Le Radium qui tue/p10/ch01

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Éditions Jules Tallandier (12 Voir et modifier les données sur Wikidatap. 427-445).

DIXIÈME ÉPISODE

LA RÔTISSERIE DE VINCENNES


CHAPITRE UNIQUE

À l’ombre du donjon.


— Mais alors, tu es venu directement dans cette maison ?

— Dame, mon cher Larmette, j’étais sans défiance. C’est à un quart d’heure de Paris que le joaillier et son complice Muller échangeaient ces répliques.

Ils se promenaient sur la place plantée d’arbres, qui avoisine le donjon du château de Vincennes.

Larmette semblait agité, nerveux. Il frappait du pied en grommelant :

— Tout devient clair. On m’a retenu trois jours prisonnier à Moscou. J’accusais les lenteurs de la police russe. Naïf que j’étais !

Et, avec une colère concentrée, sa main se crispant sur le bras de son complice :

— Et toi, toi, Muller, tu devais m’attendre à Varsovie. Le changement d’ordre ne t’a pas mis en défiance ?

— Ma foi, non. Je reçois, à l’arrivée, un télégramme à mon nom, signé du tien, m’enjoignant de m’arrêter pour t’attendre, et de continuer le voyage, si tu n’es pas arrivé dans le délai fixé. Pouvais-je supposer que j’étais reconnu ? Maintenant encore, je crois ce que tu m’affirmes, mais, parole, je ne comprends pas.

— Qu’importe ! Dick Fann, ce maudit Dick Fann, connaît notre retraite, sois-en-sûr. D’un jour à l’autre, il nous fera, pincer, à moins… à moins que nous le supprimions.

— Certainement ! certainement ! Il ne nous manque qu’un petit renseignement : où est-il ?

La réponse ne vint pas tout de suite.

Muller avait mis le doigt sur le défaut de la cuirasse.

— Oh ! il faut en finir ! rugit rudement le joaillier de la rue de la Paix.

Puis, baissant la voix :

— Dans la chambre du premier étage, tu as tout disposé selon mes ordres ?

— Tout.

— Les volets, la porte ?

— Doublés d’un matelassage épais recouvert de plaques de tôle.

— Donc, inébranlables même sous la poussée d’un homme exceptionnellement vigoureux.

— Oh ! ça, cher ami, je puis en répondre de la façon la plus absolue.

— Il faut qu’il arrive là… Il le faut, tu entends ?

Le compagnon de Larmette eut un geste d’impuissance.

— Ah ! si tu as un moyen…

— Je ne l’ai pas, mais nous devons le trouver… Nous le trouverons… Une fois dons notre prison, il n’en sortira plus que mort, c’est-à-dire hors d’état de nuire. Defrance et sa fille en Sibérie, lui éteint à jamais, nous n’aurons plus rien à craindre.

— Et, foi de Muller, j’en serai ravi. Car, entre nous, l’existence est plutôt grise quand on passe son temps à se demander de quel côté viendra le coup d’assommoir.

À ce moment, un mugissement de sirène passa dans l’air.

— Midi, fit Muller, les ouvriers de l’usine vont sortir. Ils déjeunent, n’est-ce pas ? En attendant mieux, nous pourrions bien en faire autant.

Les portes d’une usine de films cinématographiques venaient de s’ouvrir.

Ouvriers et ouvrières sortaient posément.

Ils s’en allaient, par deux, par quatre, chez les traiteurs des environs où ils avaient coutume de prendre leur repas du milieu du jour.

Larmette et son complice s’étaient éloignés. Debout à l’autre extrémité de la place, ils regardaient distraitement le défilé du personnel des films.

— Allons murmura Muller, j’ai faim, tu sais. Je sens le besoin d’un bon déjeuner pour me remonter le moral. Passons sur l’avenue. Le tramway nous conduira en dix minutes à la Porte Jaune et…

Et, tournant le dos au flot des ouvriers, les deux hommes se mirent en devoir de contourner l’enceinte du château, afin d’atteindre l’avenue que parcourt le tramway, de la porte de Vincennes à Nogent.

Ce mouvement attira l’attention d’un ouvrier et d’une ouvrière qui déambulaient parmi les groupes.

Lui, grand, légèrement voûté, le visage brun enveloppé par une barbe noire très soignée. Elle, petite, à la démarche sautillante, avec un je ne sais quoi d’audacieux et d’ironique dans la physionomie.

C’était un jeune ménage, du moins il avait été présenté comme tel à l’usine, où on l’avait admis quelques jours auparavant, sur la recommandation expresse des directeurs.

Ils étaient employés, l’homme à l’expérimentation de nouvelles machines de coloriage des films, la dame au découpage.

D’emblée, ils avaient conquis la sympathie de leurs collègues par leur bonne humeur, leur complaisance, la bonne grâce avec laquelle ils avaient sollicité les « corvées ».

— Pendant le premier mois, avaient-ils dit, nous prendrons les gardes de nuit. Ce sera une façon de payer notre bienvenue aux camarades.

Et les camarades avaient trouvé le procédé tout à fait agréable.

Peut-être eussent-ils pensé qu’un intérêt personnel se greffait sur le désir de leur plaire, s’ils avaient entendu le rapide colloque qui s’établit entre les deux personnages.

— Larmette et Muller ! avait murmuré la jeune femme. Ils ont l’air ennuyé.

— Comment ne l’auraient-ils pas ? Maintenant ils se sont expliqués. Ils se sentent menacés et n’ont pas le moindre indice qui les mette sur la piste de l’ennemi.

La petite personne frétilla, se contorsionnant dans un rire irrésistible.

— Bon, ils ne se doutent pas que dans l’usine mitoyenne avec leur maison… Faut avouer, patron, que vous avez eu une idée…

— Chut ! un mot peut tout compromettre.

— Bon, bon… faut que je rie un peu. Vous ne vous figurez pas, quand mes petites compagnes du découpage m’appellent Rosa long comme le bras ; quand la contremaîtresse me dit : Madame Davray… votre  épouse donc… je me pince pour ne pas m’esclaffer… Alors, si l’on n’ouvre pas la soupape de temps en temps, bien sûr, je finirai par éclater.

Et Jean Brot, qui venait de dévoiler son déguisement et celui de Dick Fann, se reprit à rire de plus belle.

Larmette ne s’était pas trompé dans ses suppositions. Parti de Moscou le lendemain de son entrevue avec Nège Aïarouseff, laquelle, il s’en était douté, avait le jour même obtenu pour les prisonniers tous les adoucissements réclamés par le détective ; parti donc le lendemain, Dick avait sans difficulté rejoint Muller à Varsovie, où le porteur de radium pensait, de la meilleure foi, obéir aux ordres de son chef, Larmette.

C’était par le même train que les deux hommes avaient quitté la métropole polonaise, franchi la frontière allemande, atteint Berlin.

Les deux voyageurs, dont l’un filait l’autre sans que ce dernier s’en doutât, sautèrent du train venant de Russie dans un train à destination de Cologne, Belgique, Paris, traversant l’Elbe, le Weser, le Rhin, la Meuse, l’Escaut, pour débarquer enfin aux bords de la Seine.

Mais, sans doute, Muller était pressé de se débarrasser de la boîte à double fond dont il ne s’était point séparé un instant durant sa longue pérégrination, car il ne prit aucun repos dans Paris.

À peine sorti de la gare du Nord, il se dirigea vers les boulevards extérieurs, s’engouffra dans le Métropolitain, parvint à la Nation. Là, il quitta le convoi ; par les couloirs et escaliers souterrains, il atteignit le quai de départ pour la porte de Vincennes.

En ce dernier point, terminus du Métropolitain, il dut remonter à la surface du sol. Mais ce fut pour se précipiter dans le tramway de Nogent, qu’il quitta à son tour, à hauteur du château de Vincennes.

Longeant l’enceinte, il avait atteint la place où il se promenait tout à l’heure en compagnie de son complice, et, passant devant l’usine de films, il s’était arrêté devant la porte d’une petite maison contiguë, un étage sur rez-de-chaussée.

D’un regard il s’était assuré que personne ne l’observait. Introduisant une clef dans la serrure, il avait pénétré à l’intérieur, pour ressortir une demi-heure plus tard. Seulement, à l’arrivée, il portait sous le bras sa fameuse caissette noire ; au départ, il avait les mains libres et semblait en être prodigieusement satisfait.

Il retourna à Paris, prit une chambre dans un hôtel confortable et s’accorda un repos bien gagné, sans se douter que Dick Fann avait effectué, à vingt pas de distance, les mêmes marches et contremarches que lui.

Le lendemain, Jean Brot, ayant traversé l’Europe de son côté, mettait le pied de bon matin sur l’asphalte parisien. Le soir même, déguisé à ravir par le détective qui l’attendait, il était présenté sous le nom de Rosa Davray au directeur de l’usine de Vincennes, lequel l’affectait aux ateliers de découpage, tandis que Dick, devenu M. Davray, se voyait bombardé mécanicien au coloriage.

Pour l’instant, ils allaient déjeuner.

Tous deux gagnèrent, avec quelques autres employés, un débit de vins-restaurant situé à peu de distance. Dans la salle commune, un jeune homme blond, grêle, avec cette allure prétentieuse et falote du petit propriétaire de la banlieue, les accueillit par des cris, aggravés de gestes exagérés.

— Arrivez donc, vous me devez l’apéritif, monsieur Davray. Vous avez parié que je ne louerais pas la chambre du rez-de-chaussée, parce que la saison était trop avancée.

— L’auriez-vous louée ?

— Oui, monsieur !

Le jeune homme triomphait. Dick eut un geste furieux, comme si lui-même eût attaché de l’importance à l’affaire.

— Et vous avez terminé ?

— À l’instant. Mon locataire m’a remis les arrhes. Et même, il n’est pas de votre avis, celui-là. Il s’étonnait que je n’eusse pas encore loué une chambre charmante, au rez-de-chaussée, avec le jardin derrière qui permet de sortir directement dans le bois. Enfin, je m’offre un vermouth grenadine à votre compte.

— C’est parié. Vous en avez le droit.

Tandis que le jeune propriétaire appelait le garçon d’une voix pointue, le ménage Davray échangeait un regard. On eût cru que la nouvelle réjouissait les deux personnages.

Il en devait être ainsi, car après l’apéritif et le repas, tous deux soldèrent leur addition, et bras dessus bras dessous quittèrent le cabaret.

Dans la rue, tous deux se prirent à marcher d’un bon pas.

En cinq minutes, ils étaient sous les frondaisons du bois. Alors, ils ralentirent leur allure, et Mme  Davray, reprenant sa voix naturelle, cette voix si parisienne de Jean Brot, murmura :

— C’est égal, vous me renversez toujours, patron. Ça, c’est effarant d’avoir deviné que Larmette louerait la chambre du bonhomme.

— Je te répète, Jean, que je ne devine jamais. Je raisonne, voilà tout. Quelles sont les idées de Larmette ? Il est convaincu que je rôde autour de lui et, ne découvrant pas où je me cache, il coule des jours remplis d’inquiétude, chaque instant pouvant amener la catastrophe.

— Oh ! ça, d’accord. Seulement, de là à louer dans la maison faisant vis-à-vis à la sienne…

— Un peu de patience donc. Il ne pouvait pas faire autrement. Ne sachant où me prendre, quelle idée a dû nécessairement germer dans son cerveau : me forcer à me montrer.

Cette fois, le jeune garçon s’arrêta net, les traits exprimant l’étonnement.

— C’est ma foi vrai… Oui, en effet, il doit songer à cela.

Mais, souriant, Dick Fann l’interrompit pour continuer :

— Suis bien le raisonnement. Il détient le radium volé. Si je puis démontrer qu’il en est ainsi, ses accusations contre M. Defrance tombent d’elles-mêmes.

— Oui, oui, je comprends encore cela.

— Eh bien ! De là à utiliser, le radium comme appeau, il n’y a qu’un pas.

Et lentement :

— De là ses allées et venues dans la maison. Il faut m’y attirer et, une fois entré, m’empêcher d’en sortir.

— Vous empêcher ? Est-ce possible ?

— Il est toujours possible de tuer un homme, petit Jean, ne l’oublie pas.

Le détective avait prononcé ces paroles d’un ton grave qui impressionna son interlocuteur.

— Pour m’attirer, il faut que je croie pouvoir pénétrer dans la maison du radium sans être surpris. La nuit est évidemment le moment le plus favorable. Si donc, s’est dit Larmette, Dick Fann croit la maison vide pendant la nuit, il ne pourra résister à l’envie de se glisser dans notre cachette. Il se trahira. Si je m’introduis dans la maison de Larmette, il ne le saura que s’il est en posture de me voir, de me surveiller.

— Eh bien ?

— Il y a en face une chambre à louer, une chambre délicieuse, dans laquelle on peut pénétrer incognito par le bois, et tu veux qu’un gaillard comme ce coquin reste insensible à de tels avantages ?

Ah ! Jean s’appliqua sur la tête une vigoureuse calotte. Vite, il rajusta le chignon faisant partie de son déguisement féminin.

— C’est vrai. C’est vrai. Clair comme de l’eau de roche.

Et interrogatif :

— Alors ?

— Alors, Muller va quitter la maison bien ostensiblement. Par un circuit, il rejoindra Larmette dans la chambre louée.

— Et ils nous guetteront. Seulement, comme nous sommes prévenus, ils en seront pour leurs frais.

Lentement, Dick Fann hocha la tête.

— Tu te trompes, petit. Il faut qu’ils nous voient. Sans cela, je te demande comment nous pourrions les prendre en flagrant délit ?

Et, arrêtant les questions de l’enfant profondément intrigué :

— Il est temps de rentrer à l’atelier. Travaille bien, Rosa, acheva-t-il en riant. Je crois que c’est notre dernière séance de films.

. . . . .

La nuit. Les globes électriques des avenues brillaient à travers les feuillages du bois de Vincennes, qui serait le rival du bois de Boulogne, si le hasard ne l’avait placé à l’est de Paris, c’est-à-dire du côté dont s’éloignent les élégances.

Un homme marchait vite dans une allée parallèle à l’avenue du Polygone. Bientôt, il arriva à la hauteur de la rue latérale aboutissant à la place plantée d’arbres près de l’usine.

Il la dépassa d’environ deux cents mètres. Alors il se rapprocha de l’avenue. Restant dans l’ombre de la futaie, il examina prudemment la route, violemment éclairée, puis, l’ayant reconnue déserte, il la traversa en courant et se plongea dans le sous-bois, faisant face au point dont il était sorti.

Un brusque crochet le ramène vers des clôtures. Il s’arrête devant l’une d’elles. Un portillon à clairevoie, que ferme un simple loquet, s’ouvre devant lui.

Il est à présent dans un jardin.

À droite et à gauche s’étendent des murs sur lesquels des arbres fruitiers étendent leurs branches en espaliers. En face, une maison modeste.

À l’approche du visiteur nocturne, une porte de bois plein, percée au centre de la façade, s’entr’ouvre.

L’homme entre, la porte se referme sans bruit.

À l’intérieur règne une obscurité opaque. Une main a saisi le poignet du nouveau venu et l’entraîne dans l’ombre avec ces mots susurrés :

— Aucun meuble dans le couloir. Pas de crainte de se heurter.

Ainsi, les personnages franchissent une seconde porte.

Ici, bien qu’aucun luminaire ne soit allumé, une vague clarté permet de reconnaître une chambre à coucher simplement meublée.

C’est par la fenêtre, ornée de rideaux de cretonne, que pénètre la lueur. Cette fenêtre donne sur une rue. Ce sont les réverbères qui dissipent les ténèbres.

— Personne ne t’a suivi ? reprend l’homme qui attendait. — Personne. Je puis l’affirmer. Je suis sorti à huit heures. J’ai filé sur Paris. Je me suis rendu à mon hôtel où je me suis transformé, puis j’en suis sorti par une porte de service qui donne dans un passage situé derrière l’immeuble. Une voiture jusqu’à la Nation. Le métro jusqu’à la porte de Vincennes. Le tramway jusqu’à la porte Jaune, puis, la traversée du bois à pied. Personne n’a pu, me suivre.

Et l’homme ricana :

— Trois heures de marche pour traverser la rue, cela n’est pas ordinaire.

Les causeurs se taisent.

Larmette et Muller réfléchissent soucieusement. Car ce sont les deux complices qui se trouvent réunis dans la chambre du rez-de-chaussée, que le premier a louée le matin même, vis-à-vis la demeure où est enfermé le radium.

Ils se sont mis près de la fenêtre, et par les interstices des rideaux, ils plongent des regards avides dans la rue.

Dans une salle voisine, le balancier d’un cartel promène sans fin son tic tac monotone.

— Minuit, grommelle Muller. Il ne viendra pas cette nuit.

— Silence ! nous dormirons dans la journée autant que nous le souhaiterons.

Dans la voix de Larmette sonne une inquiétude inavouée.

Minuit et demi ; une heure.

Les deux hommes ont des mouvements nerveux. Cette veillée dans l’ombre leur apparaît interminable, presque douloureuse. L’agacement fait monter à leurs oreilles des bourdonnements. À chaque instant, ils croient percevoir des bruits insolites. Ils se penchent, écartent même les rideaux.

Oh ! cette fois, ce n’est pas une erreur de leurs sens surexcités.

Un pas ferme claque sur le trottoir. Ils regardent encore. Leurs mains s’étreignent.

— C’est lui !

Ils ont reconnu Dick Fann.

Le policier passe sans s’arrêter devant la maison du radium.

— Où va-t-il donc ? murmurent les guetteurs déconcertés.

Mais ils comprennent bientôt. Le jeune homme atteint l’extrémité de la rue, explore attentivement l’avenue du Bois, puis il revient sur ses pas.

Larmette fait entendre un ricanement prudent :

— Malin, le Dick Fann. Il se défie d’une embuscade. Mais la nôtre est trop bien dressée. Il ne nous suppose pas si près de lui. Ah ! ah ! ah ! je crois que nous le tenons.

Il se tait.

Dick s’est rapproché.

À présent, il marche avec précaution. Ses semelles ne tintent plus sur le bitume.

Un Instant, il demeure immobile auprès de la porte.

Celle-ci s’ouvre. Il disparaît, le battant se refermant sur lui.

— Pincé ! gronde Larmette. Eh ! eh ! ce détective vous ouvre une porte comme un vrai cambrioleur. Tu t’es muni de ton revolver, ainsi que je te l’avais recommandé ?

— Sans doute ! mais en quoi cela sera-t-il utile ?

— Il faut tout prévoir. Si Dick Fann est sur ses gardes, eh bien ! nous en serons quitte pour une erreur. Nous l’aurons pris pour un voleur.

— Bon, fit Muller, pour tirer sur Dick Fann, il faut le joindre.

— Simple. Nous nous trouvons au rez-de-chaussée. J’ouvre la croisée, je l’enjambe : tu opères de même. Nous traversons la rue. La clef que tu as en poche te permet d’ouvrir la porte, et…

— Et le policier nous attendra derrière, car il nous aura vus…

La réflexion parut remplir le joaillier d’une gaieté sans mélange.

— Mon pauvre Muller, tu seras toujours un associé sur lequel on ne peut compter. Depuis huit jours, tu vis dans la maison du radium, et tu n’as pas remarqué ceci : De l’intérieur, les fenêtres closes, il est matériellement impossible de voir dans la rue. Les vitres sont dépolies. Cette fois, le complice du joaillier demeura bouchée bée.

C’était vrai. Il se souvenait à présent. Il s’était demandé pourquoi ces vitres opaques, rendant la surveillance de la rue absolument impraticable.

— En route, mon vieux camarade. Je crois bien que, cette fois, nous tenons la partie.

La croisée ouverte sans bruit, un coup d’œil au dehors pour reconnaître l’absence de tout être vivant dans la rue ; tous deux passèrent sur le trottoir. Sur la pointe des pieds ils traversèrent la chaussée, stoppèrent devant la porte de la maison du radium, prêtant l’oreille.

— Ouvre, j’ai mon revolver à la main. Ainsi, ne crains aucune surprise.

Muller ne songeait plus à discuter les ordres de son chef.

Délicatement, il introduisit une clef dans la serrure. La porte tourna sans bruit sur ses gonds.

Un bruit les rassura aussitôt ; on marchait à l’étage supérieur.

D’un bond, Larmette fut auprès de l’escalier et appuya la main sur la boule de cuivre qui surmontait l’origine de la rampe. Il y eut un vacarme de portes se fermant avec fracas au premier, puis plus rien.

— Il est en cage ! gronda joyeusement le joaillier.

— En cage ? répéta son complice avec ahurissement.

— Oui, mon brave Muller, je puis à présent te parler en toute confiance.

Et goguenard, parlant sans modérer les éclats de sa voix, dans l’orgueil du triomphe :

— Dès longtemps, cette maison était destinée à recevoir le radium. J’avais donc pris certaines précautions contre les indiscrets. La porte, les contrevents obturant la croisée de la chambre du radium, se manœuvrent d’ici. Un courant électrique, mon cher, un circuit que je ferme en appuyant sur la boule de cuivre. Passe ta main sur cette boule : sens-tu une portion de la surface céder à la pression ? Oui ? Eh bien, le contact s’établit ainsi, le circuit se ferme, et toute issue disparaît pour le niais qui s’est donné le mal de pénétrer dans la chambre défendue.

Il gravissait l’escalier. Muller s’élança sur ses pas, dominé par l’accent du sinistre bandit. Au premier, une porte barrée par d’épaisses tiges de fer empêchait d’aller plus loin.

— Très bon le capitonnage, grommela Larmette. On ne perçoit rien du bruit que fait certainement notre homme en se voyant captif.

— Es-tu sûr qu’il soit là ?

— Oui, ami Muller. Tu vas du reste en être certain également. Je t’aime, Muller… La victoire est à nous, je ne saurais plus avoir de secret pour toi. Tiens, approche ta main ; qu’est cet objet fixé au mur ?

— Une patère, je pense.

— Tu penses juste. Mais appuie sur cette patère.

— Elle cède, fit avec étonnement l’interlocuteur du joaillier.

— Appuie encore. Et maintenant entends-tu Dick Fann se lamenter ?

En effet, la voix du détective parvenait aux oreilles de ses ennemis.

— Malédiction ! disait-elle, je me suis fait prendre comme un renard au gîte. Pas de lumière. Comment fait-il aussi noir ?

Dans un rire silencieux qui faisait hoqueter son débit, Larmette chuchota :

— La patère déplace un rectangle de la cloison, laisse-lui reprendre sa position normale, puisque tu es assuré que nous tenons notre ennemi.

Puis, Muller ayant obéi, le sinistre personnage continua :

— Passons au dernier tableau de la féerie. Le long des cloisons de la prison du détective, tu t’es étonné de rencontrer, de distance en distance, d’étroites armoires s’élevant du plancher à hauteur d’homme. Sur chacune des petites tablettes qui les divisent, je t’ai fait placer un tube de radium.

— Oui. Tu vas me faire connaître le pourquoi de cette manœuvre ?

— Sans doute. Est-ce que je ne désire pas qu’à l’avenir tu aies toute confiance en moi.

D’un accent affectueux, il reprit après une courte pause :

— Les plaquettes fermant les armoires sont doublés. Un isolant que les radiations ne sauraient traverser ; puis une mince plaque métallique, qui elle, au contraire, n’oppose aucun obstacle au cheminement des radiations. L’électricité, bonne fille, va nous permettre de faire glisser les isolants, en démasquant les surfaces perméables aux radiations. Il me suffit de presser ce poussoir ménagé ici, le long du chambranle de la porte, et qui, si nous avions de la lumière, apparaîtrait comme le plus inoffensif bouton de sonnerie. À partir de ce moment, Dick Fann est soumis aux effluves du radium. Dans dix minutes, il commencera à sentir un picotement, un malaise général qui grandira de plus en plus, jusqu’à lui donner l’impression d’être environné de charbons ardents. Au jour, il sera mort après de terribles souffrances.

Il commençait déjà à redescendre les degrés. Une réflexion de Muller l’arrêta.

— Oui, mais qu’est-ce que nous ferons du cadavre ?

Ce fut un ricanement cruel et haletant, comme celui des hyènes, dans la nuit tiède du désert.

— Tu n’enchaînes pas les faits, mon pauvre Muller. N’as-tu pas fait apporter dans cette jolie maison doux touries, d’une contenance de cent litres chacune, la première remplie d’acide sulfurique, la seconde d’acide azotique ?

— Si, tu me l’avais prescrit ; mais je n’aperçois pas le rapport.

— Le rapport, le voici, puisqu’il faut tout te dire. Les tissus humains, déjà désagrégés dans une certaine mesure par le radium, se dissoudront jusqu’à la dernière parcelle dans les acides en question.

— Ah ! bah !

— Et les acides, neutralisés par leur combinaison avec ce qui aura été un détective, pourront sans inconvénient être déversés dans la canalisation du tout-à-l’égout, laquelle les conduira à la plus prochaine rivière… où les goujons gourmands s’apercevront seuls de leur présence, car ils auront encore assez de puissance nocive pour déterminer le trépas de ces intéressants vertébrés aquatiques.

Dix minutes après, les deux criminels avaient réintégré la chambre du rez-de-chaussée de la maison d’en face. Vers neuf heures du matin, il faisait un temps-superbe.

Le soleil inondait la terre de rayons radieux, dont l’ardeur était tempérée par une brise fraîche, soufflant du bois verdoyant, tout plein de gazouillis d’oiseaux.

Aussi les rares passants ne s’étonnèrent-ils pas de voir deux hommes s’aborder gravement, marquant un vif plaisir de se serrer la main.

Le soleil se faisait complice de Larmette et de Muller, car c’étaient eux.

— En ! bonjour, cher ami ! Par quel hasard dans ce pays lointain ?

— Lointain par rapport à l’Opéra, car le métro et les tramways m’amènent ici en une demi-heure.

— Très exact : mais pourquoi vous y amènent-ils ?

— Parce que j’y suis propriétaire de la petite maison que vous voyez là. Et, ma foi, puisque je vous tiens, vous n’échapperez pas à la classique visite du propriétaire.

En suite de quoi, Muller s’avança vers la maison du radium, dont il ouvrit majestueusement la porte.

À présent, les criminels se trouvaient dans le vestibule.

La lueur du jour, en dépit des vitres dépolies, répandait la lumière dans les moindres recoins, piquait un éclair sur la surface de la boule de cuivre de la rampe, se jouait en stries d’ombre et de clarté sur les marches de l’escalier. Muller allongea le bras vers la boule et, consultant son compagnon du regard :

— J’établis le contact pour ouvrir là-haut ?

Le joaillier le retint par ces mots :

— Ce serait inutile. Ce circuit ferme, mais n’ouvre pas.

— Ah ! alors, pour entrer dans la salle du radium ?

— La porte a un bouton extérieur seulement… On le tourne et l’on entre tout simplement.

Par deux à la fois, ils escaladèrent les degrés. Au premier, Larmette manœuvra la patère qui ouvrait le judas pratiqué dans la muraille.

Le silence le plus complet régnait dans la salle du radium.

— C’est fini.

Ce disant, Larmette actionnait le poussoir rendant mobiles les plaquettes des armoires radiantes.

— Mais, objecta son compagnon, nous n’y verrons rien. Les contrevents capitonnés ne laissent filtrer aucune clarté.

— Rassure-toi, cher ami. En ouvrant la porte, les volets se déclenchent du même coup.

Le joaillier avait saisi le bouton de la porte. Celle-ci s’ouvrit sans difficulté. Au même instant, les volets clos se rabattaient à droite et à gauche de la croisée, s’appliquant au mur avec un claquement sonore.

Les complices bondirent en avant, regardèrent autour d’eux et poussèrent un cri rauque, stupéfait.

Dick Fann avait disparu.

Et, phénomène incompréhensible, tandis qu’ils se considéraient, ahuris, ne trouvant pas une parole à se dire, la porte se referma avec un sourd retentissement, les volets obturèrent de nouveau les fenêtres, les plongeant dans une profonde obscurité.

Avant qu’ils eussent pu se rendre compte de ce qui leur arrivait, un léger déclic résonna, et une voix railleuse s’éleva, jetant l’épouvante dans leurs âmes.

— J’appuie sur la patère, dit-elle, vous m’entendez ? Bien. Je tourne le bouton des armoires radiantes. Dans dix minutes, vous ressentirez un malaise douloureux, qui s’accentuera jusqu’à vous donner l’impression d’être environnés de charbons ardents.

Horrible ! cette voix répétait les paroles prononcées durant la nuit par Larmette, et cette voix qui sonnait dans l’obscurité, les misérables croyaient la reconnaître. Celui qu’ils avaient pensé assassiner, Dick Fann, parlait.

— Dans quelques heures, vous serez tous morts. Vos corps, déjà dissociés en partie par le radium, se dissoudront aisément dans les touries d’acides azotique et sulfurique que vous avez en cave, et par le tout-à-l’égout, iront empoisonner de malheureux goujons, dans la rivière la plus proche.

D’un effort surhumain, Larmette parvint à rompre la paralysie qui l’étreignait à la gorge.

— Non, non, pas ce supplice. Pas cela. Tout, mais pas cela. La mort dans ces conditions est épouvantable !

— Alors, avouez vos crimes, vos mensonges, les ruses par lesquelles vous avez fait arrêter des innocents, encore emprisonnés à Moscou.

Larmette gardant le silence, hésitant à s’avouer vaincu, le détective reprit :

— Je vais vous laisser un quart d’heure de réflexion. Les radiations seront plus persuasives que moi.

Un nouveau déclic. Le judas venait de se refermer. Les criminels restaient seuls dans cette atmosphère qui, déjà, leur semblait saturée de radium, Cinq minutes, dix minutes passèrent lentement.

Muller balbutia :

— Oh ! sens-tu une sorte de chatouillement par tout le corps ?

— Oui, mille diables ! je le sens, rugit le joaillier ; c’est le commencement de l’action du radium.

Les dents du complice de Larmette claquèrent de terreur, et le misérable se prit à appeler :

— Au secours ! À moi ! Interrogez, je répondrai, je dirai tout ce que vous voudrez !

Un silence de tombe succéda au vacarme des appels.

Quelques minutes encore s’écoulèrent ainsi. Ce n’était plus un chatouillement que ressentaient les prisonniers, mais une multitude de picotements, non encore très douloureux, pourtant pénibles.

La détente du ressort du judas les rappela à eux-mêmes, leur arrachant un cri d’effroi.

— Êtes-vous disposés aux aveux ? demanda l’organe de Dick Fann.

Définitivement vaincus, ils gémirent :

— Oui !

Une série de glissements légers bourdonnèrent à leurs oreilles. Du dehors, on actionnait les plaques isolantes des armoires à radium.

Puis, brusquement, la porte, les contrevents s’ouvrirent. Un flot de lumière pénétra dans la salle.

Mais avant que les criminels eussent eu le temps de se reconnaître, des hommes, en tête desquels marchaient le détective amateur et le petit Jean, avaient fait irruption dans la pièce ; Larmette, Muller, les menottes aux poignets, se sentaient entraînés au rez-de-chaussée, où des chaises, une petite table, semblaient disposées à l’avance.

Ce n’était pas par hasard que Dick et le petit Jean s’étaient fait embaucher à l’usine des films cinématographiques sous le nom de M. et Mme  Davray.

Non plus par hasard qu’ils avaient accepté les gardes de nuit.

La garde de nuit les obligeait à des rondes avec le gardien-chef, ou concierge de l’établissement. Celui-ci, bientôt rassuré par la ponctualité de ses aides, s’en remit à eux du soin de parcourir les ateliers de trois heures en trois heures et de déposer les jetons dans les boîtes de contrôle.

Le brave homme eût été bien surpris s’il avait soupçonné à quelles occupations se livraient ses suppléants, durant l’intervalle compris entre deux rondes.

Ils passaient leur temps à la cave encombrée, non de futailles et de poudreux flacons, mais de résidus de toute espèce, emballages hors d’usage, cartons, machines hors de service et aussi de planches, lattes, destinées aux réparations ou expéditions.

Là, les deux pseudo-ouvriers avaient étudié le mur mitoyen entre l’usine et la maison du radium.

Ce fut un jeu de desceller quelques pierres et de pratiquer ainsi une ouverture permettant l’accès des caves du pavillon occupé par Muller.

Durant le jour, des bois amoncelés masquaient l’ouverture.

Profitant des absences du complice de Larmette, ils parcoururent toute la maison, découvrirent la salle du radium, les armoires renfermant la précieuse substance.

Une seule chose avait échappé à leurs investigations : le mode de fermeture à distance de la porte et des volets de la chambre radiante.

Cependant, l’épais capitonnage des clôtures avait inquiété Dick.

Le jeune homme s’était rendu compte que, ces plaques épaisses fermées, la chambre serait totalement sourde, c’est-à-dire qu’elle ne laisserait filtrer au dehors aucun bruit.

Or, quand on dispose ainsi une fermeture, on en peut déduire que l’on caresse l’intention de s’en servir contre quelqu’un.

Et Dick, d’accord avec Jean, s’occupa de créer une issue, permettant de sortir de la salle, alors même que porte et fenêtres seraient obturées.

Une trappe, découpée dans le plancher et cachée sous le tapis qui le recouvrait, fit l’affaire.

De cette façon, le soir où Larmette, installé au rez-de-chaussée de la maison située de l’autre côté de la rue, attendait l’apparition de l’ennemi qu’il destinait à l’atroce torture du radium, Jean, sans pouvoir être vu, se glissa dans la villa par le passage de la cave.

Alors, seulement, Dick gagna la rue, pénétra dans la maison, se laissa surprendre par les criminels.

Ceux-ci s’étant éloignés, Jean, qui, dissimulé derrière une porte, n’avait pas perdu un seul mot de leur conversation, manœuvra la trappe du plancher. Dick se glissa hors de la pièce radiante. Tous deux, regagnant les caves de l’usine, s’empressèrent de prévenir policiers et magistrats.

Larmette et son complice, lorsqu’il revint avec Muller, dans l’intention d’achever son œuvre de haine, ne soupçonna pas la présence au rez-de-chaussée, de tous ces gens dont il eût évité la rencontre de tout son pouvoir.

Maintenant, les mains immobilisées par le cabriolet, livide, affolé, toute son énergie ayant sombré sous l’inattendu de ce dernier coup, il parlait… devant un juge d’instruction, un commissaire de police, des agents.

À la table, un greffier écrivait, retraçant les phases de l’interrogatoire.

Oh ! un interrogatoire sans ruses, sans aucun de ces effets d’attaque et de défense, si palpitants parfois, duels de deux esprits acharnés, l’un à convaincre le criminel, l’autre a l’innocenter.

Larmette ne résistait plus. Il disait le vol du radium, comment lui et ses associés avaient réussi à suppléer, un à un, les préparateurs des laboratoires mondiaux où l’on étudiait le radium. Il leur suffisait de remplacer un de ces braves gens, pendant une heure (ceux-ci ayant besoin de pareil laps de liberté pour une affaire quelconque), et le tour était joué.

Les voleurs s’emparaient du radium, y substituaient un corps inerte, auquel ils avaient donné l’apparence du métal dérobé.

Puis, ils s’en allaient tranquillement. Des semaines se passaient avant que le vol fût découvert.

Les savants, sans défiance, maniaient religieusement les corpuscules ayant toutes les apparences du radium. C’était seulement l’insuccès réitéré de leurs expériences qui, peu à peu, éveillait le doute en leur esprit.

Une analyse enfin leur démontrait la nature exacte de ce corps substitué au radium.

Et personne ne songeait à l’inconnu, qui, un mois ou deux auparavant, avait remplacé quelques courts instants le préparateur du laboratoire.

Ainsi, Larmette et ses complices, eu tout huit personnes, avaient pu faire main basse sur le stock mondial de radium. Les laboratoires, à quelques jours près, s’étaient aperçus du vol au même instant. Et l’on avait conclu à la simultanéité du cambriolage, ce qui avait encore épaissi les ténèbres environnant l’audacieuse opération.

Alors, Dick et Jean poussèrent un soupir de satisfaction.

Leurs amis se trouvaient définitivement libérés de la monstrueuse accusation.

Et comme, encadrés par les agents de police, Larmette et Muller allaient être entraînés vers les prisons où ils expieraient, la sonnerie de la porte de la rue retentit.

Un des policiers ouvrit. Des cris stupéfaits retentirent. Quatre personnes s’étaient précipitées en avant avec une impétuosité d’ouragan.

Et le détective amateur, Jean Brot, s’écrièrent :

Mlle  Fleuriane ! Mlle  Nège Aïarouseff !… M. Defrance !

Oui, la fille du vice-gouverneur de Moscou était là, tenant Fleuriane et M. Defrance par la main.

En arrière, suivait un homme de haute taille, portant l’uniforme des cosaques de la Moskova.

— Ne soyez pas surpris, expliqua rondement la gentille Nège. En arrivant à Paris, vous m’avez télégraphié que vous connaissiez le gîte du radium, celui qui l’avait emporté, etc., etc. Alors, comme j’étais sûre de l’innocence de cette charmante Fleuriane, j’ai fait partager mon opinion à mon père, puis, aux magistrats et… j’ai obtenu leur mise en liberté, sous réserve que le capitaine Rassanpof, ici présent, — elle désigna l’officier cosaque, — les accompagnerait et pourrait certifier l’exactitude de tous mes dires.

Et gracieusement, la gentille Russe ajouta :

— J’ai pensé que je vous procurerais ainsi une surprise agréable, et je les ai suivis. Ma cousine, Orramea habite Paris, cela me fera des vacances et peut-être…

Elle cligna des paupières d’un air mutin :

— Peut-être bien que cela me vaudra une invitation à un mariage.

Fleuriane, rougissante, regarda Dick. Celui-ci lui ouvrit ses bras.

Elle s’y jeta avec un cri éperdu.

— Ah ! sauvée, sauvée par vous !

Et M. Defrance les considérait d’un œil attendri en murmurant :

— Mes enfants ! mes chers enfants !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dick Fann avait bien réellement « conquis » sa fiancée. Aussi, peu de semaines après, juste récompense de son dévouement, il épousait la chère Fleuriane, en l’aristocratique église de Saint-François de Sales.

Et dans la nef, où retentissait l’allégresse des chants célébrant l’hyménée, on remarqua une fillette vêtue à la russe, le kakochnik de fête couronnant sa chevelure d’or pâle, laquelle priait avec ferveur.

Nadèje, la petite Slave orthodoxe, ne s’inquiétait pas de savoir si le temple était consacré à l’Église grecque ou à l’Église romaine. La reconnaissance vraie est partout à l’aise pour s’exprimer. L’enfant appelait le bonheur sur la tête de ceux qui l’avaient délivrée de la misère et du crime.

Jean Brot se trouvait là également, avec un frac du bon faiseur, qui lui donnait un air du meilleur monde. Il remarqua la jeune Russe, l’extase peinte sur le visage où les tristesses de l’enfance abandonnée avaient gravé une ineffaçable mélancolie. Et il murmura :

— Faut travailler, Jean, et gagner la forte somme ; car, dans quatre ou cinq ans, cette petite Nadèje…

L’orgue entonna la marche nuptiale, comme pour compléter la pensée du gamin.


FIN