alors qu’elle risque de se tromper, en réalité elle n’en croit rien, elle se déclare pyrrhonienne sans cesser néanmoins d’affirmer, c’est-à-dire sans pouvoir l’être comme elle le prétend. En outre, avons-nous dit, le scepticisme absolu blesse la logique. De ce que l’homme, en effet, se reconnaît sujet à l’erreur et à l’illusion en nombre de cas il ne résulte pas nécessairement qu’il y soit exposé dans tous; que tous ses jugemens soient au même degré faillibles et illusoires ; qu’il n’en puisse exister aucun d’assuré contre le doute. Descartes établit, au contraire, qu’il en existe au moins un : « Je suis, » car douter c’est penser et, pour penser, encore faut-il être, ou plutôt : penser et exister c’est tout un. La formule de Descartes n’est pas une conclusion, sa force invincible consiste en ce qu’elle est une constatation immédiate. Le scepticisme implique nécessairement cette affirmation radicale qui le réfute.

Le vrai sceptique n’est pas celui qui fait valoir les meilleures raisons de douter de tout, mais celui qui doute effectivement de tout. Ce parfait pyrrhonien a-t-il jamais existé? Pascal le nie : « Que fera donc l’homme en cet état? Doutera-t-il de tout? Doutera-t-il s’il veille, si on le pince, si on le brûle? Doutera-t-il s’il est? On n’en peut venir là... »

Remarquons que Pascal invoque ici, sans le désigner, l’argument cartésien contre le doute absolu. « Et je mets en fait, poursuit-il, qu’il n’y a jamais eu de pyrrhonien effectif parfait. La nature soutient la raison impuissante, et l’empêche d’extravaguer à ce point. » La raison ne reçoit pas cet appui du dehors ; c’est dans son essence même qu’elle trouve de quoi échapper au doute absolu; elle n’est nullement impuissante à s’y soustraire, comme nous avons essayé de le montrer. Mais Pascal lui refuse cette vertu propre ; il se plaît à la tourner contre elle-même. « La nature confond les pyrrhoniens et la raison confond les dogmatiques... » Et il ajoute: « Vous ne pouvez fuir une de ces sectes ni subsister dans aucune... » Ainsi d’une part il a reconnu que l’homme n’en peut venir à douter effectivement de tout, et d’autre part il oblige la raison à s’interdire toute affirmation. Quel parti prendre? On ne peut pourtant pas tout ensemble affirmer quelque chose et n’affirmer rien ; un pareil état d’esprit n’est pas, à proprement parler, sceptique, il est contradictoire. Le parti à prendre est bien simple : «Humiliez-vous, raison impuissante; taisez-vous, nature imbécile... Écoutez Dieu. » iNi le pyrrhonisme, ni le dogmatisme rationnel ne sont donc le vrai pour Pascal ; il les renvoie dos à dos et donne la parole à la foi. Remarquons bien que son dédain pour le dogmatisme de la raison n’est pas du tout le pyrrhonisme, qu’il répudie formellement d’ailleurs ; car il est aussi loin que possible de douter de tout, puisqu’il croit inébranlablement aux vérités révélées par Dieu même, qui sont les seules importantes à ses yeux. Tout est douteux, mais hors de la foi catholique; toute condition, en tant qu’elle n’est pas du domaine de la foi, est objet de doute ; il le dit expressément. Il abîme la raison humaine dans le doute avec une sorte de complaisance maligne, quand chez lui le chrétien a besoin de la désemparer pour la réduire à invoquer la révélation. Mais il n’a rien du tempérament d’un sceptique alors même qu’il humilie le plus résolument la raison. Il dogmatise, au contraire, volontiers ; ses sentences respirent une assurance impérieuse. Sa manière d’affirmer n’est pas modeste ; elle n’est pas froide comme celle de Descartes. Tandis que celui-ci a l’air, quand il formule un jugement, d’installer d’aplomb une pierre de taille, il semble, lui, enfoncer un pieu à coups de maillet. Tous deux sont d’ailleurs également confians dans leur vigueur intellectuelle et dans leurs conquêtes scientifiques. C’est que l’un et l’autre sont des penseurs, sinon de la même variété, du moins de la même espèce, des savans en un mot. La nature les avait admirablement doués pour la recherche des lois physiques et des propriétés mathématiques. Mais ils n’étaient pas nés dans une société sans traditions. Le legs séculaire du mystérieux effroi et de la noble inquiétude qui engendrèrent les croyances religieuses, le legs de la curiosité impatiente qui engendra les systèmes philosophiques, vinrent de bonne heure grandir et compliquer les problèmes affrontés par leur génie. Les soucis traditionnels de la pensée humaine s’infiltrent insensiblement, par le milieu social, dans toutes les âmes de chaque génération, les circonviennent sous forme religieuse ou philosophique dès l’enfance par l’éducation, et les ont envahies bien avant qu’elles aient pris possession d’elles-mêmes et qu’elles aient pu réagir contre cette invasion par leur propre tempérament moral. Elles peuvent être d’ailleurs plus ou moins disposées à la subir. Chez aucun individu le savant ne constitue tout l’homme. La faculté maîtresse, l’aptitude prépondérante coexiste avec d’autres aptitudes, avec des propensions parfois même contraires. Elle peut coexister avec celles-ci sans les rencontrer; sinon, jamais, en tant que savans, Descartes et Pascal n’eussent réussi ni même songé à fonder, l’un, l’édifice des connaissances sur l’aperception interne, l’autre, une apologie chrétienne sur le mépris de la raison. Les exigences de la méthode scientifique, instinctive en eux, eussent arrêté net soit la velléité téméraire de devancer les conclusions dernières de la science par des solutions philosophiques, soit la tendance irréfléchie à satisfaire, prématurément encore, la curiosité, en déléguant au cœur par un acte de foi le pouvoir de connaître. Mais il s’en faut de beaucoup que, dans un même cerveau, la logique propre au géomètre ou au physicien rencontre et exclue la dialectique propre au constructeur de systèmes philosophiques, ou même l’intuition mystique du croyant. L’histoire et l’observation témoignent, au contraire, que le cerveau de nombreux savans, des plus illustres, semble divisé en départemens distincts et sans communication entre eux, affectés à des procédés intellectuels très divers et même incompatibles, de sorte que toute leur curiosité, tant universelle que particulière, cherche et trouve à se satisfaire par l’emploi alterné de ces procédés indépendans et opposés. Un savant à la fois physicien, géomètre et astronome, comme Newton, par exemple, qui s’agenouille, et, quittant pour une heure l’algèbre et le télescope, affirme d’emblée l’existence d’un créateur immatériel de la matière, d’une cause non pas immanente en celle-ci, mais indépendante et providentielle des mouvemens sidéraux, sans déterminer d’ailleurs la relation qui rattache une essence impondérable à la pesanteur, ce savant abandonne la mécanique pour la religion. Il demande à un procédé intellectuel étranger à l’astronomie des résultats astronomiques la donnée première et la solution dernière du problème colossal dont la mécanique n’a pu encore et ne pourra sans doute jamais poser que des équations partielles. Aussi l’astronomie n’en est-elle pas plus avancée; ce n’est pas, en réalité, le physicien et le géomètre qu’il satisfait en lui, c’est le chrétien. Nous n’avons pas l’outrecuidance de l’en blâmer, nous voulons simplement constater l’étrange, mais réelle coexistence, dans le même penseur, des aptitudes et des préoccupations morales les plus opposées, et noter surtout leur complète indépendance respective, qui seule leur permet de coexister sans conflit. Mais cette indépendance même reste à expliquer. L’unité morale de la personne qui pense ne devrait-elle pas suffire à les mettre en communication et en hostilité? Comment l’esprit scientifique, si attentif aux définitions, si prudent quand il induit, si rigoureux quand il déduit, si scrupuleux quand il observe, si sobre d’hypothèses, si fier devant l’autorité des anciens, consent-il à abdiquer tous ses droits, à n’exiger des doctrines transcendantes ni évidence dans ce qui n’est pas défini ou démontré, ni prémisses indiscutables, ni possibilité de vérification dans les lois admises, ni critique défiante et sagace appliquée aux témoignages écrits, ni réserve enfin dans le respect qui leur est accordé, dès qu’il ne s’agit plus de l’espace, de la durée et des corps, mais du monde spirituel et moral, des objets les plus hauts et les plus importans de la pensée humaine? S’avouerait-il incompétent hors du monde matériel? Non, certes; l’esprit scientifique, c’est, à proprement parler, l’intelligence tout entière s’imposant la seule méthode qui ne l’expose pas à s’égarer et lui permette d’assurer le progrès à ses conquêtes. Tout ce qui se manifeste à la sensibilité, soit physique, soit morale, constitue, à proprement parler, un phénomène et comme tel doit pouvoir être classé parmi les matériaux de la science ; il n’est pas certain que la science arrive à s’assimiler tout ce qu’elle enregistre, mais il n’est pas certain non plus qu’elle n’en puisse jamais découvrir la loi. Toute doctrine qui répudie la méthode scientifique ou s’y dérobe devient, quelque noble qu’elle soit d’ailleurs, suspecte à la raison et elle n’évite pas l’alternative ou de lutter contre celle-ci avec désavantage ou de refuser le combat en affectant le mépris pour son adversaire. Pascal a choisi ce dernier parti en professant le scepticisme pour se retrancher dans la foi aveugle. Cette foi, il la puise dans son cœur. C’est que la sensibilité morale est précisément le facteur que ne nous avait pas fourni l’analyse de l’état intellectuel complexe et contradictoire du savant philosophe ou croyant, et qui nous est cependant indispensable pour expliquer la coexistence paisible en lui des disciplines les plus opposées. C’est une passion, en effet: à savoir la curiosité impatiente, qui fait taire les revendications de l’esprit scientifique pour pouvoir donner libre cours à la spéculation dont le savant philosophe espère obtenir la synthèse immédiate, mais prématurée, des connaissances acquises en un système définitif et complet. C’est une passion encore : à savoir le besoin de justice et de consolation, d’espoir et d’assistance, d’idéal réalisé dans un être parfait, qui endort la vigilance de l’esprit scientifique ou parvient même à le séduire, pour permettre au savant croyant de prier et d’adorer un Dieu infiniment aimable, infiniment bon, tout-puissant pour le bien, Vengeur des opprimés et dispensateur de félicités éternelles en récompense des efforts de la vertu. L’âme, malgré elle, aspire, et ses élans vers la vérité lui font oublier les âpres sentiers qui seuls y conduisent, mais combien lentement! Si le cœur préfère d’autres joies à celle de connaître, il n’aiguillonne plus la curiosité; si, au contraire, il préfère la joie de connaître à toutes les autres, il exaspère la curiosité, il précipite l’esprit passionnément sans boussole dans l’inconnu au-devant de la vérité ; et il risque alors de la côtoyer ou de la dépasser. Ainsi l’intelligence peut être desservie par la sensibilité morale de deux façons contraires également fâcheuses : l’apathie ou l’excès de zèle, la désertion ou la violence. Heureux le savant qui n’aime que la vérité, et qui l’aime assez pour n’en pas compromettre la découverte par son amour même!

Pascal ne semble pas avoir eu d’autre passion dominante; Mme Périer, sa sœur, l’affirme : « On peut dire que toujours et en toutes choses la vérité a été le seul objet de son esprit, puisque jamais rien ne l’a pu satisfaire que sa connaissance ; » mais, chez lui, l’ingérence du sentiment dans les choses de la pensée a peut-être été plus intempérante, plus fougueuse, et, par suite, plus dangereuse que chez tous les autres savans croyans ou philosophes. La foi procède du cœur; et c’est la foi qui, au nom de la vérité, l’a poussé au mépris de la raison humaine par une méconnaissance effrayante de sa propre mission, de son propre génie organisé pour la science; c’est la foi qui l’a poussé au pyrrhonisme en l’armant contre cette raison, sans laquelle il n’eût rien été.


II.

Pascal a sacrifié la raison au cœur dans sa polémique religieuse; en devons-nous conclure qu’il a attribué à celui-ci, en matière de connaissance, une autorité entièrement usurpée? Ou ne se pourrait-il pas qu’il eût seulement exagéré le rôle du sentiment dans la connaissance ; qu’il eût abusé de quelque indication juste, mais vague, du cœur pour en faire bénéficier le dogme chrétien en prêtant à cette indication un objet précis et bien déterminé ; qu’il eût, en un mot, transformé un pressentiment très obscur en une révélation dogmatique? Il n’est pas vraisemblable qu’une intelligence aussi complète et aussi forte qu’était la sienne ait été tout à fait dupe. On doit présumer que, s’il a adopté la tradition chrétienne dans la pleine maturité de son génie, après l’avoir passivement admise durant ses premières années, c’est qu’il y avait rencontré, outre l’intime satisfaction du plus impérieux penchant affectif de son cœur, de quoi répondre à quelque fonction intellectuelle du cœur même. Il croit, nous le savons, que toute révélation de la vérité n’est pas un fruit de la raison, a Le cœur a ses raisons, dit-il, que la raison ne connaît pas. » Cette parole célèbre, si elle est vraie, a une telle portée qu’il est impossible de la condamner avant de l’avoir examinée avec la plus scrupuleuse attention. Il ne s’agit pas de chercher si les indications du cœur sont des notions susceptibles d’affecter tous les caractères scientifiques : soit l’évidence par elles-mêmes, soit la démonstration par raisonnement déductif, soit la preuve expérimentale ; car on ne verrait pas alors en quoi les révélations du cœur différeraient des découvertes de l’entendement ; celui-ci opère toujours sur quelque donnée sensible, d’ordre physique ou moral. Mais il s’agit de savoir si un sentiment peut être, à quelque degré, dépositaire d’une notion, sinon précise, du moins objective, quoique indéterminée.

On dit les sentimens du cœur et aussi les mouvemens du cœur. Le mot émotions signifie ces deux choses réunies. Le mot cœur, dans son acception morale, désigne donc ordinairement cette double aptitude de l’âme à sentir et à se déterminer par le sentiment seul. Pascal y attache quelque chose de plus; il prête au cœur la faculté d’affirmer, aptitude supplémentaire fort importante à ses yeux, puisqu’elle lui permet de croire en se passant de la raison. Dans ce que nous allons dire, nous ne demanderons pas à celle-ci d’abdiquer, mais seulement d’admettre le témoignage du cœur au même titre que celui des sens, lorsque ce témoignage lui semblera aussi irrécusable, et de l’accepter, au moins, comme simple document dont l’esprit scientifique doit tenir compte sans pouvoir encore l’employer dans l’étage actuel de son édifice.

Tandis que la sensation, effet immédiat de l’impression de l’objet sur les nerfs, peut exister en nous indépendamment de toute idée et précède même la pensée pour lui fournir ses matériaux, le sentiment suppose toujours une idée, un jugement, si rudimentaire soit-il, porté sur sa cause. C’est là le point de contact du cœur avec l’esprit. Considérons le sentiment esthétique. Il implique la pensée, comme tous les autres, au moins à l’état de rêve. Le récit d’un trait d’héroïsme, d’un beau sacrifice, la vue d’un beau corps, d’un beau paysage, réels ou figurés, l’audition d’une belle symphonie, nous émeuvent; elles nous font rêver, ce qui est penser vaguement. Or cette pensée vague n’a-t-elle qu’un objet purement imaginaire, composé d’élémens tirés du réservoir de nos souvenirs, comme serait l’idée d’un cheval ailé, par exemple ? Ou bien a-t-elle quelque objet réel, bien que inaccessible et indistinct?

La réponse à cette question est de la plus haute importance, car il en pourrait résulter que l’esthétique ne fût pas toute subjective, et que la faculté d’admirer, révélatrice de quelque inconnu, participât des fonctions intellectuelles. La science n’est pas encore en état de résoudre ce problème ; nous en sommes réduits aux conjectures ; mais les solutions approximatives ne sont pas à dédaigner quand elles reposent sur des données que chacun peut trouver dans sa propre conscience et quand on n’en surfait pas l’exactitude. Nous sommes d’ailleurs tenus de ne rien négliger qui puisse expliquer l’acquiescement d’un génie tel que celui de Pascal aux doctrines mystiques, et il faut convenir qu’il y a dans cet acquiescement quelque présomption favorable au principe, sinon à la formule de ces doctrines. Nous savons que les perceptions de tout genre, visuelles, auditives, olfactives, etc., sont expressives, c’est-à-dire qu’elles ont quelque chose de commun avec les affections morales, avec les sentimens (le langage tout entier en témoigne), et qu’elles les éveillent en nous par leurs qualités agréables ou désagréables. Le plus souvent les sentimens qu’elles font naître en nous sont nettement définis et désignés par des noms : joie, tristesse, mélancolie, amour, tendresse, colère, etc. Mais les perceptions sensibles, celles de l’architecture et de la musique surtout, affectent parfois des qualités telles que les sentimens qui y correspondent n’ont plus de noms et prennent un caractère transcendant, supérieur à celui des passions définies, et déterminent une rêverie en quelque sorte ultra-terrestre. Cela est un fait d’observation, mais qui, à vrai dire, ne peut être constaté que par les artistes (exécutans ou non) sur eux-mêmes.

Remarquons que, dans la vie ordinaire, nous n’éprouvons tel ou tel sentiment qu’après avoir jugé que tel ou tel fait nous est favorable ou défavorable (à nous ou à autrui). Au contraire, en présence d’une belle forme, plastique ou musicale, nous commençons par éprouver le sentiment suscité par l’agréable qui l’exprime, sentiment sui generis qui n’est proprement ni la joie ni la peine sans mélange, et spontanément un rêve en nous s’y adapte ; c’est-à-dire que le jugement se forme après coup, un jugement sans précision qui cherche à motiver ce que nous sentons. En un mot, l’aspiration attribue au sentiment une cause lointaine et indéfinissable. Or l’aspiration n’est pas arbitraire; l’idée vague qu’elle implique n’est pas du tout un composé artificiel d’élémens puisés dans le milieu où nous vivons. Bien au contraire, ce qui nous émeut alors, c’est précisément ce que nous sentons d’étranger et de préférable à toute essence terrestre dans l’objet indéterminé et toutefois infiniment attrayant de notre aspiration. Cet idéal, tel qu’on l’appelle aujourd’hui, loin de nous apparaître comme une vaine fiction de notre esprit, nous subjugue, au contraire, et nous ravit, et il y a de la passivité dans le ravissement : nous y subissons une action secrète exercée sur nous par quelque chose qui n’appartient pas à notre milieu immédiat, terrestre, et qui, ne tombant distinctement sous aucun de nos sens, ne saurait être d’aucune manière imaginé par nous; de là son caractère vague et indéfinissable. Nous sentons seulement que l’objet de l’aspiration esthétique n’est pas un fait (en terme philosophique : un accident, un contingent) ; c’est quelque chose de stable, révélant un bonheur, actuellement irréalisable, impossessible, mais proposé de très loin à la possession; ce n’est que par une extase contemplative qu’on communique avec cet objet du vœu suprême. Ce n’en est pas moins une communication, si incomplète qu’elle soit, car l’idéal est exprimé en nous par la perception du beau plastique et musical : il a donc quelque chose de commun avec notre essence, avec le plus intime de notre être. Le sentiment que nous en avons serait donc objectif. Celui qu’éveille au plus profond de notre âme une belle action est, avec plus de probabilité encore, objectif. Dans ce cas, en effet, le jugement précède l’admiration. La victoire de la volonté réfléchie sur l’appétit sourd et sur l’instinct aveugle nous transporte, c’est-à-dire qu’elle nous porte, non plus au moyen d’un symbole, mais directement, aux derniers confins du monde terrestre et d’un monde où l’homme dépouillerait l’animalité égoïste et brutale pour ne garder de sa nature mixte que les caractères purement humains, ceux qui le différencient de la bête. L’héroïsme, l’oubli de soi-même pour la cause du bien, élève l’homme jusqu’à la limite supérieure de la vie terrestre condamnée, en deçà, au conflit des appétits individuels. À ce point de vue, le désintéressement revêt une beauté révélatrice encore de l’au-delà, car il est tout à fait irréductible à une origine animale, et c’est seulement par exception, chez la plus rare élite de l’humanité, qu’il touche à l’abnégation complète et fait naître l’admiration en devenant beau.

Ainsi le sentiment du Beau dans la nature, les arts et la morale aurait un objet situé hors de nos prises, mais dont nous aurions l’intuition dans notre conscience, et c’est là le fondement des actes spontanés de foi religieuse. On peut définir la foi : l’intuition et l’affirmation, sur le seul témoignage du cœur, de ce qu’on nomme la divinité, c’est-à-dire du postulat indispensable pour expliquer et justifier ce que nous voyons de l’Univers. Et c’est le Beau, imprimé dans les formes et manifesté aussi par les actions, qui en est le révélateur, qui est le texte sacré, la sainte écriture par excellence. Au fond, le sentiment du Beau est l’intuition instinctive du divin, la plus incontestable révélation religieuse. Il y a de la piété dans l’admiration; elle est grave, silencieuse. Le statuaire, devant un modèle féminin, dès qu’il a saisi l’ébauchoir, sent l’admiration chasser le désir. Dans la physionomie du modèle, l’expression esthétique efface même alors à ses yeux l’expression passionnelle de tous les sentimens nommés ; il ne voit plus que le beau plastique, symbole du divin.

Mais, dira-t-on, si l’objet de l’aspiration esthétique n’a rien de terrestre, comment, nous qui sommes terrestres, pouvons-nous avoir la moindre communication avec cet objet transcendant? L’objection, qui aurait pu nous arrêter tout d’abord, n’est que spécieuse. L’homme, en sa qualité de dernière et suprême production de la terre, est à la limite extrême qui sépare ce globe de la sphère supérieure, quelle qu’elle soit (à moins d’admettre, contre toute vraisemblance, que la série des êtres, évidemment ascensionnelle sur la terre, se termine à notre petit monde). Or une limite appartient à la fois aux deux choses qu’elle borne l’une par l’autre dans un milieu continu comme est l’espace, qui permet à toutes ses parties de communiquer, et où le monde spirituel lui-même a des attaches manifestes. Il y a donc nécessairement quelque point commun entre l’essence humaine, limite de la nature terrestre et de ce qui la dépasse, de ce que nous appelons le surnaturel, le divin, et celui-ci. Certainement, ce point ne contient pas tout le divin (de là vient que nous n’y pouvons qu’aspirer), mais il suffit à la communication de l’homme avec l’idéal. Il existe un pont, jeté par le Beau, entre la terre et le ciel, ou, plus exactement : entre l’essence la plus complexe et la plus digne qui soit liée à la terre, et le monde des essences encore supérieures qui s’échelonnent dans la population de l’infini. Nous pouvons donc admettre que l’esthétique a une valeur objective sans nous heurter à cette objection radicale, et nous avons reconnu qu’elle est dépositaire de la religion spontanée. Celle-ci, en germe au fond des âmes capables de sentir la majesté de la face humaine, la noblesse du sacrifice, l’épouvante sublime de l’infini, n’a par elle-même aucune formule précise, mais elle fournit à toutes les religions supérieures les plus diverses la matière que chacune d’elles élabore selon le génie particulier des races pour instituer ses dogmes propres, son Credo spécial. C’est cette commune origine esthétique de tous les cultes qui explique l’intime connexité qu’ils ont eue avec les arts chez tous les peuples.

La religion spontanée n’est pas ce qu’on appelle ordinairement la religion naturelle; il importe de bien distinguer la première de la seconde. Celle-ci naît de la réflexion appliquée aux concepts métaphysiques de l’absolu, du nécessaire, du parfait, de la cause première, etc.; celle-là ne suppose aucun effort intellectuel, elle est le simple sentiment religieux, prédisposition innée de l’âme. Sur cette prédisposition vient se greffer toute religion traditionnelle, et nous entendons par mysticisme la somme de ces deux élémens de la piété.

Cherchons donc quelle a pu être, dans les croyances de Pascal, la part de la religion spontanée telle que nous venons de la définir. On n’hésitera guère, tout d’abord, à admettre qu’elle fut héréditaire en lui. Elle implique une tendance à croire à des interventions surnaturelles dans la vie quotidienne, et confine aisément à la superstition. Or on reconnaît infailliblement cette tendance chez son père, en dépit de ses remarquables aptitudes aux sciences positives. L’anecdote prudemment omise par Mme Périer dans son récit de la vie de son frère, mais racontée par sa fille Marguerite, où l’on voit Etienne Pascal accepter comme redoutable un sort jeté par une sorcière sur le jeune Blaise et le conjurer par des pratiques absurdes et odieuses, cette anecdote atteste en lui la foi ou du moins une vague croyance au merveilleux. Nous ne savons malheureusement rien des penchans de la mère de Pascal en ce qui touche la religion, mais le document précédent suffit à nous édifier sur l’origine du sentiment religieux en lui. On ne saurait nier qu’il ne tînt de son père le principe de son génie scientifique, et dès lors on serait mal venu à contester qu’il ait hérité de son père aussi le principe de ce sentiment. Quoi qu’il en soit, examinons maintenant ce que la religion spontanée est devenue chez lui. Comme chez tous les hommes, depuis la formation des sociétés, le germe de l’inquiétude et de l’aspiration religieuses a reçu tout de suite d’une éducation traditionnelle le sens de son développement; ce germe n’a même pas eu le temps de prendre conscience de soi : «... Mon père, dit Mme Périer, ayant lui-même un très grand respect pour la religion, le lui avait inspiré dès l’enfance, lui donnant pour maxime que tout ce qui est l’objet de la foi ne le saurait être de la raison, et beaucoup moins y être soumis. » — Elle ajoute : « Il était comme un enfant ; et cette simplicité a régné en lui toute sa vie... »

Il n’est pas aisé, dans ces conditions, de découvrir à l’état pur, dans Pascal, les traces de la religion spontanée. Pendant toute son enfance et son adolescence, elles ne se décèlent que par son extrême docilité à accueillir et observer ce précepte paternel. Même en faisant la part très large au respect que lui inspirait la supériorité intellectuelle de son père, à l’ascendant de celui-ci sur son esprit, on est frappé de la prompte et complète satisfaction donnée à sa plus essentielle curiosité par le dogme chrétien sans l’aveu mûri de sa raison. Comme, d’ailleurs, l’indifférence n’est pour rien dans cette docilité, on est en droit de l’attribuer à une pente naturelle de son âme vers la religion. Si sa raison ne sent aucun sacrifice à faire, si elle n’a point à se résigner, c’est qu’elle s’en remet librement à la foi sur le principe transcendant de l’univers ; et si sa foi n’eût point rencontré chez autrui l’hérésie ou l’incrédulité, il est probable qu’elle fût demeurée inconsciente en lui comme tout autre penchant inné que rien ne contrarie. Mais nous devons à la contradiction des impies et des hérétiques, à sa lutte avec eux, les quelques témoignages qu’il nous a expressément donnés de son pur sentiment religieux. « On a beau dire, il faut avouer que la religion chrétienne a quelque chose d’étonnant. C’est parce que vous y êtes né, dira-t-on. Tant s’en faut : je me raidis contre, par cette raison-là même, de peur que cette prévention ne me suborne. Mais, quoique j’y sois né, je ne laisse pas de le trouver ainsi. » Par ces paroles, il remonte de l’enseignement traditionnel à la révélation naturelle ; car, en se plaçant hors du terrain de la tradition pour juger le christianisme, il le juge avec son sentiment religieux et il l’admire parce que celui-ci y trouve une entière satisfaction. — « Il n’y aurait pas tant de fausses religions s’il n’y en avait une véritable. « Il développe cette pensée dans des considérations qui n’empruntent rien à la doctrine chrétienne. Ailleurs, lorsqu’il signale, dans une page célèbre, l’étrange concomitance de la grandeur et de la bassesse dans la nature présente de l’homme, il ne commente pas un texte sacré, il observe directement la condition humaine, et il demande au dogme la solution du problème que sa conscience se pose; il lui demande de justifier la nature et de l’expliquer pour satisfaire le plus impérieux besoin de son âme, le besoin d’universelle perfection, qui est religieux : « La nature est telle qu’elle marque partout un Dieu perdu, et dans l’homme, et hors de l’homme, et une nature corrompue... » — «... Car n’est-il pas plus clair que le jour que nous sentons en nous-mêmes des caractères ineffaçables d’excellence? Et n’est-il pas aussi véritable que nous éprouvons à toute heure les effets de notre déplorable condition? » Enfin, tout le principe de la révélation naturelle est contenu dans le fragment fameux : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Je dis que le cœur aime l’Etre universel naturellement et soi-même naturellement, selon qu’il s’y adonne; et il se durcit contre l’un ou l’autre, à son choix. Vous avez rejeté l’un et conservé l’autre; est-ce par raison que vous aimez? C’est le cœur qui sent et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi : Dieu sensible au cœur, non à la raison.» Cette définition de la foi concorde avec celle que nous avons proposée plus haut, à cela près qu’elle précise et personnifie le divin et qu’elle en attribue au cœur non-seulement le témoignage, mais encore l’affirmation (comme le fait d’ailleurs Pascal pour tous les postulats géométriques ou autres) ; elle implique l’essentiel, à savoir une révélation du divin par le cœur, non par la tradition. Ce n’est pas la religion chrétienne qui a déposé dans le cœur de Pascal cette foi-là ; le christianisme en a seulement bénéficié quand, avant tout examen qui pût déterminer son choix entre les divers cultes, son père lui a, dès l’enfance, inculqué la préférence pour le dogme chrétien. Rien n’a jamais fait plus honneur à cette religion que d’avoir subi victorieusement l’épreuve, nous ne dirons pas de la raison, mais du cœur de l’un des plus dignes représentans du genre humain sur la terre ; elle peut se flatter d’avoir assouvi l’aspiration la plus insatiable et la plus haute. Malheureusement pour son autorité, elle n’a pas conquis le génie tout entier de Pascal ; elle ne s’en est pas assujetti la fonction capitale, la critique rationnelle, qui s’est détournée sur la physique et la géométrie. Si le chrétien eût employé à discuter les sources des livres saints la même sagacité puissante que le physicien apportait dans l’examen des conditions de l’équilibre des liqueurs, la même rigoureuse exactitude, la même pénétration qui permirent au géomètre d’instituer la théorie de la cycloïde sans le secours de l’algèbre, le dogme eût difficilement résisté à l’analyse implacable du savant ; mais le cœur n’en eût pas moins gardé ses droits dans le domaine de l’esthétique, c’est-à-dire du Beau révélant le divin tel que nous l’avons défini.


III.

Les écrits de Pascal ne fournissent pas un témoignage précis et complet de son sens esthétique. Il n’y manifeste nulle part son admiration pour aucune production particulière de la nature ou des beaux-arts. Son aperçu étrange sur la peinture est général, applicable à tous les arts représentatifs : « Quelle vanité que la peinture, qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire point les originaux ! » On en pourrait inférer qu’il ignorait les conditions et l’objet de ces arts. Dans son Discours sur les passions de l’amour, on trouve une théorie, toute platonicienne, du beau dans l’univers, et spécialement de la beauté corporelle. Mais ce n’est qu’une théorie ; l’observation du sens esthétique en autrui peut avoir suffi à la lui suggérer. Ce sont des vues abstraites qui ne supposent pas nécessairement l’émotion esthétique chez celui qui les a émises. On peut admettre sans témérité qu’il était médiocrement apte à jouir des beaux-arts. Il n’était artiste qu’en langage, mais il l’était à un degré extraordinaire. Mme Périer décrit très bien son éloquence : « Il avait une éloquence naturelle qui lui donnait une facilité merveilleuse à dire ce qu’il voulait ; mais il avait ajouté à cela des règles dont on ne s’était pas encore avisé, et dont il se servait si avantageusement qu’il était maître de son style ; en sorte que non-seulement il disait ce qu’il voulait, mais il le disait en la manière qu’il voulait, et son discours faisait l’effet qu’il s’était proposé. » Elle relève encore en lui ce qui fait vraiment l’artiste : l’originalité. « Et cette manière d’écrire naturelle, naïve et forte en même temps, lui était si propre et si particulière, qu’aussitôt qu’on vit paraître les Lettres au provincial, on vit bien qu’elles étaient de lui, quelque soin qu’il ait toujours pris de le cacher, même à ses proches. » Il possédait le sens le plus droit de la beauté littéraire, qui consiste dans la parfaite adaptation du signe verbal à l’idée, et du mouvement de la phrase au mouvement de l’âme. Il l’éloquence est une peinture de la pensée, et ainsi ceux qui, après avoir peint, ajoutent encore, font un tableau au lieu d’un portrait, » dit-il lui-même. Et ailleurs : « Quand on voit le style naturel, on est tout étonné et ravi, car on s’attendait devoir un auteur, et on trouve un homme... Ceux-là honorent bien la nature, qui lui apprennent qu’elle peut parler de tout, et même de théologie. » La beauté littéraire est en quelque sorte mathématique par la justesse du mot, et elle est musicale par la cadence de la phrase. En tant que musicale, elle est, au premier chef, expressive. Mais comme ce qu’elle exprime est la pensée même et l’émotion de l’écrivain, elle n’est révélatrice du divin qu’autant que l’une et l’autre y confinent par l’aspiration ; autrement dit, elle ne l’est qu’autant que la poésie est en jeu. Or Pascal éprouve en face des infinis, et dans la considération de la grandeur et de la misère humaines, un trouble éminemment poétique, le plus poétique possible ; son style reflète ce trouble, et en cela il est poète. Mais, par une étrange inconscience, il méconnaît tout à fait la portée du sentiment poétique. Il ne voit pas que c’est l’indéfinissable, le divin, qui fournit à la poésie sa matière propre. « Comme on dit beauté poétique, on devrait aussi dire beauté géométrique et beauté médicinale. Cependant on ne le dit point : et la raison en est qu’on sait bien quel est l’objet de la géométrie, et qu’il consiste en preuves, et quel est l’objet de la médecine, et qu’il consiste en la guérison ; mais on ne sait pas en quoi consiste l’agrément, qui est l’objet de la poésie. On ne sait ce que c’est que ce modèle naturel qu’il faut imiter ; et, à faute de cette connaissance, on a inventé de certains termes bizarres : siècle d’or, merveille de nos jours, fatal, etc., et on appelle ce jargon beauté poétique... » On voudrait bien pouvoir dire qu’il vise seulement ici la fausse poésie. Hélas! non : il condamne la vraie avec la fausse, par cela seul qu’il raille, dans la poésie, l’indétermination de son objet, par suite l’aspiration, qui en est l’essence même. Il ne s’aperçoit pas qu’une pareille critique dépasse de beaucoup son but; qu’elle n’atteint pas seulement la poésie littéraire, mais aussi le principe même du beau, la poésie plastique et musicale, ajoutons le sentiment religieux. Si, en effet, siècle d’or, merveille de nos jours, fatal,.. sont un jargon (ce que nous reconnaissons d’ailleurs), n’est-il pas à craindre que la tentative de conciliation entre le libre arbitre et la grâce, même au sens janséniste du mot, n’en ait engendré un plus aisé encore à ridiculiser? L’Homme-Dieu n’est-il pas une merveille? Le vocabulaire de tout idéal ne saurait être qu’un jargon, si l’on appelle ainsi un composé de termes sans exactes définitions. Le couple de mots ligne droite aux yeux de Pascal, en devrait être un, comme aussi celui d’Homme-Dieu. Mais il sent ce que c’est que la rectitude d’une ligne, il sent ce que signifie la divinité d’un rédempteur; le jargon devient pour lui le langage du cœur, il devient le Verbe!

Ne nous attardons pas à chercher dans l’écrivain, dans le grand artiste en langage, la tendance esthétique de Pascal vers le divin. Ce serait puéril. L’admiration qu’éveille chez ses lecteurs la beauté de son style, il ne l’éprouvait que très secondairement et en faisant violence à son humilité chrétienne. Il était touché de ce qu’il voulait dire plus que du signe verbal qu’il y attachait. Il savait gré, sans doute, à ce signe d’exprimer exactement sa pensée, mais la pensée seule le passionnait. Bien loin qu’il fût porté vers le divin par la conscience du beau littéraire, le chrétien, si éloquent dans les épreuves de la maladie, oubliait la forme de son oraison pour son oraison même et pour le Dieu qui l’entendait.

Le champ de l’esthétique est vaste; il faut chercher autre part, ailleurs que dans son génie littéraire, ailleurs surtout que dans le goût des arts révélateurs du beau par les formes sensibles, les indices de son penchant vers le divin : ce n’est point à un Michel-Ange ni à un Beethoven que nous avons affaire. Il s’agit d’un géomètre physicien, doublé d’un philosophe essentiellement moraliste; s’il n’eût rencontré, en venant au monde, aucune religion instituée, le sentiment de la dignité eût été spontanément religieux en lui. Il proclame et salue la beauté morale de l’essence humaine : « l’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser. Une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever, et non de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale. » Paroles mémorables qui lui vaudraient, à elles seules, la gratitude du genre humain. Il ajoute : «... Par l’espace, l’univers me comprend et m’engloutit comme un point; par la pensée, je le comprends. »

Mais son cœur frissonne aussitôt de cette téméraire étreinte de l’étendue sans bornes par sa pensée. L’infinité de l’espace le met en communication avec l’Infini divin, celui dont le mutisme ne peut durer sans lui faire sentir un effroyable abandon, peut-être une menace... « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. » Terreur sublime, dont le cri est la profession de foi religieuse de Pascal, sa profession de foi spontanée.


IV.

L’impression de l’infinité sur l’âme de Pascal a deux stades. En tant que géomètre, il est doué pour analyser la nature des deux infinis et, par suite, pour mettre en lumière ce qu’il y a de profondément intéressant pour la raison dans chacun d’eux et dans leur rapport entre eux. « Voilà l’admirable rapport que la nature a mis entre ces choses, dit-il dans le premier des deux fragmens où il traite De l’Esprit géométrique, et les deux merveilleuses infinités qu’elle a proposées aux hommes, non pas à concevoir, mais à admirer... » Puis, quand il passe de la considération abstraite et tout intérieure de l’infini mathématique à la contemplation de l’espace concret, de l’infini réel, cette réalité l’épouvante; il y sent vivre, en quelque sorte, le silence; dès lors, le merveilleux se transforme en sublime. La terreur succède à l’enthousiasme; l’admiration du savant satisfait devient l’anxiété de l’homme sondant l’abîme où il est suspendu. Dans les deux cas, le sentiment est esthétique, comme le merveilleux et le sublime qui l’éveillent. Remarquons que l’indétermination même de la mesure (l’in-fini) en est le principe de part et d’autre. Cette mesure échappe à l’étreinte de la pensée et la déborde. Mais tandis que, dans le premier cas, la grandeur géométrique est seule en jeu et qu’elle n’est objective que par l’origine empirique du concept, dans le second, l’immensité s’anime et prend une qualité morale. Son silence se révèle comme un inquiétant mutisme, et le concept n’a pas seulement, aux yeux du penseur, pour objet l’espace réel; il est accompagné d’une image sensible et, comme tel, il exprime; le cœur intervient et sent ce que, par lui-même, ne suppose pas le concept, à savoir un objet moral et indéterminé, par cela même redoutable, le divin. La perception de l’espace infini agit sur l’âme de Pascal comme une perception musicale, une symphonie de Beethoven sur l’âme d’un artiste. Que l’espace infini existe par lui-même ou par une nécessité supérieure à sa propre essence, il est de toute manière imposant, car il est divin par sa nature ou par son principe; le cœur de Pascal sent cela; et ce sentiment est religieux par une révélation indépendante de la loi chrétienne, d’un caractère tout esthétique, sublime. L’émotion religieuse retentit et se répercute dans le cerveau du savant d’une façon intéressante à noter : « Qui se considère de la sorte s’effraiera de soi-même, et, se considérant soutenu entre ces deux abîmes de l’infini et du néant, il tremblera à la vue de ces merveilles, et je crois que, sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler on silence qu’à les rechercher avec présomption. »

La conclusion du premier fragment de son traité De l’Esprit géométrique est importante : « Mais ceux qui verront clairement ces vérités (géométriques) pourront admirer la grandeur et la puissance de la nature (il ne s’agit ici que de la nature) dans cette double infinité qui nous environne de toutes parts et apprendre, par cette considération merveilleuse, à se connaître eux-mêmes, en se regardant placés entre une infinité et un néant d’étendue, entre une infinité et un néant de nombre, entre une infinité et un néant de mouvement, entre une infinité et un néant de temps. Sur quoi on peut apprendre à s’estimer à son juste prix et former des réflexions qui valent mieux que tout le reste de la géométrie même. »

Pascal, dans ce passage, n’envisageant que les infinis physiques, ne prouve qu’une chose en y comparant l’homme, c’est que la taille de celui-ci, la durée et l’activité de son corps, ne sont, en réalité, ni grandes ni petites, mais simplement de la quantité. Remarquons en passant qu’en pareille matière le langage trompe : la grandeur, synonyme de la quantité géométrique, n’a pas la même signification que grand, synonyme de beaucoup, qui a pour contraire petit, tandis que la grandeur, dans le sens de la quantité, n’a pas de contraire. Il en résulte cette logomachie qu’une valeur petite est une grandeur qui n’est pas grande. Les mots grand et petit n’ont, au fond, qu’un sens esthétique, mis en évidence quand on l’applique aux infinis; au lieu de dire l’infiniment grand et l’infiniment petit, on devrait dire la quantité infiniment accrue et infiniment décrue, ou, comme l’entendent les mathématiciens, la quantité indéfiniment croissante et la quantité indéfiniment décroissante ; indéterminément progressive d’une part, indéterminément régressive de l’autre. L’infiniment grand humilie l’homme physique; mais, en revanche, l’infiniment petit le relève d’autant. Si donc la valeur de l’homme ne s’estimait qu’à celle de ses attributs physiques, il n’y aurait même pas lieu d’en parler : elle ne serait ni grande ni petite en elle-même; elle ne ferait que surpasser ou n’atteindre pas tel ou tel terme arbitraire de comparaison; elle ne serait que de la quantité finie, dépourvue, comme telle, de tout sens esthétique, de toute portée morale. Dans ces conditions, apprendre, comme le dit Pascal, à s’estimer à son juste prix par la considération des infinis physiques, cela revient, pour l’homme, à placer sa valeur ailleurs que dans ses attributs physiques. Pascal, du reste, bien qu’il ne sente pas cette conséquence dans le morceau fameux où il humilie l’homme par l’infiniment grand, le reconnaît expressément dans un autre endroit. « l’homme est un roseau pensant. » C’est dans sa pensée que réside sa dignité; sa condition matérielle y est indifférente. « Ce n’est point de l’espace que je dois chercher ma dignité, etc. » Il ne s’ensuit pas que le volume des corps soit sans aucune relation avec leur complexité organique, laquelle se trouve liée à leur degré de dignité dans la série des êtres vivans. La complexité organique décroît évidemment quand le volume du corps dépasse un certain degré de petitesse. Mais au-dessus de cette limite, l’une n’est plus bornée par l’autre; la valeur cérébrale d’une espèce n’est nullement proportionnelle à la taille de ses individus.

Il existe un lien secret, d’un autre ordre, qui rattache la dignité humaine aux infinis physiques, et qu’on découvre en scrutant les méditations si pénétrantes de Pascal sur les deux infinités. Ce lien se manifeste dans l’émotion esthétique que ces infinis font naître, dans le divin qu’ils impliquent ou supposent. « Que l’homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté... » Le divin devient alors, sinon la commune mesure entre eux et l’essence humaine, du moins un lien. Il est leur fond commun, car il y a du divin dans l’homme. Pascal l’affirme comme il le sent : « Deux choses instruisent l’homme de toute sa nature : l’instinct et l’expérience. » Or, l’homme a l’instinct de son investiture supérieure : « Nous avons une idée si grande de l’âme de l’homme que nous ne pouvons souffrir d’en être méprisés et de n’être pas dans l’estime d’une âme; et toute la félicité des hommes consiste dans cette estime. » — « Il d’homme) estime si grande la raison de l’homme que, quelque avantage qu’il ait sur la terre, s’il n’est placé avantageusement aussi dans la raison de l’homme, il n’est pas content. C’est la plus belle place du monde... »

Mais s’il y a dans l’homme du divin, révélé au fond de sa conscience par le sentiment du beau moral, de la dignité, dont le principe est à la fois indéterminé et indéniable, vague et impérieux, il s’en faut cependant que tout y soit divin, qu’il se sente partait, réalisant un idéal. Aussi sa valeur morale flotte-t-elle entre le pariait et le pire, comme sa valeur physique entre l’infiniment grand et l’infiniment petit : « l’homme n’est ni ange, ni bête... » — « Il ne faut pas que l’homme croie qu’il est égal aux bêtes, ni aux anges, ni qu’il ignore l’un et l’autre, mais qu’il sache l’un et l’autre. De même pour la valeur intellectuelle : « Notre intelligence tient, dans l’ordre des choses intelligibles, le même rang que notre corps dans l’étendue de la nature... » — « Ce que nous avons d’être nous dérobe la connaissance des premiers principes, qui naissent du néant, et le peu que nous avons d’être nous cache la vue de l’infini. » De même pour les sens : « Nous n’apercevons rien d’extrême. Trop de bruit nous assourdit... Nous ne sentons ni l’extrême chaud ni l’extrême froid. » Ces assimilations de la catégorie de la qualité à celle de la quantité ne sont pas en tout exactes ; car si elles l’étaient, on ne pourrait pas plus dire de l’homme qu’il est bon ou mauvais en soi qu’on ne peut dire qu’il est en soi grand ou petit physiquement; son moral serait aussi indifférent à sa dignité que son physique. Mais il existe, au point de vue de l’estimation, une différence foncière entre ces deux catégories. Dans celle de la quantité, une valeur quelconque finie n’est ni grande ni petite par elle-même; la série est homogène de l’infiniment petit à l’infiniment grand, elle ne se partage pas en grandes valeurs finies et en petites valeurs finies. Dans la catégorie de la qualité, au contraire, la série du pire au parfait est discontinue et n’est pas homogène; elle se partage en valeurs bonnes et en valeurs mauvaises, et dans chaque portion une valeur quelconque garde sa qualité de bonne ou de mauvaise, qu’elle soit plus ou moins l’un ou l’autre, de même qu’une valeur quantitative quelconque reste quantitative, qu’elle soit plus ou moins élevée.

Dans le superbe morceau d’où nous avons tiré les citations précédentes, Pascal présente seulement le côté pessimiste de sa pensée touchant la dignité humaine. Il faut en rapprocher l’autre côté, tout optimiste, que nous avons examiné le premier. Ainsi complétée, il la résume avec une énergie singulière dans les paroles suivantes : « Quelle chimère est-ce donc que l’homme? quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige! Juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d’incertitude et d’erreur, gloire et rebut de l’univers. » — « … S’il se vante, je l’abaisse; s’il s’abaisse, je le vante, et le contredis toujours, jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il est un monstre incompréhensible. »


V.

Ce monstre est exactement celui que nous découvre la lecture des historiens, des observateurs moralistes, dont le plus curieux souci est de relever les contradictions du cœur humain; des poètes et des artistes, dont les aspirations se combattent sans cesse. Notre expérience propre nous fait surprendre, en nous-même comme en autrui, des instincts et des élans terriblement opposés. Nous ne pouvons concilier ces contraires avec l’unité de la personne morale. Le monstre est incompréhensible. Cependant, il existe et il faut l’expliquer. Jusque-là, Pascal n’a pas eu besoin de recourir au dogme chrétien, car la révélation par l’histoire, la vie et la conscience, des étranges alliages de la nature humaine, de son importance infime d’une part, colossale de l’autre, au milieu des deux infinités contraires qui se la disputent, cette révélation n’est pas essentiellement chrétienne. Quiconque déchoit de son idéal par ses actes, tout en y aspirant par ses vœux, quiconque frissonne devant la profondeur muette et peuplée de l’espace sans bornes, est initié par la seule émotion esthétique aux angoisses de Pascal et les ressent au même titre que lui, sinon dans la même mesure. Ce qu’il éprouve avec une intensité doublée par sa puissance d’analyse, d’autres, par la seule intuition naturelle, l’éprouvent aussi, moins vivement, sans doute ; mais leur émotion n’en est pas moins de même origine et de même qualité. Il ne s’agit encore, en effet, que de la révélation spontanée. Tout en reniant cette révélation avec horreur, parce qu’elle fait, sinon opposition, tout au moins concurrence à l’autre, à la révélation chrétienne, Pascal ne laisse pas d’en subir inconsciemment les suggestions. Il a beau dire : «... Sans l’Écriture, qui n’a que Jésus-Christ pour objet, nous ne connaissons rien et ne voyons qu’obscurité et confusion dans la nature de Dieu et dans la propre nature. » — «... Jésus-Christ, hors duquel toute communication avec Dieu est ôtée, » et à propos du déisme, idéal rationnel dont le souci dérive de la révélation spontanée : «... Et par là ils tombent dans l’athéisme ou dans le déisme, qui sont deux choses que la religion chrétienne abhorre presque également, » — néanmoins, par une contradiction inconsciente, il reconnaît en termes exprès dans le cœur humain des germes de révélation antérieurs aux actes de foi chrétienne, germes qu’il attribue à un ressouvenir latent de la condition première perdue par le péché originel, mais dont la fermentation s’explique aussi bien et plus simplement par le sentiment esthétique, par l’aspiration, tels que nous les avons définis. — « Malgré la vue de toutes nos misères, qui nous touchent, qui nous tiennent à la gorge, nous avons un instinct que nous ne pouvons réprimer, qui nous élève. » Et ailleurs : « Qui ne hait en soi son amour-propre et cet instinct qui le porte à se faire Dieu, est bien aveuglé. » Ce dernier instinct ressemble si fort au précédent que Pascal est téméraire de le haïr. Enfin cette secrète a inquiétude » de l’homme trouve l’expression de son objet dans la nature, qui reflète quelque chose de Dieu. « La nature a des perfections pour montrer qu’elle est l’image de Dieu, et des défauts pour montrer qu’elle n’en est que l’image. » La page sur le divertissement est une analyse de cette inquiétude. « Ils (les hommes) ont un instinct secret qui les porte à chercher le divertissement et l’occupation au dehors, qui Tient du ressentiment de leurs misères continuelles; et ils ont un autre instinct secret qui reste de la grandeur de notre première nature, qui leur fait connaître que le bonheur n’est, en effet, que dans le repos, et non pas dans le tumulte; et de ces deux instincts contraires, il se forme en eux un projet confus, qui se cache à leur vue dans le fond de leur âme, qui les porte à tendre au repos par l’agitation et à se figurer toujours que la satisfaction qu’ils n’ont point leur arrivera si, en surmontant quelques difficultés qu’ils envisagent, ils peuvent s’ouvrir par là la porte au repos. » Cette tendance au repos par la satisfaction, c’est l’aspiration qui pousse à agir. Pascal ne parle pas de l’aspiration qui sollicite à contempler, et qui est propre aux beaux-arts ; mais tacitement il en constate le germe en signalant la tendance à recouvrer la grandeur perdue, l’idéal. Que cet idéal de félicité soit réellement une grandeur perdue, comme il le croit d’après le témoignage de la Bible, ou un type à réaliser dans l’échelle ascendante de la vie, comme le peut suggérer l’audition d’une symphonie de Beethoven ou la contemplation du Parthénon, c’est autre chose, — et nous n’avons nul besoin de choisir entre ces deux hypothèses pour retenir ce qui importe à notre recherche présente. De quelque façon que Pascal ait interprété la révélation spontanée, en dépit de sa foi acquise, en dépit même de sa répugnance à ne point tout devoir à la grâce, il doit, bon gré mal gré, à cette révélation le divin malaise d’âme, la prédisposition morale qui est le plus essentiel fondement de sa foi chrétienne. La révélation chrétienne s’est assimilé la révélation spontanée et l’a formulée de manière à suffire à ce grand cœur; elle l’a d’ailleurs payée d’ingratitude : elle l’a reniée. Est-il vraisemblable que le pyrrhonisme ait eu raison, dans Pascal, d’une foi si profondément établie? N’était-elle pas indéracinable? Nous pensons que Pascal n’a jamais cessé d’être croyant, même à son insu, dans ses crises d’irrésolution, comme un homme qui se noie se débat dans l’eau qu’il ne peut fuir. L’examen de sa vie, à ce point de vue, confirmera plus loin les indications de la psychologie.


VI.

Pascal, par ascétisme, sinon par nature, semble indifférent, dans ses Pensées, aux manifestations du beau. S’il y était plus sensible ou moins hostile, il montrerait sans doute avec plus de clarté la part du cœur dans la révélation du divin. Il se borne à l’affirmer, et, comme le divin pour lui, c’est le Dieu du christianisme, il ne faut pas s’étonner que la foi dans l’Evangile supplée dans son âme le sentiment du beau, qui est aussi une profession de foi religieuse. Malheureusement sa croyance jalouse, ennemie de la raison, au lieu d’en être le sublime auxiliaire comme le sens esthétique, s’est appliquée à la ruiner. Mais voyons jusqu’à quel point son génie a été complice de sa foi. Examinons de près son prétendu scepticisme et cherchons quelle prise effective le doute a eue sur son cerveau. Nous remarquons d’abord que, aussitôt sorti de son oratoire, dès qu’il redevient géomètre et physicien, il revendique la véracité pour les propositions initiales des sciences exactes où il excelle, — il les reconnaît et les déclare indubitables, éminemment certaines. Cartésien alors sans le vouloir, il en trouve l’inébranlable assise dans la conscience même, à la commune racine du sentir et du connaître, à cette profondeur intime où ces deux fonctions psychiques ne se sont pas encore différenciées ; où ne s’est pas encore opérée entre elles la division, encore inutile, du travail moral; où l’idée s’identifie, dans l’acte de conscience, à l’affection sensible, et l’affirmation au concept même du fait ou du rapport affirmé, sans avoir à s’y enchaîner de loin par les anneaux du raisonnement. Dans ce domaine privilégié de l’intuition l’on ne saurait dire si l’on pense ou si l’on sent; l’un ne se distingue pas de l’autre. Aussi Pascal ne craint-il pas d’appliquer le mot cœur à l’intelligence intuitive. « Le cœur connaît la vérité. » — « Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace. » Pris dans cette acception hardie, c’est le cœur qui affirme toutes les propositions fondamentales, les axiomes de la géométrie au même titre que les principes de l’éthique ; le concept intuitif de la ligne droite relève du cœur aussi bien que celui de l’obligation morale. De là vient que l’évidence de ces concepts ne peut pas plus être illusoire que les affections sensibles, le plaisir ou la douleur, la joie ou la peine, le bleu ou le noir, le doux ou l’amer. On doit bien à la mémoire de Pascal d’admettre que, même s’il fût ne avant l’ère chrétienne, il n’eût pas manqué de ce qu’on nomme le sens moral, qu’il eût trouvé au fond de sa conscience l’aveu des droits d’autrui limitant les siens. On serait donc tenté de s’étonner qu’il soit si jaloux des privilèges de l’intuition quand il s’agit des sciences positives, et qu’il en fasse si bon marché, qu’il les méconnaisse à plaisir quand il s’agit de la morale et de la politique instituées par la raison. Mais cette inconséquence n’est que trop aisée à expliquer. La géométrie, la mécanique et la physique n’ont rien à attendre de la religion catholique; leur fondement est ailleurs, de sorte que, si le pyrrhonisme les atteignait, ces sciences seraient irrémédiablement infirmées; condamnation trop cruelle pour le génie de Pascal, fier malgré lui de ses découvertes et, quoi qu’en dise sa sœur, de l’admiration qu’elles lui conquièrent. Il n’en est pas de même de l’éthique. A ses yeux les fondemens rationnels de la morale et de la politique peuvent être ébranlés et ruinés sans le moindre inconvénient et même avec avantage. La religion catholique est là pour en recueillir les débris, pour les restaurer en leur communiquant la solidité qu’elle emprunte à ses propres fondemens tout divins. Le pyrrhonisme n’est qu’un bienfaisant démolisseur, car l’édifice est rebât désormais inébranlable par le Christ et les apôtres, le mortier païen ne vaut pas le sang des martyrs pour en cimenter les pierres. Le temple de Pallas Athéné ne s’est effondré que pour se relever éternel et plus haut dans les cathédrales de l’Église apostolique et romaine où la charité achève la justice en l’attendrissant. Singulier scepticisme, assurément bien inconnu des anciens, que ce sacrifice partiel des titres de la pensée humaine en retour d’une révélation divine, livrant au cœur les plus importantes vérités! Ce qu’il y a d’héroïquement désespéré dans le doute absolu de Pyrrhon fait place dans Pascal à une réserve intéressée sur un point, et à un échange léonin quant au reste. Il se sert du pyrrhonisme uniquement pour le besoin de la cause chrétienne, comme d’une arme dont le tranchant, inoffensif pour lui-même, ne menace que ses adversaires. En réalité, il ne met en suspicion ni la raison déductive, car il est géomètre ; ni la raison inductive, car il est physicien ; ni la raison intuitive en tant qu’elle fournit leurs principes à ces sciences organisées dont le progrès est assuré. Il ne s’en prend qu’aux disciplines encore chaotiques, non encore dignes du nom de sciences, dont la matière est la plus complexe et la méthode indéterminée, c’est-à-dire à celles qui composent l’éthique. Il abuse de ce qu’elles sont en formation pour y relever des jugemens contradictoires ou flottans et pour contester à la raison humaine sa compétence et son aptitude parce que, avant de saisir son objet, elle le retourne et le tâte ; comme si, même dans les sciences positives, le siège méthodique de la vérité n’avait pas été précédé de mille assauts désordonnés. Son scepticisme réel se réduit donc, en fin de compte, à une querelle d’Allemand faite par la foi à la raison, et se borne à constater que dans les sciences morales, lesquelles par leur nature même ne peuvent être systématisées que les dernières, la raison se contredit, s’embarrasse et se fourvoie encore. Pour ce motif à peine spécieux il suspecte, en tant seulement qu’elle s’applique à ces sciences, la légitimité de ses titres.

Hâtons-nous d’ajouter que la bonne foi de Pascal n’est point ici en cause. Il est également sincère, soit qu’il épouse le scepticisme entier de Montaigne pour rabattre l’orgueil de la raison qui prétend se suffire, soit, au contraire, qu’il proclame avec partialité, en faveur des seules sciences qu’il pratique, son absolue confiance dans les propositions évidentes et les données premières indéfinissables. Hors du domaine des sciences positives, l’unité de doctrine, loin d’être un gage de bonne foi, est toujours à quelque degré artificielle ; les contradictions latentes en sont de meilleurs garans. Aussi bien, chez Pascal, l’esprit scientifique et l’esprit chrétien ne se considèrent point comme solidaires. Ils le sont néanmoins, bon gré mal gré, à leur insu. Sans doute, le premier n’apporte pas au second l’appui de sa sévère critique (ce pourrait être un mauvais service), il ne discute ni le dogme ni les sources sacrées, mais il lui prête l’infaillible rigueur de sa logique dans les conséquences qu’il en tire, sa profondeur d’analyse dans l’examen d’une donnée quelconque une fois admise, et sa puissance de synthèse dans le rapprochement des rapports les plus lointains qu’il y découvre. L’esprit chrétien bénéficie de la dialectique serrée de l’esprit scientifique, sans se croire obligé, d’ailleurs, à lui rien fournir en retour; il en serait, à vrai dire, bien embarrassé.

Le scepticisme de Pascal, en ce qui touche les fondemens rationnels de la connaissance, est donc purement verbal et n’entame en rien ses convictions réelles de savant. Et, lors même qu’il fût parvenu à sacrifier l’usage de la raison comme il en reniait l’utilité, il n’en eût pas davantage été pyrrhonien ; la foi lui fût demeurée. Or, la foi est, à ses yeux, l’inexpugnable forteresse de la connaissance; il s’y cantonne avec une entière sécurité.


VII.

Ainsi Pascal n’a jamais été, à proprement parler, pyrrhonien, c’est-à-dire dans une incertitude absolue de ce qui existe, née d’une défiance absolue de tous les témoignages que l’homme en peut avoir. Nous savons que, loin de là, son doute s’est attaqué uniquement au témoignage des sens et de la raison, qui sont les armes de l’incrédulité religieuse, mais nullement à celui du cœur, qui est le siège de la foi. Comme d’ailleurs il n’a cessé d’expérimenter, d’induire, et de déduire avec pleine assurance pour son propre compte, on en peut conclure qu’il n’a réellement mis en suspicion la véracité d’aucune des sources de connaissance dont l’homme dispose. Nous avons relevé dans ses Pensées des traces de religion spontanée qui nous autorisent à admettre en lui une prédisposition innée à accepter d’abord sans examen, puis à n’examiner qu’avec un préjugé favorable, un dogme défini, celui qui formulerait le mieux pour lui sa religion spontanée, c’est-à-dire ses aspirations vers l’idéal inaccessible de son cœur et de son intelligence. Or l’idéal de son intelligence, ce qui explique à la fois l’origine, le développement et la fin de l’univers, il le reconnaît tout d’abord inaccessible. « s’il y a un Dieu, il est infiniment incompréhensible... Nous sommes incapables de connaître ni ce qu’il est ni s’il est. « Il faut admirer la franchise de cette déclaration ou plutôt la profondeur de pensée qui la lui impose. Ainsi, pour lui, la preuve de l’existence même de Dieu n’est pas confiée à la faculté de comprendre, mais à celle de sentir, à l’intuition du cœur, en un mot à un acte de foi. C’est dans cette conviction de Pascal qu’il faut chercher l’explication de son fameux pari proposé aux incrédules pour les amener à la pratique de la religion catholique. Nous n’examinerons point ce pari dans la présente étude, parce que nous en avons fait l’objet d’une analyse spéciale. L’Évangile n’exige pas du croyant autre chose qu’un acte de foi, et il répond parfaitement à l’idée que Pascal se faisait des limites de l’intelligence humaine. Quant à l’idéal de son cœur, c’est encore l’Evangile, le dogme chrétien qui le lui fournit en lui offrant une solution du problème moral le plus rebelle à la raison en même temps que le plus intolérable au cœur, à savoir l’existence du mal en dépit de la toute-puissance de Dieu qui est le Bien même. Il est remarquable que la question du libre arbitre et de la nécessité, qui est le fond de ce problème, regardée en face et tranchée avec tant d’audace par son contemporain Spinoza, semble avoir été par lui peu approfondie, presque éludée. On ne trouve dans ses Pensées, dépositaires des plus secrètes angoisses de sa conscience, rien qui trahisse un trouble sérieux à ce sujet, une gêne anxieuse dans la conciliation de la grâce et de la responsabilité. Il raille les jésuites avec une assurance qui étonne, car, s’il est facile de réduire leur doctrine à l’absurde, il ne le serait pas moins de relever les inconséquences de celle qu’il défend au nom des jansénistes. Il aime mieux adopter celle-ci que la discuter. Ce n’est pas sa raison qui y défère, mais elle n’y résiste pas non plus, elle ne fait que d’insuffisantes réserves. « Il n’est pas bon, dit-il dans ses Pensées, d’être trop libre. Il n’est pas bon d’avoir toutes les nécessités. » Ce juste milieu convient à la prudence plus qu’à la rigueur de son esprit, et n’est, au fond, pas plus rationnel que la doctrine des jésuites ni que celle des jansénistes, tout en s’éloignant de l’une et de l’autre également. C’est qu’il ne saurait y avoir de compromis entre le libre arbitre et la nécessité. Pascal ne veut pas en convenir avec lui-même; le dogme du péché originel, celui de la chute, celui de la rédemption, et tous ceux qui en découlent lui sont trop chers; ils s’accordent trop bien avec la conscience invincible que l’homme a de sa volonté libre et responsable; ils expliquent trop bien le sentiment obscur qu’il a de sa dignité initiale et de sa déchéance, de sa grandeur et de sa misère tout ensemble. La foi est précisément là pour suppléer à l’impuissance de la raison, pour en mater et en endormir les révoltes ; sa fonction même consiste à faire accepter l’incompréhensible, le divin. Pascal géomètre, physicien, ne reconnaît pas à la nature le droit d’imposer silence à la raison ; Pascal chrétien s’incline devant les défis que porte à celle-ci la divinité, qui passe la nature. « Il n’y a rien de si conforme à la raison que ce désaveu de la raison. » C’est elle-même, en effet, qui déclare Dieu incompréhensible. La foi n’infirme pas non plus l’autorité des sens : « La foi dit bien ce que les sens ne disent pas, mais non pas le contraire de ce qu’ils voient, elle est au-dessus, et non pas contre. » Sans cela le fondement des sciences expérimentales serait ruiné, ce qui répugne instinctivement au savant malgré le peu de cas qu’en fait le chrétien. Pascal les déclare volontiers vaines, mais les reconnaître fausses, jamais ! Il dit excellemment : « Deux excès : exclure la raison, n’admettre que la raison. » Voilà bien sa pensée « de derrière la tête, » qui n’est ni sceptique ni incrédule, mais parfaitement pondérée, distinguant ce qui est intelligible de ce qui ne l’est pas, assignant leur matière aux opérations de l’entendement, et la leur aux actes de loi, intuitions de la vérité par le cœur. Tout ce qui est tenu pour vrai, bien que échappant à la démonstration, est matière de foi et relève, à ce titre, de la fonction mentale du cœur : les postulats de la géométrie aussi bien que les décrets de la conscience morale, aussi bien que les attributs de Dieu et son existence même. Tout le reste est matière de science et relève de l’entendement pur, borné dans ses prises et dans sa portée. « Connaissons donc notre portée; nous sommes quelque chose et ne sommes pas tout. Ce que nous avons d’être nous dérobe la connaissance des premiers principes, qui naissent du néant, et le peu que nous avons d’être nous cache la vue de l’infini... Bornés en tout genre, cet état qui tient le milieu entre deux extrêmes se trouve en toutes nos impuissances. »


VIII.

Cette division capitale du champ de la connaissance humaine en deux parts, l’une religieuse, l’autre scientifique, Pascal l’avait reçue de son père avec une soumission facilitée par le respect filial et par un penchant natif à la piété. Sa mère n’avait guère pu que lui faire balbutier le mot Dieu, car elle mourut quand il n’avait que trois ans, mais son père la suppléa dans la première éducation religieuse, si aisément acceptée et si pénétrante. Aussitôt que l’éveil étonnamment précoce de la raison de l’enfant eût pu menacer les assises de sa croyance, le père en a prévenu le danger ; il l’a tout de suite averti que le savoir a deux formules différentes, deux provinces distinctes, séparées par une muraille infranchissable : le dogme catholique et la notion rationnelle. Dès lors la curiosité de l’enfant, endormie et refrénée du côté des principes transcendans, dont il n’était guère soucieux encore, s’est portée tout entière du côté de la création. Pourvu qu’on ne l’empêchât pas d’observer la nature, de chercher pourquoi et comment son assiette résonnait sous son couteau, il n’avait aucun motif de se refuser à faire sa prière. Il a subi la puissance incalculable de l’habitude qui lui joignait les mains à table pendant le bénédicité, le matin et le soir au pied de son lit. Cependant, son génie s’affirmait et se développait ; son père lui permit de lire Euclide (c’était plus sage que de lui laisser deviner) et bientôt, émerveillé de ses progrès, le fit assister aux réunions hebdomadaires de ses savans amis. Il est bien possible et même probable qu’à dater de cette double initiation, l’Evangile fut lu d’un regard moins arrêté, les sermons furent écoutés d’une oreille moins attentive. C’était moins du refroidissement peut-être que de la distraction. «... Comme il trouvait dans cette science (la géométrie) la vérité qu’il avait si ardemment cherchée, il en était si satisfait qu’il y mettait son esprit tout entier... » (Mme Périer.) On admettra sans peine aussi que les inquiétudes et les vagues rêveries de l’adolescence aient pu contribuer à quelque négligence des pieuses pratiques. Toujours est-il que, vers l’âge de vingt-quatre ans, il y eut dans l’âme du jeune homme un regain, sinon un retour, de ferveur religieuse : « Il avait été jusqu’alors, dit Mme Périer, préservé, par une protection de Dieu particulière, de tous les vices de la jeunesse, et ce qui est encore plus étrange à un esprit de cette trempe et de ce caractère, il ne s’était jamais porté au libertinage pour ce qui regarde la religion, ayant toujours borné sa curiosité aux choses naturelles. » Notons qu’à la même époque, à vingt-trois ans, il était si occupé de celles ci qu’il confirmait l’expérience de Torricelli par ses propres expériences; c’est la date de sa fameuse expérience du vide sur le Puy-de-Dôme. On est donc autorisé à penser que la passion religieuse était encore assoupie et latente en lui. Mais elle y couvait, n’attendant qu’un signe et une direction pour l’entraîner, lorsqu’il rencontra les deux gentilshommes, MM. de la Bouteillerie et Deslandes, au chevet du lit de son père, qui s’était démis une cuisse en tombant sur la glace. Ce furent ces pieux personnages qui lui mirent entre les mains l’ouvrage de Jansénius (Mme Périer, Vie de sa sœur Jacqueline). Dès lors, il appartint virtuellement à Port-Royal. L’explosion de sa piété fut si violente que « dès ce temps-là il renonça à toutes les autres connaissances pour s’appliquer uniquement à l’unique chose que Jésus Christ appelle nécessaire. » (Mme Périer.) Son intolérance, qui était la puissance même de sa logique appliquée à la conduite du croyant, se déclare aussitôt : sa sœur nous l’apprend dans le récit d’une anecdote très caractéristique. Mais elle a bien soin d’assurer, et nous la croyons sans peine, que Pascal et ses amis n’avaient « eu en cela aucun dessein de lui nuire (il s’agit d’un jeune hérétique) ni d’autre vue que de le détromper par lui-même, et l’empêcher de séduire les jeunes gens qui n’eussent pas été capables de discerner le vrai d’avec le faux dans des questions si subtiles. » Tout de suite aussi le prosélytisme s’enflamme en lui ; le voilà qui convertit son père à la pratique de la foi, sa sœur Jacqueline au renoncement du monde; toute la maison y passe, Il est déjà fort malade : sa santé, altérée dès l’âge de dix-huit ans, est décidément compromise; il éprouve des maux de tête très violens. C’est à cette époque qu’il composa la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies, où respire, non pas seulement la résignation la plus entière, mais bien davantage, un appel ardent à la douleur, à la destruction de ses forces. « Si j’ai eu le cœur plein de l’affection du monde pendant qu’il a eu quelque vigueur, anéantissez cette vigueur pour mon salut... »

Existe-t-il une corrélation telle entre son état cérébral et son exaltation religieuse qu’il faille considérer celle-ci comme morbide? Nous ne le croyons pas; il nous paraît bien délicat de décider si l’exercice immodéré d’une intelligence saine a déterminé les maux de tête ou si une lésion cérébrale préalable a déterminé, au contraire, la surexcitation mentale ; et, même en admettant cette dernière interprétation, pourrait-on fixer avec assurance la limite qui sépare la surexcitation mentale de la maladie mentale? Une méditation continûment cohérente comme était la sienne, exclut tout soupçon d’insanité ; quant aux inconséquences qui naissent, dans sa pensée, de sa double qualité de savant et de croyant, elles s’expliquent parfaitement par l’antagonisme latent, qui se déclarera plus tard, entre son génie scientifique et sa religion spontanée. Sa première conversion n’a été qu’une surprise, l’explosion et le triomphe soudain d’une tendance jusqu’alors balancée, primée par une tendance opposée qui tout à coup, refoulée à son tour, cédait la place avant même d’avoir eu à combattre. Mais celle-ci n’était pas vaincue. Le premier penchant qui, probablement héréditaire, constituait chez lui, comme chez un grand nombre d’hommes, la religion spontanée, devait bientôt entrer en conflit dans son âme, plus que dans toute autre, avec une tendance intellectuelle absolument contraire. L’humanité, en effet, a fourni peu de cerveaux comparables au sien pour le besoin de clarté et de certitude, peur l’aptitude à l’analyse qui prépare la lumière et à la démonstration qui la dirige et la concentre. Il était, par suite, inévitable que la rencontre fût orageuse et la lutte tragique entre son instinct de vénération devant l’abîme où s’enfonce et se voile l’éternel principe du monde phénoménal, et sa soif d’évidence, sa curiosité de savant qui le poussait à tout éclaircir sans limiter d’avance la carrière et l’audace de sa pensée, à affronter l’inconnu sans égard à la majesté du mystère. Il lui avait été bien plus facile de renoncer tout d’abord à examiner l’objet de son aveugle foi, qu’il ne lui fut ensuite aisé d’en interdire le regard à son intelligence après le lui avoir laissé tâter dans les ténèbres. « Il y a des gens qui n’ont pas le pouvoir de s’empêcher de songer et qui songent d’autant plus qu’on l’aura défendu. » Pensait-il à lui-même en écrivant cela? En tout cas, cette observation semble bien lui être applicable. Peut-être s’est-il efforcé d’abord de maintenir la barrière qui séparait sa foi de sa raison, son credo de ses méthodes scientifiques. Mais comment y eût-il réussi? L’invasion de la critique dans la croyance était fatale. Ce n’est pas du premier coup que le croyant obtint l’abdication du penseur. Écoutez le douloureux gémissement du vaincu qui ne se rend pas encore : «... Mais voyant trop pour nier et trop peu pour m’assurer, je suis dans un état à plaindre et où j’ai souvent souhaité cent fois que, si un Dieu la soutient (la nature), elle le marquât sans équivoque, et que, si les marques qu’elle en donne sont trompeuses, elle les supprimât tout à fait, qu’elle dît tout ou rien, afin que je visse quel parti je dois suivre; au lieu qu’en l’état où je suis, ignorant ce que je suis et ce que je dois faire, je ne connais ni ma condition ni mon devoir; mon cœur tend tout entier à connaître où est le vrai bien pour le suivre, rien ne me serait trop cher pour l’éternité. » A quelle époque cette crise succéda-t-elle dans l’âme de Pascal à la fougueuse ferveur qui, vers sa vingt-quatrième année, y avait signalé l’irruption de la foi zélée, agressive même, supplantant tout à coup la foi sommeillante? Il n’est guère possible de le préciser.

La transformation des états moraux s’opère le plus souvent sans secousses, insensiblement, soit par l’action sourde et constante d’un nouveau genre de vie, soit par le retour furtif de l’habitude ancienne violemment abandonnée, ce qui est, sans doute, la manière dont s’est refroidie l’ardeur de sa première conversion. Mais rien ne nous permet de supposer que ce refroidissement soit jamais allé jusqu’à l’indifférence. L’inquiétude intellectuelle, un moment paralysée, se réveillait peu à peu et ne tarda pas à troubler la sécurité de la foi victorieuse. Celle-ci tint bon, et, si l’équilibre s’établit entre elle et la raison, ce ne fut pas le repos, pas même une paix armée, mais, tout au contraire, le travail interne d’une lutte égale, le corps-à-corps de deux athlètes. Rien ne diffère davantage du scepticisme que cette angoisse fiévreuse et militante où le doute, loin d’être un oreiller, est un aiguillon. A vrai dire, il n’y avait pas doute dans l’âme de Pascal, mais combat. Il ne s’agissait pas pour lui de décider si Dieu existe, le cœur le lui affirmait; ni si les livres sacrés sont véridiques, l’idée ne lui est même pas venue d’employer sa puissante critique à en discuter l’authenticité. Il ne se demandait pas davantage si l’instrument de sa torture, si la raison, est solide ou vacillant. Ah! que Montaigne devait lui paraître heureux de pouvoir ne s’y pas confier ! Tout en méprisant le scepticisme indolent de ce sybarite de la pensée, il se complaisait à en compter les oscillations, comme s’il y eût rêvé pour son tourment héroïque un berceau défendu. Il n’avait pas encore, durant cette douloureuse agonie, sommé sa raison de rendre les armes à sa loi et de s’avouer impuissante et traîtresse. Il cessait de la dédaigner comme il l’avait fait au début de cette conversion juvénile; il l’exerçait de nouveau avec assurance, aux spéculations les plus hautes, dans les heures de répit que lui accordait sa misérable santé, parfois même pour oublier son mal. Il lui restitua enfin la prédominance dans sa vie morale, mais la foi, au lieu de s’endormir en lui, de retomber dans sa première quiétude, ne se résigna point à une tiédeur qui n’était pas pour elle une défaite ; elle veilla toujours comme un instinct, comme la soif, que le bruit, l’application peut faire oublier ou combattre, mais sans nullement l’éteindre. Cette soif de Dieu allait bientôt crier au milieu des agitations du monde et des travaux de la science. Nous approchons du moment décisif où une étincelle mettra le feu à la mine, où le chrétien aura reconquis tous ses droits sur le penseur. Nous sommes en 1654 : « Il s’ouvrit à moi, écrivait Jacqueline à Mme Périer, d’une manière qui me fit pitié en avouant qu’au milieu de ses occupations qui étaient grandes, et parmi toutes les choses qui pouvaient contribuer à lui faire aimer le monde et auxquelles on avait raison de le croire fort attaché, il était de telle sorte sollicité à quitter tout cela et par une aversion extrême qu’il avait des folies et des amusemens du monde, et par le reproche continuel que lui faisait sa conscience, qu’il se trouvait détaché de toutes choses à un point où il ne l’avait jamais été... »


IX.

C’est dans sa trente et unième année, à l’âge où Descartes estime que la maturité de l’esprit est complète et où il avait pris pleine confiance dans sa raison, que Pascal, au contraire, abdiquant la souveraineté de la sienne, opère sa conversion définitive. Cette conversion, ne l’oublions pas, n’est point un retour à la loi, car, à vrai dire, il ne l’avait pas perdue, il la possédait à l’état latent, inconscient, non encore contrôlée par un examen approfondi de la religion catholique, mais telle que son père la lui avait imposée et insinuée dès sa première enfance avec le concours de ses dispositions innées. Il est possible, et même fort probable, que la fréquentation de la haute société, où il brillait alors par sa réputation et par ses aptitudes éminentes et où il rencontrait des esprits libertins, avait troublé la sécurité première de ses croyances. Mais il avait conservé intact l’essentiel de son credo, la foi dans l’existence d’un Dieu unique, dans l’immortalité de l’âme, dans la révélation, dans la mission rédemptrice du Christ, dans l’authenticité des livres saints, fondement de ces dogmes capitaux. Sa conversion ne fut qu’un retour à l’exercice de la piété, retour fatalement déterminé par le fond mystique de son âme, mais sans doute précipité par la commotion cérébrale qu’il ressentit au pont de Neuilly, dans l’accident de carrosse dont le curé de Chambourcy nous a transmis la relation. Il est permis de regarder comme une suite de cet accident l’hallucination dont l’abbé Boileau, dans une de ses lettres, raconte que Pascal, vers cette époque, était affligé : il croyait toujours voir un abîme à son côté gauche. Quoi qu’il en soit, ces troubles morbides, tout accidentels, n’avaient nullement altéré ses facultés intellectuelles quand il subit, pendant la nuit du 23 novembre 1654, la crise décisive de son renouvellement religieux. Ce n’est pas un fou, certes, mais un chrétien en pleine possession de son esprit qui entra dans cette communication extraordinaire avec l’objet de son culte, car, deux ans après, ce même homme écrivait les Provinciales, dont la composition est aussi solide que le style en est merveilleux. Les phases de cette crise morale sont marquées sommairement comme par des signes mnémoniques, entièrement intelligibles à celui-là seul qui les a traversées, dans l’écrit qu’on trouva dans son habit après sa mort, et que publia pour la première fois Condorcet. Il ressort de ces brèves indications que, cette nuit-là, Pascal a directement « senti » l’existence de Dieu, « du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, » par une ardente et irrésistible invasion de la foi dans son âme; que cette intuition de la vérité souveraine lui a procuré une absolue « certitude » et « une paix » délicieuse ; que « le Dieu de Jésus-Christ » s’est, par une intime révélation, déclaré son Dieu; que l’adoration de ce Dieu, désormais exclusive, a définitivement supplanté dans son cœur le souci « du monde et de tout, » et que ce Dieu « ne se trouve que par les voies enseignées dans l’Évangile. » Dès lors il a pris conscience de a la grandeur de âme humaine, » à qui Dieu se communique. Il en éprouve un attendrissement ineffable : « Joie, joie, joie, pleurs de joie. » Mais il tremble soudain que Dieu ne le quitte comme il l’a déjà fait : « Que je n’en sois pas séparé éternellement !» — « Il ne se conserve que par les voies enseignées dans l’Évangile. » Il voit clairement que la vie éternelle consiste dans la connaissance du seul vrai Dieu et de Jésus-Christ. L’Évangile l’y conduira sous la tutelle de l’Église. Il abdique toute sa volonté entre les mains de son directeur. Il renonce entièrement aux attaches terrestres, et cette « renonciation totale » est « douce ; » il en savoure profondément la douceur dans une « soumission totale à Jésus-Christ et à son directeur. » Les épreuves de la vie passagère s’effacent à ses yeux devant l’éternité bienheureuse qu’elles promettent. « Eternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre. »

On devine, sans l’oser traduire, ce colloque sublime entre une grande âme, d’une aspiration sans bornes, et l’objet suprême de ses désirs qui répond à ses appels par un verbe ignoré de l’oreille, mais parfaitement distinct pour le cœur. L’accent de cet entretien extatique a sans doute différé peu de celui qui anime, dans la seconde partie du morceau intitulé le Mystère de Jésus, le pénétrant dialogue dont les dernières paroles : « Seigneur, je vous donne tout, » sont d’un abandon si simple et si passionné. La critique de ce phénomène mental ne saurait être, selon nous, trop circonspecte ni trop respectueuse. Il est loisible au physiologiste d’y voir un détraquement accidentel des fonctions du cerveau, mais il n’est pas moins permis au psychologue d’y reconnaître, au contraire, le rétablissement normal d’une paix intérieure troublée pendant huit ans par un conflit de penchans et d’aptitudes opposées, le triomphe définitif d’une tendance religieuse, innée et prédominante, sur une curiosité scientifique armée de génie, le dénoûment régulier d’un drame moral dont une des plus nobles consciences humaines a fourni le théâtre et les péripéties.


X.

En dernière analyse, tout ce qu’il y a d’énigmatique, au premier abord, dans la vie morale de Pascal, telle que ses écrits la révèlent, nous semble s’expliquer naturellement par ce qu’on sait touchant l’origine, la singulière énergie, et l’antagonisme de ses penchans et de ses aptitudes innés, par les différens milieux qui les ont favorisés, enfin par l’influence de son état maladif sur sa pensée. Pascal est né avec un fonds de religion spontanée et de mysticisme héréditaire et sans doute accumulé, car sa ferveur religieuse passait de beaucoup la piété de son père, enclin, quoique savant, à croire au surnaturel ; sa mère était sans doute pieuse aussi. Il est né, d’autre part, avec des facultés intellectuelles tout opposées à son penchant religieux, avec un génie scientifique également héréditaire et supérieur à celui de son père. Il était doué d’une sensibilité à la fois délicate et fière, vive et concentrée, qui, dans le domaine de la religion comme dans celui de la science, a régi son activité. Les moteurs passionnels de celle-ci furent, en outre, surexcités par une maladie obscure qui, procédant du cerveau, intéressait à coup sûr le système nerveux, et qui le tourmentait depuis l’âge de dix-huit ans. Il devint mélancolique sans perdre de sa fougue. La logique de son esprit n’en fut point altérée, car il fit des découvertes admirables en mathématiques pendant toute sa carrière jusqu’au moment où son mal atteignit la racine même de sa volonté, sa puissance de réflexion. Mais dans l’ordre des spéculations religieuses, où la raison a moins de part que la foi, où la passion s’associe aisément à la croyance, son zèle ne fit, en s’assombrissant, qu’exalter sa méditation. Tandis qu’en lui le penseur savant avait atteint à l’apogée de sa force, le penseur chrétien sentait se décupler la sienne, si bien qu’un jour l’équilibre instable où les aptitudes du premier tenaient en échec et balançaient le penchant mystique du second se rompit au profit de celui-ci.

La vie morale de Pascal se divise en cinq périodes nettement distinctes, dont chacune a rencontré pour se développer des conditions particulièrement propices. Pendant sa première enfance jusqu’au moment où l’attrait de la géométrie s’accentua chez lui au point de devenir irrésistible, il trouva dans son père, qui fut son seul maître, toute la complaisance désirable pour satisfaire sa curiosité générale et exercer son intelligence par d’ingénieuses leçons de choses et une saine culture littéraire: c’est uniquement pour ne lui susciter aucune distraction à l’étude des langues qu’il lui dissimula d’abord l’existence des mathématiques et lui en refusa l’initiation. Il donna d’ailleurs complète satisfaction à son tempérament mystique en lui enseignant le dogme et la pratique du catholicisme. Vers sa douzième année, sa curiosité de la physique, mais surtout des mathématiques, se déclare impérieuse, et l’on se rappelle dans quelles circonstances Etienne Pascal lui mit les Elémens d’Euclide entre les mains. Mais aussitôt (s’il ne l’avait déjà fait), il sauvegarda en lui le dépôt sacré de l’enseignement religieux, en séparant celui-ci par une barrière infranchissable de la sphère des sciences positives. Jusqu’à l’âge de vingt-trois ans, le jeune Blaise prit l’habitude de respecter cette démarcation, et se livra exclusivement et en toute liberté à sa passion pour la physique et les mathématiques. Il est permis de supposer que cette longue habitude marqua d’un pli profond, peut-être ineffaçable, sa façon d’envisager l’inconnu ; il le scinda en deux parts telles que chacune d’elles ressortissait à une fonction mentale toute spéciale, ayant sa compétence propre, l’une vouée à la connaissance du Créateur, l’autre affectée à celle de la création. Ainsi l’authenticité des livres saints a pu, dans son esprit, récuser la critique scientifique, et la nature s’accommoder du miracle. La révélation et la science ont pu être, à ses yeux, deux sources de vérité dont les flots ont deux lits distincts, qu’il est impossible et d’ailleurs inutile de mettre en communication. C’est dans cette période que sa santé, atteinte déjà par l’excès du travail, s’altéra décidément. A partir de sa vingt-troisième année une période nouvelle commence pour sa vie morale. Il semble d’abord que le mysticisme y fasse une irruption triomphante, mais nous avons vu que bientôt le commerce plus étendu et plus constant avec le monde a dissous peu à peu le rigorisme de sa piété. La solidité de sa foi a pu même être ébranlée par le contact d’une société de jeunes gens libertins d’esprit et de mœurs où l’avait poussé le besoin de diversion à ses travaux qui l’énervaient. C’est la période de la lutte aiguë entre son tempérament de mystique et son tempérament de savant. Le premier, favorisé par une maladie qui lui refusait les joies du cœur sur la terre, devait fatalement l’emporter sur le second. Il appartint désormais sans partage à l’ascétisme janséniste; son entraînement vers la religion ne rencontra plus de contrepoids. Mais sa piété, quelles qu’en aient pu être les oscillations dans son âme, n’y a pas un moment cessé de tendre à la stabilité sous la loi d’un indéracinable instinct. Le pyrrhonisme proprement dit, pas plus que l’indifférence, ne nous semble avoir pu supplanter en lui, un seul instant, dans le cours entier de sa vie morale, la foi du chrétien ni la certitude du savant.

Nous ne saurions donc voir dans Pascal le martyr du doute que nous présente une légende fort accréditée. Bien que la poésie y puisse perdre, il nous apparaît simplement comme un génie scientifique de la plus haute volée, engagé dans une âme religieuse au suprême degré, tant par nature que par éducation, dont le mysticisme fut exaspéré, dans le milieu le plus propre à le nourrir, par les suites cérébrales d’une longue et cruelle maladie.


SULLY PRUDHOMME.