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Le Quirinal et le Vatican depuis 1878/02

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Le Quirinal et le Vatican depuis 1878
Revue des Deux Mondes3e période, tome 59 (p. 752-785).
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LE
VATICAN ET LE QUIRINAL
DEPUIS 1878

II.[1]
LE PAPE LÉON XIII ET L’ITALIE SOUS LE REGIME DE LA LOI DES GARANTIES.

« La situation de la papauté est intolérable. » Qui s’est ainsi exprimé, et cela publiquement, et à plusieurs reprises? Ce n’est pas Pie IX, dans l’emportement d’une de ces éloquentes improvisations où l’impétueux vieillard exhalait librement ses colères, c’est Léon XIII, le pape politique et diplomate, au langage toujours mesuré et ne livrant rien au hasard, le pape dont les libéraux vantaient d’avance la modération et la prudence, le pontife pacificateur qui s’est manifestement donné pour mission de mettre partout un terme aux luttes religieuses. Le pays où les idées de transaction eussent été le mieux accueillies du pouvoir civil et de la masse des fidèles est celui où le saint-siège s’est montré le moins enclin à la conciliation ; l’état sur le territoire duquel la papauté a sa résidence est celui où l’église garde envers ses adversaires l’attitude la plus fière et la plus hautaine. S’il a signé la paix avec le tsar, protecteur officiel du schisme; si, dès son avènement, il a ouvert des négociations avec l’hérétique empereur que son prédécesseur traitait d’Attila; s’il témoigne tant de répugnance à rompre avec les libres penseurs qui gouvernent la France, Léon XIII se refuse à toute trêve avec la monarchie dont il habite la capitale. Au milieu de l’Italie unifiée, devant l’ennemi triomphant qui campe au pied de ses murs ouverts, le Vatican, sans espoir de secours du dehors, demeure comme une forteresse qui refuse de se rendre et de cesser le feu. Malgré ses défaites successives et l’abandon de ses anciens alliés, le saint-siège, loin d’accepter les conditions des vainqueurs, exige, pour négocier, qu’ils commencent par se retirer.

D’où vient cette persistante obstination à ne pas s’incliner devant les faits et à repousser des conditions que des vaincus pourraient trouver avantageuses ? Qu’y a-t-il au fond de cet inflexible Non possumus. encouragé par l’adhésion presque unanime de l’épiscopat? Est-ce rancune ou point d’honneur? Est-ce pieuse infatuation fondée sur de mystiques espérances en la prochaine intervention des puissances invisibles? Est-ce humaine confiance dans les retours de la fortune, calculs politiques sur l’instabilité des états et la mobilité des gouvernemens et des peuples? La situation du saint-père dans la Rome italienne est-elle aussi intolérable que se plaît à le répéter le circonspect successeur du véhément Pie IX? La politique de pacification inaugurée partout en Europe par Léon XIII est-elle hors de mise au sud des Alpes? En un mot, quel est le présent, quel est l’avenir que laisse à la papauté la sécularisation de Rome? De tous les problèmes posés par les révolutions contemporaines à la courte sagesse des hommes d’état et à l’ignorante présomption du siècle, il en est peu d’aussi délicats et d’aussi compliqués, parce qu’aucun n’offre autant de prise aux passions politiques ou religieuses et moins de prise à la force. Pour notre part, si nous osons l’étudier ici, c’est avec l’indépendante sincérité d’un esprit avant tout soucieux d’envisager les diverses faces des questions; c’est en spectateur ou en témoin, écoutant et laissant parler tour à tour les deux adversaires, gardant à l’un le respect auquel a droit plus que jamais dans son apparente déchéance la plus haute autorité morale du globe, et conservant pour l’autre la sympathie qu’impose à tout libéral un gouvernement qui d’une nation asservie a su faire un peuple libre.


I.

« Qu’avez-vous fait du pape et de la liberté de l’église? disent aux maîtres temporels de Rome les défenseurs attitrés ou les avocats officieux du saint-siège. Où sont vos promesses au monde catholique et de quelle façon avez-vous appliqué votre spécieuse devise de naguère: L’église libre dans l’état libre? Est-ce en ressuscitant indirectement l’exequatur et le placet royal, après en avoir hautement répudié l’héritage ? en contestant au pape la libre nomination des évêques après la lui avoir publiquement abandonnée? Est-ce en revendiquant, à Naples et en Sicile, vous, les spoliateurs du saint-siège, les privilèges du « patronat royal » concédé autrefois, en échange de ses services à la chaire romaine, à une dynastie renversée par vos intrigues? Est-ce en retirant perfidement à l’église de la main gauche ce que vous lui aviez solennellement donné de la main droite[2]? Est-ce en enrôlant dans vos troupes les clercs italiens et en dispersant les pacifiques milices qui, de tout temps, ont été les plus vaillans auxiliaires du saint-siège dans les grandes luttes du catholicisme? Si, à vos yeux, le pape et l’église sont libres dans votre Rome capitale, quelle idée vous faites-vous donc de leur liberté? Le pape est-il libre parce qu’il n’a pas les fers aux mains et qu’il ne gît point sur la paille au fond de la prison Mamertine ? Est-il libre parce qu’il habite le radieux palais des Bramante et des Raphaël, et qu’autour de lui se meut une petite cour ecclésiastique silencieuse et docile? parce que, au-dessous de la colonnade du Bernin, il n’y a pas de carabiniers italiens chargés d’interdire l’entrée de sa demeure et qu’on ne lui a pas encore défendu de recevoir l’obole des fidèles? Est-il libre parce qu’il peut circuler dans les longues galeries du Vatican, au pied des bustes ou des statues des Césars que le Christ a vaincus, et que l’été il peut, à toutes les heures du jour et de la nuit, respirer sans obstacle les miasmes de la fièvre dans les jardins du Vatican? Si c’est là le tout de la liberté pontificale, le saint-père est libre[3]. Mais est-ce pour cela seulement que le pape est pape? Est-ce pour vivre enfermé dans un palais, y écrire des encycliques et y fêter à huis-clos les solennités que votre présence lui interdit de célébrer publiquement dans les basiliques élevées par la papauté avec l’or de toutes les nations ? » À ces ardentes invectives, auxquelles un ancien ministre français prêtait naguère la chaleur de son éloquence, qu’opposent les défenseurs de l’Italie et de la monarchie unitaire? A y regarder de près, les plus habiles répondent par une série de distinctions. Toutes ces lamentations sur l’auguste captif du Vatican reposent, à les en croire, sur une triple ou quadruple confusion. Il y a confusion entre la situation de l’église dans le royaume d’Italie et la situation personnelle du souverain pontife à Rome ; confusion entre le pape, en tant que chef de la catholicité, et le pape, en tant qu’évêque de la ville éternelle ; confusion entre le rôle extérieur ou les pompes traditionnelles de la papauté et les fonctions essentielles du chef de l’église ; confusion enfin entre ce qui, depuis 1870, est la conséquence directe de la suppression de la royauté pontificale et ce qui est simplement le résultat de l’état de guerre actuel entre la chaire romaine et le pouvoir laïque. Pour faire justice de ces reproches, il n’y a qu’à distinguer entre eux.

L’épiscopat italien, affirment-ils, le clergé régulier et séculier du royaume, tous les corps ecclésiastiques de la péninsule pourraient être vexés et persécutés des Alpes à l’Etna sans que, pour cela, le pape fût gêné dans sa fonction cosmopolite de docteur ou de maître suprême du monde catholique. La nomination des évêques, la jouissance des menses épiscopales, le « patronat royal » de Naples et de Sicile, ce sont là des affaires proprement italiennes, qui ne touchent pas plus la liberté personnelle du pape que le choix des évêques en France, en Allemagne, en Amérique, aux antipodes. Il faut laisser là l’épiscopat et le clergé italiens, l’exequatur elle placet royal, choses dans lesquelles l’Italie est plus large que la plupart des états catholiques en paix avec l’église. Il faut oublier les congrégations, que la monarchie unitaire a supprimées comme corporations privilégiées officiellement reconnues, mais, qu’à l’inverse de plusieurs puissances catholiques, elle laisse se reformer librement sous ses yeux, reprendre au grand jour la vie commune, et racheter au nom de leurs membres les biens que l’on reproche au fisc de leur avoir enlevés. Ce sont là, encore une fois, des affaires d’ordre intérieur que chaque peuple règle à sa guise ; et, si les catholiques trouvent à cet égard les Italiens trop défians, hostiles même si l’on veut, comment ne voient-ils pas que cela tient pour une bonne part à l’hostilité que l’église n’a cessé de témoigner au nouveau royaume ?

« Quant au pape, en quoi, continuent les défenseurs de l’Italie, sa liberté de pontife a-t-elle jamais été entravée par nous ? Quelle est la liberté dont il a besoin ? N’est-ce pas celle de régler selon son jugement, ou mieux selon l’inspiration divine, la foi des fidèles et la morale catholique ? Eh bien ! qu’on nous cite un seul cas où cette autorité, le pape l’ait depuis treize ans exercée avec moins de liberté que lorsqu’il possédait encore un pouvoir temporel[4] ? Laquelle des fonctions du souverain pontife a été par nous interdite au pape ? Quand a-t-il, de notre part, rencontré des obstacles à la promulgation des dogmes, à la béatification des saints, à la condamnation des impies ? Quand a-t-il trouvé une barrière dans sa libre communication avec les fidèles ou avec l’épiscopat des deux mondes, avec les gouvernemens catholiques ou hétérodoxes ? Les actes mêmes du pape et du sacré-collège n’ont-ils pas, depuis 1870, hautement témoigné de leur liberté ? N’avons-nous pas entendu Pie IX flétrir impunément rois et empereurs, et n’avons-nous pas vu le conclave de 1878 élire un pape sans se préoccuper des vieilles prérogatives des puissances ?.. Léon XIII n’a-t-il pas canonisé Benoît Labre ? N’a-t-il pas auprès de lui des ambassadeurs qui ne lui soufflent pas toujours une politique sympathique à l’Italie ? Ne reçoit-il pas au Vatican des pèlerins, italiens ou étrangers, qui l’acclament dans l’enceinte même de la capitale avec des cris qu’en dehors du palais apostolique, l’autorité temporelle serait obligée de poursuivre comme séditieux ? Si, comme vous l’affirmez, le saint-père est gêné en quelque chose, s’il ne se sent pas libre, c’est uniquement dans le rôle tout extérieur de la papauté, dans la célébration publique de cérémonies auxquelles sa présence ne fait que donner un éclat de plus. Vous vous plaignez de ce qu’à la fête du Corpus Domini, Léon XIII ne puisse, agenouillé sur la sedia gestatoria, porter l’hostie consacrée autour de la colonnade du Bernin ; vous vous indignez qu’il ne puisse solennellement aller à Saint-Jean-de-Latran prendre possession de sa cathédrale traditionnelle ; mais, dans ce cas, c’est moins le pape que l’évêque de Rome qui est la victime des mauvais jours, et, ses fonctions d’évêque de Rome, le souverain pontife les exerce d’ordinaire, depuis des siècles, par l’intermédiaire du cardinal vicaire. Ni la procession du Corpus Domini sur la place Saint-Pierre, ni la bénédiction urbi et orbi du haut de la loggia de Maderno ne sont, pensons-nous, de l’essence des fonctions pontificales, et fût-il impossible à la papauté comme au catholicisme de se passer de ces fastueuses cérémonies, quand les avons-nous jamais prohibées ? Plus respectueux que d’autres gouvernemens des manifestations extérieures du culte, nous n’avons interdit à Léon XIII aucune procession, aucune pompe religieuse. Il ne dépend que de lui seul d’accomplir publiquement toutes ses fonctions d’évêque ou de pape. Qu’il s’asseye sur la sedia gestatoria, qu’il monte à la tribune de Saint-Pierre ou qu’il descende sur la place Vaticane, le chemin lui est ouvert. S’il ne le fait point, s’il persiste à s’enfermer dans son palais, ce n’est pas que nous l’y tenions emprisonné, c’est qu’en dépit des années, il s’obstine à porter devant les peuples le deuil de la royauté pontificale. Léon XIII est-il captif, il n’a d’autres chaînes que l’opiniâtreté de son entourage, il n’a d’autres geôliers que les conseillers qui le condamnent à demeurer cloîtré dans le Vatican[5]. »

« — Léon XIII, dites-vous, n’a qu’à sortir, répliquent les cléricaux ; il est maître d’officier à Saint-Pierre et dans les basiliques ; il peut à son aise se promener dans la ville ou la campagne ; mais, s’il se montre dans vos rues, lui garantissez-vous qu’il n’y rencontrera pas d’outrages, de violences mêmes ? Votre police saurait-elle mieux le protéger qu’elle ne fait les pèlerins impunément insultés aux portes du palais apostolique ? Si Léon XIII n’a pas quitté le Vatican, Pie IX, après la mort, est sorti de Saint-Pierre, et vous savez à travers quelles scènes de désordre le corps du bienheureux pontife est parvenu à Saint-Laurent hors les murs ? la haine des hordes de sectaires que vous abritez dans Rome aurait-elle eu plus de respect pour Léon XIII sortant de jour en carrosse que pour Pie IX mort, transporté de nuit à son tombeau ? Faudra-t-il, pour être en sécurité, que le saint-père sorte incognito ? Devra-t-il se déguiser ou ne sortir qu’en voiture fermée, fenêtres closes, comme un voleur qui a peur d’être reconnu ? Certes, s’il voulait vous embarrasser et démasquer votre hypocrisie, s’il ne craignait d’exposer sans nécessité la dignité pontificale, Léon XIII n’aurait qu’à suivre votre conseil, à monter en voiture et à franchir le pont Saint-Ange. Son passage dans le Corso provoquerait assurément plus d’émotion que celui du roi Humbert. Avez-vous songé à l’impression que ferait dans Rome une soudaine apparition du pape en soutane blanche, en camail rouge, traversant, dans son carrosse traditionnel, la place Colonna ou la place du Peuple ? Savez-vous quel retentissement aurait en Italie et dans tout l’univers catholique, l’hosanna des fidèles agenouillés, entremêlé au Crucifige des impies ? Votre police, presque également effarée des vivat des Romains et des imprécations des sectaires du dehors, serait bientôt contrainte de se déclarer incapable de maintenir l’ordre. S’il ne donne pas au monde cette démonstration pratique de votre impuissance à lui assurer la liberté, c’est que Léon XIII répugne à voir de ses yeux la ville des apôtres souillée par l’impiété et l’athéisme, à voir la croix arrachée du Capitole et le Calvaire renversé du Colisée, à être témoin enfin de la déchristianisation systématique et du travestissement païen de la métropole de l’église. »

À ce langage, les adversaires du pouvoir pontifical ne font pas faute de se récrier. Ils demandent ironiquement aux catholiques de quelle manière ils entendent la liberté d’un pape. Est-ce une garantie contre les attaques des fous ou l’insolence des exaltés ? « Certes, ripostent-ils, Léon XIII n’est pas libre si, pour sortir du Vatican, il veut être assuré qu’il verra tous les hommes se découvrir et toutes les femmes s’agenouiller devant lui ; s’il faut qu’on lui garantisse que personne ne lui jettera une parole d’insulte ou un coup de sifflet[6]. Mais, à une époque de passions religieuses et politiques comme la nôtre, qui donc, pape, roi, ou parlement est assuré d’être toujours respecté ? Quel pouvoir, quel souverain peut se flatter d’être à l’abri de l’outrage ou de la violence ? Le tsar de Russie peut sur son passage rencontrer des bombes et l’empereur d’Allemagne des arquebusades ; comment des contemporains de Solovief et de Sophie Perovsky, de Hœdel et de Nobiling, de Moncasi et de Passanante ne confesseraient-ils pas qu’à cet égard la royauté est une assurance manifestement insuffisante ? Vous prétendez qu’il n’y a de sécurité ni de liberté que dans la souveraineté ; et, d’après votre raisonnement, le monarque le plus absolu ne serait pas libre ! Mais pourquoi le pape se montrerait-il sous ce rapport plus exigeant ou plus timide que les princes dont la vie est en butte à mille conspirations ? Pourquoi redouterait-il plus une parole malsonnante ou un geste équivoque qu’un prince temporel une balle ou un poignard ? Car, jusqu’ici, malgré les haines amassées contre l’église, aucun bras en Italie ne s’est levé contre la vie du pape. Et, si quelqu’un a le droit de redouter une insulte plus qu’une bombe, est-ce le serviteur des serviteurs du Christ, le vicaire de celui qui a dit de tendre la seconde joue à la main qui vous frappe ? Non, prêter à Léon XIII de telle craintes, c’est faire injure à son caractère ou à sa piété. S’il n’ose paraître hors du Vatican, c’est moins par peur de dangers que son courage braverait sans hésitation, ou par appréhension d’inconvenances que notre police réprimerait promptement, que par crainte d’être accueilli dans les rues de Rome avec la pieuse vénération des uns et l’indifférence des autres, par crainte de montrer lui-même au monde qu’il est libre de ne plus pouvoir crier à la persécution et à la captivité. Là, pour les hôtes du Vatican est le vrai danger. Assurément, il peut être désagréable au saint-père de parcourir en simple particulier les rues de la ville où ses prédécesseurs ont si longtemps régné ; il peut lui être pénible d’assister en spectateur impuissant à la transformation moderne de Rome, à la sécularisation de la ville éternelle ; mais, de ce que, dans la Rome italienne, le pape serait exposé à rencontrer des spectacles choquans pour ses yeux, exposé à passer devant des chapelles hétérodoxes, naguère reléguées en dehors des murs, ou à découvrir à l’étalage des libraires des livres condamnés par l’index, s’ensuit-il vraiment que Léon XIII n’est pas libre de sortir du Vatican ? Eu quelle ville alors, en quelle capitale de l’Europe le souverain pontife se sentirait-il plus libre, car en quel pays moderne oserait-il se flatter d’échapper aux scandales qui pourraient blesser ses yeux dans les rues de la capitale de l’Italie ? »

Et, poussant à bout ce raisonnement, les avocats de Rome capitale se font fort de démontrer qu’en proclamant ainsi la liberté du pape inconciliable avec la laïcisation de la ville où il réside, on la déclare incompatible avec la liberté extérieure des cultes et des doctrines, c’est-à-dire avec notre civilisation et nos libertés modernes. Ce qui vous blesse à Rome, disent-ils à leurs adversaires, ce n’est pas une restriction à la liberté pontificale, mais bien la liberté accordée à tous, aux hérétiques, aux indifférens, aux libres penseurs aussi bien qu’aux catholiques. Ce que, d’après vous, les yeux du saint-père ne sauraient tolérer à Rome, ce dont vous vous montrez si choqués chez nous, c’est ce qui se voit partout ailleurs depuis déjà près d’un siècle. Si, pour qu’un pape se sente libre, il faut qu’il n’aperçoive rien sur son chemin qui méconnaisse son autorité, Léon XIII fait bien de s’enfermer dans les murs du Vatican, au milieu de ses marbres païens et de ses fresques chrétiennes. Évidemment, avec une pareille conception de la liberté, un pape ne peut être libre que dans la souveraineté, et dans une souveraineté absolue, théocratique et forcément tyrannique, qui des lois de l’église fasse les lois du pays, qui gouverne l’état comme un couvent ou un pensionnat. Et généralisant leur conclusion, les plus hardis la formulent en axiome : « Pour le pape comme pour l’église elle-même, nous le savons dès longtemps, il n’y a jamais eu de liberté que dans la domination. »

Il est hors de doute que le pape se considérant comme le représentant direct du Christ, comme l’organe vivant de la divinité, a une façon particulière d’entendre la liberté. Pour lui, comme pour beaucoup de fidèles, le pape n’est libre que là où son pouvoir spirituel est pleinement reconnu. Aux yeux d’un grand nombre de catholiques, la liberté du pape, la liberté même de l’église, consiste avant tout dans la reconnaissance de sa mission divine et dans le respect de ses commandemens : le libre exercice de son ministère leur semble lié à la soumission à ses lois. Cette manière de concevoir la liberté de l’église comme l’exercice de son autorité, en vertu de droits imprescriptibles devant lesquels les sociétés doivent se courber, est une des choses qui ont fourni le plus d’argumens aux ennemis du catholicisme, le plus de prétextes pour lui refuser, avec l’autorité qu’il réclamait, la liberté que des libéraux ne sauraient logiquement lui dénier. Une pareille difficulté doit naturellement être plus grande à Rome où siège le maître infaillible de la foi ; les catholiques s’y montrent plus enclins à confondre la liberté que tous lui doivent avec l’obéissance que les fidèles seuls lui peuvent témoigner[7].

Les droits et prétentions auxquels l’église a tant de peine à renoncer ailleurs, elle ne peut se résigner à les abandonner à Rome. Aux yeux du saint-siège et de la plupart des catholiques, Rome n’est pas une ville ordinaire ; ce n’est ni une cité italienne, ni une capitale moderne ; c’est la ville des apôtres et la métropole de la catholicité. C’est l’héritage de Pierre, la propriété de l’église universelle. Le respect, les droits, les privilèges qu’ils demandent pour leur chef, les fidèles sont tentés de les revendiquer pour la ville où ce chef réside. L’inviolabilité réclamée pour sa personne, ils voudraient l’étendre non-seulement à son palais, mais à tout le sol romain. Cette Rome que le saint-siège avait refaite à son usage et à son image, c’était pour la papauté et les fidèles une véritable ville sainte. La sécularisation de la cité des apôtres est à leurs yeux une profanation ; l’érection dans ses murailles d’écoles libres penseuses, la construction d’églises hétérodoxes, la publication de feuilles impies, leur semblent un sacrilège. On sait la honte et la douleur des chrétiens du moyen âge à la pensée que Jérusalem et le tombeau du Christ étaient aux mains des infidèles. Rome au pouvoir des Italiens, Rome souillée par l’impiété et contaminée par l’hérésie, inspire au clergé et à nombre de catholiques un sentiment analogue. A une autre époque, il en aurait pu sortir des croisades. Dans la conscience catholique, Rome faisait en quelque sorte partie de la papauté, le siège de Pierre et la ville éternelle s’étaient pour ainsi dire incorporés l’un à l’autre. Entre le Janicule consacré par la crucifixion du chef des apôtres et le Colisée baigné du sang des martyrs, la liberté des sectes, la liberté de la presse, la liberté d’enseignement, la liberté de réunion et d’association, avec leurs inévitables attaques à la foi catholique, prennent l’aspect d’outrage personnel à l’hôte du Vatican. L’apothéose publique de Garibaldi ou de Mazzini, un congrès de francs-maçons ou de libres penseurs, tel qu’il a été plusieurs fois question d’en convoquer à Rome, est dénoncé comme un attentat contre le souverain pontife.

La papauté a d’autant plus de peine à se résigner à la sécularisation de son antique capitale que, au milieu de la transformation de l’Europe moderne, elle s’était efforcée de conserver à Rome, au gouvernement, à l’administration, le caractère chrétien que la révolution a partout effacé ailleurs. Pour le saint-siège, le petit état romain n’était pas seulement une demeure tranquille ; aux yeux de ses maîtres, c’était un état modèle, le seul qui demeurât soumis aux lois de Dieu et de l’église, le seul qui s’efforçât de réaliser sur la terre l’image de la Jérusalem céleste. Ce qui, chez lui, semblait défaut à la plupart des laïques était vertu et qualité pour ses recteurs ecclésiastiques[8]. Avec l’occupation italienne, Rome est tombée de ce haut rang, elle a été ravalée au niveau des capitales vulgaires, elle a cessé de remplir sa vocation providentielle. Le pape ne peut pas, par sa présence dans les rues souillées de la nouvelle Jérusalem, avoir l’air d’en reconnaître la déchéance et d’en sanctionner la profanation. Une dernière considération, et non la moindre peut-être, a, depuis 1870, retenu le souverain pontife au fond de son palais solitaire. Quand il ne serait pas arrêté par la crainte de paraître consentir tacitement à ce qui pour lui est à la fois une spoliation et un sacrilège, le sentiment de sa dignité, de la dignité du siège apostolique suffirait à l’empêcher de franchir le seuil où veille sa garde suisse. Pas plus que Pie IX, Léon XIII ne redoute les injures, les sifflets, les menaces des fanatiques d’irréligion qu’il pourrait rencontrer sur son passage. Comme Pie IX, comme autrefois Pie VI ou Pie VII, il saurait au besoin braver d’autres dangers ; mais, de même que Pie IX, Léon XIII ne se croit pas permis d’exposer sans nécessite la dignité pontificale à des affronts ou à des injures. Le pape et le sacré-collège s’en pourraient même faire scrupule. On sait avec quel soin pieux le clergé et les fidèles ont de tout temps soustrait les choses saintes, la croix, les vases sacrés, les images ou les reliques des saints aux outrages des impies et aux profanations. Or, pour les catholiques, la personne même du pape, représentant de Dieu sur terre, image vivante du Christ, est chose sacro-sainte ; il serait coupable de l’exposer à l’irrévérence et aux indécens sarcasmes des incrédules.

À ce sentiment de religieuse vénération, qui, depuis les malheurs de la papauté surtout, entoure le pape d’un véritable culte, se joint le sentiment humain de la dignité. Toute dynastie, toute nation, tout parti politique a sa dignité. On ne saurait dénier à la dynastie pontificale, la plus haute assurément de toutes celles qui ont prétendu régner sur le monde, le soin de veiller à la sienne. Dans tous les débats sur la situation du pape à Rome, on est trop enclin à l’oublier, la dignité du souverain pontife ne tient pas une moindre place que sa liberté. Les papes ne sont guère moins sensibles aux blessures faites à l’une qu’aux entraves apportées à l’autre. Dans tous leurs discours, Léon XIII et Pie IX n’ont jamais séparé la première de la seconde[9]. Rien de plus naturel, et les adversaires du Vatican ne pourraient s’en montrer étonnés. Le gouvernement italien ne s’y est pas mépris ; la loi même des garanties a prétendu pourvoir à la dignité aussi bien qu’à la liberté du pontife romain. Après avoir signalé les griefs et les argumens des deux parties, il est temps d’examiner ce que valent ces garanties offertes par l’Italie au saint-siège, jusqu’à quel point elles lui assurent ce double bien : dignité et liberté.


II.

Nous ne nous arrêterons pas ici à l’objection préalable, à l’espèce de fin de non-recevoir des défenseurs du saint-siège, lorsqu’ils soutiennent que la loi des garanties ne garantit rien, puisqu’elle peut être supprimée comme elle a été faite, par un vote du parlement. En ce sens, il est vrai, on peut dire que la liberté du pape est à la merci d’une voix de majorité au Monte-Citorio et au Palais-Madama ; d’autant que cette loi de 1871, bien que les jurisconsultes et le conseil d’état l’aient qualifiée de loi fondamentale, n’est pas, strictement parlant, une loi constitutionnelle. Il lui manque, par suite, la solidité des clauses du pacte national ; pour l’attaquer, on peut même s’appuyer sur certains articles du statut. Ce vice originel des garanties pontificales, les défenseurs de la loi italienne sont, en revanche, fondés à dire que la responsabilité en revient surtout au saint-siège et au Non possumus. Si le Vatican y eût consenti, s’il en eût accepté le principe et les bases, cette loi parlementaire eût été volontiers convertie par l’Italie de 1870 en contrat bilatéral, en concordat perpétuel entre la chaire romaine et la jeune monarchie unitaire. L’accord fait entre les deux puissance intéressées, il eût été relativement aisé de lui donner pour sanction un engagement international. Au lendemain de l’occupation de la métropole papale, l’Italie eût, à ce prix, acheté sans marchander la reconnaissance de l’annexion de Rome avec la ratification de la chute du pouvoir temporel et la clôture définitive des longues discussions soulevées par la question romaine. Aujourd’hui qu’elle est depuis treize ans en possession de Rome, après y avoir installé sa capitale sans recevoir de remontrances de personne, après avoir vu les puissances lui laisser régler par une loi intérieure une question qui les intéressait toutes, l’Italie aurait singulièrement plus de répugnance à soumettre à une garantie collective des états ce que la diplomatie a naguère permis à son parlement de trancher seul. Si jamais il doit y avoir un rapprochement entre la curie romaine et la monarchie unitaire, ce sera là cependant l’une des premières conditions de la papauté, et, de toutes les difficultés d’une telle entente, ce ne sera pas la moindre.

Laissant de côté cette question en quelque sorte préjudicielle, revenons à la situation faite au pape par la loi des garanties, sauf à chercher plus tard quel peut être le garant de ces garanties. En enlevant au pape les derniers débris de son domaine temporel, le gouvernement italien devait, pour tranquilliser les puissances et les catholiques du monde entier, pourvoir à la fois d’une autre manière à l’indépendance spirituelle et à l’entretien matériel du saint-siège. Le problème posé devant les législateurs réunis à Florence en 1871 était double. C’est à tort que l’opinion n’envisage souvent qu’un côté de la question, ce qui touche l’indépendance pontificale. Historiquement, les états du saint-père lui avaient été donnés moins peut-être pour garantir sa liberté que pour lui assurer des moyens d’existence. Dans les dernières années de la royauté pontificale, les états du pape, réduits en étendue, appauvris et mal administrés, remplissaient bien imparfaitement cette mission ; mais il en était de même de la première. En fait, on peut soutenir que la royauté temporelle du saint-siège avait cessé de garantir l’existence matérielle aussi bien que l’indépendance politique du souverain pontife. Pour l’une comme pour l’autre. Pie IX était obligé de recourir à l’étranger ; le saint-siège ne pouvait pas plus se passer des subsides que des soldats du dehors. À ce double point de vue, le pouvoir temporel des papes avait fini par faillir à sa mission ; des historiens ont même prétendu qu’il n’y avait jamais entièrement suffi. N’importe, la royauté pontificale avait beau, sous les derniers papes, avoir à tous égards perdu de son efficacité, il n’en fallait pas moins, en la supprimant, la remplacer dans la double fonction dont elle s’était acquittée tant bien que mal durant plus de onze siècles.

L’occupation de Rome par les Italiens n’a pas seulement atteint le saint-siège dans son indépendance temporelle, mais en un sens dans son indépendance matérielle, économique. Ce que la papauté a perdu en 1870, ce n’est pas seulement sa couronne temporelle, sa royauté, c’est, avec ses états et sa capitale, ses propriétés, ses immeubles, ses revenus, ses moyens d’existence. La médiatisation du pape et de l’état romain a eu pour conséquence la sécularisation de Rome et des biens de l’église romaine. C’est là un des faits qui ont le plus blessé le saint-siège et mis le plus d’obstacle à l’acquiescement du Vatican au nouvel ordre de choses.

À son entrée dans la ville éternelle par la brèche de la porta Pia, le gouvernement unitaire eût pu distinguer entre la souveraineté pontificale et les biens de l’église, entre la royauté du pape et les propriétés de la papauté. En supprimant la royauté, il lui eût été loisible de respecter la propriété, de conserver au chef de l’église et à ses organes séculaires les biens, les terres qui leur avaient été légués par la piété des âges, les monumens que les papes avaient bâtis avec les offrandes de la catholicité. De cette façon, en perdant sa souveraineté, le saint-siège eût conservé le principal garant de la liberté dans nos sociétés, sur lesquelles règnent plus que jamais la fortune, le capital. Le successeur de Pie IX fût demeuré indépendant, dans le sens le plus vulgaire du mot, mais non le moins juste.

Il y avait à Rome et, autour de Rome, dans le vaste cirque de la campagna, des biens considérables, affectés depuis des siècles à des usages pieux sous le contrôle ecclésiastique. Ces biens, ces maisons, ces terres, on pouvait en reconnaître la propriété et la libre jouissance à l’église romaine. Si la papauté en dehors de ses palais, n’avait pas de biens propres, on pouvait, sur les biens des congrégations et des diverses institutions religieuses, constituer au saint-siège une sorte de dotation perpétuelle, dont les papes eussent été maîtres de disposer à leur gré. La situation de la papauté était assez unique dans le monde pour mériter une dérogation aux idées courantes en Italie, comme en France, sur la mainmorte. L’intérêt politique eût excusé une infidélité aux principes ou aux préjugés de nos législations modernes. En pareille occurrence, des Anglais, des Américains, les peuples qui comprennent le mieux la liberté et spécialement la liberté d’association et la liberté religieuse, eussent agi d’une tout autre manière que les Italiens. Ils eussent soigneusement séparé la propriété de la souveraineté ; ils se fussent montrés d’autant plus respectueux de la première qu’ils étaient obligés de porter la main sur la seconde.

Les Italiens, avec l’esprit de logique à outrance qu’ils ont en partie emprunté de nous et en partie hérité des juristes romains, les Italiens n’ont voulu s’écarter en aucune manière de leurs maximes sur les biens d’église et la mainmorte. Ils n’ont pas accordé au pape ce que, dans une certaine mesure, ils ont, temporairement au moins, toléré chez les curés des paroisses : des biens dont le prêtre pût vivre. La longue confusion faite durant des siècles entre la propriété et la souveraineté, l’antique confusion qui, depuis Charlemagne et la comtesse Mathilde, depuis la prétendue donation de Constantin, avait tant de fois tourné au profit de l’église, la maison de Savoie l’a en quelque sorte refaite en sens inverse, aux dépens de l’église et du saint-siège, enlevant à la fois au clergé romain les états que lui avaient reconnus les princes et les terres que lui avaient données les particuliers. En annexant les états de l’église, elle a incaméré, c’est-à-dire confisqué les biens ecclésiastiques.

Le gouvernement royal a cru devoir appliquer à Rome, sauf quelques minimes exceptions, les mêmes lois qu’à l’ensemble du royaume, qu’aux vieilles provinces piémontaises ou aux nouvelles provinces annexées. La capitale du monde catholique a été traitée comme la capitale de la Lombardie ou de la Toscane. Le Vatican sait peu de gré aux Italiens des quelques dérogations à leurs pratiques admises en sa faveur ; il se plaint qu’on en ait usé avec le saint-siège comme avec les congrégations, et avec le pape comme avec un moine.

« C’est là, me disait, il y a quelques mois, un savant catholique, membre du conseil municipal de Rome, c’est là un des faits qui dominent la situation actuelle et sur lesquels il est déjà malaisé de revenir. En appliquant à Rome, avec une impolitique rigueur, la loi sur les biens ecclésiastiques, en rançonnant jusqu’aux œuvres pontificales les plus inoffensives pour l’état et les plus méritoires pour la civilisation, telles que la Propagande ; le parlement italien, non content de découronner la papauté et l’église romaine, l’a spoliée de son patrimoine, frustrée de son héritage séculaire. On l’a sciemment dépouillée de ce qui la faisait vivre, elle et ses œuvres, car l’église romaine est un grand gouvernement spirituel qui ne peut fonctionner sans ses organes historiques, ses congrégations, ses administrations multiples. Ce n’est pas ce que se proposaient les premiers initiateurs du grand mouvement national, ce que projetait, assure-t-on, Cavour lui-même. Il eût autrement traduit la formule : Libera chiesa in libero stato. Avec les biens ecclésiastiques il eût constitué à la papauté un domaine indépendant, une dotation insaisissable dont elle eût pu vivre avec honneur[10]. Les successeurs de Cavour ont bien senti qu’ils ne pouvaient enlever à la chaire de Saint-Pierre ses revenus publics ou privés, sans lui donner quelque chose en compensation ; mais que lui ont-ils offert en échange de sa couronne ? Des valeurs ou des capitaux qu’elle pût administrer ou faire valoir à sa guise ? Nullement. Le grand-duc de Toscane, les princes dépossédés ont pu recouvrer leurs biens de famille ou leurs anciens apanages ; le pape n’a rien gardé du domaine privé de ses prédécesseurs. Au lieu de biens qu’il pût gérer librement, on lui a voté une subvention annuelle, un subside de l’état, en un mot un traitement, c’est-à-dire, de quelque nom qu’on le décore, un salaire, une pension, essentiellement précaire et révocable, qui aurait besoin d’être votée, comme tout article du budget ; qui pourrait être supprimée, comme elle a été établie, par un vote ; qui, ainsi qu’on l’a vu récemment chez vous, pourrait même à certains jours être suspendue par mesure administrative, par simple décision ministérielle. Et, alors même qu’elle serait scrupuleusement servie, une telle pension consacrerait la dépendance de l’autorité qui consentirait à la toucher. On comprend un clergé national salarié par l’état, comme en France et en Belgique, alors surtout que le clergé est historiquement en droit de regarder son traitement comme une indemnité pour les biens qui lui ont été enlevés ; mais un pape, mais le chef de l’église universelle, salarié par un roi ou un parlement, émargeant chaque année au budget d’une puissance avec laquelle, en dehors même des questions découlant de sa résidence en Italie, il peut avoir maintes difficultés à régler, cela ne se conçoit plus. À de pareilles offres, à une position aussi humiliante pour le saint-siège et pour les catholiques, on comprend que Léon XIII, de même que Pie IX, ait préféré les libres et incertaines contributions des fidèles. Tout catholique, qui tient à l’honneur de la chaire de Saint-Pierre doit savoir gré au pape dépossédé de n’avoir rien accepté de la maigre rente que lui offraient les envahisseurs de ses états. »

Certes cela se comprend ; ni Pie IX ni Léon XIII ne pouvaient décemment toucher la précaire liste civile que leur alloue la loi de 1871, « Mais, répondais-je à mon savant interlocuteur, si la monarchie unitaire n’a pas laissé au pape, lequel, du reste, n’en vivait pas directement, les riches et séculaires prébendes du clergé romain, elle lui a du moins solennellement reconnu la propriété de ses palais et de ses basiliques, la propriété du Vatican et du Latran, sans compter la modeste villa de Castel-Gandolfo. » — « Et ces palais, le Vatican, le Latran, Saint-Pierre de Rome, l’héritage historique de la papauté à travers dix-huit siècles, un fils de la maison de Savoie pouvait-il décemment en frustrer le saint-siège ? Ses palais, ses églises, les lui a-t-on, du reste, tous laissés ? Loin de là. Sur les églises, sur les basiliques tant de fois rebâties par la papauté et pour la plupart restaurées par Pie IX lui-même, sur les cimetières souterrains et les tombes des martyrs, sur les catacombes creusées sous la direction des évêques de Rome et naguère découvertes et rouvertes par ses soins, le pape n’a aucun droit légal. Quant aux palais, les papes avaient dans Rome, en dehors du Latran, qui n’est, depuis des générations, qu’un musée, deux grands palais entièrement bâtis de leurs deniers, où ils demeuraient tour à tour, et plus souvent peut-être dans le second que dans le premier : le Vatican et le Quirinal, De ces deux maisons de ville de la papauté, la nouvelle monarchie a pris pour elle la plus moderne et la plus saine, celle où se réunissaient d’ordinaire les conclaves, celle où ont habité de préférence les derniers papes et Pie IX lui-même jusqu’à la révolution de 1848. Au lieu de lui bâtir ou de lui acheter un palais, on a pris pour le roi la maison du pape. Avec le Quirinal, où Victor-Emmanuel répugnait tant à s’installer, on a enlevé au pape la plus confortable de ses résidences, son palais d’été pour ainsi dire, le seul où se pussent rassembler les conclaves dans la belle saison. Qui ne sait quelle est alors l’insalubrité du Vatican ? S’il n’est pas sain pour un pape acclimaté, que serait-ce pour des cardinaux appelés à l’improviste de tous les coins de l’univers ou de l’Europe ? Un conclave au Vatican, en juillet ou en août, équivaudrait à une épidémie sur le sacré-collège ; les derniers de ce genre ont laissé de terribles souvenirs[11]. Pie IX serait mort lors de la canicule, dans la saison où le roi d’Italie jouit des ombrages de Monza et où tous les hauts fonctionnaires ont déserté la capitale que les cardinaux, qui, en 1878, ont sérieusement hésité à faire l’élection à Rome, eussent probablement été contraints de transporter le conclave ailleurs et de chercher un abri au nord. Mais passons. Les deux palais qu’on a laissés aux papes, aux deux extrémités presque également solitaires de Rome, le Vatican et le Latran, avec leurs deux grandes basiliques, l’une cathédrale traditionnelle des pontifes romains, l’autre monument immortel de la splendeur des papes du XVIe siècle ; ces palais et ces églises, plusieurs fois rétablis avec les offrandes de la chrétienté, vous semblez croire comme le vulgaire que l’Italie en a reconnu au saint-siège la propriété. Erreur ; ce que la loi des garanties reconnaît au successeur de Jules II et de Léon X, ce n’est nullement la propriété du Vatican ou du Latran, c’est tout bonnement l’usufruit, la simple jouissance. Par une fiction imitée de votre droit public, et dont malgré son peu d’équité, le principe se comprend pour des monumens d’origine essentiellement nationale ou communale, les temples élevés à Rome avec l’argent de toutes les nations, Saint-Pierre du Vatican, qui a coûté à l’église le schisme de la moitié de l’Europe, ces palais que depuis des siècles les papes se sont plu à décorer à la gloire de la religion, tout cela est déclaré implicitement bien de l’état, propriété nationale, avec les trésors qu’y ont accumulés les souverains pontifes, avec toutes les richesses d’art ou de science qu’ils se sont transmises depuis quatre ou cinq cents ans. Et ce n’est pas là une simple fiction, une subtile distinction juridique ; on a vu en certaines circonstances les juristes italiens dénier au saint-siège le droit de disposer de ses collections, de ses bibliothèques, de ses propres archives sans autorisation de l’héritier des ducs de Savoie. Peu importe, du reste ; ni Léon XIII ni Pie IX n’ont jamais songé à trafiquer des monumens de la libéralité ou du génie de leurs prédécesseurs[12]. Il n’en reste pas moins vrai qu’en abandonnant au pape dépossédé la jouissance du Vatican et du Latran, avec leurs musées, sans lui reconnaître le droit d’en rien distraire, sans avoir attribué aux palais et aux musées de quoi les entretenir, on a volontairement fait au pape une situation qu’on jugeait intenable. Par là, en ayant l’air de respecter sa propriété, on lui laissait en quelque sorte les charges de son ancienne souveraineté sans les revenus. On a pour ainsi dire bloqué la papauté dans les silencieuses murailles de son palais, on l’y a enfermée avec ses fresques et ses manuscrits, ses tombeaux et ses inscriptions, avec tout son peuple de statues, comptant sur la pauvreté pour l’y assiéger et sur le manque de vivres pour la contraindre à capituler. On imaginait se rendre ainsi maître du saint-siège, le prendre lentement par la famine et le réduire enfin au rôle de pensionnaire de la maison de Savoie. C’était compter sans la généreuse piété des fidèles envers le successeur de Saint-Pierre. Jusqu’ici, ce calcul a été déjoué, et, tant qu’il restera des catholiques, on peut prévoir qu’il sera déçu. Ce n’est pas par l’argent, par la bourse qu’on prendra la papauté. Si minces et incertaines que semblent les ressources du denier de Saint-Pierre, quelque répugnance qu’aient le Vatican et Léon XIII lui-même à organiser d’une manière régulière les aumônes des fidèles et à prélever une sorte d’impôt sur ses enfans, la papauté préférera toujours la pauvreté et la gêne à l’humiliation de vivre des dons de ses spoliateurs. »

Cette question d’entretien et de vie matérielle, la plus simple en apparence, la loi des garanties ne l’a pas su résoudre. S’il a cru la trancher en votant au pape un subside annuel de 2 millions et quelques milliers de francs, le parlement italien s’est leurré d’une singulière illusion. Aujourd’hui la solution n’est plus entière. Des combinaisons qui étaient relativement faciles, alors que le gouvernement avait à sa disposition les vastes biens ecclésiastiques de Rome, alors que le parlement ne s’était pas prononcé, semblent devenues impraticables. Certes l’Italie pourrait accorder à un pape réconcilié ce qu’elle a refusé à un pape manifestement hostile. A défaut d’immeubles et de biens fonciers, elle lui pourrait céder, au lieu d’un salaire annuel, un capital équivalent en titres de rente dont le saint-siège disposerait à son gré ; mais, avec les préjugés juridiques en vogue au sud des Alpes, en face des colères et des passions que soulèverait une pareille transaction, il est peu vraisemblable qu’un gouvernement parvienne jamais à la faire agréer des chambres, sinon du pays. D’un autre côté, si jamais le Vatican accepte quelque chose du pouvoir qui l’a dépouillé, ce ne sera que sous une forme qui sauvegarde sa dignité.


III.

De la propriété et de l’indépendance matérielle passons à la souveraineté et à l’indépendance spirituelle. Après tout, peut-on dire, la première, si importante qu’elle soit, n’a qu’une valeur secondaire. C’est là une question que le saint-siège et les catholiques peuvent régler tout seuls sans le secours de personne, et, de fait, quelque défectueuse qu’en soit l’organisation, quelque précaires qu’en semblent les revenus, c’est ce qu’ont fait Pie IX et Léon XIII avec le denier de Saint-Pierre. Les papes n’ont pour cela besoin d’aucun gouvernement ; ils ont plus à perdre qu’à gagner aux subsides de l’Italie ou de toute autre puissance. Mieux vaut pour eux continuer à vivre des aumônes des fidèles, comme ils l’ont fait durant des siècles, comme le fait encore leur propre clergé en Angleterre, en Irlande, en Amérique. Ne devant rien à aucun gouvernement, ils seront plus libres en face des puissances et des partis. Ils n’auront rien à redouter des variations de la politique ni de la séparation de l’église et de l’état. Ils se seront mis d’eux-mêmes dans la position où leurs adversaires veulent ailleurs réduire le clergé, et, ayant pris les devans, ils auront eu le temps de prendre leurs mesures, de s’assurer des revenus qu’aucun gouvernement ne saurait tarir. Si le denier de Saint-Pierre rend moins depuis la mort de Pie IX, Léon XIII est un administrateur économe qui, à force d’ordre, saura bien abaisser les dépenses du Vatican au niveau de ses revenus. Qu’il ait l’air d’être persécuté, et les aumônes afflueront. Plus le saint-siège se montrera indépendant des puissances, plus hostiles lui sembleront les gouvernemens, et plus généreux se montreront les croyans. Qui sait ? un jour viendra peut-être où la papauté, centralisant les ressources pécuniaires de la plus grande communauté du globe, redeviendra une puissance financière disposant d’abondans capitaux, où, à la place de sa chétive royauté temporelle, elle jouira de l’ascendant que donne dans nos sociétés matérialistes l’empire de l’argent. Il ne faut pas, en effet, oublier que, si dans nos vieux pays catholiques, le bas peuple semble se détacher de plus en plus de l’église, les classes supérieures, les classes riches ou aisées continueront longtemps, pour des raisons que nous avons indiquées ici même[13], à marquer leur déférence ou leur attachement à la religion et à l’église. Il restera à la papauté une clientèle trop opulente et trop nombreuse pour que le saint-siège soit exposé à tomber dans le dénûment ou à y rester[14].

Quelques embarras passagers qu’il puisse éprouver, le Vatican paraît donc assez sûr de son indépendance matérielle pour n’être pas obligé de venir à composition avec le gouvernement italien et se résigner à en être le salarié. Si les catholiques semblent en droit de se plaindre des procédés suivis à Rome avec le saint-siège, de la spoliation légale du vicaire du Christ et du clergé romain, ils auraient mauvaise grâce à s’en montrer trop inquiets, car il dépend d’eux d’y remédier en rendant à la papauté d’une autre manière les moyens d’existence dont elle a été privée en 1870. Il en est tout autrement de l’indépendance spirituelle du pontificat et de la liberté de son ministère. À cet égard, la foi et le dévoûment privés ne sauraient suffire, c’est là surtout l’œuvre des lois et des gouvernemens. De quelle façon la monarchie italienne a-t-elle prétendu trancher ce nœud essentiel de la question ?

Sur ce point capital, l’Italie s’est montrée plus large ou plus généreuse, elle a été à la fois plus équitable et plus politique. Tel est du moins notre sentiment, et pour peu qu’on veuille être impartial, il nous semble difficile de ne pas le partager. En médiatisant le pape, les Italiens ont proclamé sa personne sacrée et inviolable. En lui enlevant sa capitale et les derniers restes de sa royauté territoriale, ils n’ont pas voulu le dépouiller de son caractère de souverain. La loi du 13 juin 1871 lui en a formellement reconnu le titre ; pour l’Italie, le pape est resté souverain en cessant d’être prince. C’est là, peut-on dire, une sorte de souveraineté in partibus, de souveraineté honorifique, dont la reconnaissance ne coûtait rien à l’Italie et n’enlevait rien à son pouvoir réel, qui n’a été imaginée que pour déguiser aux yeux du monde la sujétion à laquelle on réduisait la papauté et calmer les pieuses angoisses des catholiques. Quand cela serait prouvé, il n’en est pas moins certain qu’en maintenant au pontife qu’il dépossédait cette qualité de souverain, le gouvernement italien lui a laissé un titre dont il paraît difficile de faire une simple décoration. Il y aurait, en tout cas, de la part des catholiques témérité à en faire fi ; il y aurait également naïveté de leur part à s’en contenter sans en peser la valeur pratique.

La loi des garanties ne s’est, du reste, pas bornée à donner au pape cette haute qualification de souverain ; si elle n’a pas spécifié les droits attachés à cette qualité, elle a du moins reconnu au pontife plusieurs des immunités qui en semblent découler. Ces prérogatives souveraines ainsi attribuées au pape, les catholiques, préoccupés des intérêts de la foi, les politiques, soucieux de la paix religieuse, sont en droit de demander de quelle manière elles ont été entendues et de quelle manière elles pourraient l’être ; car, en pareille matière, ni les principes ni les lois ne sont tout : l’essentiel, c’est le mode d’application des lois. Comment celle de juin 1871 a-t-elle été interprétée ? Peut-on dire que le gouvernement italien y ait toujours scrupuleusement adhéré ? Les auteurs mêmes des guarentigie papali ne sont pas d’accord à cet égard : les plus sincères ne contestent point que la loi n’a été strictement respectée ni dans l’esprit ni dans la lettre.

Venons aux faits et citons des exemples. L’article 2 de la loi des garanties établissait que les offenses et injures publiques, commises directement contre le souverain pontife, en paroles ou en actions, seraient punies des peines établies par l’article 19 de la loi sur la presse. Or cet article 19 est celui qui fixe les châtimens encourus par ceux qui se rendent coupables d’offenses envers le roi et la famille royale[15]. Le pape, à cet égard, est donc légalement assimilé au roi. Est-ce ainsi que les choses se sont passées en fait ? Pie IX et Léon XIII ont-ils été défendus contre les injures de la presse, contre les indécences d’immondes caricatures, contre les grossières invectives des tribuns des réunions publiques, avec la même vigilance que le roi Victor-Emmanuel ou le roi Humbert ? Personne ne l’oserait soutenir. Comme Pie IX naguère, Léon XIII aujourd’hui, — le signer Pecci, ainsi que l’appellent certains pamphlétaires, — peut impunément être insulté dans la presse romaine ou dans les meetings populaires. Les feuilles radicales, telles que la Lega et la Capitale, sont libres de lui lancer des injures ou des menaces sans que les autorités italiennes, si naturellement susceptibles lorsqu’il s’agit du roi, croient devoir intervenir. La loi est formelle, mais le gouvernement n’a pas le courage de faire observer la loi. L’article le plus favorable au saint-siège reste lettre morte. Un gouvernement fort n’eût pas manqué d’exiger le respect de la loi dans toute sa teneur ; il eût mis son honneur à prouver que l’Italie n’oublie pas les engagemens pris par elle en face de l’Europe. Aucun des nombreux ministères qui se sont succédé à Rome depuis 1871 n’a eu cette énergie. Comme, durant les dernières années, nos gouvernemens français avec l’église et le clergé, les cabinets italiens ont toujours été moins soucieux de l’intérêt général du pays et de son bon renom à l’étranger, que des attaques de la basse presse et des dénonciations des partis extrêmes. Les uns ont appliqué la loi des garanties de la même façon que les autres ont appliqué le concordat. À Rome ainsi qu’à Paris, tout en se piquant de maintenir la loi, on en a plus ou moins méconnu l’esprit, sinon violé les prescriptions.

À cette conduite, qui de la part d’un gouvernement est toujours une faute, parce qu’elle est une marque de faiblesse, les Italiens peuvent, il est vrai, trouver une excuse qui manque aux ministères français. Le deuxième article de la loi des garanties, beaucoup d’Italiens le confessent, n’est pas appliqué ; mais, selon eux, la responsabilité en revient au saint-siège autant qu’au gouvernement national ; au saint-siège, qui depuis quinze ans a employé toute son autorité à éloigner des fonctions publiques les citoyens sur lesquels il possédait quelque ascendant ; au saint-siège, qui de cette façon a systématiquement discrédité et énervé les influences conservatrices. Après leur avoir obstinément enlevé une grande partie de leur clientèle naturelle, comment peut-il s’étonner de leur déclin dans les conseils du gouvernement ? comment ose-t-il s’en plaindre ? Léon XIII, disent les anciens modérés, est aussi mal venu que Pie IX à gémir de faiblesses dont sa propre politique est la principale cause[16].

Ce langage, chez la plupart de ceux qui le tiennent, est d’une parfaite sincérité ; et, pour nous, il est hors de doute que, sur ce point, leurs reproches ou leurs regrets ne sont pas sans fondement. Par malheur, ici comme en maintes questions politiques, on tourne dans un cercle vicieux. Certes, la pleine et loyale exécution de la loi des garanties serait singulièrement facilitée si le saint-siège y voulait donner son concours. On pourrait même soutenir, avec certains publicistes, qu’une pareille loi ne peut être entièrement respectée que si elle est acceptée de ceux qui en doivent bénéficier. Mais, en même temps, comment espérer gagner à la loi l’acquiescement du pape et des catholiques quand on en laisse impunément violer les prescriptions essentielles ? Comment leur donner confiance dans ces garanties sans leur en avoir assuré l’exécution ?

Les défenseurs de la politique italienne peuvent représenter qu’il est malaisé à un gouvernement de protéger contre les injures et les outrages une autorité ouvertement en guerre avec lui. La tolérance des offenses faites au pape n’a malheureusement pas été la seule infraction des maîtres temporels de Rome à la loi édictée par eux en 1871. Dans une occasion solennelle, en juillet 1881, lors de la translation des cendres de Pie IX de la tombe temporaire de Saint-Pierre à la confession de Saint-Laurent hors les murs, le cabinet italien, par timidité ou par finesse, n’a pas su se placer franchement sur le seul terrain solide pour lui : la loi des garanties. La loi accordant au pape les honneurs royaux, de pareils honneurs eussent dû être rendus publiquement et au grand jour à la dépouille de Pie IX. Un semblable hommage de la part des envahisseurs des états ecclésiastiques n’eût pas été, il est vrai, du goût des partisans de la souveraineté pontificale. Ils n’avaient aucun désir de voir les troupes du fils de Victor-Emmanuel saluer le dernier pape roi dans son lent voyage au portique désert de l’antique basilique. C’est sous l’empire de ce sentiment que le Vatican demanda que la translation du corps de Pie IX eût lieu de nuit, dans l’obscurité, en secret, comme pour éviter toute manifestation de part et d’autre. En acceptant ce projet de funérailles clandestines, les autorités italiennes croyaient éviter les colères des radicaux sans froisser les sentimens des catholiques. On sait comment fut déçu ce calcul mesquin. Le secret convenu entre la police et le Vatican ne fut naturellement pas gardé ; amis et ennemis se trouvèrent sur pied pour ces funérailles nocturnes. Comme à la sombre époque des guelfes et des gibelins, l’enterrement du pape menaça de donner lieu à un sanglant conflit ; les rues de Rome furent sur le point de devenir le champ de bataille de deux factions rivales. Le cercueil de Pie IX traversa toute la ville entre les pieuses acclamations des fidèles agenouillés, un cierge à la main, et les indécens outrages de bandes de forcenés accourus pour insulter un pape. Il fallut la tardive intervention de la police pour empêcher la profanation des restes de Pie IX dans son ancienne capitale. Quel a été le seul résultat des tristes scènes de cette nuit du 13 juillet, en partie renouvelées le 7 août 1881 ? De faire accuser le gouvernement italien d’être incapable d’assurer dans Rome la sécurité du souverain pontife, de faire plus que jamais déclarer que les garanties ne garantissent rien, de confirmer enfin les catholiques étrangers dans la pensée que Léon XIII ne saurait sortir du Vatican sans s’exposer non-seulement à des injures, mais à des violences contre sa personne[17].

Toutes ces dérogations à la loi de 1871 ne touchent que les sûretés et les honneurs accordés au pape en dehors du Vatican, que la situation extérieure du souverain pontife pour ainsi dire. Comment la loi a-t-elle été entendue pour le plus essentiel, pour ce qui concerne directement la liberté pontificale, pour sa résidence et l’intérieur de son palais ? Sous ce rapport les garanties accordées au saint-père ont été plus scrupuleusement respectées. Dans l’enceinte de son palais, le pape est demeuré entièrement maître : il y a vécu en souverain, y ayant sa cour et ses gardes, ses suisses et ses gendarmes, y régnant et y gouvernant seul sans intrusion du dehors, recevant librement les pèlerins du monde entier et les ambassadeurs accrédités auprès de sa personne. Les lois italiennes comme la police du royaume se sont arrêtées sous la colonnade du Bernin, au pied de l’escalier de la cour de Saint-Damas. Le Vatican est resté dans un angle de la capitale italienne comme une enclave étrangère, comme une sorte de San-Marino ecclésiastique. Tant que sera exécutée la loi des garanties qui assure l’inviolabilité de la résidence pontificale, il en sera ainsi. Le pape semblera un souverain dont l’autorité a été resserrée aux limites d’un palais ; le Vatican paraîtra un état indépendant dont le pape est le vrai roi, mais un roi n’ayant que des sujets volontaires.

La manière la plus simple de trancher la question pontificale, de couper court à toute difficulté avec la papauté, eût été, croyons-nous, de reconnaître en droit cette sorte de petite souveraineté autonome que la loi des garanties laisse subsister en fait. Un grand royaume comme la nouvelle Italie eût pu, sans inconvénient, tolérer au Vatican, au profit de la papauté, ce qu’il admet à Saint-Marin en faveur d’une sorte de fossile communal, ce que la France tolère à Monaco au profit de qui l’on sait. De cette façon, en laissant au saint-siège une souveraineté réduite aux dimensions d’un palais et d’un jardin, on eût prévenu bien des complications et des malentendus ; on fût sorti des fictions légales et des subtilités juridiques. On n’aurait pas à se demander ce que peut être une souveraineté sans territoire où s’exercer. On n’aurait pas à décider dans quel cas les hôtes du Vatican relèvent des lois et des juges du royaume : on eût laissé au pape ses juges et ses tribunaux comme il a ses gardes. De cette façon, les catholiques n’auraient pu se plaindre de voir entraver la liberté du saint-père, et les puissances en lutte avec la curie romaine n’eussent jamais pu être tentées de demander aux ministres du roi compte des faits et gestes du Vatican.

Ce point de vue, qui aurait singulièrement simplifié les relations de l’Italie et de la papauté, n’est pas, on le sait, celui du gouvernement italien et de la législation des garanties. Tout en laissant au pape la libre administration du Vatican, la loi de 1871 s’est gardée de lui en attribuer la souveraineté. Le parlement était pour cela trop désireux d’effacer tout vestige de la longue domination temporelle des papes. Aux yeux de la loi, le Vatican, considéré comme un palais national, est devenu partie intégrante du royaume. De là, dans la pratique, de récentes difficultés, spécialement pour la justice, de nouveaux différends entre la curie et le gouvernement civil. Il s’est, à cet égard, produit entre le Vatican et les tribunaux du royaume un conflit sur lequel il n’est pas inutile d’attirer l’attention, car c’était peut-être la première fois que la loi des garanties se trouvait en cause devant les juges italiens.


IV.

Un motu proprio de Léon XIII a, en mai 1882, érigé dans l’intérieur du Vatican des tribunaux chargés de juger les contestations qui peuvent s’élever entre les diverses administrations papales ou entre ces administrations et leurs employés. L’un de ces derniers, refusant d’accepter cette nouvelle juridiction, a prétendu imposer aux autorités vaticanes celle des tribunaux du royaume. L’affaire était en elle-même de peu d’importance : il s’agissait d’un vulgaire règlement de comptes entre la maison du pape et un certain Martinucci, architecte au service du Vatican, congédié en mars 1879. Léon XIII lui avait, en 1880, accordé une pension pour sa mère; mais cela ne suffisait pas à Martinucci; il réclamait de la maison pontificale quinze mille et quelques cents francs pour avoir instruit et dirigé les pompiers du Vatican, et 17,875 francs pour travaux exécutés à l’occasion du conclave de 1878. Ne pouvant faire reconnaître cette double prétention, il se décida, en juillet 1882, à recourir à la justice italienne. Le cardinal-secrétaire d’état, Mgr Jacobini, comme administrateur des biens du saint-siège, et Mgr Theodoli, préfet du palais apostolique et majordome de sa sainteté, se virent cités devant le tribunal civil de Rome. Le préfet du sacré-palais fit plaider l’incompétence des juges italiens. Le tribunal se déclara compétent, mais il n’usa des droits qu’il se reconnaissait que pour débouter Martinucci de sa demande. L’ancien architecte ayant appelé de ce jugement, le même jeu se répéta devant la cour d’appel, le majordome pontifical contestant de nouveau la compétence des juges du royaume, et, de nouveau, la cour, en retenant l’affaire, condamnant l’imprudent qui l’avait soulevée. De cette façon, les tribunaux de Rome semblaient tout concilier et éviter toute difficulté. S’ils méconnaissaient le motu proprio de mai 1882, ils avaient soin de ne donner tort à la maison pontificale sur la question de droit qu’en lui donnant raison sur la question de fait. Pour n’être pas obligée de faire comparaître les prélats romains, pour n’avoir pas à examiner les règlemens de l’administration vaticane et voir s’ils étaient conformes aux lois italiennes, les seules valables devant les tribunaux du royaume, la cour d’appel, de même que le tribunal civil, avait soin de juger contre les adversaires du Vatican. C’était une manière ingénieuse de se tirer d’embarras; mais, en même temps, les juges du royaume montraient par là peu de confiance dans leur droit ou dans la possibilité de l’exercer. En affirmant leur compétence, ils se gardaient bien de la mettre à l’épreuve. Si c’était là de la prudence, c’était au moins, de la part des tribunaux de Rome un singulier oubli de leur mission. Étaient-ils compétens pour trancher le différend du majordome pontifical et de Martinucci ; ils devaient juger effectivement, ils devaient instruire le procès en interrogeant les parties, en faisant produire les pièces. Dès qu’ils s’attribuaient le droit de connaître de l’affaire, ils en avaient le devoir, et c’est manifestement ce qu’ils n’ont pas fait, puisque, en retenant la cause, ils ont négligé de l’examiner. L’ancien architecte peut dire qu’il a été victime d’un déni de justice de la part même de tribunaux qui s’attribuent le droit de lui rendre justice.

Pourquoi les juges italiens ont-ils infligé à eux-mêmes et à la justice un pareil démenti? Cela est facile à comprendre. En suivant une autre ligne de conduite, en ne se contentant pas d’une sorte d’affirmation théorique et sans effet, en ne sacrifiant pas Martinucci, les tribunaux italiens se fussent jetés dans d’inextricables difficultés, dans des contradictions sans issue. Un instant de réflexion suffit à montrer qu’ils se fussent heurtés directement à la loi italienne des garanties. En effet, le tribunal ou la cour de Rome eussent condamné le majordome pontifical, qu’ils n’eussent pu faire exécuter leur sentence ; ils eussent simplement ordonné une enquête, que cette enquête n’eût pu avoir lieu. L’article 7 de la loi de 1871 ne déclare-t-il pas formellement qu’aucun « officier de l’autorité publique ou agent de la force publique » ne peut pénétrer « dans les résidences habituelles ou temporaires » du souverain pontife ? L’article 8 de la même loi n’a-t-il pas expressément exempté les documens, livres, ou registres des administrations pontificales, de toute visite, perquisition ou séquestre? En édictant de pareilles mesures, en inscrivant officiellement sur les murs du palais apostolique une sorte de Noli me tangere, le législateur italien a sciemment et volontairement désarmé les juges devant les portes du Vatican. Il a implicitement soustrait les affaires intérieures de la résidence papale avec les administrations pontificales, aux tribunaux ordinaires, pour abandonner la solution de toutes les contestations de ce genre au souverain pontife ou à ses représentans. Si, de par la loi des garanties, les autorités judiciaires du dehors ne peuvent instruire un procès ou faire exécuter une sentence dans les murs du palais de Léon XIII, au nom de quelle logique peut-on dénier à l’hôte souverain du Vatican le droit de trancher du dedans ce qui ne peut être tranché ab extra ?

Il y a plus : non-seulement l’exécution du jugement des tribunaux romains eût manifestement enfreint les clauses essentielles de la loi des garanties, mais les motifs mêmes sur lesquels se sont appuyés les juges du royaume pour affirmer leur compétence, sont en évidente contradiction avec la loi de 1871. Les admettre, ce serait ruiner par la base toutes les garanties solennellement et sincèrement assurées au souverain pontife. On s’étonne que des juristes aient pu à ce point se faire illusion et dénaturer le sens d’une des lois les plus importantes de l’état. Quels sont, en effet, les principaux motifs invoqués par la cour de Rome pour sa sentence du 9 novembre 1882? C’est avant tout le statut du royaume, rédigé à une époque où personne ne songeait que la constitution du Piémont pût jamais avoir force de loi dans la ville éternelle. C’est d’abord l’article 24, lequel déclare tous les citoyens égaux devant la loi. C’est ensuite l’article 63, lequel établit que toute justice émane du roi. C’est enfin l’article 71, lequel défend de distraire personne de ses juges naturels. Comment, en rédigeant un jugement ainsi motivé, la cour de Rome n’a-t-elle pas senti qu’elle ébranlait dans son principe la loi des garanties ? Car, si en vertu du statut de 1848, tous les Italiens sont égaux devant la loi, si Léon XIII est légalement assimilé aux vingt-huit ou vingt-neuf millions de sujets du roi Humbert, que sert au parlement d’avoir édicté en faveur du pape des privilèges et des immunités évidemment inconciliables avec la lettre de l’article 24 du statut? Et, si le pape doit tomber sous ce même article, où sont les fameuses garanties qui lui ont été assurées, que devient la souveraineté qui lui a été reconnue en juin 1871[18]?

En somme, par leur jugement du 9 novembre dernier, comme par les considérans sur lesquels ils l’ont motivé, les juges de la capitale du royaume nous paraissent avoir fait violence à l’esprit, si ce n’est à la lettre de la loi des garanties. En croyant être habiles et sauvegarder les droits de l’état, les gardiens attitrés de la loi n’ont abouti qu’à fournir des armes aux hommes qui, des deux camps opposés, attaquent la législation spéciale des guarentigie pontificali ; aux radicaux, qui dénoncent les immunités du Vatican comme une violation du statut; aux cléricaux, qui, dans toutes ces garanties légales, ne veulent voir qu’une hypocrite fiction destinée à faire illusion aux catholiques du dehors.

Que reste-t-il de cette sentence d’hier? Rien, si ce n’est un précédent incommode pour ceux dont il semble favoriser les prétentions, et un argument de plus pour les résistances du Vatican et pour les ennemis de l’unité italienne. Les magistrats de Rome n’ayant pas osé appliquer leur propre doctrine, l’affaire Martinucci, en dépit des tribunaux de la capitale, a été en réalité tranchée au dedans du Vatican, conformément aux règles posées par Léon XIII. Lorsque, chose à la longue impossible à éviter, des difficultés analogues seront de nouveau soulevées dans le palais apostolique, il est peu vraisemblable que les intéressés aient la naïveté d’imiter Martinucci, qu’ils recourent aux tribunaux du royaume pour avoir la satisfaction d’entendre les juges italiens proclamer leur compétence en condamnant les sujets du roi qui les auront crus compétens. De fait, il en est du motu proprio de Léon XIII comme de l’affaire de son majordome, Mgr Theodoli. Pour avoir refusé de reconnaître la nouvelle juridiction pontificale, les tribunaux de Rome ne lui ont pas moins pratiquement abandonné le jugement effectif des affaires pour lesquelles cette juridiction a été instituée. Le droit que la justice italienne a cru lui devoir refuser, le souverain pontife l’exerce à sa face, et le gouvernement royal est trop avisé pour lui en contester en fait l’exercice. Le Vatican garde ses tribunaux indépendans, et ces tribunaux ne sauraient disparaître que le jour où la résidence du vicaire du Christ cesserait d’être inviolable, c’est-à-dire le jour où serait publiquement déchirée la loi des garanties.

La juridiction instituée par le motu proprio du 25 mai 1882 est, qu’on le remarque bien, essentiellement administrative; elle ne s’étend qu’aux questions soulevées par le fonctionnement régulier des administrations papales, questions que le saint-siège ne saurait abandonner aux tribunaux du royaume sans leur soumettre toute l’organisation de l’église romaine et de ses organes séculaires, toute la discipline intérieure, toutes les constitutions, toute l’économie de ses divers services, par suite sans aliéner l’indépendance que les lois italiennes prétendent lui conserver, sans sacrifier la liberté assurée au saint-père dans ses ministres autant que dans sa propre personne. Par l’érection de ces nouveaux tribunaux pour juger le contentieux administratif du Vatican, Léon XIII, ou mieux le pontife romain, a, pour la première fois depuis 1870, fait acte de souverain; mais il ne l’a fait, nous semble-t-il, que dans la mesure où il y était contraint par les nécessités indéniables de l’église; bien plus, il ne l’a fait que dans une mesure compatible avec les lois italiennes elles-mêmes. « Le souverain pontife, dit une réponse du Vatican à la sentence de la cour d’appel de Rome, tout en revendiquant en droit l’intégrité de son autorité politique civile, n’en a exercé, en fait, que ce qui était indispensable à la sauvegarde (tutela) de sa souveraineté indépendante, de sa liberté et de son inviolabilité, indispensable aux immunités de juridiction de la résidence pontificale, que le gouvernement italien est obligé de respecter en vertu même d’une loi qui, bien que non acceptée du pontife, n’en oblige pas moins le gouvernement devant toutes les nations du monde[19]. »

Si le successeur de Pie IX a rétabli des tribunaux pontificaux, il n’a en effet institué ni tribunaux civils, ni tribunaux criminels, ce qui eût donné lieu à de bien autres difficultés. Quoique, dans les Osservazioni publiées à cette occasion par la curie romaine, on prétende fonder le droit du pape sur ce qu’en perdant Rome, il a conservé la souveraineté territoriale du Vatican, Léon XIII ne s’est pas permis d’ériger d’autres tribunaux que ceux dont relève le fonctionnement des administrations pontificales. Pour admettre la légitimité de cette nouvelle institution, au point de vue même des lois italiennes, il n’est donc pas nécessaire de reconnaître, comme le soutiennent les Osservazioni, que, depuis septembre 1870, le pape est demeuré le souverain effectif du Vatican, qu’il reste le seul maître temporel de cet étroit domaine que n’ont jamais occupé les troupes italiennes, et qui n’a jamais pris part aux plébiscites d’annexion. Si ce système, qui serait peut-être le plus pratique et le plus simple pour tout le monde, est repoussé par le gouvernement et la législation du royaume, le droit de Léon XIII de créer un tribunal administratif n’en est pas moins facile à justifier en se maintenant sur le terrain de la loi des garanties. La loi de juin 1871 a beau refuser au pape toute souveraineté territoriale, elle a formellement reconnu la souveraineté du saint-siège, souveraineté abstraite, idéale, si l’on veut, mais qui, si elle signifie quelque chose, doit au moins valoir à celui qui en est revêtu le bénéfice de l’exterritorialité, de cette sorte de fiction par laquelle les représentans des puissances étrangères sont supposés hors du territoire où ils résident. Que serait, en effet, la souveraineté du pape s’il ne jouissait pas des immunités accordées aux simples ambassadeurs, et comment lui refuser, à lui et à ses ministres, un privilège qu’on ne conteste pas aux envoyés étrangers accrédites près de sa personne[20]? La loi du 13 juin 1879 ne prononce nulle part, il est vrai, le mot d’exterritorialité; mais elle la suppose partout, et si elle ne la mentionne pas expressément, c’est qu’elle accorde au pape bien plus en lui attribuant la souveraineté.

Pour apprécier la situation faite au pape depuis 1870, il importerait de savoir quelle est la valeur du titre de souverain que la législation italienne lui a déféré, ou mieux, a continué de lui reconnaître. C’est là un point essentiel et sur lequel il faudrait s’entendre. Jusqu’où s’étend, ou, si l’on aime mieux, à quoi se réduit cette souveraineté inscrite dans la loi et proclamée par l’Italie à la face des puissances? Quels en sont les droits et les prérogatives? C’est là en somme le nœud de la question pontificale, telle qu’elle est posée par les lois italiennes. Partout la première prérogative de la souveraineté, celle qui en semble l’attribut inséparable, c’est de ne relever que d’elle-même, de prêtre assujettie à aucune juridiction étrangère. Peu importent à cet égard les limites où elle s’exerce; quand elle serait réduite à un point géométrique, cet attribut essentiel n’en serait pas diminué. On ne peut guère s’être mépris là-dessus à Rome. La question de la juridiction des tribunaux du royaume sur l’intérieur du Vatican posait en réalité la question de la souveraineté de l’hôte du Vatican. C’était en quelque chose la pierre de touche des droits souverains assurés au pape en échange de sa royauté séculaire, par suite la pierre de touche de la loi des garanties. Aussi comprend-on qu’en face de la solution bâtarde adoptée par les juges de Rome, Léon XIII ait cru nécessaire d’adresser une protestation aux puissances, et que les organes du Vatican aient dénoncé la sentence des tribunaux italiens comme une marque du peu de sincérité et du peu de fidélité du gouvernement subalpin à ses propres engagemens.


V.

Notre siècle a peu de goût pour les discussions abstraites, et nous ne saurions, pour notre part, beaucoup le lui reprocher. Aussi ne nous attarderons-nous pas à définir ce qu’est la souveraineté, ni à rechercher quels en sont les attributs nécessaires, et si le droit de justice n’est pas l’un des premiers. Nous ne discuterons même pas ce que peut être une souveraineté sans territoire et sans sujets, telle que celle reconnue au pape par la législation d’outre-monts. Nous croyons seulement les chambres italiennes trop sérieuses pour n’avoir rien voulu dire, ou n’avoir su ce qu’elles faisaient, lorsque, après une longue délibération, elles ont maintenu au pape cette qualité de souverain que la perte de ses états semblait lui devoir enlever. On m’a plusieurs fois expliqué, au sud des Alpes, que la souveraineté ainsi concédée au chef de l’église n’avait rien d’effectif, que c’était une simple souveraineté d’honneur, ou plutôt une souveraineté honoraire (sovranità onoraria), qu’elle n’avait d’autres conséquences que d’assurer à celui qui en était revêtu les mêmes honneurs qu’aux têtes couronnées et au roi même d’Italie. J’avoue que j’ai peine à admettre une pareille conception : un souverain d’honneur ou honoraire, comme il se rencontre ailleurs des présidons d’honneur et des magistrats honoraires.

Il me répugne de croire que les représentans de l’Italie n’aient rien eu de plus en vue, lors du vote des garanties papales. En vérité, si la qualité de souverain reconnue au pape ne concerne que les hommages extérieurs qui peuvent lui être rendus, si ce n’est là qu’un vain titre sans effets ni droits réels, si, en un mot, ainsi que l’a écrit un homme dont la plume ne trahit pas d’ordinaire la pensée, le pape a le titre de souverain comme d’autres ont le titre de duc ou de marquis[21], comment regarder une pareille souveraineté, toute de forme, toute d’apparence et d’apparat, comme une garantie pour les puissances étrangères et une sécurité pour les consciences catholiques? En quoi un pareil titre, dénué de tout ce qui en fait la valeur, peut-il être un gage de la liberté pontificale et assurer l’indépendance du chef de l’église? Ainsi entendue, la souveraineté pontificale, inscrite dans la loi des garanties, ne serait qu’un puéril et hypocrite trompe-l’œil, une frauduleuse étiquette, un masque grossier destiné à voiler la sujétion effective du pontife romain en lui accordant en paroles ce qu’on lui dénie en fait. Ainsi comprise, cette mensongère souveraineté justifierait les plaintes et les accusations des catholiques, qui l’ont comparée à la dérisoire royauté du Christ du prétoire, au lambeau de pourpre jeté par les bourreaux sur les épaules de Jésus flagellé et au blasphématoire INRI de la croix du Calvaire. Encore une fois, les législateurs de 1871 étaient trop sérieux et trop sincères pour avoir voulu abuser la papauté et le monde avec une pareille souveraineté de théâtre et de parade.

Qu’est-ce donc alors (si c’est plus qu’un vain titre) que cette souveraineté sans base réelle, sans territoire pour lui donner de corps, sans substance pour ainsi dire? La question, au point de vue même de la législation des garanties, ne nous paraît pas aussi obscure qu’elle le semble au premier abord. La qualité de souverain que la loi de 1871 donne au pape, cette loi ne la lui a pas conférée. Le saint-père en était déjà revêtu, la législation italienne la lui a seulement reconnue en la bornant, en lui enlevant tout caractère politique, pour la réduire à la sphère purement spirituelle. Dépouillée de ses anciens états et du territoire sur lequel elle s’exerçait, la souveraineté du pape est devenue en quelque sorte personnelle, propre à sa personne et à ses ministres. Pour n’avoir plus de sujets auxquels commander, le pape n’en est pas moins demeuré souverain indépendant vis-à-vis d’autrui, vis-à-vis de l’Italie et des gouvernemens. Cette conception, si bizarre qu’elle semble, n’est pas de tout point illogique. Dans toute souveraineté, en effet, il y a deux côtés et pour ainsi dire deux faces, l’une intérieure, l’autre extérieure, qui, pour être d’ordinaire réunies dans la même personne, ne sont point absolument inséparables. La souveraineté peut être considérée du dedans, dans son autorité vis-à-vis des peuples ou des sujets qui lui sont soumis, et, du dehors, dans son indépendance vis-à-vis des puissances qui n’en relèvent point, vis-à-vis des puissances également souveraines. De ces deux aspects, de ces deux parts de la souveraineté, si l’on peut ainsi parler, l’Italie, en enlevant au pape la première, a prétendu lui conserver la seconde, la seule, en réalité, qui importe à la liberté de son ministère. S’il n’est plus le souverain des Romains, s’il n’est le souverain de personne, le pape peut continuer à être considéré et à être traité en souverain, en puissance indépendante, par les états et les gouvernemens, par l’Italie notamment, qui n’en voulait qu’à ses sujets et à son territoire.

Entendue de cette manière, cette souveraineté, pour être personnelle et conventionnelle, n’en serait pas moins effective, en ce sens qu’elle aurait des conséquences et des droits réels. Si elle a le défaut de n’être qu’une souveraineté de tolérance, n’ayant d’existence qu’autant qu’elle est admise de l’Italie et des puissances, les Italiens pourraient dire que la souveraineté du pape à Rome, lors même qu’elle était territoriale, n’était en fait depuis longtemps qu’une souveraineté de tolérance, incapable de se soutenir par ses propres forces par les ressources qu’elle tirait de ses états. Dès avant 1 870 et la brèche de la porte Pia, on eût pu prétendre que ce n’était pas la royauté temporelle du pape, mais son caractère de pape, qui faisait respecter sa souveraineté.

Si l’unité italienne se fût effectuée à une époque de foi et d’homogénéité religieuse, où les titres spirituels du vicaire du Christ eussent été universellement reconnus, la souveraineté personnelle du pape aurait pu être aisément admise de l’Italie aussi bien que des puissances, et la solution de la question romaine, ou mieux, de la question pontificale, en eût été singulièrement facilitée. On y eût trouvé le meilleur moyen de séparer le temporel du spirituel, en leur laissant à chacun ce qu’ils n’ont jamais su s’accorder réciproquement, une pleine liberté et indépendance. Le problème que les âges de foi n’ont, en somme, jamais su entièrement résoudre est manifestement plus ardu à une époque de scepticisme, où, loin de rencontrer le respect général, l’église est en butte à tant de défiances et de haines. Et ce n’est pas là l’unique difficulté de plus, l’unique obstacle à la reconnaissance de la souveraineté personnelle du pape. Ce qu’on eût pu faire accepter des siècles qui étaient presque unanimes à reconnaître la coexistence de ce qu’on appelait les deux pouvoirs est devenu incomparablement plus malaisé, alors que cette conception même des deux pouvoirs est reléguée dans les écoles de théologie, que jurisconsultes et politiques s’entendent pour n’admettre d’autre pouvoir que l’autorité civile[22], que monarchies et démocraties tendent à l’envi vers l’omnipotence de l’état.

La souveraineté extraterritoriale du pape, on ne saurait se le dissimuler, a contre elle à la fois les instincts ou les préjugés de la démocratie et les notions courantes du droit public. Au point de vue pratique, et sous le rapport politique, cette souveraineté sui generis n’en reste pas moins la solution la plus simple, la moins défectueuse, tant pour les puissances étrangères qui ont à négocier avec la chaire romaine que pour les états chez lesquels peuvent résider les successeurs de Pie IX. La législation italienne l’a implicitement reconnu. De quelque façon qu’elle entende la souveraineté du pape, la loi des garanties lui a conféré le royal privilège des souverains constitutionnels, l’irresponsabilité. En déclarant sa personne sacrée et inviolable, l’Italie a indirectement proclamé le pape irresponsable, et cette irresponsabilité de droit vis-à-vis du gouvernement italien se change en irresponsabilité de fait vis-à-vis des gouvernemens étrangers, qui ne sauraient atteindre le Vatican qu’à travers l’Italie. C’est là pour la papauté une prérogative nouvelle, sans précédent dans l’histoire, sans analogue dans le droit public.

Des légistes[23] peuvent se scandaliser, comme d’une innovation contraire à tout le droit des gens, d’une semblable irresponsabilité, d’une semblable souveraineté insaisissable, n’ayant vis-à-vis d’autrui que des droits sans devoirs ni obligations réciproques, protégée contre toutes les conséquences matérielles de ses fautes, sans qu’aucun pouvoir au monde lui en puisse demander compte. Telle est pourtant la situation assurée au chef de l’église par les détenteurs de ses anciens états. N’étant ni souverain territorial, ni sujet, le pontife romain est à l’abri de toute revendication du dehors, à l’abri de toute poursuite légale du dedans ; il est en quelque sorte au-dessus du droit public et de la loi. C’est là, on ne saurait le nier, un privilège unique, qui, s’il lui était maintenu, compenserait largement pour la papauté la perte de sa couronne temporelle. On pourrait même soutenir que son indépendance aurait gagné à la chute d’une royauté qui offrait une prise matérielle aux adversaires de son pouvoir spirituel.

Cette souveraineté inviolable et irresponsable, couverte par la puissance même qui l’a dépouillée, l’Italie ne l’a pas accordée au pape dans l’intérêt du saint-siège ni dans un intérêt religieux, mais bien dans son propre intérêt et dans un intérêt tout politique. L’irresponsabilité légale du chef de l’église, nous l’avons remarqué ailleurs[24], était le meilleur moyen de ne pas faire du pape un hôte trop incommode. Les nouveaux maîtres de Rome n’avaient guère d’autre manière de ne pas compromettre la péninsule dans les affaires et les querelles de la papauté, de n’avoir rien à démêler dans ses bulles, dans ses excommunications, dans ses définitions dogmatiques. Refuser au pape la qualité de souverain, prétendre le ravaler au rang de simple sujet du roi, c’eût été pour l’Italie s’exposer à de graves embarras au dedans et au dehors, donner une nouvelle et ingrate besogne à sa diplomatie et à ses tribunaux. Le gouvernement italien se fût trouvé, vis-à-vis de ses nationaux et encore plus vis-à-vis de l’étranger, responsable du langage, responsable des faits et gestes du chef de l’église. Avec un pontife tel que Pie IX, par exemple, avec les démêlés que le saint-siège a si souvent avec les gouvernemens des deux mondes, c’eût été un lourd fardeau. Par là l’Italie eût ouvert les portes à une intervention non moins importune que celle des états dévoués à la curie romaine, à l’intervention des cabinets en conflit avec le Vatican. On n’a pas oublié qu’au plus fort de sa lutte avec la papauté, M. de Bismarck a été un moment tenté de s’en prendre au gouvernement italien des discours et des anathèmes de Pie IX. La reconnaissance de la souveraineté et de l’inviolabilité pontificales demeure sous Léon XIII, aussi bien que sous Pie IX, la meilleure manière d’échapper à de pareilles responsabilités devant les consciences et devant les gouvernemens : ce n’est peut-être qu’un expédient, mais de tous ceux que l’on a imaginés, c’est encore le moins défectueux. A Rome comme ailleurs, un pape simple particulier risquerait d’être autrement gênant qu’un pape revêtu de la qualité de souverain.

L’Italie ne serait pas liée par ses promesses aux catholiques et ses engagemens de 1870, qu’elle n’aurait rien à gagner à la suppression des garanties accordées par elle au pontife romain. La loi de 1871, quelles qu’en soient les lacunes et les défauts, est encore la meilleure base d’un modus vivendi entre la monarchie unitaire et la hiérarchie catholique. Assurément, si les promoteurs des garanties pontificales se flattaient d’amener le Vatican à la paix, ces garanties ont manqué leur but; bien plus, elles ne pouvaient l’atteindre, au moins à bref délai. La papauté, quelques sûretés qu’on lui offrît en échange, ne pouvait oublier les avantages moraux ou matériels dont l’a dépouillée l’occupation de Rome. La manière même dont a été appliquée la loi des garanties n’a pas toujours été faite pour étouffer les regrets et les répugnances du saint-siège.

Le grand et vieux problème que l’Italie prétend avoir tranché par la loi de 1871, Léon XIII, non moins que Pie IX, se refuse à le considérer comme résolu. Il nous reste à voir quelles combinaisons le Vatican peut se flatter de substituer aux « garanties » actuelles, quels appuis le saint-siège peut rencontrer au dehors ou en Italie, quelles concessions il lui est permis d’attendre de la monarchie. La papauté et la maison de Savoie ont, depuis vingt-cinq ans, bien des griefs réciproques; si elles ont peu d’espérances ou d’ambitions communes, ne peuvent-elles à certaines heures être réunies par des intérêts ou des périls communs? Un rapprochement entre le Quirinal et le Vatican est-il possible, et à quelles conditions ? C’est là une question qui n’intéresse guère moins la politique générale de l’Europe que l’avenir religieux de la péninsule et de la chrétienté.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.

  1. Voyez, dans la Revue du 15 novembre 1882, le Pape Léon XIII et l’Europe.
  2. Expression de Léon XIII, lettre au cardinal Nina, 1878.
  3. E. Ollivier, le pape est-il libre à Rome? Paris, 1882.
  4. R. Bonghi, Leone XIII e il Governo italiano, 1882, p. 25.
  5. Quelques écrivains, M. E. Ollivier entre autres, ont affirmé que, lors de l’élection de Léon XIII, la police italienne avait fait prévenir le Vatican qu’il y aurait danger pour le nouveau pontife à se montrer au peuple et à officier à Saint-Pierre. Les feuilles italiennes les plus autorisées ont démenti ce bruit.
  6. « Certo Léon XIII non è libero, se vuol essor s’curo che, uscendo, nessuno gli gitti una parola d’insulto o un fischio… » (Bonghi, Leone XIII e il Governo italiano, p. 27.)
  7. « Il faut, a dit par exemple Léon XIII lui-même, que le docteur universel de la foi, le vengeur de la morale chrétienne ait le libre pouvoir de fermer l’accès à l’impiété, et de maintenir la pureté de l’enseignement catholique. » (Lettre de Léon XIII au cardinal-vicaire, mars 1879.)
  8. Voyez un Empereur, un Roi, un Pape, IIIe partie, chap. II.
  9. Je citerai, par exemple, l’allocution de Léon XIII aux représentans de la presse en 1879 et son discours au cardinal di Pietro en février 1882.
  10. Nous ne savons sur quoi, pour Cavour, repose cette assertion, mais plus d’un patriote italien avait, avant 1870, exprimé des idées analogues. « L’indépendance financière de la cour de Rome, écrivait Massimo d’Azeglio à M. E. Rendu, en 1861, serait assurée non par des subsides qui sont aléatoires, mais par des biens, des immeubles, des propriétés données au pape en Italie et dans divers pays catholiques. Alors le pape, comme l’église de Rome dans les beaux temps de ferveur religieuse, redeviendrait possesseur de biens déclarés inviolables, mais il ne serait plus possesseur d’hommes. » (Correspondance politique de M. d’Azeglio, publiée par M. E. Rendu.)
  11. M. Bonghi (il Papa futuro, p. 291) écrit lui-même à ce propos : Un conclave di state in Vaticano non era previsto senza sgomento. Ve n’era stati de’ mortalissimi.
  12. Les étrangers peuvent même faire une remarque à ce propos. Tandis que la plupart des collections nationales ou municipales de l’Italie ne sont d’ordinaire visibles que moyennant un droit d’entrée, on n’a pas encore placé de tourniquets à la porte des galeries pontificales.
  13. Voyez la Revue du 1er novembre 1882.
  14. La papauté, si elle l’eût voulu, eût déjà pu trouver, à côté des contributions volontaires des fidèles, des ressources d’un tout autre genre. Les subsides que lui ont votés les chambres italiennes ne sont pas les seuls que la curie romaine ait eu à repousser. On a vu, dans ces dernières années, des financiers et des maisons de banque, désireux de s’assurer la clientèle catholique, chercher à se concilier l’appui apparent du saint-siège et à nouer des relations au Vatican pour s’en faire une réclame près de naïfs capitalistes. Léon XIII et son entourage ne se sont prêtés à aucune manœuvre de ce genre. Ils n’ont pas voulu laisser « mettre la croix sur une caisse » ni laisser faire de la tiare une enseigne. Je pourrais citer tel financier auquel, durant un de mes séjours à Rome, Léon XIII a refusé une audience, en dépit des magnifiques offrandes que le banquier en question voulait déposer aux pieds du saint-père.
  15. Un des défauts de la loi des garanties que l’on voit se manifester ici, c’est que, au lieu de former un tout indépendant et de se suffire à elle-même, elle s’appuie en partie sur d’autres lois, lesquelles pourraient être modifiées en dehors d’elle.
  16. Voyez, entre autres, M. Bonghi, Nuova Antologia, janvier 1883.
  17. Voyez, par exemple, la brochure il Papa e l’Italia, brochure qui passe pour avoir été directement inspirée par le Vatican.
  18. Nous touchons ici au plus grave défaut de la loi des garanties, c’est que, n’ayant pas de place dans le statut du royaume, et le statut, qui ne pouvait la prévoir, n’ayant pas été remanié pour elle, on peut soutenir que la loi entière est inconstitutionnelle. C’est à quoi, en effet, les radicaux n’ont pas manqué.
  19. Osservazioni di diritto e di fatto nella sentenza mossa dalla Corte di appello di Roma, l’11 ottobre 1882. Ces observations faisaient, non sans raison, remarquer que, dans deux affaires qui eussent semblé devoir provoquer des contestations de juridiction, lors des procès pour la succession du cardinal Antonelli et pour celle de Pie IX, le Vatican n’avait opposé aucun obstacle à l’action des tribunaux italiens. « C’est, dit la brochure vaticane, que, dans ces deux affaires, la liberté et l’inviolabilité du souverain pontife n’étaient nullement atteintes dans la personne de ses ministres, que les actes accomplis par ces derniers, au nom du pontife, dans l’intérieur du Vatican, n’étaient nullement soumis au contrôle (sindacato) d’autorités étrangères. Il ne s’agissait, dans l’un et l’autre cas, que de biens pour la plus grande partie situés hors du Vatican, et de litiges soulevés à propos de ces biens entre des personnes qui se trouvaient hors du palais apostolique et qui n’agissaient point par mandat du souverain pontife, lequel restait entièrement étranger à toute la cause. » On voit la différence entre ces procès plus retentissans et l’humble affaire Theodoli-Martinucci.
  20. Telle était assurément l’intention du cabinet qui a proposé la loi. Une circulaire du ministre des affaires étrangères du royaume, alors M. Visconti-Venosta, quelques jours après l’occupation de Rome, annonçait formellement aux puissances que les palais et résidences du pape jouiraient du privilège de l’exterritorialité. (Circulaire aux représentans de l’Italie à l’extérieur, en date du 10 octobre 1870.)
  21. « Il pontefice ha il titolo di sovrano come altri ha quello di marchese.» (R. Bonghi : Tribunaux vaticani, p. 106.) Il est juste de dire qu’en refusant au pape le droit d’avoir ses tribunaux en tant que souverain, M. Bonghi est trop perspicace pour ne pas confesser que ce droit découle implicitement de l’ensemble de la loi des garanties.
  22. Pour l’Italie, je citerai entre autres M. Minghetti : Stato e Chiesa, chap. III, et M. Cadorna : Illustrazione giuridica della formola di Cavour, 1882.
  23. Voyez, par exemple, Bluntschli : de la Responsabilité et de l’Irresponsabilité du pape dans le droit international, et M. Minghetti : Stato e Chiesa, p. 206 210.
  24. Voyez un Empereur, un Roi, un Pape, IIIe partie, p. 258-260.