Le Regret de l’Enfance (Albert Giraud)

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Parnasse de la Jeune BelgiqueLéon Vanier, éditeur (p. 121-122).


Le Regret de l’Enfance


Rouges lèvres d’enfants, lèvres simples et pures,
Qui buvez la jeunesse ainsi qu’une liqueur,
Rouges lèvres d’enfants, lèvres simples et pures.
Rouges lèvres d’enfants, pareilles à des mûres
Dont le sang saignerait doucement dans mon cœur ;

Prunelles d’or brûlé, d’ambre ou de violette,
Qui regardez le jour d’un regard étonné,
Prunelles d’or brûlé, d’ambre ou de violette,
Prunelles de vieil or et d’ambre où se reflète
La joie inconsciente et frêle d’être né ;

Cheveux blonds et cendrés que le soleil effleure
Longtemps après sa mort dans le ciel mordoré,
Cheveux blonds et cendrés que le soleil effleure,
Cheveux blonds et cendrés que les regrets de l’heure
Caressent vaguement d’un amour ignoré ;

Mains royales où dort le désir des étreintes,
Vous qui n’allumez pas la lampe de Psyché,
Mains royales où dort le désir des étreintes,
Mains jointes qui priez vers l’extase des saintes,
Qui ne connaissez pas les fièvres du péché ;


Chairs roses qui chantez le triomphe des roses,
Les splendeurs de la sève et les gloires du sang,
Chairs roses qui chantez le triomphe des roses,
Chairs roses qui rêvez dans la beauté des choses
Et fleurissez les yeux éblouis du passant,

Comme vous faites mal à ces âmes trop mûres,
À l’automne plaintif de ces cœurs épuisés,
Comme vous faites mal à ces âmes trop mûres
Qui sentent se rouvrir leurs anciennes blessures
Et qui meurent tout bas du néant des baisers !