Le Père Duchesne (n°85)

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Je ſuis le véritable pere Ducheſne, foutre !


Les derniers adieux
DU
PERE DUCHESNE,
A M. LAFAYETTE,
ET SA GRANDE COLERE
En voyant partir les ci-devant Gardes Françaiſes,




Adieu donc, général ; foutre, cette fois-ci, c’eſt tout de bon. La conſtitution avoit marqué votre tâche, la voilà remplie, & vous foutez le camp ; mais pourquoi tout ſe trouve-t-il ſans deſſus deſſous à votre départ ? Eſt-ce de cette maniere que vous prétendez vous faire regretter, ou bien croyez-vous vous rendre encore néceſſaire ?

Ces braves bougres à qui nous devons tout, ces Gardes-Françaiſes qui ont fait la révolution, qui nous ont ſauvé au riſque de perdre la vie, ſont payés de la plus noire ingratitude. Aprês leur avoir promis de ne les abandonner jamais, & de les regarder toujours comme nos freres & nos liberateurs, nous les congédions quand nous n’avons plus beſoin d’eux !

Tonnerre de dieu ! eſt-ce ainſi que doit agir une nation libre & généreuſe ? Quoi donc, foutre, des hommes qui ſe ſont expoſés à être pendus pour avoir refuſé de nous égorger, ſeront victimes de leur amour pour la patrie ! On leur a fait un crime de ſe plaindre ; pluſieurs ont été foutus au cachot pour avoir demandé juſtice. Enfin les pauvres bougres ſont auſſi avancés qu’ils l’étoient au commencement de juillet 1789, & quand Duchâtelet les commenderoit encore, ils ne ſeroient pas plus maltraités.

Mais dira-t-on, peut-on mieux faire pour eux ? La révolution eſt finie ; la ville de Paris peut-elle ſoutenir un auſſi lourd fardeau, a-t-elle le moyen d’entretenir toujours un corps de troupe ſoldée auſſi conſidérable ? Dequoi ſe plaignent les gardes françaiſes, ne les traite-t-on pas magnifiquement ? On crée exprès pour les remplacer pluſieurs régimens ?

Oui, foutre, voilà comme raiſonnoit André l’Epicier, lorſqu’il a fait paſſer le foutu décret, qui met aujourd’hui la diſcorde dans la garde nationale, et il ſera peut-être auſſi funeſte aux gardes-françaiſes, que celui de Nancy l’a été aux ſoldats de Château-Vieux, qui avoient comme eux refuſé de tirer ſur le peuple. Voilà donc, bougres d’ingrats que nous ſommes, comme nous récompenſons les plus grands bienfaits ! Qui ne voit pas, foutre, que tout cela eſt fait à la main ; qu’en traitant auſſi mal les ſoldats de la liberté, on veut en dégoûter tous ceux de l’armée, qu’on cherche pas-à-pas à les ramener à l’ancien régime, & à en faire encore une fois les bourreaux des citoyens, quand ils oſeront grouiller et parler de patrie & d’égalité ? Oui, foutre, je le répette, tout cela étoit tramé depuis long-tems. Par-tout on a cherché à ſoulever les ſoldats : on les a forcé de chaſſer leurs officiers afin d’avoir des torts à leur reprocher ; on les a tourmenté de mille manieres. On les a menacés des plus grands ſupplices, s’ils continuoient de défendre la conſtitution, & on leur a promis monts & merveilles, s’ils vouloient trahir la nation & ſe tourner du côté de ſes ennemis. Heureusement, foutre, qu’ils ont été inébranlables juſqu’à préſent ; mais ſi nous ſommes aſſes viédaſes pour les abandonner, à la fin ils ſe laſſeront. Alors, foutre, malheur à nous ! nous deviendrons les rebut de l’univers. Nous retrouverons plus d’amis puiſque nous agiſſons ſi mal, avec ceux à qui nous devons tout.

Général, foutre, voulez vous vous couvrir de gloire, & démentir tous les bruits qui courent ſur votre compte, écoutez le pere Ducheſne. On dit que c’eſt vous qui conduiſez toute cette marotte ; (je ne dis pas cela ſoit vrai) ; mais enfin, il vous eſt facile de le démentir. Ceux qui vous font ces reproches examinent votre conduite depuis le moment de la révolution, & ils prétendent que vous n’avez jamais été de franc jeu, que lorſqu’on vous offrit la place de général, vous n’avez conſenti à l’accepter qu’avec la permiſſion du roi & cependant il s’agiſſoit du ſalut de la patrie, de l’eſclavage, ou de la liberté, de la gloire ou de l’ignominie, & vous avez balancé une minute ! Puiſque le roi vous permit d’accepter cette place, il faut bien que vous ayez été, dit-on, d’intelligence avec lui. C’eſt alors, foutre, que les Gardes-Françaiſes ont commis un crime que vous ne leur avez jamais pardonné ; ils demanderent comme la plus grande récompenſe des ſervices qu’ils ont rendu à la patrie d’avoir un colonel a leur choix, & ce choix ne tomba point ſur vous ! Ils voulurent être commandés par le ſeul grand qui ait ſervi de bonne foi la cauſe du peuple, par celui, qui comme eux n’en a été payé que d’ingratitude. Vous avez été préféré à celui qu’on appeloit encore duc d’Orléans ; quel a été depuis ce tems-là le fort des Gardes-Françaiſes ?

Le voilà, foutre : on leur a ôté le plus beau titre qu’ils ponvoient porter, celui avec lequel ils avoient déterré la ſtatue de la liberté ſous les décombres de la Baſtille. Il eſt vrai qu’on leur a donné en apparence un auſſi beau nom, mais en les créant gardes nationales, on les a confondus avec les triſtes-à-pattes avec leſquels ils n’ont plus fait qu’un ſeul corps. On a créé des compagies de chaſſeurs, qui dans l’origine n’étoient que les galopins de la ferme, & qu’on a fini par rendre leurs égaux ; ces chaſſeurs ont eu l’audace de faire feu ſur eux à l’affaire de la Chapelle, & ils ſont reſtés impuni ! Au lieu d’être chaſſés comme ils le méritoient & comme tous les bons citoyens le demandoient, ces chaſſeurs ont été conſervés & même récompenſés, puisqu’on les a incorporés dans la garde nationale.

Les Grandes-Françaiſes, foutre, n’ont ceſſé au contraire d’être vexés de toutes manieres. On a fait ce qu’on a pu pour les dégoûter & les forcer à foutre le camp l’un après l’autre : enfin, pour enlever à la nation, d’un coup de filet ſes plus braves défenſeurs, on leur propoſa l’hiver dernier de les placer dans la maiſon militaire que l’on vouloit donner au roi.

C’eſt encore vous, général, qui foutiez ce croc-en-jambes à la révolution. Deviez-vous donc dans le moment des plus grands troubles, lorſqu’on travailloit à la conſtitution civile du clergé, & que les bougres de calotins remuoient de cul & de tête pour allumer la guerre civile, deviez-vous nous enlever les ſeuls ſoldats qui faiſoient notre eſpérance ? Comment, foutre, avez vous ſouffert encore qu’ils fuſſent commandés par des mouchards & des jean foutres, & deviez-vous dépouiller & chaſſer les grenadiers de l’Oratoire, parce qu’ils ne vouloient pas avoir pour capitaine un faute ruiſſeau dont ils avoient droit de ſe plaindre.

Général, foutre, voilà ce qu’on vous reproche. Je vous le dis, une ſeule démarche peut réparer tous ces torts ſi vous les avez eus. Joignez-vous à tous les bons citoyens qui voyent avec douleur s’éloigner d’eux leurs bienfaiteurs, ceux qui ont empêché leurs maiſons d’être pillées & brûlées, leurs femmes & leurs filles d’être violées par l’armée de Broglie. uniſſez-vous à nous, foutre, pour engager l’aſſemblée nationale à conſerver comme gardes nationales, & ſur le pied où ils ſont, les Gardes Françaiſes ſeulement ; tant qu’il en reſtera un ſeul, il nous rappelera un ſouvenir honorable. Cette conduite démentira tous les propos qu’on debite ſur votre compte. Vous vous réconcilierez avec le pere Ducheſne &, foutre, il vous ſera de bon cœur ſes derniers adieux.




De l’Imprimerie de TREMBLAY, rue Basse S. Denis, n. 11