Le Rêve de Mysès/11

La bibliothèque libre.
Librairie d’Art Technique (p. 96-111).

CHAPITRE XI

Les amants s’étendirent sur leur couche, aux bras l’un de l’autre, et le sommeil, malgré les émotions qui les avaient assaillis, vint fermer leurs paupières.

Puis, Mysès frissonna. Ce qu’il vit lui sembla la continuation d’un cauchemar ; il se dressa parmi les coussins, se demandant s’il n’était pas ivre ou fou.

Une lueur phosphorescente se dégageait du sarcophage d’Ahmosis, de grands oiseaux nocturnes lançaient, au dehors, leur cri sinistre et les chacals hurlaient à la mort.

Tandis que la pièce restait dans les ténèbres le cercueil s’éclairait de plus en plus vivement et la reine apparaissait distinctement.

Mysès, les bras étendus, se jeta hors du lit.

Le regard de la morte lentement se dirigeait vers le sien et s’y fixait avec amour. Ces yeux animés, dans cette face immobile, le troublèrent étrangement.

Alors, dans un effort surhumain de volonté, il supplia la reine de le rassurer, de lui

 — Je suis à toi !… soupirait-elle, mon cher seigneur ! mon maître !… Cache-toi derrière cette roche, car je vois passer, au loin, les prêtres d’Osiris.

prouver que toutes les recherches humaines n’étaient point vaines, qu’il existait un monde différent de celui qu’il connaissait, que tout ne s’arrêtait pas au seuil du tombeau et que l’apparente injustice de la vie cessait avec elle.

Il la conjura de lui dicter la conduite qu’il aurait à suivre et de l’assister dans ses peines.

Il entendit la vibration d’un faible écho. À mesure que sa pensée lui retraçait ces mots consolateurs, une voix dont toutes ses fibres tressaillaient délicieusement, les répétait docilement.

Il savourait cette sensation nouvelle, cet entendement exquis de l’âme, maintenant errante, qu’il aimait, et cette voix, dont les ondes sonores, perceptibles pour lui seul, le troublaient profondément, murmura :

— Tu as conservé mon corps miraculeusement et tu m’as promis d’associer ton désir au mien, de m’appeler à toi avec toute l’ardeur que je mettrai à briser mes chaînes. Le moment est venu.

Mysès se prosterna devant le cercueil lumineux, et, les prunelles extasiées, les lèvres tendues vers de mystérieux baisers, toutes ses forces dirigées vers un but unique, il promit d’exécuter les souhaits d’Ahmosis.

— Si tout doit se transformer, dit-il, si les phénomènes progressifs que nous avons étudiés doivent se renouveler jusqu’à la perfection complète, si rien ne meurt, et si l’homme, initié aux puissances occultes, peut diriger, à son gré, ses diverses évolutions dans la vie, jusqu’à la suprême béatitude, que ma volonté passionnée s’accomplisse !

« Ton âme est liée à la mienne, Reine de douceur et d’amour ! et je ne peux pas plus en être privé que je ne pourrais être privé d’air et de soleil !… Non, rien ne meurt !… Tout change simplement et se transforme comme la chrysalide qui devient papillon, et la fleur immaculée, fruit vermeil et délicieux.

« Ne pouvons-nous, à notre gré, diriger la transformation des êtres que nous avons chéris ?… Ne pouvons-nous, à force de persévérance et d’énergie, les trouver et les reconnaître, bien vivants, à nos côtés ?… Ne viendra-t-il pas, ma Reine adorée ! le moment de notre union indissoluble, malgré le monde et ses lois cruelles, malgré les faibles calculs de la science humaine qui croit tout embrasser et n’a jamais soulevé le pan mystérieux du voile d’Isis ?…

« Le sang circule dans notre corps, comme un fleuve qui revient à sa source, et il y a, par delà la mer des ténèbres, des terres couvertes d’arbres différents des nôtres et

 — J’irai visiter les étangs lointains dont, seule, je connais les mystérieuses profondeurs. Je t’apporterai des plantes, des insectes et des reptiles inconnus.

habitées par des hommes différents aussi ; mais nul n’a encore reconnu que toutes les choses qui nous surprennent et nous inquiètent sont des signes divins ?… Il y a de ces signes dans l’onde, dans les forêts redoutables, dans la terre, dans nos muscles, dans nos os et dans notre chair.

« La nature nous parle, à toute heure du jour, une langue immensément sonore, auprès de laquelle tout notre pauvre savoir n’est plus qu’un faible vagissement !…

« Les signes du monde mystérieux nous démontrent, d’une manière qui s’adresse non pas à notre raison défaillante, mais à notre instinct, à notre cœur, que nous ne pouvons disparaître sans retour, que notre essence est impérissable et qu’une force divine nous guide, sans cesse, vers l’éternelle lumière que nous verrons un jour !…

Ahmosis, toute droite dans sa robe égrenée de flammes, conservait les yeux ouverts, et son regard immobile, tourné vers Mysès, le pénétrait d’espoir et d’épouvante.

Le prêtre, abîmé d’amour, demeurait à genoux. Il se croyait transporté dans un monde différent, débarrassé de ses liens terrestres, léger, immatériel.

Perdu dans son rêve enivrant, il sentait son âme, projetée pour ainsi dire hors de lui, corps impondérable, forme astrale ; il lui semblait que la puissance de son fluide vital ainsi libéré, attirait Ahmosis, la morte adorable, et qu’elle se fondait exquisement en lui. Il sentait l’être de la très aimée s’enfoncer en son être comme dans un abîme d’amour. Sa voix lui parlait ineffablement dans le grand silence, et Mahdoura, même, avait disparu.

Il était bien seul avec la divine qui vibrait dans ses fibres les plus secrètes, l’affolait jusqu’au vertige.

Pourtant, la reine avait bougé dans son sarcophage, sa poitrine, rythmiquement, se soulevait, son teint prenait une lueur plus chaude.

Mysès tendit les bras :

— Ô ma souveraine !… mon lotus divin ! ma gerbe de lumière ! renais pour mon amour !… Tu t’animes, déjà, et je sens ton esprit tressaillir comme un bel oiseau de feu !… Tu revivras de toute la plénitude de la vie pour te donner à l’humble prêtre qui t’implore !…

Mais la momie, de nouveau, avait repris sa rigide immobilité.

Alors, Mysès fixa ardemment sa pensée sur le but qu’il poursuivait, il évoqua l’âme palpitante d’Ahmosis, la supplia de ne point l’abandonner au seuil de la béatitude. N’avait-il donc

 Elle avait rejeté sa gaine d’argent et d’or, les joyaux de sa poitrine, le scarabée royal qui pesait sur son cœur, et elle montrait un corps fin, poli, à la chair élastique, aux formes harmonieuses…

espéré, jusque-là, que pour sentir plus âprement l’humiliation de la défaite ?… devait-il retomber dans le gouffre fangeux de son angoisse, sans s’être bercé du bonheur des élus ?… N’était-il point digne de cette récompense, après avoir parcouru le rude calvaire des incompris et des abandonnés ?…

Il se prosterna, la face contre terre, et, de tout son être, abîmé dans la désolation et la tendresse, jaillit un cri profond, une suprême prière.

Aussitôt, il reprit courage ; il se sentit réconforté et soutenu. Ses nerfs et ses muscles lui obéirent, lorsqu’il redressa contre le mur le pesant sarcophage.

Quelques minutes s’écoulèrent dans une attente délirante. Puis, il devint évident que le sein d’Ahmosis se gonflait et qu’un imperceptible tremblement agitait ses membres.

Cette fois, Mysès, avait certainement vu et entendu ; la vision s’était imposée comme une réalité indiscutable.

— Ahmosis ! fit-il, d’une voix éteinte, Ahmosis, ma bien-aimée.

Et la reine, jaillissant de sa boîte dorée, s’avança dans une traînée lumineuse, comme une fleur détachée, poussée par la brise.

— Ahmosis ! dit-il encore.

Alors, elle se dressa, lui jeta ses bras charmants autour du cou.

— Me voici !…

— Vivante ?…

— Vivante pour te chérir !

Elle avait rejeté sa gaine d’argent et d’or, les joyaux de sa poitrine, le scarabée royal qui pesait sur son cœur. Et elle montrait un corps fin, poli, à la chair élastique, aux formes harmonieuses, créées pour l’éternel désir du baiser.

— Je t’aime ! Mysès… Je n’ai voulu mourir que pour être à toi, car je savais que tu viendrais me prendre dans la crypte du temple et que tu m’emporterais en ton logis !

— Tu le savais ?…

— Oui, les dieux m’avaient avertie.

Elle le regardait, en souriant, dans une pose familière ; si jeune et si souple, si pleine de force et de juvénile ardeur qu’il en demeurait éperdu de joie.

— Alors, tu ne me quitteras plus ?…

— Plus jamais.

— Mais, l’on te reconnaîtra, peut-être ?…

— Nous fuirons, mon bien-aimé ! Nous quitterons cette terre d’Égypte où j’ai été puissante et glorieuse. Obscurément, en quelque solitude, nous irons cacher notre tendresse.

— Tu renoncerais, pour moi, aux bonheurs de la vie ?

— Le tien, mon cher Mysès, me suffira.

Il ne se lassait pas de la contempler.

— Ah ! ma divine ! tout me charme, m’enivre, me fait défaillir ! Jamais je n’ai connu un émoi semblable ! La chrysalide triste et sombre est devenue un papillon vermeil… Viens plus près, plus près encore ?… Et que, dans la blancheur adorable de tes voiles, je retrouve le reflet des éternelles clartés !

Elle l’enlaçait, collait sa bouche à la sienne.

— Mon Mysès ! mon amant ! Emporte-moi dans la campagne embaumée, sous les bois aux voluptueuses profondeurs ! Tout est ivresse, au dehors ! parfum ! enchantement ! Prêtre, donne-moi ton baiser, ton étreinte, ton pardon… De toute ma jeunesse en fleur, je te ferai l’offrande.

Il frissonnait sous l’affolante caresse, rendant à la souveraine baiser pour baiser.

— Viens, dit-il.

Mais elle s’échappa, craintive.

— Si quelque serviteur du Pharaon venait à me reconnaître, je serais perdue pour toi !… L’on te conduirait dans un sombre cachot en attendant la mort qui ne tarderait guère… Ô mon aimé ! J’ai peur !…

— Si l’on nous surprenait, il ne te serait fait aucun mal. Tu reprendrais ta place au palais, comme jadis… Tu trônerais dans les salles immenses, adorable et parée ainsi qu’une idole. Et, sur les terrasses de tes appartements, tu viendrais rêver parmi les fleurs…

— Mais l’on te tuerait.

— Qu’importe ! je ne tiens pas à l’existence… Je m’en irais avec bonheur en te sachant heureuse… Partons, ma bien-aimée !

— Partons !… dispose de ma destinée selon ton désir.

— Oui, dit-il, mais, avant, sois à moi. Je ne sais ce que me réserve demain et je veux profiter de l’heure ineffable qui passe.

Il conduisit Ahmosis vers la couche, saccagée par d’autres tendresses.

Elle eut un rire léger.

— Mahdoura, ton amante pleure dans les rochers… Je l’ai exilée pour toujours… Ne la regrettes-tu point ?…

Elle le regardait anxieusement, attendant sa réponse.

— Non, dit-il, je n’aimais point cette fille qui est venue se jeter entre notre amour.

— Bien vrai ?…

— Comment peux-tu douter encore, après toutes les marques d’adoration que je t’ai données ?…

Elle cacha son visage sur le sein du jeune homme.

— Je ne doute plus, car, moi aussi, je n’ai jamais chéri que toi !…