Le Rendez-vous (Balzac)/01

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UNE NOUVELLE SCÈNE
DE LA VIE PRIVÉE.
LE RENDEZ-VOUS.

§ Ier — LA JEUNE FILLE.

Au commencement du mois d’avril, et par une de ces belles matinées où les Parisiens voient pour la première fois de l’année leurs pavés sans boue et leur ciel sans nuages, un cabriolet à pompe, attelé de deux chevaux fringans, déboucha dans la rue de Rivoli par la rue Castiglione, et vint se mêler à une douzaine d’équipages stationnés à la grille nouvellement ouverte au milieu de la terrasse des Feuillans. La leste voiture était conduite par un homme âgé, mais encore vert. L’inconnu paraissait souffrant et ennuyé. Ses cheveux grisonnans et bouclés ne couvraient plus qu’imparfaitement son crâne jaune et son front ridé.

Le laquais qui suivait à cheval la voiture ayant reçu les rênes que lui tendit le vieillard, celui-ci s’empressa de descendre pour prendre dans ses bras une jeune fille au teint blanc, aux cheveux noirs, petite, mignonne, et dont la beauté délicate attira l’attention de tous les oisifs qui se promenaient sur la terrasse.

Le vieillard saisit la jeune personne par la taille quand elle se montra debout sur le bord de la voiture ; puis, elle passa un de ses bras autour du cou de son galant conducteur, qui la mit sur le trottoir, sans que la moindre garniture de sa robe en reps vert eût été froissée.

Elle prit familièrement le bras de l’inconnu, qui, remarquant les regards d’envie jetés à sa compagne par quelques groupes de jeunes gens émerveillés, parut oublier pour un moment la tristesse dont son visage était empreint. Il semblait arrivé depuis long-temps à cet âge où les hommes sont réduits à se contenter des trompeuses jouissances de la vanité.

— L’on te croit ma femme !… dit-il à voix basse à la jeune personne, en se redressant et en marchant avec une lenteur qui la désespéra.

Il paraissait avoir de la coquetterie pour elle, et jouissait, peut-être plus qu’elle-même des œillades de côté que de jeunes curieux lançaient sur ses petits pieds chaussés par des brodequins en prunelle puce, sur une taille délicieuse dessinée par une robe à guimpe, et sur le cou frais qu’une collerette brodée ne cachait pas entièrement. Enfin, pour dernier attrait, les mouvemens de la marche, relevant par instans la robe de la jeune fille, permettaient de voir, au-dessus des brodequins, un bas blanc et bien tiré, qui révélait aux flâneurs charmés la perfection d’une jambe élégante et fine.

Aussi, plus d’un promeneur dépassa-t-il le couple mystérieux pour admirer ou pour revoir une figure, ombragée d’un chapeau vert doublé de satin rose, autour de laquelle se jouaient quelques rouleaux de cheveux bruns. Une malice douce animait deux beaux yeux noirs, fendus en amande, surmontés de sourcils bien arqués, bordés de longs cils, et qui semblaient nager dans un brillant fluide. Le reflet du satin rose ajoutait à l’éclat d’une peau plus blanche que les pétales d’une marguerite, et dont un désir pétillant, une impatience de jeune fille, rehaussaient encore le vif incarnat. La vie et la jeunesse étalaient leurs trésors sur ce visage mutin et sur un buste gracieux qui paraissait trop comprimé par les mille raies du reps vert. Insouciante des hommages qu’elle recueillait, la jeune fille regardait avec une espèce d’anxiété le château des Tuileries, où semblait être le but de sa pétulante promenade.

Il était midi un quart. Malgré cette heure matinale, quelques femmes élégantes, qui toutes avaient épuisé les ressources de la coquetterie pour se montrer avec des toilettes aussi fraîches que le jour, revenaient du château, non sans retourner la tête d’un air boudeur comme si elles fussent venues trop tard pour jouir d’un spectacle long-temps désiré.

Quelques mots, échappés à la mauvaise humeur de ces belles promeneuses désappointées, et saisis au vol par la jolie inconnue, l’avaient singulièrement inquiétée. Le vieillard, épiant d’un œil encore plus observateur que sardonique les signes d’impatience et de crainte qui se jouaient sur le charmant visage de sa compagne, semblait méditer quelque dessein paternel.

Ce jour était un dimanche, mais c’était le treizième dimanche de l’année 1813. Le surlendemain, Napoléon partait pour cette fatale campagne, pendant laquelle il devait perdre successivement Bessières et Duroc, gagner les mémorables batailles de Lutzen et de Bautzen, se voir trahi par l’Autriche, la Saxe, la Bavière et Bernadotte. Un sentiment triste avait amené là cette brillante et curieuse population. Chacun paraissait deviner l’avenir, et toutes les imaginations pressentaient peut-être que, plus d’une fois, elles auraient à retracer le mystérieux souvenir de cette scène, quand ces temps héroïques de la France auraient pris des teintes fabuleuses.

La magnifique parade que l’empereur Napoléon allait commander devait être la dernière de celles qui excitèrent si long-temps l’admiration des Parisiens et des étrangers. C’était pour la dernière fois que la vieille garde exécuterait les savantes manoeuvres dont la pompe et la précision étonnaient quelquefois même ce géant, qui s’apprêtait alors à son duel avec l’Europe.

— Allons donc plus vite, mon père ! disait la jeune fille avec un air de lutinerie, en entraînant le vieillard. J’entends les tambours.

— Ce sont les troupes qui viennent, répondit-il.

— Ou qui défilent !… Tout le monde revient ! répliqua-t-elle avec une amertume enfantine qui fit sourire le vieillard.

— La parade ne commence qu’à midi et demi !… dit le père, qui marchait presqu’en arrière de la petite personne impatiente.

À voir le mouvement que la jeune fille imprimait à son bras droit, on eût dit qu’elle s’en aidait pour courir ; et sa petite main, couverte d’un gant jaune, et tenant un mouchoir blanc à demi déplié, ressemblait à la rame d’une barque qui fend les ondes.

Le vieillard souriait par momens ; mais parfois aussi, une expression soucieuse passait sur sa figure desséchée : son amour pour cette ravissante créature lui faisait autant admirer le présent que craindre l’avenir. Il semblait se dire tour à tour :

— Elle est heureuse et belle !… Le sera-t-elle toujours ? Les vieillards sont assez enclins à doter de leurs chagrins présens l’avenir des jeunes gens.

Quand le père et la fille arrivèrent au péristyle du pavillon sur le haut duquel flottait le drapeau tricolore, et sous lequel passent les promeneurs qui veulent se rendre du jardin des Tuileries dans la cour, les factionnaires crièrent d’une voix grave :

— On ne passe plus !

La jeune fille, se haussant sur la pointe des pieds, aperçut une foule de jolies femmes parées et de jeunes gens, qui encombraient les deux côtés de la vieille arcade en marbre, par où l’empereur devait sortir en descendant le grand escalier des Tuileries.

— Tu le vois bien, mon père, nous sommes partis trop tard ! C’est de ta faute !

Et elle faisait une petite moue chagrine, qui annonçait toute l’importance qu’elle avait mise à voir cette revue.

— Eh bien, Julie, allons-nous-en ?… tu n’aimes pas à être foulée…

— Restons, mon père ? D’ici je puis encore apercevoir l’empereur. S’il périssait pendant la campagne, je ne l’aurais jamais vu !…

Le père tressaillit en entendant ces paroles. Sa fille avait des larmes dans la voix ; il crut même remarquer que ses paupières ne retenaient pas sans peine des pleurs qu’un chagrin secret y faisait rouler.

Tout à coup cette limpide humidité se sécha. La jeune personne rougit, et jeta une exclamation dont le sens ne fut compris ni par les sentinelles, ni par son père. À ce petit cri d’oiseau effarouché, un officier, qui s’élançait de la cour vers l’escalier dont il avait déjà monté deux marches, se retourna vivement. Il s’avança jusqu’à l’arcade du jardin, et reconnut la jeune fille, un moment cachée par les gros bonnets à poil des grenadiers. Aussitôt il fit fléchir, pour elle et pour son père, la consigne qu’il avait donnée lui-même ; et, sans se mettre en peine des murmures de la foule élégante qui assiégeait l’arcade, il attira doucement à lui la jeune personne enchantée.

— Je ne m’étonne plus de sa colère et de son empressement, puisque tu étais de service ! dit le vieillard à l’officier d’un air aussi sérieux que railleur.

— Monsieur, répondit le jeune homme, si vous voulez être bien placés, ne nous amusons pas à plaisanter. — L’empereur n’aime pas à attendre, et c’est moi qui suis chargé d’avertir le maréchal.

Tout en parlant, il avait pris, avec une sorte de familiarité, le bras de Julie, et l’entraînait rapidement vers le Carrousel.

Julie aperçut avec étonnement une foule immense qui se pressait dans le petit espace compris entre les murailles grises du palais et ces bornes, réunies par des chaînes, qui dessinent de grands carrés sablés au milieu de la cour des Tuileries. Cette bordure d’hommes et de femmes ressemblait à une plate-bande émaillée de fleurs. Le cordon de sentinelles, établi pour laisser un passage libre à l’empereur et à son état-major, avait beaucoup de peine à ne pas être débordé par cette foule empressée, qui bourdonnait comme les essaims d’une ruche.

— Cela sera donc bien beau ?… demanda Julie en souriant.

— Prenez donc garde !… s’écria l’officier.

Et, saisissant la jeune fille par la taille, il la souleva avec autant de vigueur que de rapidité, pour la transporter près d’une colonne.

Sans ce brusque enlèvement, la curieuse jeune fille allait être froissée par la croupe d’un superbe cheval blanc, harnaché d’une selle de velours vert et or, que le Mameluck de Napoléon tenait par la bride, presque sous l’arcade, à dix pas en arrière de tous les chevaux qui attendaient les grands officiers dont l’Empereur devait être accompagné.

Ce fut auprès de la première borne de droite, et devant la foule que le jeune homme plaça le vieillard et sa fille, en les recommandant par un signe de tête aux deux vieux grenadiers entre lesquels ils se trouvèrent.

Quand l’officier s’échappa, un air de bonheur et de joie avait succédé sur sa figure à l’effroi subit que la reculade du cheval y avait imprimé ; mais aussi Julie lui avait serré mystérieusement la main, soit pour le remercier du petit service qu’il venait de lui rendre, soit pour lui dire : — Enfin je vais donc vous voir !… Elle inclina même doucement la tête en réponse au salut respectueux que l’officier lui fit ainsi qu’à son père, avant de disparaître avec prestesse.

Il semblait que le vieillard eût à dessein laissé les deux jeunes gens ensemble. Restant un peu en arrière de sa fille, dans une attitude grave, il observait tout à la dérobée, essayant de lui inspirer une fausse sécurité, en lui faisant croire qu’il était absorbé dans la contemplation du magnifique spectacle offert à sa vue.

Quand sa fille reporta sur lui le regard d’un écolier inquiet de son maître, il lui répondit même par un sourire de gaîté bienveillante, qui semblait lui être familier ; mais son œil gris et perçant avait suivi l’officier jusque sous l’arcade, et aucun événement de cette scène rapide ne lui avait échappé.

— Que c’est beau !… dit Julie à voix basse en pressant la main de son père.

L’aspect pittoresque et grandiose que présentait en ce moment le Carrousel, faisait prononcer cette exclamation par des milliers de spectateurs dont toutes les figures étaient béantes d’admiration.

Une autre rangée de monde, tout aussi pressée que celle dont le vieillard et sa fille faisaient partie, occupait, sur une ligne parallèle au château, l’espace étroit et pavé qui longe la grille du Carrousel. Cette foule achevait de dessiner fortement, par la variété de toutes les toilettes féminines, l’immense carré long que forment les bâtimens des Tuileries, au moyen de cette grille alors nouvellement construite.

C’était dans ce vaste carré que se tenaient les régimens de la vieille garde qui allaient être passés en revue. Ils présentaient en face du palais d’imposantes lignes bleues de vingt rangs de profondeur. Au-delà de l’enceinte, et dans le Carrousel, se trouvaient sur d’autres lignes parallèles, plusieurs régimens d’infanterie et de cavalerie prêts, au moindre signal, à manœuvrer pour passer sous l’arc triomphal qui orne le milieu de la grille, et sur le haut duquel se voyaient, à cette époque, les magnifiques chevaux de Venise. La musique des régimens avait été se placer de chaque côté des galeries du Louvre, et ces deux orchestres militaires y étaient masqués par les lanciers polonais de service. Une grande partie du carré sablé restait vide comme une arène préparée pour les mouvemens de tous ces corps silencieux. Ces masses, disposées avec la symétrie de l’art militaire, réfléchissaient les rayons du soleil par le feu triangulaire de dix mille baïonnettes étincelantes. L’air agitait tous les plumets des soldats en les faisant ondoyer comme les arbres d’une forêt, courbés sous un vent impétueux. Ces vieilles bandes, muettes et brillantes, offraient mille contrastes de couleurs dus à la diversité des uniformes, des paremens, des armes et des aiguillettes. Cet immense tableau, miniature d’un champ de bataille avant le combat, était admirablement encadré, avec tous ses accessoires et ses accidens bizarres, par ces hauts bâtimens majestueux, dont chefs et soldats imitaient en ce moment l’immobilité. Le spectateur comparait involontairement ces murs d’hommes à ces murs de pierre.

Le jeune soleil du printemps illuminait de ses jets capricieux, et les murs blancs bâtis de la veille, et les murs séculaires, et ces innombrables figures basanées dont chacune racontait des périls passés. Les colonels de chaque régiment allaient et venaient seuls devant les fronts que formaient ces hommes héroïques ; mais derrière les masses carrées de ces troupes bariolées d’argent, d’azur, de pourpre et d’or, les curieux pouvaient apercevoir les banderoles tricolores attachées aux lances de six infatigables cavaliers polonais, qui, semblables aux chiens conduisant un troupeau le long d’un champ, voltigeaient sans cesse entre les troupes et les Parisiens, pour empêcher ces derniers de dépasser le petit espace de terrain qui leur était concédé auprès de la grille impériale.

À ces mouvemens près, on aurait pu se croire dans le palais de la Belle au bois dormant.

Les brises du printemps, passant sur les bonnets à longs poils des grenadiers, attestaient l’immobilité des soldats, de même que le murmure sourd de la foule accusait leur silence. Parfois seulement le retentissement d’un chapeau chinois, ou un léger coup frappé par inadvertance sur une grosse caisse sonore, était répété par les échos du palais impérial, et ressemblait à ces coups de tonnerre lointains qui annoncent un orage.

Un enthousiasme indescriptible éclatait dans l’attente de la multitude. La France allait faire ses adieux à Napoléon, à la veille d’une campagne dont le moindre citoyen prévoyait les dangers. Il s’agissait, cette fois, pour l’empire français, d’être ou de ne pas être.

Cette pensée semblait animer toute la population citadine et toute la population armée, qui se taisaient dans l’enceinte où planaient l’aigle et le génie de Napoléon.

Ces soldats, espoir de la France, ces soldats, sa dernière goutte de sang, entraient pour beaucoup dans la silencieuse et inquiète curiosité des spectateurs. Entre la plupart des assistans et des soldats, il se disait des adieux peut-être éternels ; mais tous les cœurs, même les plus hostiles à l’empereur, adressaient au ciel des vœux ardens pour la gloire de la patrie. Les hommes les plus fatigués de la lutte commencée entre l’Europe et la France avaient déposé leurs haines en passant sous l’arc de triomphe, comprenant qu’au jour du danger, Napoléon, c’était la France.

L’horloge du château sonna une demi-heure. En ce moment les bourdonnemens de la foule cessèrent, et le silence devint si profond, que l’on eût entendu la parole d’un enfant. Ce fut alors que le vieillard et sa fille, qui semblaient ne vivre que des yeux, purent distinguer un bruit d’éperons, un cliquetis d’épées tout particulier, qui retentit sous le sonore péristyle du château.

Un petit homme, vêtu d’un uniforme vert, d’un pantalon blanc, et chaussé de bottes à l’écuyère, parut tout à coup en gardant sur sa tête un chapeau à trois cornes aussi prestigieux qu’il l’était lui-même. Le large ruban rouge de la Légion-d’Honneur flottait sur sa poitrine. Une petite épée était à son côté.

Il fut aperçu par tout le monde, et de tous les points à la fois.

À son aspect, les tambours battirent aux champs, et les musiques débutèrent par une phrase dont l’expression guerrière employa tous les instrumens, depuis la grosse caisse jusqu’à la plus douce des flûtes. À leurs sons belliqueux les âmes tressaillirent, les drapeaux saluèrent, les soldats portèrent les armes par un mouvement unanime et régulier, qui agita les fusils retentissans depuis le premier rang jusqu’au dernier qu’on pût apercevoir dans le Carrousel ; des mots de commandement se répétèrent comme des échos ; et des cris de : Vive l’empereur !… furent poussés par la multitude enthousiasmée ; tout remua, tout s’ébranla, tout frissonna.

Napoléon était monté à cheval ; et ce mouvement avait imprimé la vie et le mouvement à ces masses silencieuses, avait donné une voix aux instrumens, une ondulation aux aigles et aux drapeaux, une émotion à toutes les figures. Les murs même des hautes galeries de ce vieux palais semblaient crier : Vive l’empereur ! Ce n’était pas quelque chose d’humain, c’était une magie, un simulacre de la puissance divine, ou mieux une fugitive image de ce règne si fugitif.

L’homme entouré de tant d’amour, d’enthousiasme, de dévouement, de vœux, pour qui le soleil même avait chassé les nuages du ciel, resta immobile sur son cheval, à trois pas en avant du petit escadron doré qui le suivait, ayant le grand-maréchal à sa gauche, le maréchal de service à sa droite. Au sein de tant d’émotions excitées par lui, aucun trait de son visage ne s’émut.

— Oh ! mon Dieu, oui. Il était comme ça à Wagram, au milieu du feu, et à la Moscowa, parmi les morts ; — toujours tranquille comme Baptiste !

Cette réponse à de nombreuses interrogations était faite par le grenadier qui se trouvait auprès de la jeune fille. Julie fut pendant un moment absorbée par la contemplation de cette figure, dont le calme indiquait une si grande sécurité de puissance. Elle vit l’empereur se penchant vers Duroc, auquel il dit une phrase courte qui fit sourire le grand-maréchal.

Les manœuvres commencèrent. Alors la jeune personne, qui, jusqu’à ce moment, partageait son attention entre la figure impassible de Napoléon et les lignes bleues, vertes et rouges des troupes, ne vit plus, au milieu de tous les mouvemens rapides et réguliers exécutés par ces vieux soldats, qu’un jeune officier courant à cheval parmi les lignes mouvantes, et revenant, avec une infatigable activité, vers le groupe doré à la tête duquel brillait Napoléon.

Cet officier était l’amant de la jeune fille. Il montait un superbe cheval noir, et se faisait distinguer, au sein de cette multitude chamarrée, par le brillant uniforme des officiers d’ordonnance de l’Empereur. Le soleil rendait ses broderies si éclatantes, il communiquait une lueur si forte à l’aigrette qui surmontait son petit shakot étroit et long, qu’il ressemblait à un feu follet qui aurait voltigé sur ces bataillons, dont les baïonnettes et les armes ondoyantes jetaient des flammes, quand les ordres répétés de l’Empereur les brisaient ou les rassemblaient, et les obligeaient soit à tournoyer comme les ondes d’un gouffre, soit à passer devant lui comme ces lames longues, droites, hautes et séparées que l’Océan courroucé envoie vers ses rivages.

Ces savantes manœuvres n’attiraient point les regards de Julie. Pour elle, l’officier était toute l’armée ; et, de toutes ces figures graves qui apparaissaient par masses, une seule l’occupait.

Quand les évolutions des régimens qui manœuvraient furent terminées, l’officier d’ordonnance accourut à bride abattue, et s’arrêta devant l’Empereur, comme pour en attendre l’ordre du départ.

En ce moment, il était à vingt pas de Julie, en face du groupe impérial, dans une attitude assez semblable à celle que M. Gérard a donnée au général Rapp dans le tableau de la bataille d’Austerlitz. Alors il fut permis à la jeune fille d’admirer son amant dans toute sa splendeur militaire. Le capitaine Victor d’Aiglemont avait à peine trente ans. Il était grand, bien fait, svelte, et ses heureuses proportions ne ressortaient jamais mieux que quand il employait sa force à gouverner un cheval dont le dos élégant et souple paraissait plier sous lui. Sa figure mâle et brune avait ce charme inexprimable qu’une parfaite régularité de traits communique à de jeunes visages. Son front était large et haut. Ses yeux de feu, ombragés de sourcils épais et bordés de longs cils, se dessinaient comme deux ovales blancs entre deux lignes noires. Son nez offrait la gracieuse courbure d’un bec d’aigle. La pourpre de ses lèvres était rehaussée par les sinuosités d’une inévitable moustache noire. Ses joues larges et fortement colorées offraient des tons bruns et jaunes qui dénotaient une vigueur extraordinaire. C’était une de ces figures marquées du sceau de la bravoure et prédestinées aux combats ; en un mot, c’était le type de toutes celles qui viennent s’offrir aux pinceaux de l’artiste quand, aujourd’hui encore, il songe à représenter un des soldats de la France impériale.

Le cheval trempé de sueur, et dont la tête agitée exprimait une extrême impatience, avait ses deux pieds de devant écartés et arrêtés sur une même ligne, sans que l’un dépassât l’autre. Il faisait flotter les longs crins de sa queue noire et fournie, et ne paraissait pas moins dévoué à son maître que son maître l’était à l’Empereur. En voyant son amant si occupé à saisir les regards de Napoléon, Julie éprouva un moment de jalousie, car elle pensa qu’il ne l’avait pas encore regardée.

Tout à coup un mot est prononcé par le souverain, Victor a pressé les flancs de son cheval, il est parti au galop ; mais l’ombre d’une borne projetée sur le sable effraie le noble animal ; il s’effarouche, il se dresse, il recule, et si brusquement que le cavalier semble en danger. Julie jette un cri, elle pâlit ; tout le monde la regarde avec curiosité ; elle ne voit personne ; ses yeux sont attachés sur ce cheval trop fougueux que l’officier châtie en courant distribuer les ordres de Napoléon.

Pendant que ces événemens se passaient, la jeune fille avait saisi le bras de son père ; elle s’y était cramponnée sans savoir qu’elle le tenait, tant un sentiment profond et indéfinissable l’absorbait dans la contemplation de ces tableaux étourdissans et harmonieux. Involontairement, elle révélait ainsi à son père toutes les pensées dont elle était agitée, par la pression plus ou moins vive que ses jeunes doigts faisaient subir au bras qu’elle tourmentait. Quand Victor fut sur le point d’être renversé par le cheval, elle s’accrocha plus violemment encore à son père, comme si elle eût été elle-même en danger de tomber de cheval.

Le vieillard contempla, avec une sombre et douloureuse inquiétude, le visage frais et épanoui de sa fille. Des sentimens de pitié, de jalousie et d’amour, des regrets même se glissèrent dans toutes ses rides contractées. Mais quand les sourires qui pliaient et dépliaient les petites lèvres rouges de sa fille, et quand ses yeux brillans, dans le cristal desquels le mouvement de bataillons en marche semblait se reproduire, lui dévoilèrent un amour qu’il soupçonnait déjà, il dut avoir de bien tristes révélations de l’avenir, car sa figure offrit alors une impression sinistre.

En ce moment, Julie ne vivait que de la vie du beau militaire. Une pensée plus cruelle que toutes celles qui avaient effrayé le vieillard crispa tous les traits de son visage souffrant, quand il vit le capitaine d’Aiglemont échanger, en passant devant eux, un regard d’intelligence avec Julie, dont les yeux étaient humides, et dont le teint avait contracté une vivacité extraordinaire. Alors il emmena brusquement sa fille dans le jardin des Tuileries.

— Mais, mon père, disait-elle, il y a encore sur la place du Carrousel des régimens qui vont manœuvrer…

— Non, mon enfant, toutes les troupes défilent…

— Je pense, mon père, que vous vous trompez, car M. d’Aiglemont a dû les faire avancer…

— Mais moi, ma fille, je souffre !…

Julie n’eut pas de peine à croire son père quand elle eut jeté les yeux sur ce visage, auquel de paternelles inquiétudes donnaient un air abattu.

— Souffrez-vous beaucoup ?… demanda-t-elle avec indifférence, tant elle était préoccupée.

— Chaque jour n’est-il pas un jour de grâce pour moi ?… répondit le vieillard.

— Ah ! vous allez encore m’affliger en me parlant de votre mort ! J’étais si gaie !… Voulez-vous bien chasser vos vilaines idées noires…

— Ah ! s’écria le père en poussant un soupir, enfant gâté !… Les meilleurs cœurs sont quelquefois bien cruels !… Vous consacrer notre vie, ne penser qu’à vous ou à votre bien-être, sacrifier nos goûts à vos fantaisies, vous adorer, vous donner même notre sang !… ce n’est donc rien ! Vous acceptez tout avec insouciance ; et, pour toujours obtenir vos sourires et votre dédaigneux amour, il faudrait avoir la puissance de Dieu ! Puis enfin, un autre arrive ! Un amant, un mari nous ravissent vos cœurs !…

Julie regarda son père avec étonnement. Il marchait lentement, et jetait sur elle des regards sans lueur.

— Vous vous cachez même de nous… reprit-il, mais peut-être aussi de vous-même…

— Que dis-tu donc, mon père ?…

— Je pense, Julie, que vous avez des secrets pour moi ?…

Elle rougit.

— Tu aimes !… reprit vivement le vieillard. Ah ! j’espérais te voir jusqu’à ma mort fidèle à ton vieux père, j’espérais te conserver devant moi heureuse et brillante ! t’admirer comme tu étais encore naguère. En ignorant ton sort, j’aurais pu croire à un avenir tranquille pour toi ; mais maintenant il est impossible que j’emporte une espérance de bonheur pour ta vie, car tu aimes encore plus le colonel que le cousin !… Je n’en puis plus douter…

— Pourquoi ne l’aimerais-je pas ?… s’écria-t-elle avec une vive expression de curiosité.

— Ah, ma Julie ! tu ne me comprendrais pas !… répondit le père en soupirant.

— Dites toujours… reprit-elle en laissant échapper un mouvement de mutinerie.

— Eh bien ! mon enfant, écoute-moi : Les jeunes filles se créent souvent des images nobles et ravissantes, des figures idéales ; elles se forgent des idées chimériques sur les hommes, sur leurs sentimens, sur le monde ; puis, elles attribuent à leur insu toutes les perfections qu’elles ont rêvées à un caractère, et s’y confient ; elles aiment ou croient aimer cette créature imaginaire ; et, plus tard, quand il n’est plus temps de s’affranchir du malheur, la trompeuse apparence qu’elles ont embellie, l’amant enfin, se change en un squelette odieux.

Julie, j’aimerais mieux te savoir amoureuse d’un vieillard plutôt que de te voir aimée par le colonel. Ah ! si tu pouvais te placer à dix ans d’ici dans la vie, tu rendrais justice à mon expérience. Je connais Victor. Sa gaîté est une gaîté sans esprit, une gaîté de caserne. Il est sans moyens, dépensier. C’est un de ces hommes que le ciel a fabriqués pour prendre et digérer quatre repas par jour, dormir, aimer la première venue, et se battre. Il n’entend pas la vie. Son bon cœur, car il a bon cœur, l’entraînera peut-être à donner sa bourse à un malheureux, à un camarade ; mais il est insouciant, mais il n’est pas doué de cette délicatesse de cœur qui nous rend esclaves du bonheur d’une femme ; mais il est ignorant, égoïste… — Il y a beaucoup de mais.

— Cependant, mon père, il faut bien qu’il ait de l’esprit et des moyens pour avoir été fait colonel…

— Ma chère, Victor restera colonel toute sa vie… — Je n’ai encore vu personne qui m’ait paru digne de toi !… reprit le vieux père avec une sorte d’enthousiasme.

Il s’arrêta un moment, contempla sa fille, et ajouta :

— Mais, ma pauvre Julie, tu es encore trop jeune, trop faible, trop délicate pour supporter les chagrins et les tracas du mariage. D’Aiglemont a été gâté par ses parens, de même que tu l’as été par moi et par ta mère : or, comment espérer que vous pourrez vous entendre tous deux avec des volontés différentes dont les tyrannies seront inconciliables ? — Tu es douce et modeste, tu as, dit-il d’une voix altérée, une délicatesse et une grâce de sentiment…

Il n’acheva pas, car les larmes le gagnèrent.

— Victor, reprit-il, blessera toutes les qualités naïves de ta jeune âme !… Je connais les militaires, ma Julie. — J’ai vécu aux armées. — Il est rare que leur cœur puisse triompher des habitudes produites ou par les malheurs au sein desquels ils vivent, ou par les hasards de leur vie aventurière.

— Vous voulez donc, mon père, répliqua Julie d’un ton qui tenait le milieu entre le sérieux et la plaisanterie, contrarier mes sentimens… me marier pour vous, et non pour moi ?…

— Te marier pour moi !… s’écria le père avec un mouvement de surprise ; pour moi, ma fille, dont tu n’entendras bientôt plus la voix grondeuse et amicale !… J’ai toujours vu les enfans attribuer à un sentiment de satisfaction personnelle tous les sacrifices que leur font les parens ! Épouse Victor, ma Julie, et un jour tu déploreras amèrement sa nullité, son défaut d’ordre, son égoïsme, son indélicatesse, son ineptie en amour, et mille autres chagrins qui te viendront de lui. — Alors, souviens-toi que, sous ces arbres, la voix prophétique de ton vieux père a retenti vainement à tes jeunes oreilles !

Le vieillard se tut, car il avait surpris sa fille agitant la tête d’une manière mutine. Ils firent ensemble quelques pas vers la grille où leur voiture était arrêtée ; et, pendant cette marche silencieuse, la jeune fille quitta insensiblement sa mine boudeuse en examinant à la dérobée le visage de son père. Une profonde douleur était gravée sur ce front penché.

— Je vous promets, mon père, dit-elle d’une voix douce et altérée, de ne pas vous parler d’épouser Victor avant que vous ne soyez revenu de vos préventions contre lui.

Le vieillard regarda sa fille avec étonnement. Deux larmes qui roulaient dans ses yeux tombèrent le long de ses joues ridées. Ne pouvant embrasser Julie devant la foule dont ils étaient environnés, il pressa tendrement la douce main qu’il tenait. Quand il remonta en voiture, toutes les pensées soucieuses qui s’étaient amassées sur son front avaient complètement disparu.

L’attitude un peu triste de sa fille l’inquiétait bien moins que la joie innocente dont elle avait trahi le secret pendant la revue.

§ II. — LA FEMME.

Dans les premiers jours du mois d’avril 1814, un peu moins d’un an après la revue de l’Empereur, une vieille calèche roulait sur la levée d’Amboise à Tours.

En quittant le dôme vert des noyers sous lesquels la poste de la Frillière est cachée, la voiture fut entraînée avec une telle rapidité, qu’en moins d’une minute elle arriva au pont bâti sur la Cise à son embouchure dans la Loire. Mais l’équipage s’arrêta là, car un trait venait de se briser par suite du mouvement impétueux que, sur l’ordre de son maître, un jeune postillon avait imprimé à quatre des plus vigoureux chevaux du relais.

Ainsi, par un effet du hasard, deux personnes qui se trouvaient dans la calèche eurent le loisir de contempler, à leur réveil, un des plus beaux sites que puissent présenter les prestigieuses rives de la Loire.

À sa droite, le voyageur embrasse d’un regard toutes les sinuosités décrites par la Cise qui se roule, comme un serpent argenté, dans l’herbe des prairies les plus opulentes, et auxquelles les premières pousses du printemps, donnaient alors les vives couleurs de l’émeraude.

À gauche, la Loire apparaît dans toute sa magnificence. Les innombrables facettes de quelques roulées, produites par une brise matinale un peu froide, réfléchissaient les scintillemens du soleil sur les vastes nappes que déploie cette majestueuse rivière. Puis, çà et là, des îles verdoyantes se succèdent, dans l’étendue des eaux, comme les chatons d’un collier. De l’autre côté du fleuve, les plus belles campagnes de la Touraine déroulent leurs trésors à perte de vue ; car l’œil n’a, dans le lointain, d’autres bornes que les collines du Cher, chargées de châteaux, et dont les cimes dessinaient en ce moment des lignes lumineuses sur le transparent azur d’un beau ciel.

À travers le tendre feuillage des îles, au fond du tableau, Tours semble, comme Venise, sortir du sein des eaux ; et les campanilles grises de sa vieille cathédrale s’élancent dans les airs, où elles se confondaient alors avec les créations fantastiques de quelques nuages blanchâtres.

Mais un peu au-delà du pont sur lequel la voiture était arrêtée, le voyageur aperçoit devant lui, et tout le long de la Loire jusqu’à Tours, une chaîne de rochers qui, par une fantaisie de la nature, paraît avoir été posée pour encaisser le fleuve. Cette longue barrière, dont la Loire semble vouloir ronger la base, présente un spectacle qui fait toujours l’étonnement du voyageur. En effet, le village de Vouvray se trouve comme niché dans les gorges et les éboulemens de ces rochers, qui commencent à décrire un coude à cet endroit ; et, depuis Vouvray jusqu’à Tours, cette chaîne de montagnes, dont les anfractuosités ont quelque chose d’effrayant, est habitée par une population de vignerons. En plus d’un endroit, il n’y a pas moins de trois étages de demeures creusées dans le roc, et réunies par de dangereux escaliers taillés dans la pierre blanche. Au sommet d’un toit, une jeune fille en jupon rouge court à son jardin. La fumée d’une cheminée s’élève entre les sarmens et le pampre naissant d’une vigne. Des closiers labourent leurs champs perpendiculaires. Une vieille femme, tranquille sur un quartier de la roche éboulée, tourne son rouet sous les fleurs d’un amandier, et regarde passer les voyageurs à ses pieds, en souriant de leur effroi ; car elle ne s’inquiète pas plus des crevasses du sol que de la ruine pendante d’un vieux mur, dont les assises ne sont plus retenues que par les tortueuses racines d’un manteau de lierre. Le marteau des tonneliers fait retentir les voûtes de caves aériennes. Enfin, la terre est partout cultivée et partout féconde là où la nature avait refusé de la terre à l’industrie humaine.

Aussi rien n’est-il comparable, dans le cours de la Loire, au riche panorama que la Touraine présente alors aux yeux du voyageur. Le triple tableau de cette scène, dont les aspects sont à peine indiqués, procure à l’âme un de ces spectacles qu’elle inscrit à jamais dans son souvenir ; et quand un poète en a joui, ses rêves viennent souvent lui en reconstruire fabuleusement les effets romantiques.

Au moment où la voiture parvint sur le pont de la Cise, une douzaine de voiles blanches débouchèrent entre les îles de la Loire, et donnèrent une nouvelle harmonie à ce site merveilleux. La senteur des saules qui bordent le fleuve ajoutait de pénétrans parfums au goût de la brise humide ; les oiseaux faisaient entendre leurs mélodieux concerts ; et le chant monotone d’un gardeur de chèvres y joignait une sorte de mélancolie, tandis que les cris des mariniers annonçaient une agitation lointaine. De molles vapeurs, capricieusement arrêtées autour des arbres épars dans ce vaste paysage, y imprimaient une grâce indéfinissable. Enfin, c’était la Touraine dans toute sa gloire, le printemps dans toute sa splendeur.

Cette partie de la France, la seule dont les armées étrangères ne devaient point fouler les trésors, était en ce moment la seule qui fût tranquille, et l’on eût dit qu’elle défiait le malheur.

Une tête coiffée d’un bonnet de police se montra hors de la calèche aussitôt qu’elle ne roula plus. Bientôt un militaire impatient en ouvrit lui-même la portière et sauta sur la route, comme pour aller quereller le postillon. L’intelligence avec laquelle le Tourangeau raccommodait le trait cassé rassura le comte d’Aiglemont, qui revint vers la portière en étendant ses bras comme pour en détirer les muscles endormis Il bâilla, regarda le paysage ; et, posant alors la main sur le bras d’une jeune femme soigneusement enveloppée dans un vitchoura, il lui dit d’une voix enrouée :

— Tiens, chérie, réveille-toi pour examiner le pays ? Il est magnifique.

À ces mots, Julie avança la tête hors de la calèche. Un bonnet de marte lui servait de coiffure ; et comme les plis du manteau fourré déguisaient entièrement ses formes, on ne pouvait voir que sa figure.

Julie d’Aiglemont ne ressemblait déjà plus à la jeune fille qui courait naguère avec joie et bonheur à la revue des Tuileries. Son visage, toujours délicat, était privé des couleurs roses qui lui donnaient jadis un si riche éclat, et les touffes noires de quelques cheveux défrisés par l’humidité de la nuit faisaient ressortir la blancheur matte de sa tête, dont la vivacité semblait engourdie. Cependant ses yeux brillaient d’un feu surnaturel ; et, au-dessous de leurs paupières, quelques teintes violettes se dessinaient sur ses joues fatiguées. Elle examina d’un œil indifférent les campagnes du Cher, la Loire et ses îles, Tours et les longs rochers de Vouvray. Mais ne regardant même pas la ravissante vallée de la Cise, elle se rejeta promptement dans le fond de la calèche, et dit d’une voix qui, en plein air, paraissait d’une extrême faiblesse :

— Oui, c’est admirable !…

— Julie, n’aimerais-tu pas à vivre ici ?…

— Oh ! là ou ailleurs !… dit-elle avec insouciance.

— Souffres-tu ?… lui demanda le colonel d’Aiglemont d’un air inquiet.

— Oh non !… répondit la jeune femme avec une vivacité momentanée.

Elle contempla son mari en souriant, et ajouta :

— J’ai envie de dormir.

Le galop d’un cheval ayant retenti soudain, Victor d’Aiglemont laissa la main de sa femme, et tourna la tête vers un coude que la route fait en cet endroit. Au moment où Julie ne fut plus vue par le colonel, l’expression de gaîté qu’elle avait imprimée à son pâle visage disparut comme si une lueur eût cessé de l’éclairer. N’éprouvant ni le désir de revoir le paysage, ni la curiosité de savoir quel était le voyageur dont le cheval galopait dans le lointain, elle se replaça dans le coin de la calèche, et ses yeux se fixèrent sur la croupe des chevaux, sans trahir aucune espèce de sentiment. Elle avait l’air aussi stupide que peut l’avoir un paysan écoutant le prône de son curé.

Un jeune homme, monté sur un cheval de prix, sortit tout à coup d’un bouquet de peupliers et d’aubépines en fleurs.

— C’est un Anglais !… dit le colonel.

— Oh ! mon Dieu, oui, mon général ! répliqua le postillon ; c’est un de ces gars qui veulent manger la France, à ce qu’on dit.

Le colonel garda le silence.

L’inconnu était un de ces voyageurs qui se trouvèrent sur le continent lorsque Napoléon arrêta tous les Anglais, en représailles de l’attentat commis envers le droit des gens par le cabinet de Saint-James lors de la rupture du traité d’Amiens.

Soumis à tous les caprices du pouvoir impérial, ces prisonniers ne restèrent pas tous dans les résidences où ils furent saisis, ou dans celles qu’ils eurent d’abord la liberté de choisir. La plupart de ceux qui habitaient en ce moment la Touraine y avaient été transférés de divers points de l’empire où leur séjour avait paru compromettre les intérêts de la politique continentale. Le jeune captif qui promenait en ce moment son ennui matinal, était lui-même une victime de la puissance bureaucratique ; car, depuis peu de mois, un ordre parti du ministère des relations extérieures l’avait arraché au climat de Montpellier, où la rupture de la paix le surprit autrefois cherchant à se guérir d’une affection pulmonaire.

Du moment où ce jeune homme reconnut un militaire dans la personne du comte d’Aiglemont, il s’empressa d’en éviter les regards en tournant assez brusquement la tête vers les prairies de la Cise.

— Tous ces Anglais sont insolens comme si le globe leur appartenait ! dit le colonel en murmurant. Heureusement Soult va leur donner les étrivières.

Quand le prisonnier passa devant la calèche, il y jeta les yeux. Alors, malgré la brièveté de son regard, il put admirer l’expression de mélancolie qui donnait à la figure pensive de la comtesse je ne sais quel attrait indéfinissable. Il y a beaucoup d’hommes dont le cœur est puissamment ému par l’apparence même de la souffrance chez une femme ; et, pour eux, la douleur semble être une promesse de constance ou d’amour.

Entièrement absorbée dans la contemplation d’un coussin de sa calèche, Julie ne fit attention ni au cheval ni au cavalier.

Le trait ayant été solidement et promptement rajusté, le comte remonta en voiture. Le postillon, s’efforçant de regagner le temps perdu, mena rapidement les deux voyageurs sur la partie de la levée que bordent les rochers suspendus au sein desquels mûrissent les vins de Vouvray, d’où s’élancent tant de jolies maisons, et où apparaissent, dans le lointain, les ruines de cette si célèbre abbaye de Marmoutiers, la retraite de Saint-Martin.

— Que nous veut donc ce milord diaphane ?… s’écria le colonel en tournant la tête pour s’assurer que le cavalier qui, depuis le pont de la Cise, suivait sa voiture, était le jeune Anglais.

Comme l’inconnu ne violait aucune convenance de politesse en se promenant sur la berme de la levée, le colonel se remit dans le coin de sa calèche, après avoir jeté un regard menaçant sur l’Anglais ; mais il ne put, malgré son involontaire inimitié, s’empêcher de remarquer la beauté du cheval et la grâce du cavalier.

Le jeune homme avait une de ces figures britanniques dont le teint est si fin, la peau si douce et si blanche, qu’on est quelquefois tenté de supposer qu’elles appartiennent au corps délicat d’une jeune fille. Il était blond, mince et grand. Son costume avait ce caractère de recherche et de propreté qui distingue les fashionnables de la prude Angleterre. On eût dit qu’il rougissait plutôt de pudeur que de plaisir à l’aspect de la comtesse. Une seule fois Julie leva les yeux sur l’étranger ; mais elle y fut en quelque sorte obligée par son mari, qui voulait lui faire admirer les jambes fines d’un cheval de race pure.

Les yeux de Julie rencontrèrent alors ceux du timide Anglais ; et, dès ce moment, le gentilhomme, au lieu de faire marcher son cheval près de la calèche, la suivit à quelques pas de distance en arrière.

À peine la comtesse regarda-t-elle l’inconnu. N’apercevant aucune des perfections humaines et chevalines qui s’offrirent à sa vue, elle se rejeta au fond de la voiture, après avoir laissé échapper un léger mouvement de sourcils, comme pour approuver son mari.

Là-dessus, le colonel se rendormit, et les deux époux arrivèrent à Tours sans s’être dit une seule parole, et sans que les ravissans paysages de la changeante scène au sein de laquelle ils voyagèrent, attirassent une seule fois l’attention de Julie. Quand son mari sommeilla, elle le contempla à plusieurs reprises. Au dernier regard qu’elle lui jeta, un cahot ayant fait tomber sur les genoux de la jeune femme un médaillon suspendu à son cou par une chaîne de deuil, le portrait de son père lui apparut soudain. À cet aspect, des larmes, jusque-là réprimées, roulèrent dans ses yeux.

L’Anglais vit peut-être les traces humides et brillantes que ces pleurs laissèrent un moment sur les joues pâles de la comtesse, mais que l’air sécha promptement.

Chargé par l’Empereur de porter des ordres au maréchal Soult, qui avait à défendre la France de l’invasion faite par les Anglais dans le Béarn, le colonel d’Aiglemont profitait de sa mission pour soustraire sa femme aux dangers dont Paris était alors menacé, et il la conduisait à Tours chez une vieille parente à lui.

Bientôt la voiture roula sur le pavé de Tours, sur le pont, dans la rue, et bientôt elle s’arrêta devant l’hôtel antique où demeurait la ci-devant marquise de Belorgey.

C’était une de ces belles vieilles femmes, au teint pâle, à cheveux blancs, qui ont un sourire fin, qui semblent porter des paniers, et dont la tête est couronnée d’un bonnet dont la mode est inconnue. Portraits septuagénaires du siècle de Louis xv, ces femmes sont presque toujours caressantes, comme si elles aimaient encore ; moins pieuses que dévotes, et moins dévotes qu’elles n’en ont l’air ; toujours exhalant la poudre à la maréchale, contant bien, causant mieux, et riant plutôt d’un souvenir que d’une plaisanterie.

Quand une vieille femme de chambre vint annoncer à la marquise (car elle devait bientôt reprendre son titre) la visite d’un neveu qu’elle n’avait pas vu depuis le commencement de la guerre d’Espagne, elle ôta vivement ses lunettes, ferma la Galerie de l’ancienne Cour, son livre favori ; puis, retrouvant une sorte d’agilité, elle arriva sur son perron au moment où Victor et Julie en montaient les marches.

Les deux femmes se jetèrent un rapide coup-d’œil.

— Bonjour, ma chère tante, s’écria le colonel en saisissant la marquise, et l’embrassant avec précipitation ; je vous amène une jeune personne à garder. Je viens vous confier mon trésor ; ma Julie n’est ni coquette ni jalouse ; elle a une douceur d’ange… Mais elle ne se gâtera pas ici, j’espère !… dit-il en s’interrompant.

— Mauvais sujet !… répondit la marquise en lui lançant un regard moqueur.

Puis elle s’offrit, la première, avec une certaine grâce aimable, à embrasser Julie, qui restait passive, et paraissait plus embarrassée que curieuse.

— Nous allons faire connaissance, ma chère petite belle, reprit la marquise ; et ne vous effrayez pas trop de moi ; je tâche de n’être jamais vieille avec les jeunes gens…

Avant d’arriver au salon, la marquise avait déjà, suivant l’habitude des provinces, commandé à déjeuner pour ses deux hôtes ; mais le comte arrêta l’éloquence de sa tante en lui disant d’un ton sérieux qu’il ne pouvait pas lui donner plus de temps que la poste n’en mettrait à relayer.

Les trois parens entrèrent donc au plus vite dans le salon, et le colonel eut à peine le temps de raconter à la marquise les événemens politiques et militaires qui l’obligeaient à lui demander un asile pour sa jeune femme.

Pendant le récit, la tante regardait alternativement, et son neveu, qui parlait sans être interrompu, et sa nièce, dont elle attribua la pâleur et la tristesse à cette séparation forcée. Elle avait l’air de se dire :

— Hé, hé, ces jeunes gens-là s’aiment !…

En ce moment, des claquemens de fouet retentirent dans la vieille cour silencieuse, dont les pavés étaient dessinés par des bouquets d’herbes ; alors Victor, embrassant derechef la marquise, s’élança hors du logis.

— Adieu, ma chère, dit-il en embrassant sa jeune femme qui l’avait suivi jusqu’à la voiture.

— Oh ! Victor, laisse-moi t’accompagner plus loin encore ?… dit-elle d’une voix caressante. — Je ne voudrais pas te quitter…

— Y penses-tu ?…

— Eh bien ! répliqua Julie, adieu ! puisque tu le veux. La voiture disparut.

— Vous aimez donc bien mon pauvre Victor ? demanda la marquise à sa nièce, dont elle interrogea les yeux par un de ces savans regards que les vieilles femmes jettent aux jeunes.

— Hélas ! madame !… répondit Julie, ne faut-il pas bien aimer un homme pour l’épouser !…

Cette dernière phrase fut accentuée par un ton de naïveté qui trahissait tout à la fois un cœur pur et un profond mystère. Il était difficile à une marquise, qui avait connu Duclos et le maréchal de Richelieu, de ne pas chercher à le deviner. La tante et la nièce étaient en ce moment sur le seuil de la porte-cochère, occupées à regarder la calèche qui fuyait. Les yeux de la comtesse n’exprimaient pas l’amour comme la marquise le comprenait ; la pauvre dame était Provençale, et ses passions avaient été vives.

— Vous vous êtes donc laissée prendre par mon vaurien de neveu ?… demanda-t-elle à Julie.

La comtesse tressaillit involontairement. L’accent et le regard de cette vieille coquette semblèrent lui annoncer une connaissance du caractère de Victor, plus approfondie peut-être que celle qu’elle en avait ; alors la jeune femme, inquiète, s’enveloppa dans cette dissimulation maladroite, premier refuge des cœurs naïfs et souffrans.

La marquise se contenta des réponses de sa nièce ; mais elle pensa joyeusement que sa solitude allait être réjouie par quelque secret d’amour, et que, entre elle et sa nièce, il y aurait sans doute une intrigue amusante à conduire.

Quand Julie se trouva dans un grand salon, tendu de tapisseries encadrées par des baguettes dorées, qu’elle fut assise devant un grand feu, abritée des bises fenestrales par un paravent chinois, sa tristesse ne pouvait guère se dissiper ; car il était difficile que la gaîté naquît sous d’aussi vieux lambris, entre ces meubles séculaires. Néanmoins, elle prit une sorte de plaisir à entrer dans cette solitude profonde, et dans le silence solennel de la province. Après avoir échangé quelques mots avec cette tante, à laquelle elle avait écrit naguère une lettre de nouvelle mariée, elle resta silencieuse comme si elle eût écouté la musique d’un opéra.

Ce ne fut qu’après deux heures d’un calme digne de la Trappe, qu’elle s’aperçut de son impolitesse envers sa tante. Elle se souvint de ne lui avoir fait que de froides réponses. La vieille femme avait respecté le caprice de sa nièce par cet instinct de grâce qui caractérise les gens de l’ancien temps.

En ce moment, la marquise tricotait. Elle s’était, il est vrai, absentée plusieurs fois pour s’occuper d’une certaine chambre verte, où devait coucher la comtesse, et où les gens de la maison plaçaient les bagages de sa nièce ; mais alors elle avait repris sa place dans un grand fauteuil, et regardait la jeune femme à la dérobée. Honteuse de s’être abandonnée à son irrésistible méditation, Julie essaya de se la faire pardonner en s’en moquant.

— Ma chère petite, nous connaissons la douleur des veuves !… répondit la tante.

Il fallait avoir quarante ans pour deviner l’ironie qu’exprimèrent les lèvres de la marquise.

Le lendemain, la comtesse fut beaucoup mieux. Elle causa. Sa tante ne désespéra plus d’apprivoiser la jeune femme qu’elle avait d’abord jugée comme un être stupide. Elle entretint sa nièce des joies du pays, des bals et des maisons où elles pouvaient aller. Toutes les questions de la marquise furent, pendant cette journée, autant de piéges que, par une ancienne habitude de cour, elle ne put s’empêcher de tendre à sa nièce pour en deviner le caractère. Julie résista à toutes les instances qui lui furent faites pendant quelques jours d’aller chercher des distractions au dehors ; et, malgré l’envie que la vieille dame avait de promener orgueilleusement sa jolie nièce, elle finit par renoncer à vouloir la mener dans le monde. La jeune comtesse avait trouvé un prétexte à sa solitude et à sa tristesse dans le chagrin que lui avait causé la mort de son père, dont elle portait encore le deuil.

Au bout de huit jours, la marquise admira la douceur angélique, les grâces modestes, l’esprit indulgent de Julie ; et, dès-lors, elle s’intéressa prodigieusement à la mystérieuse mélancolie qui rongeait ce jeune cœur.

La comtesse était une de ces femmes nées pour être aimables, et qui semblent apporter avec elles le bonheur. Sa société devint si douce et si précieuse à la marquise de Belorgey, qu’elle s’affola de sa nièce, et désira ne plus la quitter.

Un mois suffit pour établir entre elles une éternelle amitié.

La marquise remarqua, non sans surprise, que les couleurs vives qui animaient le teint de Julie, changèrent insensiblement, et que sa figure prit des tons mats et pâles. En perdant son éclat primitif, Julie devenait moins triste. Parfois la marquise amenait sa jeune parente à des élans de gaîté, à des rires folâtres, bientôt réprimés par une pensée importune. Elle devina que, ni le souvenir paternel, ni l’absence de Victor, n’étaient la cause de la mélancolie profonde, qui jetait un voile sur la vie de cette jeune femme ; et la marquise soupçonnait tant de choses, qu’il était difficile qu’elle pût s’arrêter à la véritable cause du mal, car nous n’inventons jamais rien, et nous ne rencontrons le vrai que par hasard peut-être.

Un jour que Julie avait laissé briller aux yeux de sa tante étonnée un oubli complet du mariage, une folie de jeune fille étourdie, une candeur d’esprit, un enfantillage digne du premier âge, et cet esprit délicat et parfois si profond qui distingue les jeunes personnes en France, la marquise résolut de sonder les mystères de cette âme, dont le naturel extrême équivalait à une impénétrable dissimulation. La nuit approchait ; les deux dames étaient assises devant une croisée qui donnait sur la rue ; Julie avait repris un air pensif ; un homme à cheval vint à passer.

— Voilà une de vos victimes !… dit la marquise. Madame d’Aiglemont regarda sa tante d’un air surpris.

— C’est un jeune Anglais, un gentilhomme, sir Arthur Grenville. Son histoire est intéressante. Il est venu à Montpellier en 1803, espérant que l’air de ce pays, qui lui était recommandé par les médecins, le guérirait d’une maladie de poitrine à laquelle il devait succomber. Comme tous ses compatriotes, il a été arrêté par Bonaparte lors de la guerre, que ce monstre-là ne saurait se passer de faire. Par distraction, ce jeune Anglais s’est mis à étudier sa maladie, que l’on croyait mortelle. Insensiblement, il a pris goût à l’anatomie, à la médecine ; il s’est passionné pour cet art-là, ce qui est fort extraordinaire chez un homme de qualité ; mais le Régent aimait bien la chimie !… Bref, sir Arthur a fait des progrès qui ont étonné même les professeurs de Montpellier ; l’étude l’a consolé de sa captivité, et en même temps il s’est radicalement guéri. On prétend qu’il est resté deux ans sans parler, respirant rarement, demeurant couché dans une étable, buvant le lait d’une vache venue de Suisse, et vivant de cresson. Depuis qu’il est à Tours, il n’a vu personne. Il est fier comme un paon. Mais vous avez certainement fait sa conquête, car ce n’est probablement pas pour moi qu’il passe sous nos fenêtres deux fois par jour depuis que vous êtes ici… Il vous aime…

Ces derniers mots réveillèrent la comtesse comme par magie. Elle laissa échapper un geste et un sourire qui étonnèrent la marquise. Loin de témoigner cette satisfaction instinctive, ressentie même par la femme la plus sévère quand elle apprend qu’elle fait un malheureux, le regard de Julie fut terne et froid. Son visage indiquait un sentiment de répulsion voisin de l’horreur. Cette proscription n’était pas celle dont une femme aimante frappe le monde entier au profit d’un seul être ; alors elle sait rire et plaisanter… Non, Julie était en ce moment comme une personne à qui le souvenir d’un danger trop vivement présent en fait ressentir encore la douleur…

La marquise, bien convaincue que sa nièce n’aimait pas son neveu, fut stupéfaite en découvrant qu’elle n’aimait personne. Elle trembla d’avoir à reconnaître en Julie un cœur désenchanté, une jeune femme à qui l’expérience d’un jour, d’une nuit peut-être, avait suffi pour apprécier la nullité de Victor.

— Si elle le connaît, c’est fini !… se dit-elle.

Alors elle se proposait déjà de la convertir aux doctrines monarchiques du siècle de Louis xv ; mais quelques heures plus tard, elle apprit, ou plutôt elle devina la situation assez commune à laquelle la comtesse devait sa mélancolie.

Julie, devenue tout à coup pensive, se retira chez elle plus tôt que de coutume. Quand sa femme de chambre l’eut déshabillée et l’eut laissée prête à se coucher, elle resta devant le feu, plongée dans une duchesse de velours jaune, meuble antique, aussi favorable aux affligés qu’aux gens heureux. Elle pleura, elle soupira, elle pensa ; puis, elle prit une petite table, chercha du papier, et se mit à écrire.

Les heures passèrent vite, car cette confidence paraissait coûter beaucoup à la comtesse, et chaque phrase amenait des torrens de pensée, de longues rêveries.

Tout à coup la jeune femme s’arrêta, fondit en larmes, et en ce moment toutes les horloges sonnèrent deux heures. Sa jeune tête, aussi lourde que celle d’une mourante, s’inclina sur son sein ; mais quand elle la releva, elle vit devant elle sa vieille tante, qui ressemblait à un personnage détaché soudain de la tapisserie dont les murs étaient garnis.

— Qu’avez-vous donc, ma petite ? dit la marquise ; pourquoi veiller si tard, et surtout pourquoi pleurer à votre âge, et toute seule ?…

Elle s’assit sans autre cérémonie, dévorant la lettre des yeux.

— Vous écriviez à votre mari ?…

— Sais-je où il est !… reprit la comtesse.

La tante prit le papier, et le lut. Elle avait apporté ses lunettes. Il y avait préméditation. L’innocente créature lui laissa prendre sa lettre sans faire la moindre observation. Ce n’était pas un défaut de dignité ou quelque sentiment de culpabilité secrète qui lui ôtait ainsi toute énergie ; non, sa tante se rencontra là dans un de ces momens de crise où l’âme est sans ressort.

Comme une jeune fille vertueuse qui accable un amant de dédains, mais qui, le soir, se trouve si triste, si abandonnée, qu’elle le désire et veut un cœur, un asile où déposer ses douleurs, Julie laissa violer sans mot dire le cachet que la délicatesse imprime à une lettre même ouverte.

Elle resta pensive pendant que la marquise lisait.

« Oh, ma Louisa, pourquoi me réclamer tant de fois l’accomplissement de la plus imprudente promesse que puissent se faire deux jeunes filles ignorantes et modestes ? Tu te demandes souvent, m’écris-tu, pourquoi je n’ai répondu depuis six mois que par un morne silence à tes interrogations curieuses ?… Ma chère, tu devineras, peut-être, le secret de mes refus en apprenant les mystères que je vais trahir. Je les aurais à jamais ensevelis dans le fond de mon cœur, si tu ne m’avertissais pas de ton prochain mariage.

» Tu vas te marier, Louisa ?… Cette pensée me fait frémir. Ô pauvre petite, marie-toi, et dans quelques mois, un de tes plus poignans regrets te viendra du souvenir de ce que nous étions naguère, quand un soir, à Écouen, parvenues toutes deux sous les grands chênes de la montagne, nous contemplâmes la belle vallée que nous avions à nos pieds, et que nous y admirâmes les rayons du soleil couchant, dont les reflets nous enveloppaient.

» Nous nous assîmes sur un quartier de roches, et tombâmes dans un ravissement auquel succéda une douce mélancolie. Tu trouvas la première que ce soleil lointain nous parlait d’avenir. Nous étions bien curieuses et bien folles alors ! Te souviens-tu de toutes nos extravagances ? Nous nous embrassâmes comme deux amans, disions-nous, et nous nous jurâmes que la première mariée de nous deux raconterait fidèlement à l’autre ces secrets d’hyménée, ces joies que nos âmes enfantines nous peignaient si délicieuses.

» Cette soirée fera ton désespoir, Louisa, car alors tu étais jeune, belle, insouciante, sinon heureuse, et un mari te rendra en peu de temps ce que je suis déjà, — laide, souffrante et vieille.

» Te dire combien j’étais fière, vaine et joyeuse d’épouser le colonel Victor d’Aiglemont, ce serait une folie ! Et même comment te le dirai-je ? je ne me souviens plus de moi-même. En peu d’instans mon enfance est devenue comme un songe.

» Ma contenance pendant la journée solennelle qui consacrait un lien dont j’ignorais l’étendue, n’a pas été exempte de reproches. Mon père a cherché plus d’une fois à réprimer ma gaîté, car je témoignais des joies qu’on trouvait inconvenantes, et mes discours révélaient de la malice justement parce qu’ils étaient sans malice. Je faisais mille enfantillages avec ce voile nuptial, avec cette robe et ces fleurs !…

» Restée seule le soir dans la chambre où j’avais été conduite avec apparat, je méditai quelque espièglerie pour intriguer Victor, et en attendant qu’il vînt, j’avais des palpitations de cœur semblables à celles qui me saisissaient autrefois en ces jours solennels du 31 décembre, quand, sans être aperçue, je me glissais dans le salon où les étrennes étaient entassées.

» Lorsque mon mari entra, qu’il me chercha, le rire étouffé que je fis entendre sous les mousselines dont je m’étais enveloppée, a été le dernier éclat de cette gaîté douce qui anima les jeux de notre enfance. »

Quand la marquise eut achevé de lire cette lettre, qui commençant ainsi contenait de bien tristes observations, elle posa lentement ses lunettes sur la table, y remit aussi la lettre ; puis, fixant sur sa nièce deux yeux verts dont l’âge n’avait pas affaibli le feu clair et perçant :

— Ma petite, dit-elle, une femme mariée ne doit pas écrire ainsi à une jeune personne…

— C’est ce que je pensais, répondit Julie avec un accent déchirant, j’avais honte de moi pendant que vous la lisiez…

— Si à table un mets ne nous semble pas bon, il n’en faut dégoûter personne, mon enfant ? reprit la vieille avec bonhomie ; surtout, lorsque depuis Ève jusqu’à nous, le mariage a paru chose si excellente…

Julie saisit la lettre, et la jeta au feu.

— Vous n’avez plus de mère ?… dit la marquise.

La comtesse tressaillit, et pleura, puis elle leva doucement la tête et la baissa comme pour dire :

— J’ai déjà regretté plus d’une fois ma mère, depuis un an !…

Elle regarda sa tante, et un frisson de joie sécha ses larmes quand elle aperçut l’air de bonté qui animait cette vieille figure. Elle tendit sa jeune main à la marquise, qui semblait la solliciter, et quand leurs doigts se pressèrent, ces deux femmes achevèrent de se comprendre.

— Pauvre orpheline !… ajouta la marquise.

Ce mot fut un dernier trait de lumière pour Julie. Elle crut entendre la voix prophétique de son père.

— Vous avez les mains brûlantes… demanda la vieille femme. Est-ce qu’elles sont toujours ainsi ?

— La fièvre ne m’a quittée que depuis sept à huit jours seulement, répondit-elle.

— Vous aviez la fièvre, et vous me le cachiez ?…

— Je l’ai depuis un an… dit Julie avec une sorte d’anxiété pudique.

— Ainsi, mon bon petit ange, reprit la marquise, le mariage a été jusqu’à présent comme une longue douleur pour vous ?…

La jeune femme n’osa répondre ; mais elle fit un geste affirmatif qu’il lui fut impossible de réprimer.

— Vous êtes donc malheureuse ?…

— Oh ! non, ma tante !… Victor m’aime à l’idolâtrie, et je l’adore, il est si bon !

— Eh bien !… vous l’aimez, et vous le fuyez, n’est-ce pas ?

— Oui… quelquefois…

— N’êtes-vous pas souvent troublée dans la solitude par la crainte qu’il ne vienne vous y surprendre ?

— Hélas ! oui, ma tante ; mais je l’aime bien, je vous assure !…

— Ne vous accusez-vous pas en secret vous-même de ne pas partager son bonheur ? et, parfois, ne pensez-vous point que l’amour légitime ne pardonne peut-être pas plus qu’une passion criminelle ?

— Oh ! c’est cela !… dit-elle en pleurant, vous avez donc tout deviné ! Je suis une énigme à mes propres yeux !… Mes sens sont engourdis. Je suis sans idée… Enfin, je vis difficilement. Il y a au milieu de mon âme une indéfinissable appréhension qui glace mes sentimens, et me jette dans une torpeur continuelle. Je suis sans voix pour me plaindre, et sans paroles pour exprimer ma peine.

— Enfantillages, niaiseries que tout cela !… s’écria la tante.

Et en ce moment, un gai sourire anima son visage desséché.

— Et vous aussi vous riez ?… dit avec désespoir la jeune femme.

— J’ai été ainsi !… reprit promptement la marquise. Maintenant que Victor vous a laissée seule, n’êtes-vous pas redevenue jeune fille, gaie, tranquille, sans plaisirs, mais sans souffrances ?

Julie ouvrit de grands yeux hébétés.

— Enfin, mon ange, vous adorez Victor, n’est-ce pas ?… mais vous aimeriez mieux être sa sœur que sa femme ?…

— Hé bien, oui, ma tante !… Mais pourquoi sourire ?…

— Oh !… vous avez raison, ma pauvre enfant !… Il n’y a, dans tout ceci, rien de bien gai. L’avenir serait pour vous, gros de plus d’un malheur, si je ne vous avais pas prise sous ma protection, et si ma vieille expérience n’avait pas su deviner la cause innocente de vos chagrins… Mon neveu ne méritait pas son bonheur… le sot ! Sous le règne de notre bien-aimé Louis xv, une jeune femme, qui se serait trouvée dans la situation où vous êtes, aurait bientôt pu punir son mari. L’égoïste ! Les militaires de ce tyran impérial sont tous de vilains ignorans ; ils prennent la brutalité pour de la galanterie ; ils ne connaissent pas plus les femmes qu’ils ne savent faire l’amour ; ils croient que parce qu’ils vont se faire tuer le lendemain, ils sont dispensés d’avoir des égards et des attentions pour nous. Autrefois l’on savait aussi bien aimer que mourir à propos… Allez, ma nièce, je vous le formerai !… je ferai cesser le triste désaccord qui vous mènerait l’un et l’autre à la haine, au désespoir, et vous, à la mort peut-être…

Julie écoutait la vieille marquise avec autant d’étonnement que de stupeur. — Elle était surprise en entendant des paroles dont elle pressentait la sagesse plutôt qu’elle ne la comprenait ; elle était effrayée en retrouvant, sous une forme plus douce, l’arrêt porté par son père sur Victor, dans la bouche d’une parente pleine d’expérience.

Ayant peut-être une vive intuition de l’avenir, et appréhendant déjà pour le malheur qui l’attendait, elle fondit en larmes, et se jeta dans les bras de la vieille marquise, en lui disant :

— Soyez ma mère !…

La tante ne pleura pas, parce que les femmes de l’ancienne monarchie ont peu de larmes dans les yeux. Autrefois l’amour, et plus tard la révolution, les ont familiarisées avec les plus terribles et les plus poignantes péripéties, en sorte qu’elles conservent au milieu des dangers de la vie une dignité froide, une affection sincère, mais sans expansibilité, qui leur permet d’être toujours fidèles à l’étiquette, et à cette noblesse dans les choses de la vie, que les mœurs nouvelles ont eu le grand tort de répudier.

Mais la marquise prit la jeune femme dans ses bras, la baisa au front avec une certaine tendresse, une grâce particulière, qui souvent se trouvent plutôt dans les manières et les habitudes de ces femmes d’ancienne aristocratie que dans leur cœur. Elle cajola sa nièce par de douces paroles, lui promit un heureux avenir, la berça par des promesses d’amour, l’aidant à se coucher, comme si elle eût été sa fille, une fille chérie, en qui elle eût revécu, et dont elle épousât la situation, les pensées, l’espoir et les chagrins.

Elle se revoyait jeune, elle se retrouvait inexpériente et jolie en sa nièce.

La comtesse s’endormit heureuse d’avoir rencontré une amie, une mère, à qui, désormais, elle pourrait tout dire.

Le lendemain matin, au moment où la tante et la nièce s’embrassaient avec cette cordialité profonde et cet air d’intelligence qui prouvent un progrès dans le sentiment, une cohésion plus parfaite entre deux âmes, elles entendirent le pas d’un cheval au dehors, tournèrent la tête en même temps et virent le jeune lord anglais qui passait lentement, selon son habitude. Il paraissait avoir fait une certaine étude de la vie que menaient ces deux femmes solitaires ; et jamais il ne manquait à se trouver à leur déjeuner et à leur dîner. Son cheval ralentissait le pas sans avoir besoin d’en être averti ; et, pendant le temps qu’il mettait à franchir l’espace que prenaient les deux fenêtres de la salle à manger, sir Arthur jetait un regard mélancolique, la plupart du temps dédaigné par la comtesse, qui n’y faisait aucune attention. La marquise seule, obéissant à ces curiosités de la vie retirée et sans événemens qui rend la province si triste et pleine de petitesses dont un esprit même supérieur se garantit difficilement, la marquise s’était fait un amusement de l’amour timide et sérieux que ressentait l’Anglais. Ces regards périodiques étaient devenus comme une habitude pour elle, et chaque jour de nouvelles plaisanteries attestaient le passage de sir Arthur.

En se mettant à table, les deux femmes le regardèrent simultanément, et les yeux de Julie et de sir Grenville se rencontrèrent cette fois avec une telle précision de mouvement et de sentiment, que la jeune femme rougit. Aussitôt l’Anglais pressa son cheval, qui partit au galop.

— Mais, madame, dit Julie à sa tante, que faut-il faire ? Il doit être constant pour les gens qui voient passer sir Arthur, que je suis…

— Oui, répondit la marquise, en l’interrompant.

— Hé bien ! ne pourrais-je pas lui faire dire de ne pas se promener ainsi ?…

— Ne serait-ce pas lui donner lieu de penser qu’il est dangereux ? Et d’ailleurs, pouvez-vous empêcher un homme d’aller et venir où bon lui semble. Demain nous ne mangerons plus dans cette salle, et ne nous y voyant plus, le lord discontinuera de vous aimer par la fenêtre… Voilà, ma chère enfant, comment se comporte une femme qui a l’usage du monde.

Mais le malheur de Julie devait être complet. À peine les deux femmes se levaient-elles de table, que le valet-de-chambre de Victor arriva soudain. Il venait de Bourges à franc étrier, par des chemins détournés, et apportait à la comtesse une lettre de son mari. Victor avait rejoint l’Empereur ; il annonçait à sa femme la chute du trône impérial, la prise de Paris, et l’enthousiasme qui éclatait en faveur des Bourbons sur tous les points de la France ; mais ne sachant comment pénétrer jusqu’à Tours, il la priait de venir en toute hâte à Orléans, où il espérait se trouver avec des passeports pour elle. Ce valet-de-chambre, ancien militaire, devait l’accompagner de Tours à Orléans, route que Victor croyait encore libre.

— Madame, vous n’avez pas un instant à perdre, dit le valet-de-chambre ; les Prussiens, les Autrichiens et les Anglais vont faire leur jonction à Blois ou à Orléans…

En quelques heures la jeune femme fut prête, et partit dans une vieille voiture de voyage appartenant à sa tante.

— Pourquoi ne viendriez-vous pas à Paris avec nous ? dit-elle en embrassant la marquise ; maintenant que les Bourbons…

— Oh ! j’y serais allée sans cela, ma pauvre petite ! Mes conseils vous sont trop nécessaires à Victor et à vous. Aussi vais-je faire toutes mes dispositions pour vous y rejoindre.

Julie partit accompagnée de sa femme-de-chambre et du vieux militaire, qui galoppait à côté de la chaise, et veillait à la sécurité du voyage.

Il était nuit, et Julie arrivait à un relais en avant de Blois, lorsque, inquiète d’entendre une voiture qui marchait derrière la sienne, et ne l’avait pas quittée depuis Amboise, elle se mit à la portière, afin de voir quels étaient ses compagnons de voyage. Le clair de lune lui permit d’apercevoir sir Arthur, debout, à trois pas d’elle, les yeux attachés sur sa chaise. Leurs regards se rencontrèrent fatalement. La comtesse se rejeta vivement au fond de sa voiture, mais avec un sentiment de peur qui la fit palpiter. Elle tremblait, et, comme la plupart des jeunes femmes réellement innocentes et sans expérience, elle croyait qu’être aimée par un autre, c’était être déjà coupable. Elle ressentait une terreur instinctive, que lui donnait peut-être la conscience de sa faiblesse devant une si audacieuse agression. Une des plus fortes armes de l’homme est ce pouvoir terrible d’occuper de lui-même une femme, dont l’imagination, naturellement mobile, s’effraie ou s’offense de sa poursuite.

La comtesse se souvenant du conseil de sa tante, resta pendant le reste du voyage au fond de sa chaise de poste, sans oser en sortir. Mais à chaque relais elle entendait l’Anglais se promenant le long des deux voitures ; et, sur la route, le bruit importun de sa calèche retentissait incessamment aux oreilles de Julie.

La jeune femme pensa bientôt qu’une fois réunie à son mari, il saurait faire cesser cette singulière persécution.

— Mais s’il ne m’aimait pas, cependant !…

Cette réflexion fut la dernière de toutes.

Et arrivant à Orléans, la chaise de poste fut arrêtée par les Prussiens, conduite dans la cour d’une auberge, et gardée par des soldats. La résistance était impossible, et les étrangers firent comprendre aux trois voyageurs qu’ils avaient reçu la consigne de ne laisser sortir personne de la voiture.

La comtesse pleurait. Elle resta deux heures environ prisonnière, au milieu de soldats qui fumaient, qui riaient, et parfois la regardaient avec autant de curiosité que d’insolence. Enfin elle les vit s’écarter de la voiture avec une sorte de respect en entendant le bruit de plusieurs chevaux, et bientôt une troupe d’officiers supérieurs étrangers, à la tête desquels était un général autrichien, entoura la chaise de poste.

— Madame, lui dit-il, agréez nos excuses ; il y a eu erreur. Vous pouvez continuer sans crainte votre voyage, et voici un passe-port qui vous évitera désormais toute espèce d’avanie…

La comtesse prit le papier en tremblant, et balbutia de vagues paroles.

Elle voyait près du général sir Arthur en costume d’officier anglais. Le jeune lord était tout à la fois joyeux et mélancolique, détournait la tête, et n’osait regarder Julie qu’à la dérobée.

C’était sans doute à lui qu’elle devait cette délivrance soudaine.

Grâce au passe-port, elle parvint à Paris sans aventure fâcheuse. Elle y retrouva son mari, qui, délié de son serment de fidélité par l’Empereur, avait été merveilleusement bien accueilli, et employé par le comte d’Artois, nommé lieutenant-général du royaume par son frère Louis xviii. Victor eut un grade éminent dans les gardes-du-corps ; mais au milieu des fêtes qui marquaient le retour des Bourbons, un malheur bien profond, et qui devait influer sur sa vie, assaillit la pauvre Julie… elle perdit la marquise de Belorgey.

La vieille dame était morte de joie en revoyant le duc d’Angoulême.

Ainsi, la seule personne au monde à laquelle son âge donnait droit d’être écoutée de Victor, et qui, par d’adroits conseils, pouvait rendre l’accord de la femme et du mari plus parfait ; cette personne était morte. Julie sentit toute l’étendue de sa perte. Il n’y avait plus qu’elle-même entre elle et son mari…. Jeune et timide, elle préférait la souffrance à la plainte ; et la perfection même de son caractère s’opposait à ce qu’elle osât se soustraire à ses devoirs.

La comtesse ne vit plus sir Arthur.


De Balzac.