Le Rêve de Mysès/01

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 Mysès avait emporté le cadavre de la reine en lui substituant la dépouille d’une courtisane, également d’une grande beauté.



  Lorsque tu t’asseyais sur la terrasse de ton palais, la nature entière semblait se recueillir pour te faire fête et caresser ta splendeur.

LE RÊVE DE MYSÈS

CHAPITRE PREMIER

C’était la demeure de Mysès, dans Thèbes. Le prêtre embaumeur avait emporté le cadavre de la reine Ahmosis pour le parer, selon son cœur, car il en était amoureux.

Les défuntes, parfaitement belles, couraient des risques auprès des « Taricheutes » habituels qui, parfois, étaient tentés de les violer ; aussi, Mysès avait-il dérobé jalousement le corps charmant de sa bien-aimée.

La substitution d’un personnage de marque était chose grave, que l’on punissait sévèrement dans la classe sacerdotale. Cette fraude, cependant, s’accomplissait fréquemment, grâce au mystère qui entourait les pratiques de l’embaumement.

Le mort n’étant montré aux familles que recouvert de son masque et enveloppé de ses bandelettes, il était aisé de le faire disparaître, et des corps d’esclaves occupaient, parfois, des sarcophages princiers.

Nul n’était autorisé à défaire les visages d’or ou d’ivoire qui recouvraient les traits véritables, ni à dérouler les bandelettes des bras et des jambes, aussi, arrivait il, parfois, qu’un grand dignitaire emmaillotté de toile grossière, cousue à larges points, vint, après un séjour plus ou moins prolongé dans le « natron », prendre sa place anonyme dans les caveaux publics.

Les jeunes mortes, violées par les embaumeurs, étaient livrées aux crocodiles sacrés.

Mysès avait donc emporté le cadavre de la reine en lui substituant la dépouille d’une courtisane, également d’une grande beauté.

Ahmosis, couverte d’un voile épais, reposait près du prêtre qui, agenouillé respectueusement, n’osait encore porter sur elle une main profanatrice.

— Ô souveraine adorable ! disait-il, toi qui fis la joie et l’orgueil de l’Égypte ! déesse au sourire vainqueur, aux longs yeux d’onyx et de nacre !… Sœur de l’ibis, du sphinx, du lotus d’or et de la rose vermeille ! pardonne au plus humble de tes serviteurs !

« Je voudrais te donner ma vie, te conquérir

la gloire et l’éclat de l’astre créateur qui
 
La brise t’apportait des parfums plus doux, le Nil plus voluptueusement glissait ses ondes d’émeraude, lorsque tu rêvais, à l’heure crépusculaire.

réchauffe le monde et renaît plus beau, chaque

jour, sur la terre et sur la mer immense !…

Lentement, il découvrit le corps encore souple de la reine et le contempla avec ravissement.

Les traits purs, réguliers, n’avaient point été outragés par le trépas et la chevelure, coupée au-dessus des épaules, à la mode égyptienne, mettait autour du visage enfantin comme une auréole de plumes légères. Les dents, petites, luisaient, tels des grains de riz entre les lèvres enduites d’un fard tenace, merveilleusement écarlate, et la peau ambrée, presque lumineuse, paraissait traversée d’une clarté intérieure.

Mysès mit ses lèvres sur le bras fin, arrondi encore en forme de caresse ; il monta jusqu’à l’épaule ronde et polie, enivré par le parfum qui se dégageait de cette chair, frottée d’aromates, défaillant d’un trouble divin.

Étendue sur le lit de bois, à tête de lion, du prêtre, Ahmosis semblait sourire, heureuse de ce suprême hommage.

— Réveille-toi ! soupirait-il, voici qu’Isis répond mystérieusement à ma prière… Sans doute, domptera-t-elle le trépas et te rendra-t-elle à ma tendresse ?… Réveille-toi, ô ma royale amoureuse, et chasse toute souffrance !…

« Lorsque tu t’asseyais sur la terrasse de ton palais, la nature entière semblait se recueillir pour te faire fête et caresser ta splendeur !… La brise t’apportait des parfums plus doux, le Nil, plus voluptueusement, glissait ses ondes d’émeraude, et les grands sphinx te regardaient avec admiration !…

« Réveille-toi, ma bien-aimée !… »

Mais Ahmosis demeurait immobile sous les baisers du prêtre. Ses longues paupières cachaient l’onyx de ses prunelles, son sourire figé avait le même charme mystérieux et mélancolique.

Elle inspirait de secrets désirs, une crainte lascive, un délicieux émoi ; c’était une grande fleur, séchée dans les baumes, un calice d’or et

de soie, artificiel, somptueux et inquiétant.

 
Dans le jardin, une femme était assise, enlevant une épine de son pied meurtri. Sans doute avait-elle marché longtemps dans les pierres et les ronces, car elle était couverte de poussière et ses cheveux emmêlés retombaient sur ses épaules.