Le Régime de la grande propriété dans les Calabres

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Le Régime de la grande propriété dans les Calabres
Revue des Deux Mondes4e période, tome 145 (p. 80-103).
LE
RÉGIME DE LA GRANDE PROPRIÉTÉ
DANS LES CALABRES

Lorsqu’on parcourt, entre Tarente et Catanzaro, les rivages malsains et déserts qu’encadrent les deux saillies de la péninsule italienne, on a sous les yeux des tristesses étranges : elles projettent une sorte de voile qui pèse sur le voyageur, tamise l’éclat opulent du soleil, offusque le bleu lucide du ciel. Ni les stériles étendues de la campagne romaine, peuplées de cette poésie qu’y parsèment nos propres souvenirs, ni les croupes de la Basilicate, dénudées d’arbres et d’habitans, n’infligent une pareille impression. Sur cette bande de littoral, la pensée grecque et le commerce grec maintinrent longtemps leurs entrepôts : ils s’appelaient Métaponte, Sibaris, Cotrone ; aujourd’hui Cotrone n’est plus qu’une sous-préfecture de Calabre, Métaponte un hameau, Sibaris une gare. Des stations, de distance en distance, indiquent le lointain voisinage de quelques villages habités : elles s’abritent et s’effacent à l’ombre d’une douzaine d’eucalyptus qui, tout grêles, tout fiévreux, font trembloter leurs cimes, sentinelles infidèles contre la malaria ; le jardinet dont s’égaie, chez nous, l’âme d’un chef de gare est remplacé là-bas par une végétation pharmaceutique. Le long de la voie ferrée, des feux de paille achèvent de brûler ; ils secouent les langueurs perfides de l’atmosphère et mettent en déroute l’obsédante farandole des moustiques. La terre est perpétuellement mouillée ; elle a des exsudations qui la fendillent ; les crevasses, s’entre-coupant, donnent à cette boue l’aspect d’une mosaïque ; et des plantes aquatiques glissent leurs joncs à travers les interstices, comme pour attester la licencieuse maîtrise de l’eau sur le sol. Une série de torrens dévalent des hauteurs ; tout capricieux qu’ils soient, ils entretiennent, aux approches de leurs embouchures, un fouillis de vie ; on se croirait alors transporté dans une terre encore vierge, parmi les énergies et les lacunes de la nature primitive ; lauriers-roses, myrtes et lentisques, s’offrent voluptueusement aux caresses du soleil, et, sous l’excitation de la canicule, ces caresses sont effrontées. Il faut chercher l’homme pour le trouver, il le faut deviner pour l’apercevoir : au loin, quelques formes humaines s’enfoncent dans la boue, quelques chaumières en émergent ; ce sont les éclaireurs et les avant-postes d’une nouvelle conquête agricole, qui tantôt avance, tantôt recule, le plus souvent stationne, dans ces terres perdues depuis plus de vingt siècles. Sur l’emplacement où la grande cité de Sibaris goûta jadis la joie de vivre, cette conquête ne s’est point encore risquée : les populations se tiennent blotties tout près des sommets, dans des nids d’aigle que baigne un air plus pur ; et surplombant leurs anciens domaines, surplombées elles-mêmes par les neiges de la Sila, elles convoitent avec anxiété ce sol morbide qui s’étend jusqu’à la mer, cette glèbe qui n’est une enfant prodigue que parce qu’elle fut, deux mille ans durant, une enfant mal élevée. Notre rivière de Nice, elle aussi, marie les montagnes et les vagues, les neiges éternelles et la végétation tropicale ; mais de part et d’autre l’homme s’y rencontre ; ni les Alpes, ni la côte ne l’ont expulsé. Aux séductions antithétiques du paysage s’ajoute, là où fut Sibaris, la valeur d’un résumé d’histoire : l’homme, en ces parages, a battu en retraite, laissant se perpétuer, à travers les âges, la rébellion de la création.

Que si le voyageur fait retraite à son tour, s’il se glisse, fuyard, dans l’intérieur de la Basilicate ou des Calabres, il entend tout de suite résonner la plainte humaine, comme un répons à ses mélancolies ; et cette plainte dénonce, en même temps que l’abandon continu de la région maritime, une terrible crise agricole dans certaines parties de la zone des hautes terres. « C’è più niente, tutto perduto, tutto va via, il n’y a plus rien, tout est perdu, tout coule à la dérive. » C’est sur les lèvres d’un président de comice agraire que je recueillais ces lamentations désespérées. Il avait, avec d’autres de sa ville, souffert sous la royauté bourbonienne, et même retracé, dans un gros livre, leur commun « martyre » : double titre, sans doute, à la confiance du régime nouveau. De parler haut et clair, il croyait avoir le droit : ne l’avait-il pas exercé auprès de Sa Majesté elle-même ? Ce disant, il me lisait de longues lettres de remontrances, qu’il avait adressées, ces années dernières, au gouvernement du roi : elles réclamaient qu’on s’occupât de l’agriculture, qu’on restaurât ou qu’on remplaçât avec avantage la précieuse institution des Monti frumentari, qui, sous les Bourbons, faisaient au peuple des avances de grains ; qu’on cessât d’expédier les militaires en Abyssinie et de laisser les civils filer en Argentine ; qu’on les appelât, tous ensemble, à soigner la bonne terre natale ; et l’on eût dit, en écoutant ces épîtres, assister à quelqu’une de ces interminables gronderies que commettent volontiers, en tous pays, les intimes partisans du passé. Mais l’auteur, au tournant d’une page, insistait auprès des augustes destinataires pour que les ordres de chevalerie et le « délire du fanatisme » fussent grevés d’impôts : il paraît qu’en style noble et garibaldien cette dernière périphrase désigne les processions. De tels souhaits classent un homme au-delà des Alpes ; ils authentiquent l’aloi des opinions ; et, si mon interlocuteur se permettait de gémir, ce n’était point, assurément, sous l’impression d’un parti pris réactionnaire.

Moins âpres, mais presque aussi moroses, sont les notables de Cosenza : cette pauvre ville calabraise, sous les Bourbons, était réputée si mal pensante qu’on essayait de la séduire par quelques faveurs ; elle est, depuis trente ans, connue comme si dévouée, qu’on juge inutile de lui faire plaisir et qu’on la sacrifie à Catanzaro, sa voisine plus méridionale. Aussi les langues, à Cosenza, commencent-elles de se déchaîner, et c’est assez de prêter l’oreille pour entendre parler, et à satiété, de l’incurie du gouvernement. Stérilité des terres, abrutissement des populations, permanence des anciens miasmes et développement de nouveaux foyers de fièvre, expropriations forcées des petits propriétaires et misères amenées par la concurrence exotique : sont-ce là des maux auxquels de bons préfets et de bonnes finances seraient vraiment un remède suffisant ? Il est loisible d’en douter. Nous avons écouté nos interlocuteurs avec la même attention curieuse que mériteraient, chez nous, des victimes du Deux Décembre faisant la leçon à la République : leurs déceptions nous ont paru cruelles, leurs doléances en partie fondées. Mais il en est des embarras domestiques d’un grand pays comme de certaines scènes de famille : les visiteurs qui les surprennent se doivent piquer d’être sourds, et plus encore d’être discrets. Et ce que nous avons pris intérêt à observer dans cette région de l’Italie méridionale, ce n’est point l’évident affaissement de certaines espérances récentes, c’est le déroulement logique, et logiquement funeste, d’une évolution sociale commencée il y a cent ans à peu près, et dont les deux traits principaux furent une répartition nouvelle de la propriété et une conception nouvelle des droits du propriétaire.


I

Lorsque au nom de la philosophie on décrétait la suppression du régime féodal, on escomptait l’avènement de l’égalité parmi les hommes ; lorsqu’on réalisait cette suppression conformément aux maximes individualistes du droit romain, on augurait un rapide développement de la petite propriété, qui serait comme la sanction de l’égalité retrouvée ; et lorsqu’on achevait, enfin, de renouveler la face de la terre en supprimant d’un trait de plume les multiples usages de propriété collective que la coutume avait créés, on se flattait de couronner ainsi l’émancipation et la souveraineté auxquelles chacun des êtres humains venait d’être appelé ; et l’on espérait qu’en poussant à l’extrême le caractère absolu et exclusif du droit de propriété privée, on ménagerait à tous ces souverains improvisés un retranchement et presque un sanctuaire pour la possession sûre et l’exercice imprescriptible de leur multitude de droits nouveaux. Le despotisme éclairé des Bourbons, la République parthénopéenne, la royauté jacobine de Murat, concoururent tour à tour, dans l’Etat napolitain, à cet immense déplacement de la propriété. Parmi les terres des anciens barons, un classement fut tenté : on voulut distinguer entre les difese qu’ils possédaient en toute souveraineté, les fiefs soumis à certaines servitudes au profit de l’humble plèbe, et les antiques domaines communaux illégalement usurpés par l’oligarchie féodale. Les difese furent laissées aux barons ; les fiefs furent amputés, et les morceaux qu’on en détacha devinrent la propriété des communes, comme compensation pour les vieux droits de servitude et d’usage dont jouissait, sur toute l’étendue de ces fiefs, la masse des habitans ; et quant aux anciennes terres communales que les seigneurs s’étaient arrogées, elles leur durent être enlevées pour retourner à leur propriétaire primitif, « tout le monde ».

Mais ce propriétaire à mille têtes fut à son tour déchu : avec cette aisance d’abstraction dans laquelle se complaisait l’esprit révolutionnaire, on marchanda à la collectivité, si même on ne le lui méconnut, le droit d’être une personnalité juridique ; et tous les domaines communaux, ceux que la foule des ascendans avait jalousement transmis à la foule des descendans, ceux que les seigneurs usurpateurs avaient fini par restituer, ceux enfin qu’on travaillait à former au détriment des anciens fiefs, durent être transformés, par morcellement, en propriétés strictement individuelles. En 1792, 1806, 1807, 1809, 1812, les actes gouvernementaux se succèdent, se multiplient, se confirment, pour régler les détails de ce bouleversement et précipiter l’avènement du nouveau règne agraire. Ainsi l’on sonnait, à coups répétés, le glas du droit archaïque, qui avait limité la souveraineté de l’individu sur la terre en lui rappelant sans cesse, de quelque charte qu’il se targuât, qu’il devait avoir égard à Dieu, nu-propriétaire, et faire une part au prochain, co-usufruitier.

On précisait, d’ailleurs, que les terres ainsi désaffectées seraient assignées de préférence aux citoyens les plus besogneux (nulla-tenenti). Les vieux juristes napolitains des xvc et XVIe siècles avaient revendiqué pour le peuple, pour les pauperes vassalli, le droit de n’être point exclus du sol et réduits ainsi à une vie sans ressources ; et la reconnaissance des « usages oiviques » avait sanctionné cette revendication. Allant plus loin, les légistes du régime moderne rêvaient que chaque citoyen fût à son tour un seigneur, dans les limites de son lot de terre. Mais c’était un honneur ironique que la proclamation de cette seigneurie idéale, et l’évolution des faits sembla venger l’ancien droit, en souffletant les illusions issues du droit nouveau.

Pour dépecer la terre napolitaine, des commissions fonctionnèrent ; tantôt formées de magistrats spéciaux, tantôt comprenant les autorités gouvernementales de chaque province, elles allèrent de tâtonnemens en échecs et d’échecs en tâtonnemens. « Il est parfois arrivé, déclare un document officiel dès 1812, que les lots résultant de la subdivision des domaines communaux sont tombés en des mains si misérables, si dépourvues de ressources ou d’énergie, que, sans en tirer nul profit, elles ont fini par les abandonner. » Cette lamentable observation s’est vérifiée, depuis lors, chaque fois qu’on a voulu remettre en vigueur la législation domaniale ; et régulièrement, entre l’administration, qui applique des lois bénévoles et l’administré prolétaire, qui est censé en profiter, un dialogue s’engage, ridicule et douloureux.

« Au nom de la loi, dit l’un, je te fais propriétaire ; et sur ton domaine tu seras roi. — Mais pour cultiver, réplique l’autre, je n’ai point de ressources ; propriétaire et roi, je reste encore prolétaire, j’aime mieux promener ma vache et ma chèvre sur la vaste terre qui est toute à tous. — Sur cette vaste terre, reprend l’administrateur tout fier encore, tu étais gêné par le contact d’autrui ; sur ta terre à toi, tu seras seul maître. — La solitude peut convenir au riche, riposte le pauvre homme ; mais pour moi qui n’ai rien, la solitude, c’est la détresse. Que pourrai-je faire de ton cadeau, à moins que je ne le vende ? — Halte-là, interrompt le donateur officiel : tu n’as pas le droit de vendre ta terre avant dix ans (ainsi l’ont décidé Joachim Murat en 1808, Ferdinand de Bourbon en 1816), pas même avant vingt ans (ainsi l’a voulu Ferdinand II en 1852) ; tu ne l’hypothéqueras pas non plus, tu y vivras. — Mais je n’ai rien pour en tirer parti ; me condamner à y vivre, surtout à en vivre, c’est me condamner à y mourir de misère. » Et comme la conséquence est quasiment inévitable, comme le bon sens de l’indigent réfute les abstractions du légiste, comme la faveur de la loi, jetant un homme nu sur une terre nue, n’est rien moins qu’une absurdité, il en résulte que les multiples édits ayant trait à la répartition des biens domaniaux et communaux ne furent, au cours de notre siècle, appliqués que par saccades, par soubresauts, avec des oscillations volontaires, des complaisances illégales, et de longs intervalles d’une léthargie systématique.

En raison même de ces scrupules et de ces haltes, la question domaniale, souvent tenue en suspens, jamais mise en oubli, trouble depuis cent ans l’Italie méridionale. Ce n’est pas tout de déchaîner des révolutions : le principal est de les ratifier et d’y poser un terme par-là même qu’on y appose un sceau. Ce fut en France l’œuvre de Napoléon : il supprima les points d’interrogation que la Révolution laissait après elle, et il confirma définitivement, ou bien il voila pour longtemps, les espérances qu’elle avait suscitées. L’Italie méridionale n’a point eu son Napoléon, et la question même qui touche le plus aux intérêts et au cœur de chacun, la question du sol, est demeurée, comme l’écrivait, en 1882, M. le député Fortunato[1], la vraie question sociale des provinces napolitaines. En faisant voter le milliard des émigrés, la Restauration, en fait et quoiqu’elle en eût, amena l’ancienne société à contresigner les titres de la société nouvelle ; ainsi moins de vingt-cinq ans ont suffi, en France, pour opérer un changement complet dans le régime de propriété. Voilà pourquoi les luttes politiques du XIXe siècle, si acharnées que parfois on les ait vues, n’ont troublé notre peuple qu’à la surface ; les traits que se décochaient entre eux les divers partis et les divers régimes ne faisaient qu’effleurer l’épiderme de la nation ; ils n’en pénétraient ni n’en remuaient les moelles. Car aucun de ces partis, aucun de ces régimes ne remettait en péril la stabilité de la propriété ; et les compétitions électorales avaient pour but de donner d’autres maîtres aux hommes, mais non point aux terres. Tout au contraire, dans l’Italie méridionale, la question des domaines subsista comme une arme perpétuelle aux mains des divers partis politiques.

Les Bourbons gardaient cette arme au fourreau, ou bien ils la brandissaient, suivant que la bourgeoisie libérale se tenait tranquille ou s’essayait à remuer : parfois ils accordaient tacitement à cette bourgeoisie, comme rançon de son bon esprit, l’ajournement des comptes qu’elle aurait eus à rendre pour l’occupation illégale ou gratuite de beaucoup de terres ; plus souvent, ils avaient des complaisances paternelles pour les Gracques de village qui, réveillant dans les foules l’esprit de justice, inquiétant la classe moyenne au sujet de ses propriétés, lui enlevaient le goût et le loisir de s’agiter pour des libertés. Lorsqu’une royauté nouvelle, cordialement acclamée dans les sphères qui se qualifiaient d’éclairées, se fut superposée aux populations méridionales, les communes furent rendues autonomes ; une vie politique commença de s’y faire jour ; et la question domaniale devint le tremplin qu’exploitèrent les uns contre les autres les partis hostiles. Gros et petits bourgeois en vinrent aux prises, les premiers pour garder en sécurité le fruit de leurs demi-usurpations, les seconds pour ajouter à leurs doléances et à leurs chicanes le surcroît de crédit et les chances de succès que donnent les fonctions officielles. De là l’âpreté, tout à fait unique, qu’atteignirent les luîtes municipales dans certaines communes italiennes : intrigues et manifestes, invectives et plaidoyers, tout tendait à montrer que l’enjeu de la lutte n’était point seulement la puissance ou l’honneur des compétiteurs, mais aussi et surtout leur richesse. Qu’on se représente, par exemple, que des 800 lots de terre entre lesquels avait été divisé, en 1850, le domaine public de Barletta, les trois quarts, en 1881, étaient tombés entre les mains de propriétaires aisés : la plupart de ces acquisitions, consenties par les prolétaires de cette ville de Pouille avant le délai légal de vingt ans, réalisées tantôt par des violations ouvertes de la loi et tantôt par des procédés fictifs qui l’éludaient, pouvaient, au nom même de la loi, être contestées.

M. Gadda, commissaire du gouvernement dans la province de Cosenza entre 1879 et 1883, a expliqué dans deux volumes le mécanisme des enquêtes qu’il eut à faire dans chaque commune ; les difficultés qu’il rencontra ; les impossibilités auxquelles parfois il se heurta ; les redressemens d’injustices, enfin, auxquels il eut souvent le bonheur de travailler. Sous l’aridité volontairement terne des rapports officiels, on y peut ressaisir et toucher, au prix de quelque patience, la vie même de ces petites communes, l’anxiété de certains bourgeois usurpateurs lorsqu’on érige devant eux le spectre de la loi, la gaucherie tremblante de certaines municipalités, invitées à invoquer cette loi pour recouvrer leurs rentes ou leurs biens, et reculant avec anxiété devant les vicissitudes du procès. Aux portes de Cosenza, pour citer un exemple, une minuscule bourgade devait revendiquer une cinquantaine d’hectares ; la junte municipale s’y refusait ; le répartiteur insistait, et les habitans aussi ; de guerre lasse, ceux-ci firent tumulte, et, sous les fenêtres de la junte, nommèrent l’avocat qui devait défendre leurs droits : la bourgade, ainsi, sauva ses intérêts, et la municipalité se maintint en bons termes avec l’usurpateur. N’était-il point le Crésus de la Calabre, un homme dont les légendes populaires osent à peine chiffrer les millions ? Il avait prévu, et à coup sûr, la respectueuse passivité du parlementarisme municipal ; mais il avait compté sans l’initiative populaire, qui fut, ce jour-là, vengeresse de la loi[2].

Une circulaire ministérielle du 14 octobre 1879 avait en effet remis à l’ordre du jour l’épineuse question domaniale. « Le gouvernement, affirmait cette circulaire, convaincu du droit qu’à la classe ouvrière agraire de n’être point déçue dans sa légitime attente d’une répartition des terrains provenant de la féodalité abolie, sent le devoir imprescriptible de faire tout son possible pour que cette œuvre de sollicitude reprenne son cours et pour qu’on cesse d’ajourner au prolétaire un bienfait par lequel il s’élèvera de son abjecte condition à l’état d’agriculteur. » C’est à la suite de ces instructions du pouvoir central que s’était inaugurée, dans la province de Cosenza, la mission de M. Gadda. Tout justicier qu’il voulût être, et tout philanthrope qu’il fût, le zélé répartiteur avait des yeux pour voir ; et ce qu’il ne tarda point à observer, c’est qu’en fait, dans l’intérêt même de l’exploitation des terres en litige, il valait mieux, bien souvent, y laisser les usurpateurs en leur imposant le paiement d’une redevance annuelle et le remboursement des fruits qu’ils avaient, au cours de leur occupation, récoltés sans aucun droit : « Les conciliations avec les usurpateurs, écrivait-il, ont un avantage économique, car ainsi les terrains appartiennent à des gens qui (peuvent les rendre féconds. » Et la commission de répartition qui fonctionnait dans la province de Catanzaro multipliait les combinaisons analogues, à l’encontre de l’esprit de la loi et pour l’intérêt de la paix.

Pacification précaire, d’ailleurs, et sevrée de garanties ! Pour que les usurpateurs qui ont composé avec l’administration oublient de payer les redevances moyennant lesquelles leur usurpation fut ratifiée, et pour que ceux, aussi, auxquels l’administration a fait rendre gorge remettent bientôt la main, par des procédés fictifs, sur les lots de terre assignés aux indigens, il suffit de la tolérance du pouvoir communal : ne sont-ils point en mesure de s’octroyer cette tolérance lorsqu’ils forment eux-mêmes ce pouvoir ? On voit même des cas où le budget du village continue d’acquitter l’impôt foncier pour des terres communales que de riches citoyens ont occupées sans mot dire et exploitent impunément. C’est ainsi que la besogne de justice, timidement ébauchée de temps à autre, par les représentans de l’autorité centrale, est vite défaite par les titulaires de beaucoup d’administrations locales : aujourd’hui comme vers le déclin de la République romaine, en dépit des lois préventives et des commissions répressives, la question agraire, dans l’Italie méridionale, est sans cesse renaissante et sans cesse vivante. Un des ouvrages les plus remarqués de l’année dernière fut celui de M. Rinaldi, député de la Basilicate, sur les terres publiques : pris de lassitude en présence des solutions illusoires ou fausses jusqu’ici proposées pour la question agraire, l’auteur ne craint point de faire violence à cet esprit d’individualisme qui distingue les populations de l’Italie méridionale et qui les rend rebelles au principe d’association ; il demande la création de communautés agricoles, qui formeraient des personnalités juridiques investies de la propriété de certaines terres et appelées à les cultiver ; et rien n’est plus frappant que de voir cet homme politique, adversaire du socialisme, prôner une façon de propriété collective qui sauvegarde le droit individuel de l’être humain à l’existence.

En 1862, lorsqu’une grande partie de l’opinion européenne observait avec une curiosité sympathique l’artificieuse épopée garibaldienne, un publiciste français écrivait : « Cette monarchie constitutionnelle dont Victor-Emmanuel est le principal bénéficiaire, qu’est-elle autre chose que l’unité gouvernementale au profit de la classe qui porte l’habit contre celle qui porte la blouse ? Mazzini a assisté à la curée ; qu’ont attrapé ses amis, les hommes du peuple ? En Italie, il existe une masse de propriétés ecclésiastiques dont le bourgeois demande à grands cris la vente. Combien reviendra-t-il, de cette terre sacrée, au prolétaire sans pécule, au paysan qui se croirait voué à l’enfer, s’il prenait, en le payant, sa part du patrimoine des pauvres ?… » Vous recueillez, dans ces lignes, les prévisions d’un de ces penseurs, assez nombreux au milieu de notre siècle, que l’on réputa révolutionnaires, parce qu’ils osèrent être, dans les écoles démocratiques, les premiers critiques de l’œuvre de la Révolution : elles sont empruntées à la brochure : La fédération et l’unité en Italie, de P.-J. Proudhon. Et dans le dernier écrit sorti de sa plume : Nouvelles observations sur l’unité italienne, il ajoutait : « Unité donc, centralisation, gros traitemens, sinécures, monopoles, privilèges, concessions, affaires grandes et lucratives, dégagées de tout aléa par l’intervention des hommes du pouvoir : ce sont là choses qui se tiennent… Pour la camarilla gouvernement aie, les gens se divisent en deux groupes : l’un, le plus petit, composé de capitalistes-entrepreneurs-propriétaires, s’appuyant pour son exploitation sur une forte centralisation politique ; l’autre, groupe innombrable, plus spécialement indigène, mais sans capital ni propriété, formé de toute la masse des salariés du pays, d’autant plus sûrement exclus des bénéfices de la richesse publique qu’on les tient par leur infatuation unitaire, et que leur déchéance a été, pour ainsi dire, décrétée par le suffrage universel même… »

Confrontez avec ces rêveries de tribun, non point même les amplifications de rhétorique que multiplie en Italie l’école socialiste, mais des documens dignes de toute créance, comme les Lettres méridionales de M. Pasquale Villari, l’ancien ministre ; comme l’enquête agraire sur les Calabres, entreprise vers 1880 par M. Branca, le ministre actuel ; comme les récens rapports des chambres de commerce de l’Italie méridionale, bien instructifs en leur froide sécheresse. On y voit, par des faits et par des chiffres, que la confiscation des biens ecclésiastiques, non plus que la répartition des biens domaniaux, n’a produit les effets sociaux qu’on en espérait ; que les tyrannies locales créent au profit de quelques-uns et au détriment du grand nombre de nouvelles catégories de privilèges, exercés avec d’autant plus d’âpreté qu’ils se sentent plus légitimement contestés ; et qu’enfin les mesures mêmes qui auraient pour but de multiplier la petite propriété tournent à l’extension de la grande. La chambre de commerce de Reggio, par exemple, constatait, en 1893, que, dans le dernier quart de siècle, la petite propriété a diminué dans la province de Reggio : il y avait, en 1870, 18 000 propriétaires sur 350 000 habitans ; et le chiffre de la population, en 1893, s’étant élevé à 420 000, le nombre des propriétaires s’était au contraire abaissé, en dépit des assignations domaniales commandées par la circulaire ministérielle de 1879.

Pour aliéner un petit domaine, les raisons ne manquent pas : tantôt l’exiguïté même du domaine, qui refuse ou marchande le pain de la famille ; tantôt la concurrence étrangère qui. frappant d’une disgrâce momentanée certains produits indigènes, semble tarir les sueurs du paysan, exclusivement dévouées, dans les étroites limites de son champ, à une seule culture désormais mal récompensée ; tantôt une année mauvaise, destructive d’initiative en même temps que d’espérances, tantôt enfin l’huissier, messager d’un percepteur impatient, et qui vient aggraver la méchanceté des hasards ou la cruauté des lois naturelles en faisant appliquer l’égalitarisme abstrait et brutal des lois fiscales. En 1893, le nombre des immeubles vendus judiciairement, dans les Calabres, s’élevait à 113 pour 1 00000 habitans ; les Abruzzes étaient la seule province de la péninsule où ce chiffre fût dépassé. Ces revanches de la « justice » expiaient des insolvabilités singulièrement dignes de pitié : il s’agissait, en 773 cas, d’une somme d’impôt inférieure à 50 francs, et même, en 231 cas, d’une somme d’impôt moindre de cent sous. La crise va s’accentuant : dans telle circonscription où l’exercice de 1893 accusait une défaillance de 19 000 francs dans le paiement des impôts, l’exercice de 1895 accusait une défaillance de 57 000. Ce que les lois agraires tentent de faire, les lois budgétaires risquent de le défaire.

C’est ainsi, par la force des choses et l’inconséquence des hommes, qu’à l’ancienne aristocratie féodale une oligarchie nouvelle s’est parfois juxtaposée, le plus souvent substituée ; et c’est à cette oligarchie, surtout, qu’ont profité dans l’Italie méridionale les changemens d’affectation du sol. Voilà plus de vingt ans que M. le député Franchetti adressait à ces galantuomini de sévères avertissemens dans son livre sur « les conditions économiques et sociales des provinces napolitaines », où la générosité de l’inspiration, parfois même de l’indignation, n’enlevait rien à la savante précision des détails. « En s’arrêtant peu de temps dans ces régions, écrivait de son côté un député de la Basilicate, on croirait sans nul doute que la bourgeoisie, c’est-à-dire l’unique classe dirigeante, est vraiment animée d’un esprit démocratique et radical ; et l’on recueillerait, sur les lèvres bourgeoises, les mots de maçonnerie, de république, de gauche, de progrès. La vérité, c’est qu’à la bourgeoisie sont dues les plus grandes misères dont souffrent nos paysans : c’est d’elle que vient la lourdeur des contrats agraires ; d’elle, le socialisme à rebours dans les impôts communaux ; d’elle, la dissipation des biens communaux et des rentes des œuvres pies ; d’elle, en définitive, les vexations et les exactions. Le sens social lui fait défaut ; elle ne prend aucun intérêt à la transformation de la culture, elle a mis dans l’acquisition des biens ecclésiastiques le meilleur de ses revenus. » Ce langage est de M. Fortunato, l’un des membres les plus écoutés et l’un des esprits les plus modérés du Parlement italien : il fait écho, peut-être sans le savoir, au pessimisme prophétique de P.-J. Proudhon.

Est-il permis d’augurer que tôt ou tard, pour le plus grand bien du peuple italien, ces deux puissances encore jeunes, la monarchie unificatrice, et l’oligarchie du sud, puissances nées à la même date et grandies ensemble en s’appuyant parfois l’une sur l’autre, entreront en conflit ? Que si le pouvoir central, préférant les intérêts immortels de la justice aux dettes prolongées de la gratitude, mettait un terme aux complaisances arbitraires et aux assentimens tacites par l’effet desquels les meilleures lois sont annihilées et les pires souffrances perpétuées, il ferait acte d’héroïsme, peut-être, mais acte, aussi, d’habile politique. Il ne serait pas impossible que l’opinion publique fût déjà mûre pour le comprendre. N’applaudissait-on pas à Naples, il y a quelques mois, une pièce fort distinguée de M. le duc d’Andria Carafa, les Derniers d’Alcamo, satire énergique et douloureuse contre certains représentais de la camarilla nouvelle à laquelle ont profité cent ans d’incertitudes révolutionnaires ?


II

« La grande répartition des terres, accomplie à peine par moitié en soixante-dix-huit ans, n’a point laissé de traces visibles d’améliorations agraires et sociales : » on trouve cet aveu dans un document officiel de 1884 ; treize ans ont passé, et la constatation demeure exacte. Les deux idées d’améliorations agraires et d’améliorations sociales sont ici rapprochées à juste titre. Il n’y a point, en effet, entre la terre et l’homme, un simple rapport d’instrument à ouvrier : l’agriculture met en présence deux êtres vivans, j’allais presque dire deux dignités, la glèbe nourricière et le labeur humain ; et lorsque, par l’effet du régime économique, ces deux forces sont prostituées et ces deux dignités avilies, les crises sont toutes prochaines. Beaucoup de misères calabraises s’expliquent par-là.

En haut, à la sphère supérieure, de grands propriétaires, inaccessibles en leur absentéisme, ne connaissant souvent leurs terres que par le revenu qu’ils en tirent, et ne s’imposant d’autre souci que celui d’adapter aux besoins d’une oisiveté coûteuse les exigences des contrats agraires ; à un degré au-dessous, des entrepreneurs de fermages, forts de leur situation d’intermédiaires et en abusant, non moins indispensables à ceux qui les emploient qu’à ceux qu’ils emploient, laissant espérer au possesseur de la terre que les redevances convenues afflueront à sa cassette, à l’heure dite, avec l’impeccable ponctualité d’un coupon de rente, et prétendant d’autre part édicter eux-mêmes, par leur propre volonté, la loi de l’offre et de la demande sur le marché de sueur humaine où ils sont attendus comme cliens ; puis, en descendant encore d’un échelon, voici venir les fermiers sous-adjudicataires, les petits colons, acceptant des conditions onéreuses de sous-location sans savoir s’ils seront en mesure d’y faire face ; enfin, tout en bas, les journaliers, sollicités par la faim de mettre leurs bras au rabais. D’étage en étage de cette hiérarchie factice, où les idées brutales de dette et de contrainte se sont substituées à toute notion du devoir social, un flot de souffrance circule, s’accroissant et s’appesantissant davantage à mesure qu’il descend. Ces êtres humains qui sont, les uns après les autres, presque malgré eux, les victimes et tout ensemble les agens d’une dureté légale, les esclaves et en même temps les bénéficiaires de la lettre contractuelle, composent tous ensemble, et tous à leur détriment réciproque, une sorte de pyramide, dont la lourdeur écrasante opprime une base qui n’en peut mais : cette base, c’est la terre. Bon gré, mal gré, la terre, épuisant ses énergies naturelles, doit satisfaire, année par année, aux sommations de ses maîtres asservis. Le régime économique, de haut en bas, transforme les hommes en autant d’usuriers : ceux qui sont trop infimes pour avoir, au-dessous d’eux, un prochain à exploiter, ont du moins le sol à piétiner ; c’est le sol, alors, qu’ils maltraitent et tyrannisent. Les âges chrétiens croyaient à la fraternité des hommes, et les mythes païens célébraient la maternité de la terre : l’une et l’autre sont violées.

Vainement chercheriez-vous, entre le paysan de l’intérieur des Calabres et la terre calabraise, cet échange de ménagemens, de coquetteries, de promesses, d’où résultent l’aisance des cultivateurs et la prospérité des cultures. La familiarité, faite d’accoutumance et de gratitude, qui, dans beaucoup de pays, attache l’homme à son lopin, est en passe de se relâcher là-bas, si même jamais elle fut solidement nouée. Riche ou pauvre, seigneur ou gueux, le Calabrais, par l’effet des circonstances historiques, vit éloigné de son domaine. L’histoire nous montre les populations des Calabres toujours guettées par les rôderies de deux ennemis, les brigands et la malaria : de là leur attrait invariable à se grouper en grosses bourgades pour réprimer le frisson de la peur, et à percher ces bourgades sur des éminences pour prévenir le frisson de la fièvre. Aujourd’hui les brigands ont disparu ; mais la fièvre subsiste ; elle est toujours l’ennemie qui met en fuite ; elle impose un surcroît de fatigue aux paysans, qui doivent soir et matin cheminer une ou deux heures entre la terre où ils travaillent et le village où ils donnent. Il en est un certain nombre, pourtant, que les exigences de leur besogne retiennent en rase campagne, sous l’abri précaire de quelques appentis : ils sont là comme des déportés ; la pauvre bête humaine, si odieusement soustraite à toutes les conditions de l’hygiène, devient bientôt une brute. Que les philanthropes, alors, réclament pour ces demi-sauvages, premier noyau de populations vraiment rurales, des installations décentes : « Ce sont des brutes », objecte-t-on ; et l’on s’autorise des effets mêmes de leur abjection pour les y condamner à perpétuité.

On pourrait en maints endroits, et dès lors on devrait, au prix de quelques travaux d’assainissement, refaire lentement une population rurale, fixant son existence sur les lieux mêmes où elle la gagne, dissiper en elle, peu à peu, la crainte de la vie des champs, en l’associant ou en l’intéressant à l’œuvre de l’amélioration du sol, et l’éveiller, enfin, à l’amour même de cette vie, en la faisant participer à l’abondant surcroît de ressources qu’assureraient un air purifié et un sol mieux soigné. Déjà, dans certaines parties de la province de Reggio, commence, avec le concours de quelques grands propriétaires, ce repeuplement des campagnes : les maisons de colons (case coloniche) y deviennent plus dignes d’être habitées par des êtres à forme humaine. Mais combien rares sont ces exceptions et combien lents en sont les succès !

Améliorer leurs terres est une besogne dont beaucoup de propriétaires n’ont nul souci : elle impliquerait des efforts de gérance et de contrôle à peu près incompatibles avec leurs notions actuelles sur la propriété. S’ils dépensent quelques parcelles de leur revenu dans le pays même auquel ils le doivent, ils les affectent le plus souvent à arrondir leurs domaines, à multiplier leurs têtes de bétail, bref à accroître leur capital brut. Quant à introduire des cultures nouvelles ; quant à prendre l’initiative de travaux d’amendement ou de dessèchement, quant à perfectionner enfin les procédés d’industrie agricole, un très petit nombre y songent, un moindre nombre encore y consentent. On cite, parmi cette élite, dans la province de Catanzaro, M. le baron Barracco, dont l’activité entreprenante et généreuse a vulgarisé l’usage des machines agricoles, multiplié les abris pour le bétail, et substitué, à la vieille coutume de faire fermenter les olives dans le pressoir seigneurial, une méthode plus scientifique de fabrication de l’huile : l’exemple est plus connu qu’il n’est compris, et plus vanté que suivi.

L’Etat italien, dans les vingt dernières années, a dépensé quelque argent et beaucoup de sollicitude pour établir, dans les villes de quelque importance, des écoles pratiques d’agriculture, susceptibles d’initier aux progrès agronomiques, sinon les héritiers des propriétaires, au moins les fils de leurs régisseurs. Mais les hommes d’expérience, ou ceux qui se plaisent à passer pour tels, estiment trop théorique, trop peu concrète, l’instruction donnée dans ces écoles ; les éplucheurs de statistiques observent que les jeunes gens qui les fréquentent sont, la plupart du temps, fils d’ouvriers, de négocians, de chétifs bourgeois, que les fils de cultivateurs, surtout de propriétaires, y sont la minorité, et que ces écoles, ainsi, risquent de fabriquer des dilettanti de la carrière agricole, et peut-être des déclassés (spostati) au lieu de confirmer et d’éclairer des vocations innées d’agriculteurs ; elles ont, enfin, des amis ambitieux, qui déplorent que les diplômes de sortie ne donnent point accès immédiat dans les écoles secondaires d’agriculture. Tous, en un mot, reconnaissent les bonnes intentions de l’Etat, et tous avouent que ces écoles, jusqu’ici, n’ont pas suffisamment répondu à leurs promesses. Naturellement rétif aux nouveautés, le paysan des Calabres, comme son voisin de Sicile, objecterait volontiers l’expérience de ses pères, l’antichi, lu patri, aux expériences auxquelles le convie l’Etat : c’est aux grands propriétaires qu’il appartiendrait, par de lentes et douces suggestions, de le rendre novateur et d’être auprès de lui les émissaires du progrès.

Mais comment le progrès ne serait-il pas suspect, ayant été parfois l’avant-coureur de ruines ? Tels possesseurs, légitimement préoccupés d’accroître la valeur de leurs terres, ont mérité les plaintes injurieuses des régions avoisinantes. Ils cédaient à la fureur du déboisement, ouvraient des brèches dans les verdoyantes ogives que dessinaient entre eux les innombrables arbres de la Sila, disloquaient ces architectures de forêts que la nature, merveilleuse ouvrière en art gothique, semblait avoir édifiées pour les siècles par-dessus l’ingrat littoral jonché des ruines de l’art grec.

Quelques années s’écoulaient, et déjà se déchaînaient les châtimens ordinaires du déboisement ; des torrens, brusquement formés, s’abandonnaient à un vagabondage destructeur ; les troubles miasmatiques se multipliaient dans les régions subjacentes ; les éboulemens, facilités par la calvitie des cimes, menaçaient les populations, et parfois les surprenaient. On constatait avec désespoir, dans la seule province de Cosenza, que les eaux thermales de Guardie Piemontese étaient en partie ensevelies sous les décombres des hauts sommets ; qu’aux environs de Lungobucco le torrent Trionto prodiguait les ravages ; que les éminences surplombant Longobardi étaient proches de s’effondrer et que l’accumulation des eaux, n’étant plus désormais ni absorbées ni retenues, produisait à Ajello Calabro une sorte de mare stagnante, incessant laboratoire de miasmes, dont l’inquiétant voisinage faisait fuir, en l’espace de quarante ans, 1 500 habitans au moins sur 2 000. Ainsi les initiatives de certains propriétaires, mal disciplinées par la législation trop indulgente qui régit les déboisemens, apparaissaient comme aussi coupables, sinon plus dangereuses, que l’indifférence des autres.

Soit que, résignés à un maigre revenu et même à la stérilité de leurs domaines, les propriétaires s’abstinssent de toutes dépenses qui les pourraient assainir ou fertiliser, soit que, jaloux d’en accroître le profit, ils négligeassent de prévoir et de calculer les répercussions, peut-être funestes, qu’auraient sur les régions avoisinantes les changemens introduits sur leur propre sol, ils demeuraient, dans l’un et l’autre cas, les captifs de cette idée, que leur situation de propriétaires ne leur imposait nuls devoirs, ni envers la terre ni envers les hommes. Cette idée régnait en souveraine sur leurs esprits et jusque sur leurs cœurs ; à mesure que survinrent les crises qui diminuèrent le prix de beaucoup de leurs produits, elle passa dans la pratique quotidienne avec une âpreté et une soudaineté qui n’avaient d’égales que l’âpreté et la soudaineté mêmes de ces crises. Les formes de contrats qui jadis associaient efficacement le travailleur aux soucis et aux revenus de la culture commencèrent alors d’être jugées trop onéreuses par le possesseur ; et les unes de disparaître, les autres de devenir oppressives. L’emphytéose, qui assurait à des familles rurales une quasi-propriété sur le sol que fécondaient leurs sueurs, était fort limitée depuis la loi de 1866 ; elle a maintenant presque cessé. Les contrats de fermage, tels que les détaillent, avec une sèche impartialité, les documens officiels du ministère de l’agriculture, et tels que les commentent de savans économistes comme M. Francesco Nitti, ménagent au propriétaire une part léonine[3]. Le « contrat d’amélioration » (contralto a miglioria), moyennant lequel un campagnard s’oblige à inaugurer sur une terre certaines cultures nouvelles, et à la rendre, ainsi transformée, après un délai convenu, réserve, bien souvent, à cet audacieux initiateur plus d’ennuis que de promesses et plus de ruines que d’avantages. L’esprit équitable du métayage, tel que l’analysait autrefois Sismondi et tel que le conservent encore, en quelque mesure, la Toscane et la Romagne, est passablement oublié dans l’Italie méridionale.

Même, en dépit des atteintes infligées au droit traditionnel du métayer, beaucoup de propriétaires calabrais ne supportent plus qu’avec impatience l’obligation de partager avec un travailleur, fût-ce par fractions inégales, le revenu du sol ; ils substituent volontiers à la collaboration du métayer la subordination, précaire et transitoire, de l’homme qui n’a que ses bras et qui s’appelle, avec une rigoureuse propriété d’expression, le bracciante, Journalier nomade et misérable, maltraité souvent et se traitant lui-même fort mal, ce bracciante, naguère, était surtout courbé sur des travaux d’assainissement, de bonificazione comme l’on dit ; on le mettait aux prises avec une terre mal apprivoisée. Il est, aujourd’hui, de plus en plus affecté aux travaux mêmes de la production, sous la gérance immédiate d’un intendant qui représente le maître lointain : adieu, dès lors, le fermier, adieu le métayer, adieu le colon : cette évolution s’inaugure dans plusieurs régions de l’Italie ; et jusques en Romagne, où les propriétaires, moins âpres au gain, ont longtemps maintenu, même à leur propre préjudice, le métayage archaïque[4], elle commence à se dessiner.

Mais comme chaque année l’émigration dérobe au royaume un certain nombre de ses enfans, voici déjà que l’on constate, dans quelques parties de l’Italie méridionale, une raréfaction de cet homme-outil : l’offre des bras, çà et là, est inférieure à la demande ; alors les salaires s’élèvent ; durant les jours où l’ouvrier agraire est occupé, il gagne 22 sous, 25, voire même 30, au lieu des 15 ou 18 que naguère on lui jetait. Sous l’ironique livrée de propriétaire minuscule ou de fermier, le paysan, parfois, agonisait de misère ; la livrée de prolétaire, peut-être, nourrit mieux son porteur. Le prolétariat agricole, en effet, voit sa condition s’améliorer, tandis que périclitent, au contraire, ces familles rurales qui conservent encore quelque goût pour la possession d’une parcelle de terre, miette du vaste présent divin. « Il est au pain blanc » : jusqu’à ces derniers temps, on disait cela, en Calabre, du paysan proche de mourir : le médecin ressuscitait l’appétit du pauvre hère par cette primeur inédite, un morceau de pain blanc ; et ce qui, pour beaucoup d’hommes civilisés, est une toute petite partie du nécessaire, devenait, là-bas, comme le dessert de l’agonie. Si la requête des bras continue d’être fréquente et les prix de hausser, cette lugubre métaphore tombera dans une désuétude que nul cœur humain ne regrettera.

Ainsi, sous la double pression des crises économiques et de la logique de l’égoïsme, les exigences mêmes d’une certaine conception, étroite et inhumaine, du droit de propriété, ont diminué le nombre et dévié la nature des contrats qui reliaient le paysan au sol par des attaches honorables et qui rémunéraient son labeur par quelque usufruit ; et c’est grâce à ce phénomène que s’est d’autre part relevée la condition des journaliers, si affreuse encore il y a quinze ans, qu’il suffisait d’un tel spectacle pour troubler les jouissances archéologiques de François Lenormant et lui arracher des pages toutes brûlantes de colère. Les liens d’association se relâchent entre le capital et le travail sédentaire ; c’est le travail vagabond qui fait prime ; il est loué tant qu’on a besoin de ses services et se loue même de plus en plus cher ; et puis il redevient disponible, en quête de loueur. On pourrait, d’un seul mot, définir ces tendances nouvelles en disant que l’exploitation directe des terres par le régime du salariat se développe lentement, en Calabre, à côté des autres modes de culture, et déjà vise à s’y substituer.

Il serait possible, au terme de ce mouvement, que le tête-à-tête entre le capital et le travail, facilité jusqu’ici par la complexité du régime agraire et la docilité résignée des masses, devînt en Calabre non moins difficile et non moins épineux qu’ailleurs. Déjà certaines personnes d’expérience, opprimées d’une juste anxiété, observent que les journaliers, muets autrefois, accroissent leurs besoins et leurs désirs au fur et à mesure des satisfactions qu’ils obtiennent. Rien, à vrai dire, n’est plus naturel : sur cette sorte d’échelle où sont juchés les biens de la terre — proie toujours étalée, mais non toujours accessible — il faut que le travailleur atteigne un certain gradin pour songer à s’élever plus haut ; et l’on n’est capable de monter par soi-même que lorsque la poussée des circonstances donne un premier essor à l’ascension. C’est le cas pour les populations rurales de la Calabre. En dénonçant une coïncidence entre le bourdonnement de leurs plaintes et la hausse de leurs salaires, on croirait à tort réfuter ces plaintes ; bien plutôt, on justifie cette hausse.


III

La crise des intérêts provoquera donc, dans la Calabre, une crise des idées, devancée, de peu de temps peut-être, par le parti socialiste d’Italie, lorsqu’il tenait, en septembre dernier, un congrès agraire à Catanzaro. La conception du droit absolu de propriété, non moins étrangère aux juristes napolitains d’antan que contraire à la philosophie sociale du christianisme, est en train de mûrir, sous le fiévreux soleil de l’Italie méridionale, ses derniers fruits ; et ce sont des fruits amers. La terre, dégagée des servitudes qui pesaient sur elle, semblait remise à la portée de tous ; et jamais elle ne fut, à un moindre degré, la pourvoyeuse de tous. On ne saurait dès lors éprouver, voire même affecter aucune surprise, si l’on constate que les critiques et les velléités de réforme, suscitées par l’état social de la région du sud, atteignent, d’un bond et par la logique même de l’observation, le fond des choses. Elles n’aspirent point à faire l’essai d’un certain nombre de palliatifs, mais à modifier radicalement les principes mêmes des rapports sociaux.

En 1894, une commission réunie à Rome au ministère de l’agriculture étudia le régime actuel des contrats agraires dans l’Italie méridionale. Elle comprenait, entre autres membres, M. Gianturco, député de la Basilicate, actuellement ministre ; M. Chimirri, député des Calabres ; M. Fortis, le chef du radicalisme « légalitaire » ; M. le professeur Tammeo, analyste minutieux des contrats agraires dans les Pouilles ; M. le professeur Nitti, dont les recherches économiques sont imprimées en diverses langues et partout appréciées ; M. Bodio enfin, dont les statistiques, doctes et subtiles, sont un honneur pour le royaume. Des divergences d’idées se firent jour ; accident indispensable, ne fût-ce que pour donner quelque raison d’être à une commission délibérante. Mais, pour tous les membres, la liberté absolue du contrat était l’ennemi : nul ne consentait à admettre comme une réalité la souveraineté nominale de deux contractans, dont l’un est puissant et l’autre sans ressources ; unanimement la souveraineté du premier fut réputée un abus de la liberté, celle du second une dérision de la liberté. C’est pourquoi, parmi les commissaires, les uns réclamèrent l’annulation légale de tout contrat dans lequel le fermier s’obligerait à ne jamais alléguer, comme excuse de son insolvabilité, la survenance d’accidens fortuits ; d’autres demandèrent que toute clause par laquelle le métayer s’engagerait à payer certains impôts légitimement dus par le propriétaire fût, à l’égard du droit, regardée comme non existante ; plusieurs souhaitèrent, pour mettre un terme à certains parasitismes, que les adjudicataires de l’exploitation d’un domaine ne pussent être choisis, légalement, que dans la classe des agriculteurs ; on émit aussi l’idée que les contrats de trop courte durée, qui déconcertent le bon vouloir du paysan et le mettent à la discrétion du propriétaire, devraient être prohibés ; tous, en un mot (et nous en pourrions multiplier les exemples), se préoccupaient de rapprocher, autant que possible, les limites de la légalité et les limites de l’équité, et de condamner, sous le verdict inquisiteur de la légalité, certains détails de contrats qui sont des affronts à l’équité. Même, la minorité de la commission, en tête de laquelle figurait M. Nitti, voulait que l’Etat fixât certains types de contrats légaux, entre lesquels les propriétaires devraient forcément opter, et qu’ainsi, non content d’énumérer les abus que le consentement apparent des deux contractans ne suffirait plus à justifier, le pouvoir public déterminât, entre ces contractans, la loi même des rapports économiques et sociaux. Autant de réformes qui, sous l’apparence de nouveautés révolutionnaires, ne seraient, à vrai dire, qu’un retour vers l’esprit des siècles passés. M. Salvatore d’Amelio, avocat fiscal à Catanzaro, recherchait cette année même, dans les publications d’archives, les anciennes conditions de la propriété ecclésiastique dans l’Italie méridionale[5] ; il établissait, d’après les documens, que la plupart des contrats ecclésiastiques du moyen âge, stipulant le paiement de la redevance en nature et non point en argent, excluaient la clause inhumaine de la « renonciation aux cas fortuits », que le « contrat d’amélioration », dans sa forme archaïque, n’imposait que de très modestes redevances au paysan et parfois même lui concédait à l’avance, en pleine propriété, la moitié du domaine d’église amélioré par son travail, qu’enfin les innombrables arrangemens qui régissaient les rapports entre l’Eglise et ses colons prévoyaient et stipulaient le recours à des arbitres (boni homines) pour la solution des difficultés éventuelles.

Ce n’est point seulement la liberté de l’homme à l’endroit de ses semblables ; c’est la liberté de l’homme à l’endroit de sa terre, à l’endroit de ses biens, qui, dans l’Italie contemporaine, commence d’être contestée, — ainsi qu’elle le fut, à toute époque, dans les anciens États Romains, où les papes menaçaient de mesures de rigueur, voire même de spoliation partielle, les propriétaires négligens[6]. Dans un livre fort pondéré sur les Forces économiques de la province de Catanzaro, je relevais plusieurs attaques contre « ces millionnaires et archimillionnaires qui, endormis sur leurs trésors, ne sentent pas l’aiguillon de l’activité et du travail », ces « très nombreux propriétaires qui, ayant pour eux le présent et l’avenir, se sentent dispensés du travail et de la recherche des améliorations, soit dans les pratiques agricoles, soit dans l’élevage », ces « privilégiés dont toute l’activité consiste à accumuler les épargnes considérables qu’ils font sur leurs revenus, pour acquérir des terres ou des titres de rente, sans autre peine que de percevoir les loyers ou de détacher à chaque semestre leurs coupons. » Ces invectives, qu’on inclinerait à croire d’un pamphlétaire, sont signées de M. le baron Marincola, le secrétaire de la chambre de commerce de Catanzaro. Il m’advint un jour, fourvoyé dans une petite gare calabraise par l’attrait de quelques ruines toutes prochaines, d’entendre un indigène s’excuser auprès de moi pour le mauvais état de la route qui m’y devait conduire ; il m’expliquait, avec vivacité, que les propriétaires d’alentour négligeaient de l’améliorer et décourageaient ainsi la curiosité des voyageurs : Canaglia questi ricchi ! s’exclama le pauvre homme. J’étais loin de trouver, sur ces lèvres ardentes, les vestiges de « bon esprit » que rencontrait encore il y a quinze ans, parmi les populations rurales des Calabres, M. le député Branca, rapporteur de l’enquête agraire. Mais ma surprise tomba bientôt : mon franc parleur me raconta, quelques instans après, qu’il avait naguère servi sur le zinc, à Ménilmontant ; il avait appris la souffrance en Calabre et désappris la résignation à Paris. Son interjection, d’où qu’elle vînt, m’illustra les réflexions de M. le baron Marincola.

Voici surgir d’autres échos : « En face de cette misère, dit une voix, en face de ce lamentable état des classes qui produisent, en face du désordre économique et moral qui en dérive, et qui pousse aux délits, je me demande : Doit-on permettre au caprice des grands propriétaires fonciers de laisser incultes d’immenses étendues de terre, comme ils font en Calabre, diminuant ainsi la production, de telle sorte qu’elle tombe au-dessous des besoins de la population ? Le droit de propriété doit-il être si absolu, qu’il exclue toute interdiction aux propriétaires du sol de négliger et de tenir secrètes les richesses naturelles qui sont en même temps richesse publique ?… C’est le devoir suprême de la société d’exiger que le droit à la propriété soit respecté ; mais il faut que ce droit soit réduit à ses limites raisonnables et discipliné par de sages lois d’un caractère social. »

Nous empruntons ces citations — et nous les pourrions singulièrement prolonger — à deux discours récemment prononcés par M. Dominique Ruiz, procureur du Roi, devant les tribunaux de Castrovillari et de Catanzaro. On peut dire que ces deux discours exposent la théorie et la pratique d’une réforme sociale complète : l’idée de la liberté du contrat y est amendée par un vœu très formel, tendant à l’institution de collèges arbitraux, intermédiaires sérieux et vraiment libres entre les propriétaires et les travailleurs ; l’idée de propriété y est tout ensemble corrigée et justifiée par l’affirmation de la responsabilité sociale du propriétaire ; et cette dernière affirmation est à son tour sanctionnée par un appel à la sage et ferme intervention des pouvoirs publics, protecteurs naturels du sol national et garans du droit des citoyens à l’existence. Un autre magistrat de Catanzaro, M. le substitut Oliva, risquait à son tour, cette année même, un réquisitoire analogue : « Par une loi fatale, déclarait-il, le gros capital dévore le petit ; et, pour quelques-uns qui s’enrichissent, réunissant dans leurs mains toute l’opulence, il y a des centaines de milliers dont l’extrême indigence se tient au-dessous de toute description… Les riches doivent secouer leur égoïsme et leur inertie, en mettant en circulation leurs capitaux pour l’amélioration de l’agriculture et pour le développement des trafics, s’ils veulent être sûrs de conserver les aises et les jouissances de la vie. »

De telles réflexions empruntent un poids fort grave à la fonction des orateurs et à la solennité qui les leur inspira. C’est à l’occasion de la rentrée des tribunaux civils et criminels que ces magistrats philosophes, témoins assidus et autorisés de beaucoup de misères et de fautes, chargés d’épier et de punir les délits tentés contre l’ordre social, se piquent de remonter à la source et signalent, sans ambages, les injustices commises et maintenues, au détriment des futurs criminels, par les bénéficiaires mêmes de cet ordre social. « L’abrutissement des classes laborieuses, proclame M. Ruiz, vient de ce qu’elles ne peuvent aspirer à se relever, par leurs propres forces et par un travail rémunérateur, de la misère qui les opprime : de là la facilité avec laquelle se développent, parmi elles, les tendances criminelles ; de là la lutte antijuridique pour se soustraire à ce qu’on appelle l’injustice du sort et à ce qui est, plutôt, l’injustice des hommes. » Et que dans les Calabres, fraîchement initiées aux splendeurs et aux revers de la civilisation moderne, ces cris d’alarme soient jugés nécessaires et immédiatement poussés, c’est là, tout à la fois, un symptôme terrible et une heureuse fortune. Les causes de souffrance abondent dans ces régions, on peut même dire qu’elles s’accroissent. Mais n’est-ce point un gage de sécurité, et d’une sécurité véridique et loyale, n’est-ce point, dans toute la force du terme, un bienfait, que les revendications de la justice sociale y trouvent pour avocats les représentans attitrés de la justice tout court ?


GEORGE GOYAU.

  1. Fortunato, la Questione demaniale nelle provincie Napoletane ; Rome, 1882.
  2. Gadda. I demanii comunali della provincia di Calabria Cileriore. I, p. 53 (Cosenza, 1883).
  3. I contratti agrari in Italia ; Rome, 1891. — Commissione per i contratti agrari : verbale delle adunanze ; Rome, 1895. — Nitti, Agricultural contracts in South Italy (The Economic Review, juillet 1893).
  4. Comtesse Maria Pasolini, Una famiglia di mezzadri romagnoli (Bologne, 1891). — Monografie di alcuni braccianti nel comune di Ravenna (Rome, 1893).
  5. Salvatore d’Amelio, Sui contratti agrari medievali. Rome, 1897.
  6. Gabriel Ardant, Papes et Paysans, 2e édition. Paris, 1896.