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Le Retour de Varennes (juin 1791)/01

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Le retour de Varennes – Juin 1791
G. Lenôtre

Revue des Deux Mondes tome 20, 1904


LE
RETOUR DE VARENNES
JUIN 1791

I
LA POURSUITE

L’homme le plus ébahi de France, le 21 juin 1791, fut assurément le sieur Lemoine, valet de chambre de Louis XVI. Il avait, la veille, aux Tuileries, aidé le Roi à monter dans son lit, dont il avait soigneusement fermé les rideaux ; puis comme il était de service dans la chambre même, où il couchait sur un lit de sangle dressé derrière un paravent, il avait clos les volets, poussé les verrous intérieurs des portes[1], allumé le « mortier de nuit ; » il s’était déshabillé sans bruit, avait attaché, ainsi qu’il le faisait chaque soir, à portée de la main du Roi, le cordon d’appel dont l’autre extrémité était enroulée à son bras, et s’était endormi vers minuit et demie.

A sept heures du matin, il écarta les volets, alla sur la pointe du pied ouvrir la porte aux garçons de chambre, Hubert et Marquant[2], et quand tous deux, avec précaution, eurent replié le paravent et rangé dans une resserre le lit de Lemoine, celui-ci, s’approchant de l’alcôve royale, s’inclina respectueusement et prononça la formule habituelle :

— Sire, il est sept heures.

Alors il souleva les rideaux et s’aperçut que le lit était vide.

Très surpris de cette dérogation sans précédent aux usages de la chambre, il chargea Hubert de s’informer au rez-de-chaussée de la Reine si, contrairement à ses habitudes, le Roi n’y était point descendu. Hubert revint très troublé : — « Il ne faisait point jour chez la Reine ; » mais il avait appris de Lenoble, garçon de toilette « qu’il n’y avait personne chez Monsieur le Dauphin[3]. » Lemoine, stupéfait, s’obstinait à ne pas croire possible la disparition de son maître qu’il n’avait pas quitté de la nuit : il explora l’appartement. Le lit du Roi était placé entre deux portes : l’une donnait accès à un cabinet de garde-robe, par où l’on passait dans la chambre du Dauphin, l’autre ouvrait sur un étroit escalier conduisant au rez-de-chaussée[4] où le Roi s’était ménagé un oratoire, un cabinet de repos, et une petite forge[5]. Toutes ces pièces étaient désertes.

Lemoine remonta plein d’angoisse.

Comme la demie venait de sonner, il se décide à ouvrir la porte communiquant à la salle du Conseil où attendent les « petits services, » fort étonnés de ce retard insolite : là, se trouvent Gentil, valet de garde-robe et Beaugé, premier garçon[6], auxquels Lemoine apprend l’absence du Roi. Les deux hautes fenêtres de la salle du Conseil sont larges ouvertes sur le Carrousel ; dans la galerie de Diane, les cireurs frottent le parquet ; les Suisses replient leurs lits ; les valets en peignoirs se poudrent. C’est un campement au réveil. À la nouvelle, tout le monde s’attroupe, chausses ballantes, brosse en main, catogans dénoués ; un porteur d’eau[7]très ému, chargé du bain de la Dauphine, promène ses seaux dans les salons ; les marmitons, débuchés des cuisines, s’effarent : des exclamations incrédules se mêlent aux lamentations : — « Vous croyez que je ris ! gageons qu’ils sont partis ; » ainsi parle Poinçot, tournebroche du Roi, qui, entrant dans la bouche, vient d’apprendre la chose de Brisebarre, « officier de pâtisserie. » — « Nous ne sommes pas encore tranquilles ! » gémit Constant, l’allumeur de réverbères, sa boîte à huile sous le bras[8]. De l’étage inférieur montent des gens ahuris : les portes de la Reine restent fermées. Mlle Streel, employée à la garde-robe, qui, chaque matin, la première, pénètre dans la chambre pour le service de la table de nuit, n’a pas pu remplir son office. Fouquet, garçon de chambre de Madame Royale, introduit à l’heure habituelle chez la jeune princesse, « ne l’a pas vue dans son lit, comme à l’ordinaire. » Il a couru chez Mlle Schliek, femme de garde de Madame, et appris de sa servante « que Mlle Schliek était partie avec ses paquets, que tout le monde était parti, qu’il n’y avait plus personne[9]. » En effet, le logement de Mme Gougenot, femme de chambre de la Reine, est vide et le désordre de l’appartement témoigne d’un départ précipité[10]. Personne chez Mme Brunier, chez Mme Neuville, chez Mme de Toyrzel ; l’événement est connu en moins d’un quart d’heure de tout le château, depuis les rôtisseries dans les caves de la galerie du quai, jusqu’aux dernières mansardes du pavillon de Marsan qui comptait quatorze étages, et aussi aux écuries, a la rue du Dauphin, à la rue du Chantre, dans les maisons du vieux Louvre, aux baraques du Carrousel, où s’entassait une multitude d’employés et de fonctionnaires qui, chaque matin, prenaient aux Tuileries leur service. Tout s’arrêta instantanément, comme s’arrêterait, si on en décrochait les poids, une de ces colossales et inutiles horloges à mécanisme compliqué, qui marquent le jour, le quantième, les phases de la lune, le flux de la mer, sonnent à l’heure, imitent le coucou au quart, carillonnent à la demie, montrent des défilés de personnages ouvrant des portes, tournant des roues, entrant, saluant, sortant avec une régularité miraculeuse, et dont tous les rouages se trouveraient soudain paralysés.

Et dans cet hébétement, il y avait de la panique, la terreur de ce qu’allait dire ce formidable Paris qui s’éveillait sous le ciel couvert d’un jour d’été lourd et orageux[11].

Par les croisées de la galerie, on apercevait, dans la cour des Princes, des groupes de gardes nationaux allant et venant d’un perron à l’autre, discutant, criant, gesticulant. M. de Brissac, capitaine des Cent Suisses de la Garde, parut, peu soucieux, légèrement ironique. Marquant et Gentil avaient couru chez M. de Liancourt, grand maître de la garde-robe, qu’ils trouvèrent à sa toilette, très incrédule, ayant assisté, la veille, au coucher, et n’ayant quitté la chambre qu’au moment où Sa Majesté se mettait au lit[12]. Car, de penser que la famille royale avait pu s’évader, le coucher fini, de cette bastille si bien gardée, où chacune des portes intérieures avait sa sentinelle, chacune des sorties son poste permanent, l’idée n’en venait à personne, et on restait là, en détresse, huissiers, valets de chambre, garçons de service, suisses, frotteurs, porteurs d’eau, marmitons, filles de garde-robe, regardant, sans aviser, les passans du Carrousel qui s’arrêtaient pétrifiés, le nez levé vers la façade du château.

La ville, en effet, avait su l’événement avec une instantanéité qui confond : un Parisien rapporte qu’à peine éveillé, ce Jour-là, vers huit heures, il était encore au lit, assoupi aux bruits familiers du matin, cris de colporteurs ou roulement des voitures de maraîchers « lorsqu’un murmure se fait entendre, semblable au mugissement de la vague poussée par la tempête[13] ; » il approche, augmente, se propage, les tambours battent le rappel ; bientôt des clameurs, des mots se distinguent. Toutes les fenêtres s’ouvrent : on se penche, un cri monte de la rue : le Roi est parti ! le Roi est parti ! La nouvelle est perçue partout en même temps comme le bruit d’une détonation : dans les rues du centre, aussitôt encombrées de foule, « le long des faubourgs mugissans, au seuil de chaque boutique, à la porte de chaque maison » les citoyens s’abordent. « Il est parti ! » Et, spontanément, par une irrésistible impulsion d’anxiété, tous marchent vers les Tuileries.

Le Carrousel s’emplit ; sur le pont Royal, une foule s’était massée, ce qui intriguait fort un capitaine des chasseurs de la garde, Philippe Dubois, qui, d’une des fenêtres du pavillon de Flore, regardait placidement ces gens très animés. Philippe Dubois était préposé à la surveillance de Madame Elisabeth ; il avait consciencieusement fait coucher un de ses hommes sur un matelas jeté en travers de l’unique porte des appartemens de la princesse, et comme ceux-ci, très isolés du reste du château, ne prenaient jour que du côté des jardins et de la rivière, le désarroi des services ne s’était pas encore propagé jusque-là. Le capitaine Dubois, pris de soupçons, ouvrit délibérément la chambre à coucher de Madame Elisabeth : personne ; une tapisserie soulevée laissait apercevoir une armoire à fond mobile, donnant accès à la galerie encore démeublée qu’on destinait au futur musée : la princesse, à l’aide d’une clef ployante qu’on retrouva sur le parquet, avait fait jouer cette machinerie et était sortie par-là[14].

Dubois, très penaud, quitta son poste et gagna la galerie. C’était, devant la colère montante de Paris, un sauve-qui-peut, une galopade effarée, l’aspect d’une fourmilière labourée : les valets jetaient leur livrée, les femmes, en hâte, ficelaient des paquets, chacun s’efforçait de gagner les portes, recherchant les couloirs sombres, se faufilant vers les sorties, encore libres, de la chapelle et du pavillon de Marsan.

Car la cour des Princes et la cour Royale sont déjà envahies ; on se bouscule, on ricane, on invective un groupe que forment les officiers de la garde nationale, autour de Gouvion, leur major général qui commande en chef les postes du château. Gouvion, dans le bruit, raconte que, la veille, vers onze heures du soir, il a reçu, d’une femme, avis de l’évasion ; il en a prévenu sur-le-champ le commandant général Lafayette : toutes les portes, toutes les grilles ont été fermées. Deux commandans de bataillon, un capitaine, un aide-major et un officier subalterne ont veillé toute la nuit dans la cour ; lui-même, Gouvion, est resté là plusieurs heures : il n’a vu sortir personne ; et le pauvre homme, très ému et rouge, épouvanté de sa responsabilité, fait serment que la famille royale n’a pas pu fuir, à moins d’un sortilège ou d’un escamotage. Comme l’escamotage est évident, on hue, on siffle, on s’indigne : tout de suite surgit la persistante version du souterrain des Tuileries par lequel on peut gagner Vincennes ou Marly, et l’irritation populaire se fouette de bourdes folles, aussitôt admises qu’énoncées. D’aucuns prétendent que le Veto est là, avec sa famille, terré dans quelque cachette. A huit heures et demie, cent mille curieux s’écrasent aux murs des Tuileries ; le tocsin tinte, les tambours roulent, les boutiques se ferment[15], la fièvre monte, et par toutes les portes à la fois, la foule fait irruption dans le château, poussant des clameurs d’indignation contre les déserteurs, et de vengeance contre Lafayette qui les a laissés fuir[16].

Lafayette, après le coucher du Roi, était rentré à son hôtel, rue de Bourbon (de Lille) à l’angle de la rue de Courty, et dormait encore, quand, à huit heures du matin, son ami d’André, député d’Aix, fit irruption dans sa chambre et lui servit la nouvelle. Le commandant général sauta du lit, s’habilla d’un tour de main : déjà, dans l’hôtel, toutes portes ouvertes, circulaient des officiers accourant prendre un mot d’ordre, des intrus curieux de la contenance du général. Il paraît bientôt, très actif, mais sans effarement : en un instant il est dans la rue, cette rue de Bourbon, si déserte d’ordinaire, presque campagnarde, toute en murs de jardins coupés de hautes portes d’hôtels, et qui, ce matin-là, s’emplit de fièvre, d’appels, de bousculades. À la vue de Lafayette, éclate un tumulte : on murmure, les poings se tendent, on crie : « Au traître ! » Lui, s’avance à pied, sans autre escorte que son jeune officier d’ordonnance, Romeuf ; il marche vite, la mine pâle et sans expression, sanglé dans son plastron, ses grosses épaulettes tombant bas, à l’américaine, et dominant la foule de son grand bicorne à cocarde, posé de biais sur ses cheveux blonds sans poudre, avec des ailes frisées cachant les oreilles. La foule lui fait cortège, houleuse, menaçante ; à l’angle de la rue du Bac, tandis que les boutiques se ferment, un autre courant entraîne le maire, Bailly, long, maigre, courbé, l’air triste dans sa houppelande noire que coupe en triangle un ruban tricolore. Il se rend chez le général ; les deux hommes, dans le remous, s’abordent : Bailly abattu, l’air anxieux, Lafayette, empesé, portant beau, presque narquois. Survient Beauharnais, le président de l’Assemblée, qui, lui aussi, court chez le commandant général, et tous trois, hâtant le pas, poussés dans la foule, traversent le pont Royal, s’engagent à droite sur le quai et entrent au Carrousel par le guichet de Marigny[17].

La place est un océan orageux. Sur les toits des corps de garde, aux croisées des baraques qui enclosent les cours du château, aux fenêtres de la façade, aux rebords des toits, sur les cheminées, aux girouettes, partout, des têtes, des bras nus, des faces rouges, des fichus blancs, des redingotes, des chapeaux levés, des jupes gaies, des uniformes clairs, un fourmillement, un chaos, d’où s’élève une rumeur lointaine, changée en clameur subite, à l’apparition de Lafayette. Un chemin se creuse dans la foule ; il passe, correct et rigide, menacé, insulté, bafoué, vite entouré par les officiers restés dans la cour des Princes, abasourdis, sans consigne. Au grand poste, le pauvre Gouvion continue à se démener, jurant toujours qu’il n’a pas quitté la garde et que la famille royale n’est pas sortie ; d’autres s’épouvantent du château envahi : « Que faire ?… comment endiguer la foule ? à quoi se portera sa colère ? » Et les plus froids s’alarment de ce Paris bouillonnant, grisé, fou d’être pour la première fois sans maître. Nul moyen de réunir l’Assemblée nationale convoquée pour neuf heures seulement, et Beauharnais s’en inquiète ; jusqu’alors, que fera la cohue ? quel chef se donnera-t-elle ? qui va l’asservir et exploiter sa folie ? Bailly se tait, lamentable : — « Pensez-vous, interroge Lafayette, que l’arrestation du Roi et de sa famille soit nécessaire au salut public ? » Certes, mais de quel droit l’arrêter ? Où est le pouvoir ? Qui donnera l’ordre[18] ? — « Hé bien, j’en prends sur moi la responsabilité, » dit le général, souriant ; et le voilà dictant, sans hésitation ni redite, à Romeuf qui écrit sur un feuillet à en-tête imprimé de l’ETAT-MAJOR GENERAL : « Les ennemis de la Révolution enlevant le Roi, le porteur est chargé d’avertir tous les bons citoyens : il leur est enjoint, au nom de la patrie en danger, de le tirer de leurs mains et de le ramener au sein de l’Assemblée nationale. Elle va se réunir, mais en attendant, je prends sur moi toute la responsabilité du présent ordre. Paris le 21 juin 1791[19]. » Comme des voix réclamaient, objectant que la Reine et le Dauphin n’étaient pas mentionnés, le généra), d’une main légère, griffonna :

Cet ordre s’étend à toute la famille royale. Et cette crânerie de s’improviser, avec tant de désinvolture, le maître du pays, ce mot de billet dicté du bout des lèvres, enjoignant à tout un peuple de courir sus à son roi, ce coup d’Etat si délibérément exécuté eut pour effet soudain de réconforter bien des gens, tant on avait besoin de se sentir commandé et d’obéir.

Qui portera l’ordre ? Ceux qui se présenteront. Tout aussitôt le papier passe de main en main, on en fait cinq, dix, vingt copies que le général signe, et dont se chargent des courriers improvisés. M. Bayon, commandant du septième bataillon, se lancera sur le pavé de Valenciennes. Un autre officier, M. Bodan, prendra la route de Metz. MM. Lolivrette et Rollot partiront pour Compiègne, le sapeur Roche pour Troyes, le lieutenant Dufay pour Lille, M. Lafontaine gagnera Lyon[20], M. de Romeuf, l’aide de camp du général, courra la poste sur la route de Laon et de Mons : c’est par-là que, de l’avis unanime, le Roi a dû gagner la frontière, distante de Paris d’environ 50 lieues. Bien d’autres, séduits par l’aventure, projettent la partie de rejoindre les fugitifs ; et l’on court à la poste aux chevaux, rue Contrescarpe-Dauphine ; on réquisitionne tous les bidets disponibles ; on perd du temps en embrassades, en adieux, en poignées de main ; on en perd davantage à tenter la sortie de Paris, car, dès la première alarme, les barrières ont été fermées, personne ne passe sans solides références ; la méfiance, depuis une heure, est à l’ordre du jour. De tous ceux qui partirent ainsi, bouillans d’ardeur, bien peu dépassèrent la banlieue ; on en vit à Senlis[21], à Etampes, à Beauvais, à Provins, à Maintenon. La plupart même n’allèrent pas si loin.

Aux Tuileries, pourtant, la foule circulait en maîtresse ; mais à mesure qu’elle pénétrait plus avant dans ce mystérieux château, jamais visité, elle s’assagissait ; ardente curiosité ou vénération instinctive ? les Parisiens, nés respectueux quoi qu’ils disent, avaient encore, innés, la religion de la royauté et un amour filial pour les Bourbons. On se connaissait depuis si longtemps ! La gloire des uns était si bien liée à l’histoire des autres ! Et le sentiment qui dominait était un dépit boudeur contre ce bonhomme de roi, à qui l’on avait fait quelques misères, c’est vrai, mais qui avait eu tort, aussi, de se fâcher et de déserter, pour si peu, son peuple. S’il allait ne pas revenir ! Et c’était une consternation désespérée à l’idée qu’on était privé de lui, peut-être pour toujours. Aussi avançait-on dans les salons de son palais, avec une sorte de recueillement. — « Ah çà ! messieurs, disait-on, contentons-nous de regarder tout ce qu’il y a à voir ici, et que pas un de nous n’y touche, sans quoi il sera pendu sur-le-champ[22]. »

On considérait avec un intérêt attendri la chambre du petit Dauphin. Chez la Reine, un peu plus d’animosité et de bruit : on ouvrait les armoires, on sondait les couchages ; sur le grand lit d’apparat, entre quatre colonnes dorées, trônait une marchande de cerises, son éventaire sur l’édredon. — « C’est aujourd’hui le tour de la nation pour se mettre à son aise ! criait-elle : allons, la cerise, la belle cerise, à six sols la livre ! » Une fille qu’on voulait coiffer d’une fanchon de la Reine l’arracha de son front, disant que « ce bonnet la souillerait. » On obligeait les serviteurs du château à dépouiller la livrée, ce qu’ils faisaient de bonne grâce ; on riait fort, on furetait partout, on voulait tout voir, et sans cesse dominait la recommandation : — « Ne touchez à rien ! » Quelques jeunes gens décrochèrent le portrait du Roi et l’allèrent suspendre à la porte, en manière d’enseigne : logis à louer. Une grande joie fut l’arrivée du facteur, apportant les lettres, ne sachant où tourner ni en quelles mains déposer son courrier : — « Partis sans laisser d’adresse ! » criait-on ; les cachetées furent remises au Comité des recherches[23].

Peu à peu l’ordre se fit, les portes se fermèrent ; la garde nationale, d’elle-même, organisa un service de surveillance ; la rue, d’ailleurs, réclamait les badauds, anxieux des nouvelles. Lafayette venait de quitter le Carrousel ; il s’était fait amener son cheval, et, toujours sans escorte, coquetant avec le danger, il s’était rendu à l’Hôtel de Ville. A la Grève, la foule était plus nerveuse ; il y eut des bagarres ; quelques hommes du peuple avaient reconnu le duc d’Aumont, commandant de la 6e division de la garde nationale, celle qui était, la veille, de service aux Tuileries, et le désignaient à la populace comme l’un des complices de l’évasion. Il fut houspillé, dévêtu, foulé aux pieds ; on le poussait déjà vers la rivière, quand, d’un mot, Lafayette obtint sa grâce[24] !

Le commandant général était bien encore le roi de Paris : sa vue produisait une sorte de fascination, explicable seulement par la jeunesse de cœur et d’esprit de cette population qui naissait, pour ainsi dire, à la vie politique. Aussitôt qu’il paraissait, la foule se précipitait à sa rencontre, l’entourait, le pressait, l’acclamait[25] ; on voulait toucher et caresser son cheval blanc qui, à l’imitation de son maître, accueillait ces hommages avec une patience infatigable et une satisfaction non dissimulée. Ce cheval blanc, qui joua son rôle dans l’histoire, était au dire des uns — les enthousiastes — une bête merveilleuse, qui avait coûté 1 500 louis et dont on contait des prodiges[26]. Selon d’autres, — les détracteurs, — c’était un roussin cagneux et fourbu, appelé l’Engageant, réformé du manège des pages où les commençans n’en voulaient plus. Cette divergence est un témoignage des difficultés qu’on éprouve à découvrir le vrai dans l’histoire. Quoi qu’il en soit, le cheval de Lafayette était célèbre ; les Parisiens l’avaient surnommé Jean Leblanc et professaient pour lui une sorte de culte superstitieux[27].

Quand le commandant général mit pied à terre devant le perron de l’Hôtel de Ville, il s’éleva de la foule un long murmure de reproche ; bien des gens ne prenaient pas la peine de cacher leurs larmes, et c’était, comme aux Tuileries, une incessante lamentation : « Le Roi est parti ! » Le peuple de Paris se sentait orphelin. Lafayette eut un mot heureux : — « Mes enfans, dit-il, la liste civile de Louis XVI était de 23 millions ; tous les Français héritent aujourd’hui d’une livre de rente. » Il n’en fallait pas plus, à ce grand enfant qu’est le peuple, pour occuper un instant son esprit et le distraire de sa douleur. Quelques voix crièrent : bravo ! D’autres ajoutèrent : plus de roi ! Et comme le général se trouvait en verve, il conclut : — « Vous appelez cette fuite un malheur ! Quel nom donneriez-vous donc à une contre-révolution qui vous priverait de la liberté[28] ? » Cette fois, il fut applaudi, sa haute silhouette, aristocratique et grêle, se profilait sur le perron de la maison commune ; il salua, en acteur, d’un geste rond et, prenant le bras de Bailly, il entra dans l’Hôtel de Ville.

Dix heures sonnaient à ce moment ; la cloche municipale vibrait encore, quand éclata un coup de canon auquel répondit un cri de la foule ; deux minutes plus tard un autre coup, puis un troisième encore : c’était la batterie placée au terre-plein du Pont-Neuf, qui donnait ainsi le signal de détresse ; les cloches, toutes, tintaient lugubrement, et, au fond des rues, le long des berges, des tambours circulaient battant la générale. Telle était l’hygiène néfaste imposée aux Parisiens : le canon, le tambour et le tocsin produisaient, sur ce peuple impressionnable, un effet si certain, qu’on a, depuis longtemps, rayé de son régime ces dangereux excitans ; mais on s’appliquait alors plus qu’aujourd’hui à la mise en scène ; et pendant ces premières périodes de la Révolution, il semble que Paris se complût à bien jouer sa comédie qu’il savait très regardée. Certains mêmes outrèrent : ce jour-là, à l’appel du tambour, on vit défiler le cortège ridicule des malades de l’hôpital du Gros-Caillou, qui, pris de vertige, avaient forcé la garde, et s’avançaient, armés tant bien que mal, dans leurs houppelandes d’infirmerie. Le trait fut jugé sublime.

Ce qui jetait ainsi l’émoi, c’était moins la désertion du Roi que la prévision assurée d’une « Saint-Barthélémy de patriotes. » Chacun était convaincu que le départ de la famille royale allait être le signal d’épouvantables représailles. « Nous nous considérions sous le couteau, » écrivait Mme Roland[29]. On estimait unanimement que cette disparition de l’Exécutif n’était qu’un prologue, et que la tragédie allait suivre ; on ne pouvait s’imaginer qu’une si extrême détermination ne fît point partie d’une vaste machination contre-révolutionnaire ; quand on vit que rien n’arrivait, et que cette hégire n’était qu’une escapade, on respira plus librement ; mais pendant toute cette matinée du 21, la ville se crut dans la situation du condamné qui, les yeux bandés, attend le commandement du feu qui va l’abattre.

Dans son besoin de se sentir protégée, elle se pressait toute contre l’Hôtel de Ville, où la vue du cheval blanc, tenu en main, la réconfortait un peu, puis elle se portait vers le manège des Tuileries, où siégeait l’Assemblée nationale, et contemplant les longs murs du bâtiment bas, presque enfoui derrière un enchevêtrement de baraquemens annexes, d’auvens de planches, de tentes en coutil rayé bleu et blanc, les bonnes gens se disaient, sans grande confiance, pour se rassurer : — « Notre roi est là-dedans : Louis XVI peut aller où il voudra. » Et là, encore, quelques voix d’énergumènes, clamaient, sans écho : — « Plus de roi ! Vive l’Assemblée ! »


L’Assemblée, elle, était terriblement embarrassée. Au point de vue constitutionnel, la situation était inextricable.

La séance s’est ouverte, suivant l’habitude, à neuf heures. Dans la salle au plafond bas, et démesurément longue, s’étendent face à face, deux alignemens de six banquettes garnies de drap vert, à dossiers rembourrés, se rejoignant en amphithéâtre aux extrémités ; d’un côté, dans le milieu de la longueur, la tribune des orateurs et la barre ; vis-à-vis, le fauteuil et la table du président, dominant un vaste guéridon autour duquel, en demi-cercle, se placent les secrétaires. A la hauteur d’un étage court une étroite galerie dont le balcon est tendu d’étoffe verte, ce sont les tribunes réservées ; aux bouts, derrière chacun des amphithéâtres, s’ouvrent, comme deux antres, les tribunes publiques, hauts et profonds escaliers de gradins. Au centre s’allonge la piste étroite, coupée seulement de deux gros massifs de faïence, poêles l’hiver, ventilateurs l’été.

Le président, Beauharnais, est absent ; les députés, très animés, se groupent ; bien peu gagnent leurs places ; les tribunes publiques regorgent d’une foule entassée que, contrairement à l’ordinaire, la curiosité intense rend muette.

Comme Beauharnais ne paraît pas, l’ex-président Dauchy monte au fauteuil : c’est un ancien postillon, cultivateur dans le Beauvaisis ; il est de manières brusques et peu orateur. Il se penche vers la table des secrétaires ; l’un d’eux se lève et commence la lecture du procès-verbal de la veille : un murmure s’élève :

— Il est bien question de procès-verbal ! crie un député, du seuil de la salle.

Dauchy se tourne, s’agite et tout à coup quitte le fauteuil. Beauharnais traverse hâtivement la piste ; l’air préoccupé, mais digne et très froid, il monte à sa table et, debout :

— Messieurs, dit-il, j’ai une nouvelle affligeante à vous communiquer.

Un silence absolu plane sur l’Assemblée : les treize cents députés, les deux mille spectateurs retiennent leur souffle.

— Je dois prévenir l’Assemblée, poursuit Beauharnais, qu’à huit heures du matin… un moment avant de me rendre ici… Monsieur le maire s’est rendu chez moi et m’a annoncé la nouvelle qui, sans doute, jettera la consternation dans l’Assemblée, du départ du Roi avec une partie de la famille royale….

Pas un mot, pas un murmure, nul ne bouge.

— J’imagine, reprend le président d’un ton grave, que l’Assemblée nationale, dans une conjoncture aussi imprévue et aussi importante, croira utile pour la tranquillité du royaume, pour le maintien de la Constitution, de donner les ordres les plus prompts pour que, dans toutes les parties du royaume, on soit instruit au plus tôt de cette nouvelle alarmante[30].

Beauharnais s’assied, et c’est tout. Personne n’ouvre la bouche : l’Assemblée paraît tombée en léthargie ; il semble que dans cette réunion d’hommes qui, depuis vingt-cinq mois, pérorent sans discontinuer, nul n’a plus rien à dire et que la source aux harangues est subitement tarie. À ce moment critique, on voit surgir à la tribune le député Regnaud ; c’est un avocat de Saint-Jean-d’Angely, connu pour son imperturbable assurance ; il a vingt-neuf ans, il est large d’épaules, bâti en hercule. Dans les sociétés où on le convie, il se targue de porter un homme sur son mollet et de tenir une femme debout, dans sa main, le bras tendu. Il ne faut pas moins qu’un semblable gaillard pour tirer l’Assemblée de sa torpeur. Regnaud débute en exaltant le sang-froid, le calme, l’union de ses collègues ; puis il propose qu’il soit à l’instant expédié des courriers dans tous les départemens « avec l’ordre de faire arrêter toute personne sortant du royaume. » Camus, grave, à mine sévère, appuie la motion, et sur ce point la discussion s’engage.

Beauharnais prévient ses collègues que Lafayette a déjà dépêché des courriers sur toutes tes routes. On s’étonne : Lafayette « n’est pas une autorité légale ; » qui a le droit de donner un pareil ordre ? Le pouvoir exécutif seul. Il est en fuite. Et l’Assemblée commence à tourner dans cet argument vicieux sans conclusion possible.

Pourtant on vote l’envoi des courriers. Mais quels décrets porteront-ils ? Quelle en sera la teneur ? Saisir toute personne sortant du royaume ? Et s’ils rencontrent le Roi sur la route, faudra-t-il donc attendre la frontière pour lui mettre la main au collet ? Regnaud émet l’idée d’ajouter « une disposition particulière pour arrêter en quelque lieu qu’ils soient tous les individus attachés à la famille royale. » Le mot arrêter ne plaît, pas à Camus, il le déclare et ceci suscite des murmures.

— Il ne faut pas que les malveillans puissent dire, opine-t-il, que l’Assemblée nationale a donné l’ordre d’arrêter le Roi… mais seulement de l’empêcher de continuer sa route, et de le faire rentrer dans son séjour ordinaire…

Cette réserve est généralement approuvée : en hâte les secrétaires griffonnent et passent un feuillet au président qui, posément, dans le silence, donne lecture du projet de rédaction :

« L’Assemblée nationale décrète que le ministre de l’Intérieur expédiera à l’instant des courriers dans tous les départemens, avec ordre d’arrêter ou de faire arrêter toute personne quelconque sortant du royaume… et que, dans le cas où lesdits courriers joindraient quelques individus de la famille royale, les fonctionnaires publics, gardes nationales ou troupes de ligne seront tenus de prendre toutes les mesures nécessaires pour arrêter les suites dudit enlèvement en empêchant que la route soit continuée et de rendre compte du tout à l’Assemblée nationale. »

C’est aussitôt un murmure d’approbation ; il y a des bravos ; le décret mis aux voix est adopté à l’unanimité. Mais qui le portera ? les ministres ne sont pas là : le règlement leur interdit l’entrée de la salle ; nommés par le Roi, obéiront-ils à l’Assemblée ? On décrète de les admettre à la barre ; on décrète la permanence ; la piste devient houleuse : on ergote, on s’interpelle, on perd du temps en propositions saugrenues ; un membre, Delavigne, émet l’idée de « faire tirer par la plus grosse artillerie de Paris toutes les dix minutes un coup de canon en signe d’alarme et qu’on tire aussi, de distance en distance, un même coup de canon afin qu’on soit instruit de proche en proche de l’événement qui vient d’arriver. » La motion est très applaudie ; mais un autre, Martineau, remarque assez judicieusement que « les coups de canon porteront bien l’inquiétude dans tout le royaume, mais n’apprendront pas au peuple quelle est la cause de l’alarme. Des courriers, ajoute-t-il, valent mieux que des canons. » La chose est évidente, mais de courriers on n’en a point sans le ministre, et nul n’ose se porter garant de son assentiment. Il faut attendre : l’Assemblée s’irrite de son impuissance.

— Agissons donc, messieurs ! crie-t-on.

Le peuple, au dehors, bat les murs du manège : il vient d’être décrété que les portes resteront closes, qu’aucune députation ne sera admise[31], et la foule s’impatiente ; on perçoit de la salle sa grande rumeur continue ; les législateurs quittent leur place, les conversations se croisent.

— Du calme, messieurs, du calme ! recommande le président. On entoure la table des secrétaires : quelques députés, familièrement, s’assoient sur les marches de la tribune, il fait chaud, on s’éponge. D’autres se massent, en dépit du règlement, autour des poêles, à cause de l’air frais qu’apporte leur ventilation. De temps à autre, des huissiers passent, aspergeant de vinaigre, par mesure de salubrité, le parquet de la piste[32].

Voilà que, dans le bruit, Beauharnais se lève, il vient d’apprendre qu’un des aides de camp de Lafayette, arrêté par le peuple, demande à être entendu de l’Assemblée, et tout de suite un jeune officier paraît à la barre. C’est Romeuf.

Un peu ému, il expose que, « porteur de l’ordre du commandant général, il quittait, avec son camarade Curmer, l’hôtel Lafayette pour gagner la barrière et s’élancer sur la route de Mons, quand, arrivé au pont Louis XVI (de la Concorde), il fut arrêté par les ouvriers qui travaillent à son achèvement, jeté à bas de son cheval et fort maltraité ; il a pu s’échapper avec l’aide de quelques bons citoyens qui l’ont préservé des coups ; mais la foule l’a traîné au corps de garde des Feuillans, et il est fort inquiet de son compagnon disparu dans la bagarre… »

Ce qui intéresse l’Assemblée, c’est moins le sort du jeune Curmer que le texte de l’ordre de Lafayette ; elle en demande communication ; Romeuf présente le papier au président qui en donne lecture aux applaudissemens unanimes. Et Beauharnais, saisissant l’occasion, propose de confier à ce courrier qui tombe du ciel une copie du décret de l’Assemblée… Une clameur : Oui ! Oui ! s’élève de tous les gradins. Romeuf supplie « qu’on pourvoie à la sûreté de son camarade qui en a peut-être grand besoin dans ce moment-ci. » Mais l’attention est autre part : il est congratulé, encouragé, fêté ; on lui remet copie du décret de poursuite et, pour qu’il puisse, sans nouvelle malencontre, traverser Paris, franchir la barrière et continuer sa mission, l’Assemblée lui adjoint deux de ses membres, La Tour-Maubourg et Biauzat, qui sortent de la salle avec lui, précédés d’un huissier.

La foule s’écarte ; il passe. Ses chaperons ne regagnèrent l’Assemblée qu’après l’avoir remis au commandant du poste de la barrière Saint-Denis. Romeuf allait, de là, gagner le Bourget, et suivre la route de Soissons et de Laon[33]quand un marchand d’herbes de Claye, dont la charrette stationnait devant le bâtiment de la barrière, se mit à raconter que, se dirigeant vers Paris la nuit précédente, il avait rencontré sur la route, vers trois heures du matin « une berline à six chevaux et un cabriolet à trois. » Cette indication, assez vague, n’aurait pas suffi sans doute, à détourner Romeuf de la route qu’il allait suivre, si, au moment précis où il montait à cheval, un particulier, arrivant de l’Hôtel de Ville, n’eût ajouté qu’une commission de la municipalité, en permanence aux Tuileries, venait de recevoir la déclaration d’un jeune postillon, nommé Pierre Lebas, employé chez son oncle, loueur de carrosses rue des Champs-Elysées.

Pierre Lebas avait conté que deux inconnus, ayant commandé le 20, à deux heures, trois chevaux pour aller à Claye dans la soirée, il avait conduit vers neuf heures ces chevaux rue Millet, la première porte cochère en entrant par le faubourg Sainte Honoré. On les avait attelés là à un cabriolet qu’il reçut l’ordre de mener de l’autre côté du pont Royal, où il dut attendre longtemps. A minuit un particulier l’avait abordé, accompagnant deux dames, l’une de taille très épaisse, l’autre grande, mince et jolie ; elles montèrent seules dans le cabriolet et l’on partit. A la poste de Claye, où l’on arriva vers deux heures, les voyageuses avaient mis pied à terre : une autre voiture suivait, dirent-elles, et elles désiraient l’attendre. Cette seconde voiture parut seulement à trois heures un quart. C’était une grosse berline, absolument fermée, attelée de six chevaux et précédée de deux courriers à cheval.

Pierre Lebas n’avait rien vu de plus : « on ne s’était point parlé ; » les deux dames avaient repris, sans dire mot, leur place dans le cabriolet qui était parti, après le relayage, avec la berline. Pour sa part, il avait reçu « un louis pour les chevaux et six francs pour boire[34]. »

Cette déclaration précise avait d’autant plus éveillé l’attention que l’adresse indiquée, par Lebas était celle de la maison du comte de Fersen[35]dont les relations avec la Cour n’étaient ignorées de personne : c’est sur la foi de ces bruits plus ou moins amplifiés, à mesure qu’ils passaient de bouche en bouche, que Romeuf se décida à changer son itinéraire ; il gagna la barrière Saint-Martin où il apprit qu’une heure auparavant un de ses camarades, Bayon, porteur de l’ordre de Lafayette, était passé, se dirigeant vers Metz[36].

Romeuf se lança néanmoins : il était près d’une heure de l’après-midi lorsqu’il s’engagea à franc étrier sur ce chemin qu’avait suivi, onze heures auparavant, la lourde berline de la famille royale.

A chaque poste, d’ailleurs, il allait pouvoir en relever la piste. Le bruit de l’évasion s’était propagé depuis Paris avec une incroyable rapidité et le passage de Bayon avait jeté l’émoi sur toute la route. A Bondy, premier relais, on enquêtait déjà et les informations recueillies étaient bien étranges.

Le brigadier de la gendarmerie nationale de Pantin avait reçu la veille, 20 juin, l’ordre de mobiliser toute sa brigade et d’aller se joindre, sur la route, aux brigades de Bondy, La Villette et Ménilmontant. Ce petit corps d’armée, — trente ou quarante cavaliers au moins, — s’était rassemblé chez un marchand de vin nommé Desbille, au lieu-dit la Petite-Villette. A onze heures, ces quatre brigades s’étaient dirigées vers les carrières de Montfaucon pour y opérer une perquisition, — perquisition qui n’avait donné, du reste, aucun résultat.

En rentrant vers deux heures du matin à Pantin avec ses hommes, le brigadier Vautier avait croisé sur le pavé « une voiture à quatre chevaux sur laquelle était une bâche, et qui allait au grand trot vers Meaux. »

Maintenant que l’on savait presque avec certitude que le Roi avait pris la route de Meaux, on en concluait que cette voiture était la sienne et que le brigadier Vautier avait laissé échapper une belle occasion de se signaler. C’était en effet la berline royale attelée des quatre chevaux de Fersen, que conduisait lui-même le gentilhomme suédois, vêtu d’un habit de cocher. Quant à la mobilisation des gendarmes, les opinions se partageaient. D’aucuns opinaient qu’on les avait expédiés à Montfaucon, sous prétexte de perquisition, afin de dégager la route et d’éloigner leur surveillance ; d’autres estimaient qu’on avait au contraire armé la maréchaussée pour disposer d’elle en cas de besoin.

De cet avis était un manouvrier d’Andilly, Fournier, qui, traversant, dans la nuit, le grand chemin de Pantin « avait vu trois cavaliers de la maréchaussée formant la chaîne le long de la route, depuis la traverse du chemin des Vertus jusqu’à la porte de M. Tiphaine, maire de Pantin. » L’un des cavaliers, l’ayant aperçu « était venu sur lui, le sabre à la main et lui avait demandé : — Où vas-tu ? » Fournier, pour toute réponse, s’était jeté dans le chemin des Prés Saint-Gervais ; mais à ce moment passait sur la route « une grande berline pleine de personnes, » — et Fournier entendit l’un des voyageurs, se penchant par la portière, crier au conducteur « vêtu d’une redingote : » — « Une roue sur terre ! nous ferons moins de bruit et nous serons moins cahotés[37] ! » Fournier, pris d’une peur instinctive, « s’était retiré pour se rendre à son ouvrage. »

Ainsi les voyageurs avaient laissé partout trace de leur passage : à Claye même on affirmait qu’ils étaient, depuis le matin, retenus à Meaux ; d’autres disaient qu’on les avait arrêtés à Senlis ; mais le premier de ces bruits avait pris tant de consistance qu’en approchant de Meaux. Romeuf s’attendait à trouver là les fugitifs. Il y arriva bien avant quatre heures, ayant fait onze lieues en deux heures et demie. À la poste, place Saint-Étienne, grande animation ; mais nul autre indice du passage de la famille royale, que l’annonce de sa fuite qu’avait apportée Bayon, passé vers les deux heures et demie ; il avait, au nom du commandant général, réquisitionné trois chevaux — un pour lui, l’autre pour le postillon qui l’accompagnait depuis Paris, le troisième pour le monteur chargé de ramener les bêtes[38]et il avait poursuivi aussitôt sa route vers Châlons, conservant ainsi plus d’une heure d’avance sur Romeuf. Petit, le maître de poste, se souvenait bien, maintenant, d’avoir fourni, le matin vers cinq heures, onze chevaux, pour une grosse berline venant de Paris, accompagnée d’un cabriolet et de deux courriers, mais rien d’anormal n’avait signalé ce relayage. Plus tard, deux heures environ avant le passage de Bayon, un cavalier qui paraissait très pressé s’était présenté, monté sur un superbe cheval appelé l’Argentin et suivi d’un palefrenier : il avait laissé à Meaux cheval et domestique et avait continué sa route seul, sur un bidet de poste. Romeuf, tandis qu’on bridait son cheval frais, s’enquit de ce palefrenier et se le fit amener ; l’homme s’appelait Duchesne, il était attaché aux écuries royales et conduisait à Metz les chevaux de M. de Briges, écuyer du roi et major des chasseurs du Hainaut, avec qui il avait quitté Paris de grand matin et qui l’avait laissé à Meaux pour prendre l’avance.

A peu près certain, maintenant, d’être sur la bonne piste, Romeuf sauta en selle et partit, tandis que les curieux, massés en nombre autour de la poste, cherchaient à confesser Duchesne, qui jurait n’en savoir pas davantage, et qu’on enferma pour plus de sûreté à la prison de la ville[39].

A la poste de la Ferté, où il arriva après cinq heures, Romeuf put, de nouveau, relever les passages successifs de la berline et du comte de Briges, suivi à une heure de distance par Bayon, qui avait relayé là, avant quatre heures, gagnant ainsi de vitesse sur Romeuf. Celui-ci ne s’arrêta que le temps de changer de cheval et se remit aussitôt en route. A Vieux-Maisons, mêmes pistes : un postillon, François Picard, racontait que, se trouvant à la poste de Montmirail, le matin, entre neuf et dix heures, il avait assisté au relayage de la berline et reconnu le Roi. Picard se disposait à se rendre à Paris pour y faire sa déclaration[40]. Le bruit courait, ajoutait-il, que la voiture royale avait perdu beaucoup de temps à Etoges, six lieues plus loin que Montmirail, et qu’elle y était peut-être encore. Romeuf, toujours brûlant le pavé, traversa Montmirail après six heures ; à six heures trois quarts, il était à Fromentières, conservant son allure de cinq lieues à l’heure. A sept heures et demie, il descendait grand train la côte d’Etoges et apprenait au relais que Rayon y avait changé de cheval avant cinq heures, ayant ainsi, sur lui, Romeuf, plus de deux heures et demie d’avance. Au reste, nul renseignement nouveau sur les fugitifs : la berline avait relayé à une heure et demie après-midi et avait continué sa route sans incident.

La chaleur était lourde, le ciel depuis le matin restait chargé : vers sept heures seulement le soleil encore haut perça les nuages. Romeuf poursuivit ; quatre lieues jusqu’au prochain relais, Chaintrix : il y arriva à huit heures un quart : la poste, le village étaient en émoi.

La voiture royale était passée vers trois heures : les voyageurs harassés, mais très certains désormais du succès de l’expédition, s’étaient montrés aux portières ouvertes, dont, pendant la marche, les vitres devaient rester levées, à cause de la poussière. Jean de Lagny, le maître de poste, ayant reconnu le Roi et la Reine, s’était approché d’eux, respectueusement[41]. Ceux-ci jugeaient, si loin de Paris, toute dissimulation inutile : ils se laissèrent rendre hommage[42], d’autant plus volontiers que le Dauphin et sa sœur, exténués de fatigue et de chaleur, avaient besoin de soins. Jean de Lagny confia la chose à sa femme qui, tout aussitôt, se mit au service des voyageurs ; il la dit aussi à son gendre, Nicolas Viet, qui était le fils du maître de poste de Châlons.

Tandis que Mme de Lagny s’empressait, Nicolas vaquait au changement de chevaux : il ne voulut laisser à aucun postillon la responsabilité de mener les augustes cliens ; lui-même se mit en selle et quand, les enfans un peu reposés et rafraîchis, la berline s’ébranla dans un échange de saluts, de souhaits, de remerciemens, elle était conduite par ce jeune homme en possession du terrible secret, et qui, plus zélé sans doute que prudent, alla si grand train que, pendant les cinq lieues de route absolument plate, de Chaintrix à Châlons, les chevaux s’abattirent deux fois.

Il est probable que, la berline partie, — vers trois heures et demie, — Jean de Lagny fut discret ; néanmoins il était bien improbable qu’une si étonnante aventure ne s’ébruitât pas quelque peu parmi les palefreniers témoins du relayage. La famille royale avait quitté la porte de Chaintrix depuis plus d’une heure quand s’y présenta à son tour, venant d’Etoges, ce comte de linges dont le passage à Meaux avait été signalé. Il portait l’uniforme des dragons. Il demanda un cheval pour Châlons, et comme l’auberge était à la poste[43], il s’installa pour dîner. Dans la salle à manger se trouvait un autre voyageur : c’était un nommé Théveny, maître en pharmacie à Châlons.

De Briges terminait son repas, quand un nouveau cavalier parut devant la porte et descendit de cheval : il était environ six heures moins le quart. L’homme paraissait fourbu : c’était Bayon : il s’informa aussitôt de la berline qu’il poursuivait. Jean de Lagny la lui décrivit, donna le signalement des voyageurs, sans dire pourtant, — dans la crainte qu’on lui reprochât de ne les avoir point arrêtés, — qu’il les avait reconnus. Le récit de Bayon est très précis sur certains points mais aussi très succinct : en relevant l’horaire de sa course, on constate qu’en moins de six heures, il avait fait trente-cinq lieues et changé dix fois de chevaux : on peut croire qu’arrivé à Chaintrix, il n’en pouvait plus et qu’il fut aise de trouver un prétexte pour ne pas aller plus loin. Ce prétexte fut de Briges. Bayon, avisant ce militaire suspect dont, à tous les relais, il relevait le passage depuis Bondy, exhiba l’ordre de mission dont il était porteur et s’en autorisa pour interdire au maître de poste de procurer à l’officier les moyens de continuer son voyage. Puis, assuré, d’après les signalemens, que la berline qui le devançait était bien celle de la famille royale, il dépêcha un courrier avec ordre de l’arrêter : le fils de Jean de Lagny se chargea de la mission, sauta sur son meilleur cheval, et partit à fond de train vers Châlons[44].

Certain que sa poursuite, par le moyen de ce délégué, n’allait éprouver aucun ralentissement, Bayon revint à de Briges et l’interrogea. L’officier déclina son nom et ses qualités et n’hésita pas à convenir qu’étant au service du Roi, et ayant appris à Paris le matin, vers neuf heures, le départ de Sa Majesté, il s’était mis en route pour le rejoindre, ou tout au moins pour regagner Metz où se trouvait le dépôt de son régiment. D’ailleurs, pressé d’établir qu’il n’avait point été mis dans le secret de l’évasion, il rendit compte de son temps depuis trois jours : le samedi 18 « il avait monté à cheval avec le Roi, et était allé lui faire sa cour le dimanche matin ; » le lundi, il avait quitté Paris à sept heures du matin et passé toute la journée à Saint-Germain, « d’où il était revenu à Auteuil dans la soirée, pour ne rentrer chez lui qu’à minuit, sans avoir mis les pieds aux Tuileries[45]. » Bayon à qui cette enquête laissait le temps de souffler, la prolongea tant qu’il put ; elle lui procurait un autre résultat appréciable : l’obligation, aussi inutile qu’arbitraire où il se mettait, de détenir son prisonnier, lui commandait de continuer son voyage en voiture : tout ce lantiponnage, la recherche d’une voiture, l’interrogatoire, et aussi, sans doute, le souper, fournirent le prétexte d’une halte bien gagnée qui se prolongea pendant deux heures[46]. Il était donc huit heures moins le quart, quand, un peu refait, Bayon monta, avec de Briges, dans la carriole que le maître de poste était parvenu à lui procurer[47] : il emmenait avec lui, pour plus de sûreté, le pharmacien Théveny, qui n’attendait d’ailleurs qu’une occasion de rentrer à Châlons.

Une demi-heure plus tard, Romeuf arrivait à Chaintrix et se faisait aussitôt instruire des incidens qui s’y étaient passés : regagnant ainsi sur Bayon les deux heures d’avance que celui-ci avait perdues, concevant maintenant la possibilité de le rejoindre, Romeuf ne séjourna pas à Chaintrix, changea de cheval et se lança, brûlant le pavé, sur la route.

Nous disons rejoindre et non dépasser, car Romeuf n’avait assumé qu’à contre-cœur la mission, qu’en esclave de l’obéissance, il accomplissait avec tant d’ardeur apparente et, s’il faut l’en croire, tant de répugnance secrète. Il courait la poste à franc étrier et ne se donnait pas une minute de repos parce que tel était son devoir, mais il souhaitait ardemment ne pas réussir. Très royaliste, vivant presque continuellement aux Tuileries où l’attachait son service, il avait, plus d’une fois, par son tact et sa tenue, fixé l’attention de Marie-Antoinette ; comme bon nombre de ceux qui approchaient familièrement la Reine, il lui avait voué une sorte de culte chevaleresque, et les circonstances impitoyables l’obligeaient aujourd’hui à se conduire envers elle en ennemi. Aussi, tandis que Bayon s’efforçait d’atteindre la famille royale pour l’arrêter, Romeuf, lui, cherchait à rattraper Bayon pour retarder sa poursuite et c’est là un des aspects les plus imprévus de cette étonnante chevauchée[48].

La berline était entrée à Châlons avant quatre heures et demie de l’après-midi, conduite donc, depuis Chaintrix, par Nicolas Viet, qui, en arrivant au relais, rue Saint-Jacques, ne se priva pas, bien certainement, de révéler au maître de poste, qui était son père, la qualité de ces voyageurs. Ce qui explique suffisamment le mot de Madame Royale : « A Châlons, on fut reconnu tout à fait : beaucoup de monde louait Dieu de voir le Roi et faisait des vœux pour sa fuite[49]. » Le père Viet se montra empressé et serviable ; comme des curieux, attroupés autour de la berline, se communiquaient leurs soupçons, comme l’un d’eux avait même couru chez le maire, M. Chorez, pour lui demander d’user de son autorité en exigeant des voyageurs suspects la production de leur passeport, Viet pressa le relayage si activement qu’avant toute décision, la voiture était attelée et partie. Jusque-là, Viet restait irrépréhensible : aussi bon royaliste que Jean de Lagny son collègue de Chaintrix, n’ayant pas à s’informer de l’identité de ses cliens quand ceux-ci payaient régulièrement et se conformaient aux règlemens en vigueur, il avait pu donner à ses sentimens personnels pleine satisfaction, sans aucunement forfaire à son devoir. Cet héroïsme à la Pilate lui a rapporté quelques lignes émues dans l’Histoire des Girondins ; mais Lamartine n’a pas connu tout le rôle de Viet ; les pièces authentiques, quoique fort incomplètes, doivent, sur ce point très important, être étudiées de près.

Il suffit d’établir ici que Viet était fixé, dès cinq heures, sur l’identité des voyageurs. Allait-il fermer les yeux ? laisser à la berline le temps de s’éloigner ? Certes, si le parti du Roi triomphait, cette abstention serait grandement profitable ; mais Viet pensa aussi et tout naturellement que, si la révolution était victorieuse, cette même abstention, en une circonstance si grave, lui coûterait sa place et peut-être sa tête. Entre la dénonciation et le silence il prit un moyen terme : celui d’avertir secrètement la poste suivante, espérant peut-être que son collègue du Pont de Somme-Vesle, n’aurait pas l’audace d’arrêter le Roi, mais tenant bien à y être pour quelque chose si la catastrophe se produisait.

Quoique les fugitifs n’aient rien compris à la série d’impitoyables hasards qui les accablèrent, il est facile de découvrir la vérité dans leurs inscientes assertions. Ainsi, entre Châlons et le Pont de Somme-Vesle, la berline royale, continuant sa paisible allure coupée de pauses fréquentes, fut devancée par un cavalier lance à fond de train. Cet homme n’était pas un ennemi, puisqu’il jeta, en passant, cet avis, plus effrayant, il est vrai, que salutaire : — « Vos mesures sont mal prises, vous serez arrêtés ! » D’où pouvait-il venir, sinon de Châlons ? Qui pouvait l’avoir expédié, si ce n’est Viet, seul informé de la qualité des fugitifs ? A partir de ce moment, l’avis de leur passage va les précéder. Une demi-heure au moins avant qu’ils atteignent le relais du Pont de Somme-Vesle, Je maître de poste de l’endroit confiera au dragon Aubriot que le Roi va passer. Et, par un contre-coup fatal, c’est dès le moment même où ce bruit prend l’avance sur les fugitifs que leurs défenseurs, postés sur la route, émus de l’inexplicable agitation des paysans, jugent prudent de se replier et abandonnent leurs cantonnemens.

Qui le père Viet avait-il chargé de cette mission ? Son fils, sans doute, qui lui avait amené la famille royale ; son fils, déjà dans la confidence depuis Chaintrix, et de la discrétion duquel il était assuré, de quelque façon que tournassent les événemens. C’est là, pourtant, une simple hypothèse. Un autre point mérite plus d’examen.

On a vu qu’en arrivant à Chaintrix, Bayon, retenu là par la fatigue et par de Briges, avait dépêché en avant, afin de ne pas interrompre un instant sa poursuite, le fils de Jean de Lagny, le maître de poste. A quelle heure ce courrier parvint-il à Châlons ? C’est ce dont Viet n’a jamais parlé. Il y parvint pourtant, et si, bon cavalier, comme on peut croire, il alla d’aussi bon train que celui qu’avait mené Bayon, ce courrier arriva à la poste de Châlons à six heures et demie[50]. Il était en relations journalières de service et de famille avec le père Viet, dont le fils était son beau-frère ; il lui apportait, cette fois, l’avis bien officiel de la fuite du Roi, l’ordre d’arrêter la berline suspecte, et de lui courir sus si elle était passée. Comment Viet reçut-il cette communication ? On l’ignore[51]. Courut-il à la municipalité ? La transmit-il à quelque autorité ? Non, il se tint coi, du moins vis-à-vis des fonctionnaires qu’elle intéressait, car ici encore il louvoya : il ne se décida ni à ébruiter l’avis officiel qu’il recevait, ni à couper résolument la poursuite engagée sur l’initiative de Bayon. Si celle-ci s’était continuée sans arrêt, l’avis devait parvenir à sept heures et demie au Pont de Somme- Vesle, et à neuf heures à Sainte-Menehould, c’est-à-dire presque en même temps que la berline. Le raisonnement d’ailleurs est mathématique : Bayon, en route depuis midi à l’allure de six lieues à l’heure, rejoignait forcément au bout de cinquante lieues, la voiture royale, sortie de Paris neuf heures avant lui, mais ne parcourant, à l’heure, que trois lieues à peine. Or, la poursuite n’a pas été interrompue ; si on ne la suit que jusqu’à Châlons, c’est que là, confisquée par Viet, elle devint, en quelque sorte, occulte ; mais elle persista, bien des témoignages le prouveront et permettront d’établir que tout l’enchaînement des incidens de l’arrestation est imputable à Viet, à qui le hasard fournit, comme instrumens, deux très jeunes gens sur qui les liens du sang et de la parenté lui conféraient une autorité absolue et dont l’intérêt commun était une garantie de discrétion.

Le passage de la famille royale, connu de Viet dès cinq heures, ne fut donc officiellement su de la municipalité de Châlons, qu’à neuf heures du soir, lors de l’arrivée de Bayon. Pourtant le courrier avait bavardé ; les curieux, témoins du relayage de la berline, n’avaient point caché leurs soupçons ; le maire lui-même, M. Chorez, avisé par « un homme de la ville » et d’abord résolu à garder le silence, puis effrayé de sa responsabilité, s’était décidé à convoquer le corps municipal.

La nuit était presque complète : il était neuf heures ; la carriole où se trouvait Bayon avec le pharmacien Théveny et son prisonnier de Briges, passa les ponts, suivit la rue de Marne jusqu’à la place, et s’arrêta devant le lourd perron de l’Hôtel de Ville. Des gardes nationaux en armes l’accueillirent : il se fit connaître d’eux, leur remit de Briges et monta à la salle des délibérations où les officiers municipaux étaient rassemblés. Tout de suite, il exhibe son ordre et, dans le même instant, le tocsin sonne à Notre-Dame. Tandis que les bourgeois s’ameutent dans les rues, la municipalité décide de dépêcher immédiatement sur la route de Sainte-Menehould un exprès porteur d’une copie authentiquée des pouvoirs de Bayon qui se défend d’aller plus loin sans prendre quelques heures de repos. On court à la poste, on en ramène Viet. Qu’avait-il vu ? Que s’était-il passé au moment du relais ? Afin d’éluder les questions trop précises, le maître de poste montre un grand zèle. Il s’offre à porter lui-même la nouvelle à Sainte-Menehould, on l’acclame : vite une copie est faite du texte dicté par Lafayette. Bayon, au bas, certifie que, « trop fatigué pour se flatter d’atteindre les fugitifs, il remet son message au porteur. » Le pharmacien Théveny atteste, en deux lignes[52], la réalité de la mission et la part — modeste — qu’il y a prise. Le maire signe ; Roze, le procureur général, contresigne et Viet, serrant dans sa poche le précieux papier, sort de l’Hôtel de Ville aux applaudissemens de la foule, court chez lui, enfourche un cheval et se lance à son tour sur la route de Sainte-Menehould. Il était neuf heures et demie. Nul doute que s’il s’est décidé à se charger lui-même d’une si périlleuse et fatigante tâche, c’est qu’il rencontrera en route, revenant vers Châlons, les deux courriers qu’il a secrètement expédiés ; son fils qui, jusqu’au Pont de Somme-Vesle a précédé la voiture royale et de Lagny qui, de très près, l’a suivie jusqu’à Sainte-Menehould ; et il tient à ce qu’aucun étranger ne s’immisce dans l’imbroglio qu’il a machiné.

Lui parti, le corps municipal reste en permanence : la population de Châlons presque entière se masse sur la place de Ville et dans les rues avoisinantes ; jusqu’à l’extrémité de la rue Saint-Jacques c’est un remous incessant de curieux qui vont aux nouvelles, de la mairie à la poste aux chevaux. Vers dix heures, grande rumeur : un cavalier escorté d’un postillon fend la foule : « Place à l’envoyé de l’Assemblée ! » C’est Romeuf, en effet, arrivant de Paris qu’il a quitté à une heure. Il est suivi par deux autres courriers, de ceux qui, le matin, au Carrousel, se sont distribué des copies de l’ordre de Lafayette, et sont partis au hasard. Les procès-verbaux donnent le nom d’un de ces hommes : Berthe Gibert. L’autre est certainement Roche, sapeur de la garde nationale, dont on relève le passage à certaines postes de la route[53].

Romeuf est introduit au Conseil ; le décret lu, il manifeste aussitôt son désir de continuer sa route. Bayon, sentant le prix de la course lui échapper, et jugeant bien que, aux côtés de l’émissaire de l’Assemblée, il ne jouera plus qu’un second rôle, ne consent pas pourtant à s’avouer distancé : il sollicite et obtient l’honneur d’accompagner Romeuf, qui, lui-même, est très désireux de calmer l’ardeur de son partenaire et souhaite tacitement quelque obstacle à l’accomplissement de sa mission. Un cabriolet est amené ; tous deux y prennent place, salués par la foule, où la garde nationale leur ouvre un passage. Il est plus de dix heures quand leur voiture, passant la porte Saint-Jacques, s’éloigne à vive allure sur le pavé de Metz. La route, plate et presque sans villages pendant dix lieues, qu’ils ont à parcourir, est déserte et calme à l’ordinaire ; sauf aux deux relais isolés du Pont de Somme-Vesle et d’Orbeval, où l’événement, par le passage des courriers successifs s’est ébruité, nul ne se doute que ce cabriolet qui roule, lanternes allumées dans la nuit sans lune, porte le destin de la monarchie. Et ce doit être pour ces deux hommes, une angoissante émotion que cette course éperdue vers une tragédie encore indistincte mais certaine, où le sort du monde se joue et dont ils vont décider le dénouement. Vers minuit, au loin, une grande lueur paraît, rougissant, comme un incendie colossal, un pan du ciel sombre et sur laquelle passe tragiquement la silhouette des bouquets d’arbres qui bordent la route. Un rond-point entouré d’ormes, puis une descente, et tout à coup le cri de « halte ! » des torches, des gens armés entourent la voiture : c’est Sainte-Menehould.


La ville, depuis le passage de la berline, est dans la fièvre ; une heure après qu’avait disparu, sur la route de Clermont, la voiture royale, le bruit s’était tout à coup répandu que « le Roi vient de passer. » Drouet, le maître de poste, qui, après le relayage, était rentré tranquillement à son logement, prend feu aussitôt : il se montre tout à coup le plus déterminé et le plus entreprenant.

Lui qui n’a pas dit mot à l’aspect des voyageurs, dévisagés pourtant à loisir, lui si peu soupçonneux tout à l’heure, qu’il n’a même pas demandé à voir leur passeport, quoiqu’il eût le droit d’en exiger la communication, il tempête, il jure que « c’est le Roi, » qu’il faut courir, sonner le tocsin, battre la générale… il saute à cheval, avec son compère Guillaume, et se jette à la poursuite de la berline qu’une heure auparavant il pouvait arrêter d’un signe… Cela seul établit que le coup d’inspiration subite dont, plus tard, il prétendit avoir été frappé en apercevant, sous le store, le profil du Roi, est, de sa part, simple hâblerie : mensonge, le trait piquant de l’effigie de l’assignat, comparée à la face royale, mensonge l’heure soi-disant passée à décider Mme Drouet à le laisser agir en patriote… Le vrai, c’est que, une heure après le passage de la. berline, passage qui n’avait soulevé d’autre incident qu’une dispute entre des militaires un peu brusques, et des bourgeois molestés, était parvenu chez Drouet l’express envoyé par Viet, le fils de Lagny, qui, parti de Châlons vers sept heures, immédiatement api es l’arrivée du courrier de Rayon, avait normalement parcouru les dix lieues de route en deux heures et quart. Il prit Drouet à part, — Viet, sans docte, lui avait recommandé la prudence, — et lui souffla à l’oreille le terrible secret. Rien de plus : on n’en peut douter en présence de l’unanimité des témoignages : Bayon dit : — « Je me suis fait devancer par un guide qui, le premier, a porté la nouvelle à Sainte-Menehould, et provoqué le zèle patriotique de Drouet[54]. » Romeuf atteste : — « Le maître de poste de Châlons a averti celui de Sainte-Menehould[55]. » Georges le député, maire de Varennes, renchérit : — « Drouet a beaucoup brodé son récit quoiqu’une matière aussi grave en fût peu susceptible[56]. » Drouet lui-même avouera plus tard : — « que c’est le maître de poste[57]de Châlons qui est venu lui dire[58]. » Cette rectification ne change évidemment rien à l’histoire, mais elle éclaire singulièrement la figure assez louche de Drouet, qui se taille la gloire dans une aventure dont Viet, peu soucieux d’une telle renommée, lui abandonne la responsabilité.

Quoi qu’il en soit, tous les habitans de Sainte-Menehould, massés sur la place Royale devant l’Hôtel de Ville, avaient vu avec anxiété partir Drouet à la poursuite du Roi, sur une route qu’avec quelque vraisemblance on supposait « parcourue en tous sens par la cavalerie. » Une heure, deux heures s’étaient passées sans nouvelles. Quatre citoyens montent à cheval et partent à la découverte : mais au poste de la porte des bois, la garde les prend pour des dragons ; une fusillade éclate ; l’un d’eux tombe mort, un autre est blessé : cris, tumulte, bagarre, bousculade : la ville entière est prise de panique. Les bourgeois s’affolent, chacun court à sa maison « pour s’y enfermer ; » mais les gens du peuple, plus résolus, barrant les rues, obligent les bourgeois à rester sur la place, disant « qu’on ne sera en sûreté qu’en grand nombre et que tout le monde doit partager le péril s’il y en a[59]. » Le tocsin tinte sans discontinuer[60] ; l’ordre est donné à toutes les ménagères de cuire du pain pour subvenir aux besoins des défenseurs de la ville ; au cri des lampions ! toutes les fenêtres s’éclairent de chandelles ou de pots de suif[61] ; devant l’Hôtel de Ville brûle un grand feu en manière d’illumination, et pour cette population énervée, que le moindre incident terrifie ou ameute, les heures s’écoulent sans que parvienne aucune nouvelle. Jusqu’à minuit, rien ; l’exaltation, l’attente, les récits extravagans, les révélations contradictoires. Des villages voisins, continuellement, affluent des paysans annonçant que des gros de cavalerie circulent dans la contrée : on en a vu à La Neuville-au-Pont, à Auve, à Somme-Bionne : et, comme on ignore que ces détachemens, partout signalés, se réduisent en réalité à une cinquantaine d’hommes, toujours les mêmes, se repliant depuis le Pont de Somme-Vesles vers la forêt d’Argonne, on imagine toute l’armée de Bouillé investissant la ville et s’apprêtant à la saccager. Aux deux portes, celle des Bois et celle du faubourg Flaurion, les citoyens font sentinelle ; la placide cité de Sainte-Menehould s’est improvisée place de guerre et c’est comme aux pont-levis d’une ville forte, avec les Qui vive ? et les Avance à l’ordre ! obligés, qu’est reçu, vers minuit, Viet arrivant de Châlons. Il est conduit à l’Hôtel de Ville, communique au Conseil, resté en permanence, l’ordre émané de Bayon et dont le maire Dupin donne lecture : on discute ; qui osera se risquer à continuer la poursuite ? Drouet et Guillaume déjà ne sont pas revenus, tués ou pris par les cavaliers dont sans doute grouille la forêt ; il faut agir pourtant, mais comment ? Tandis que les municipaux temporisent, une rumeur monte de la place et l’on voit, fendant lentement la foule, dans la jaune pénombre des illuminations, la masse noire d’un cabriolet. Tout de suite se répand la réconfortante nouvelle qu’il contient les émissaires de l’Assemblée nationale.

C’est Romeuf et Bayon, en effet ; ils montent à la municipalité, présentent leurs pouvoirs, exigent qu’on vise leur passeport, manifestent le désir de continuer immédiatement leur route, et pendant que les patriotes s’empressent de courir à la poste et d’en ramener des chevaux frais, les deux « Parisiens » s’informent, s’enquièrent du passage de la berline, s’étonnent du manque de nouvelles ; la foule bientôt les voit reparaître dans le carré lumineux de la porte de l’Hôtel de Ville ; on crie : Vive la nation ! Vive l’Assemblée ! Ils saluent, remontent dans leur voiture aussitôt enlevée, au grand trot des chevaux, sur la route sombre qui s’enfonce, vers Clermont, dans la forêt.

Le chemin qu’on disait hérissé de dangers, ce chemin tragique sur lequel avaient disparu Drouet et Guillaume, était tout calme et désert : le cabriolet dans lequel, préparés aux pires incidens, se tenaient Romeuf et Bayon, montait lentement les côtes d’Argonne : à deux heures et demie du matin, il traversait le village des Islettes où tout dormait. C’était l’heure où, dans ce pays de bois et d’étangs, le ciel au loin devient rose dans l’entrebâillement des collines, tandis que de longues buées traînent dans la vallée de Biesme, encore pleine d’ombre. Il faisait petit jour quand le cabriolet s’arrêta, à trois heures, devant la poste de Clermont[62].

Là, aussitôt un groupe se forme, dragons demi-ivres, bourgeois curieux, paysans inquiets, tous semblent très animés : un homme s’avance à la portière, s’annonce aux voyageurs comme étant membre du directoire du district. Romeuf aussitôt décline son nom, l’objet de sa mission et interroge : Clermont n’a pas dormi ; la veille au soir, dès le départ de la berline d’autant plus suspecte qu’un demi-escadron de dragons était posté là pour l’attendre, la municipalité a exigé le désarmement des soldats. En dépit d’une très vive résistance de leur chef, le colonel de Damas, la troupe a déposé ses armes ; Damas s’est enfui avec quelques sous-officiers et le district a aussitôt expédié à Varennes un cavalier de gendarmerie[63]pour aviser la municipalité de l’arrivée de cette voiture dont le passage avait causé tant d’émoi. Or, ce cavalier vient de rentrer tout courant à Clermont, annonçant que les Varennois ont arrêté la berline et que les voyageurs qu’elle contenait sont prisonniers. — Qui sont-ils ? — On ne sait pas : sans doute des personnages de la plus haute considération. — Prisonniers ! Où Varennes ? — A trois fortes lieues sur la traverse de Stenay. — Vite, Romeuf demande des chevaux, on presse le relais. Voilà qu’arrive, au triple galop, poussant des cris, un cavalier qui saute à terre et dont le cheval, aussitôt traîné à l’écurie, s’abat, fourbu, terrassé sur la litière. L’homme peut à peine parler ; il a l’air fou ; on le reconnaît pourtant, c’est un chirurgien de Varennes, Mangin : il raconte, à mots entrecoupés : « Le Roi, la Reine, le petit Dauphin sont à Varennes. La population les garde, mais les hussards… l’armée de Bouillé… Royal-Allemand sont là, tout proches, pour les enlever ; on va se massacrer, il faut que tout le monde y coure ; lui va à Paris, à l’Assemblée nationale, crier à l’aide, demander des ordres… » Et déjà, le voilà en selle, parti, disparu sur la route de Châlons, On reste hébété, le Roi, la Reine… à Varennes ! C’est eux qui ont passé là, hier soir… on crie, on s’appelle, le tambour bat, les gens s’arment, tandis que la voiture de Romeuf, relayée dans le tumulte, part pour ce Varennes, ignoré tout à l’heure, et dont toutes les bouches de France vont répéter le nom pour jamais fameux.

Et, la route de Verdun laissée à droite, le cabriolet des émissaires de l’Assemblée roule sur le chemin entre les prairies vallonnées. Dans le jour clair du matin, aussi loin que le regard porte, sur toutes les routes, le long de tous les sentiers, s’allongent des files de paysans, hâtant le pas, tous, affluant vers le même point de l’horizon, comme si, là-bas, un irrésistible aimant les tirait à soi. Dans les villages, à Neuvilly, à Boureuilles, plus un homme ; au seuil des portes ouvertes, les femmes groupées, l’air stupéfait, le cou tourné, contemplent l’étendue ; et de ce lointain fascinant, parvient une résonance continue, faite des tocsins de tous les hameaux, des tambours grêles battant l’alarme, de grandes clameurs à peine perçues.

La voiture devance des groupes marchant vite, Romeuf regarde, atterré ; ce qu’il a à faire l’épouvante ; Bayon exulte. On a dépassé le Petit-Boureuilles et la route maintenant est encombrée de gens munis de faux, de serpes, de fourches, gardes nationaux sans autre uniforme que la blouse, sans autres armes que l’outil journalier. Tout à coup un cri : Halte ! Le cabriolet s’arrête ; des pièces de bois obstruent la route[64] : à droite et à gauche, des maisons basses ; derrière la barricade une foule. On est à Varennes. Romeuf et Rayon mettent pied à terre ; des officiers de garde nationale viennent les reconnaître, les poutres sont écartées, on crie : Vive l’Assemblée ! et, à travers une cohue, les deux Parisiens, tout de suite, sont poussés à gauche, dans un vieux bâtiment à façade noire bordant la rue ; c’est l’Hôtel de Ville. Ils montent : toutes les autorités de la ville sont là, l’air excédé[65] : conseil général de la commune, membres du Tribunal, juge de paix, greffier, capitaine, quartier-maître et porte-drapeau de la garde nationale. Tous, depuis qu’a été reconnu le Roi, gardé non loin de là, dans la maison de l’épicier Sauce, procureur de la commune, discutent sans parvenir à s’entendre. Laissera-t-on les fugitifs poursuivre leur voyage vers la frontière ? Les ramènera-t-on vers Châlons ? L’armée de Bouillé accourt, et ses éclaireurs ont déjà paru en haut des vignes de Cheppy. Varennes contient en ce moment six mille hommes accourus, dans la nuit, de toute la contrée. Conserver le Roi, c’est exposer la ville à un assaut, au cours duquel les plus grands malheurs sont à redouter. L’entrée en scène des Parisiens est donc, pour ces petits bourgeois de Varennes, écrasés de cette effrayante responsabilité, un indicible soulagement ; en un instant, les pouvoirs de Romeuf sont vérifiés, le parti est pris d’avertir aussitôt le Roi « du désir de la France entière. » La corvée ne plaît à personne ; mais le temps presse, il faut s’exécuter ; on part, une sorte de cortège se forme, descend le perron de l’Hôtel de Ville et s’avance, dans la rue déclive qui traverse toute la bourgade.

Entre la double haie de gardes nationaux, déformée par la presse, et qui, tant bien que mal, zigzague depuis le haut de la ville jusqu’à la maison où est réfugiée la famille royale, s’avance le procureur-syndic Sauce, la figure allongée et pâle, les yeux fixes, presque égarés, « l’air d’être en léthargie, » rapporte un témoin[66]. Derrière lui marchent Romeuf et Bayon, dans leur pimpant uniforme de la garde parisienne : tunique bleue à plastron garance, avec franges d’argent aux épaules, tous les deux d’ailleurs couverts de poussière. Romeuf est grave et triste ; Bayon très agité et rouge ; il est débraillé, le col ouvert et parle beaucoup ; puis viennent pêle-mêle les officiers municipaux, Pultier, Person, Florentin, le juge Destez, le capitaine de canonniers Radet, Hannonet, le juge de paix, Guilbert, Bourlois, Coquillard, membres du conseil de la commune, d’autres encore. Toutes les têtes se découvrent, tous les cœurs tremblent d’angoisse, de détente nerveuse, d’attendrissement… l’impression fut unanime, on en retrouve la trace dans tous les récits.

A mi-chemin de la descente, on longeait à droite l’église Saint-Pierre-Saint-Gengoult et on s’enfonçait sous la maison d’école, long bâtiment posé en travers de la rue et formant avec cette église un angle droit. Ce passage couvert s’appelait la Voûte : il servait d’abri les jours de marché aux chaudronniers ambulans. C’est sous cette arcade que la voiture royale avait été arrêtée. La Voûte passée, on trouvait immédiatement à droite l’auberge du Bras d’or où, d’abord, les voyageurs avaient été conduits ; en face, dans la rue de l’Horloge, étroite et tortueuse, le long d’un mur de cimetière, s’échouait la berline dételée, énorme avec sa coupole de bagages[67], et un peu plus bas, à gauche, était l’épicerie Sauce, qui, depuis minuit, abritait la famille royale. Devant la porte, un entassement, une mêlée ; parmi la foule immobilisée, quelques hussards sur leurs chevaux fourbus ; au seuil de la maison vers laquelle toutes les têtes sont levées, deux dragons font sentinelle. La façade, toute en bois, est étroite ; au rez-de-chaussée deux fenêtres, formant vitrine, montrent des paquets de chandelles et des pots de cassonade ; la porte est coupée en deux dans le sens de la hauteur, le bas servant de barrière ; au premier, deux fenêtres encore dont les vitres sont closes[68]. Il est six heures et demie du matin, le soleil déjà haut et ardent fait présager une journée de chaleur.

On entre, Sauce d’abord, dirigeant Romeuf et Bayon ; la boutique est pleine, comme la rue ; paysans, amis ou parens des Sauce, voisines accourues « pour aider ; » l’escalier est au fond dans l’angle à gauche, et, à la file, on s’engage sur les degrés de planche étroits et obscurs : au premier étage, dans la chambre du devant, sont d’autres gens encore, silencieux, cherchant à voir, par la porte ouverte, la famille royale entassée dans l’étroite pièce du fond dont gardent l’accès deux paysans armés de fourches, le forgeron Druard et un manouvrier nommé Blandin.

Au milieu de cette pièce une table portant du pain, quelques verres ; le Dauphin et sa sœur dorment sur un lit, Mme de Tourzel est à côté d’eux, le front dans ses mains ; près d’elle, sont les femmes de chambre, Mme Brunier et Mme Neuville : devant l’une des fenêtres, Madame Elisabeth, debout, impassible ; au fond dans leur livrée jaune, les trois gardes du corps qui ont servi de courriers ; le Roi et la Reine causent avec deux officiers, Choiseul et Damas, en tunique verte à paremens carmin[69]. Sauce, timidement, se glisse…

— Sire… !

La scène a été notée par Choiseul, on ne peut rien changer à son récit.

Romeuf en traversant la première pièce, au moment d’aborder la Reine qu’il voit quotidiennement aux Tuileries, Romeuf s’arrête, recule, défaille… Bayon entre seul, brutalement : la fatigue, l’émotion lui serrent la gorge.

— Sire, vous savez… balbutie-t-il, tout Paris s’égorge… nos femmes… nos enfans sont peut-être massacrés… Vous n’irez pas plus loin… Sire… l’intérêt de l’État… Oui, Sire, nos femmes, nos enfans…

La Reine lui prend la main d’un geste énergique et lui montre le Dauphin et sa sœur, toujours endormis.

— Ne suis-je pas mère aussi ? dit-elle.

— Enfin que voulez-vous ? demande le Roi impatient.

— Sire… un décret de l’Assemblée…

— Où est-il ?

— Mon camarade le tient…

Il ouvre la porte et l’on voit Romeuf, appuyé contre la fenêtre de la première chambre, sanglotant ; il tient un papier à la main, qu’il présente, le front bas. La Reine le reconnaît.

— Quoi, monsieur, c’est vous ! Ah ! je ne l’aurais pas cru !… Le Roi lui arrache brusquement le décret et lit :

— Il n’y a plus de roi en France, fait-il.

Il le passe à la Reine qui le parcourt à son tour et le lui rend, le Roi le relit encore et le pose distraitement sur le lit.

La Reine, d’un geste impétueux, saisit le papier et le jette à terre.

— Je ne veux pas qu’il souille mes enfans ! dit-elle.

Alors, du groupe des municipaux et des magistrats qui, du seuil de la chambre, contemplent, muets et anxieux, cet écroulement, une explosion de murmures jaillit « comme si l’on venait de profaner la chose la plus sainte ; » Choiseul, se hâtant de réparer le sacrilège, ramasse le décret et le place sur la table.

Le Roi tire à part Romeuf et Bayon, leur parle à voix basse ; on s’écarte, Choiseul et Damas eux-mêmes sortent de la chambre dont les portes sont refermées. Nul ne sut rien de cette conférence intime, sinon que Louis XVI, qui n’avait pas perdu l’espoir de voir arriver les troupes de Rouillé, supplia les deux envoyés de l’Assemblée de lui laisser gagner du temps : — « Restons jusqu’à onze heures seulement, » priait-il. Romeuf céda aussitôt, Rayon également ; mais tout de suite, il descendit dans la rue, excitant les braillards, jouant l’inquiétude : — « Ils ne veulent pas partir… Rouillé approche, ils l’attendent. » Alors de cette foule, consciente du terrible heurt que produirait l’irruption du grand massacreur et de ses hulans, s’éleva une clameur de protestation indignée : — « Qu’ils partent !… il faut qu’ils partent de force !… Nous les traînerons par les pieds dans la voiture[70]. » La lutte maintenant était entre le peuple et le Roi : celui-ci parut à la fenêtre, espérant attendrir ; un seul cri monta du moutonnement des têtes dont grouillait la rue, depuis la voûte jusqu’au pont. « A Paris ! à Paris ! » Et devant cette irritation menaçante, les municipaux, les magistrats, les officiers de garde nationale, suppliaient le Roi de se rendre au vœu général. — « Encore un moment, geignait-il, n’est-il donc pas possible d’attendre onze heures ? » La Reine était « dans un état affreux. » Elle s’abaissait héroïquement jusqu’à supplier l’épicière… Mme Sauce, allant et venant par la chambre, répondait : — « Mon Dieu, madame, votre position est très fâcheuse, mais mon mari est responsable, je ne veux pas qu’on lui cherche noise. » Et, placidement, elle vaquait aux préparatifs du déjeuner, assemblait des provisions pour garnir les coffres de la voiture que le peuple avait traînée devant la porte et attelée. On servit le repas ; le Roi se mit à table, mangea un peu, puis s’assoupit, ou fit semblant de s’assoupir, c’était quelques minutes gagnées, mais ce stratagème ne pouvait se prolonger. A peine fut-il réveillé que Mme Neuville tombe, renversée, prise d’une crise nerveuse ; nouveau répit. Marie-Antoinette déclare qu’elle n’abandonnera pas sa suivante ; des bourgeois courent chez M. Lombard, le médecin, qui arrive, examine la malade, lui administre un calmant et déclare le cas sans danger. Au dehors, la foule vocifère, impatiente d’être obéie ; on dit l’avant-garde de Bouillé au bois de Montfaucon et la terreur décuple les colères : — « A Paris ! à Paris ! » — Dans la maison, maintenant, chacun se tait… on se regarde, va-t-il donc falloir céder ? Le Roi demande un instant, un instant seulement de répit, quelques minutes de solitude avec les siens : on les laisse ; vite il supplie Sauce de lui rendre un signalé service : il s’agit de gagner la voiture, de retirer d’un coffre secret qui y est pratiqué et dont il lui désigne l’emplacement en lui remettant les clefs, des papiers qu’il veut détruire… Sauce hésite, le Roi et la Reine le pressent, ils lui montrent tout ce qu’ils ont à redouter, lui confient leurs angoisses, « s’ils n’avaient pas quitté Paris, ils y auraient été égorgés par le parti d’Orléans, que va-t-il advenir d’eux ? » L’un et l’autre ont les larmes aux yeux. Sauce se laisse fléchir, il prend un prétexte pour se glisser dans la voiture et remonte avec le coffret qu’on ouvre aussitôt. Le Roi, les princesses, tout le monde, hâtivement, se met à la besogne : les papiers, lacérés en très menus fragmens, presque hachés, sont entassés dans un grand plat, on essaie de les brûler ; Sauce, à la porte, fait le guet : pourtant une alerte se produit et, pris de peur, le Roi jette tout, plat, papiers brûlés ou non, par la fenêtre ouverte, dans la basse-cour ; les fragmens papillonnèrent jusqu’à la ruelle de la Vérade où bien des gens les recueillirent sans parvenir jamais à y déchiffrer deux mots[71]. Il était maintenant sept heures et demie du matin, la berline prête à partir, les gardes du corps déjà sur le siège, impassibles, en butte aux invectives de la foule. Les hussards, sans officiers, se passaient de main en main des cruches de vin « criant avant et après boire : Vive la nation[72] ! » Le commandant de la garde nationale du village de Neuvilly, portant la croix de Saint-Louis et qui s’appelait Bigault de Signémont, organisait le cortège à la demande des magistrats de Varennes ; il allait, plaçant ses hommes, écartant la foule, obtenant l’ordre.

Dans l’épicerie on est harassé de cette lutte qui dure depuis minuit ; il semble bien que personne ne donna le signal du départ ; tous le sentaient inéluctable. Le Roi descendit d’abord, bonhomme toujours, l’air très contrarié ; puis la Reine, frémissante, serrant le bras de Choiseul. Madame Elisabeth, résignée, accompagnée de Damas ; les enfans et Mme de Tourzel vinrent les derniers. On s’installa, la foule subitement assagie cria : Vive le Roi ! et aussi : Vive la nation ! Choiseul ferma la portière.

— « Ne nous quittez pas, » lui dit la Reine, se penchant ; mais aussitôt la berline s’ébranla et, derrière elle, la foule se rua en un tel remous que Choiseul, Damas, Romeuf lui-même, à peine montés à cheval, furent roulés, jetés à terre, entraînés, disparurent.

Dans l’étroitesse du passage de la Voûte, ce fut un écrasement : la berline, encadrée de tous les municipaux de Varennes, Sauce en tête, remonta cette rue tragique qu’elle avait suivie huit heures auparavant. Devant l’antique Hôtel de Ville, il y eut une courte halte, des cris de triomphe ; puis la marche reprit, si lente qu’un dragon, en face de la maison Préfontaine, put apercevoir, dans le fond de la voiture, la Reine lui rendant son salut d’un air d’accablement et de souffrance tel, qu’il déclara « n’avoir de sa vie rien éprouvé de semblable à ce qu’il ressentit en ce moment. » Il vit aussi le Roi « faisant un mouvement qui marquait la douleur la plus profonde. » Un autre témoin rapporta à Bouillé « les plus effrayans détails sur la situation où il avait vu le Roi, la Reine et leur suite, à l’exception de Madame Elisabeth dont la fermeté et la présence d’esprit se soutenaient d’une manière digne d’admiration. » On a noté aussi, contrastant avec la prostration des vaincus, l’entrain, les cris de joie, les chants des vainqueurs, tous résolus à escorter la berline et partant d’un pied léger pour Paris, sans raison, poussés du seul désir de ne pas perdre une péripétie de l’événement dont tout le pays était grisé jusqu’à la folie.

Aucun des paysans d’Argonne, qui ce jour-là quittèrent leur chaumière, la veste sur l’épaule, les sabots aux pieds, et la joie au cœur, pour prolonger cette prodigieuse escapade, ne se doutait que ce matin-là marquait pour la France le commencement des aventures, et que bon nombre d’entre eux ne rentreraient dans leur village, que désillusionnés, déçus, vieillis, après avoir traîné sur tous les chemins de l’Europe, pendant vingt-cinq ans de fatigues, de dangers, d’angoisses et de combats.


G. LENOTRE.


  1. « Lemoine avait mis les verrous intérieurement comme d’usage. » — Déclarations de E. A. Marquant. Archives nationales D. XXIXb 36.
  2. Pierre Hubert, garçon du château, 52 ans, passait la nuit dans la salle de billard. Louis-Antoine Marquant, 46 ans, secrétaire de la chambre du Roi, et garçon de sa chambre, couchait dans le salon du Conseil « qui tenait à la chambre du Roi, mais en était séparé par une double porte. » Archives nationales D XXIXb 36.
  3. « Le sieur Lemoine… fit l’observation au dit valet de chambre qu’il devait s’informer chez la Reine si le Roi n’y était pas et le valet de chambre (de la Reine) lui répondit qu’il n’était point jour. » Déclaration de Pierre Hubert.
  4. « Il y a une communication, qui, de la chambre du Roi donne dans l’appartement du Dauphin, et une autre porte sur un petit escalier intérieur qui descend dans ses cabinets au rez-de-chaussée, de plain-pied et communiquant avec l’appartement de la Reine. »
    Déclaration de Marquant. Archives nationales D XXIXb 3G.
  5. Le Château des Tuileries par P. J. A. R. D. E. (Roussel d’Epinal), 1802.
  6. Antoine-Philippe Gentil, valet de garde-robe du Roi, 39 ans. Louis-Joachim-Filleul 13auge, garçon de la chambre, 17 ans. « Il est entré dans l’appartement du Roi à 7 heures ; M. Lemoine sortant de la chambre a annoncé que le Roi n’y était pas. »
  7. Nicolas Vauriant, dit Bourguignon, 50 ans, porteur d’eau, rue de Rohan.
  8. Déclarations de Nicolas Poinçot, tournebroche de la bouche du Roy, lie Pierre Gervais Constant, allumeur de réverbères. Documens déposés au greffe de la Cour d’Orléans. Bimbenet, 2e édition. Pièces justificatives 15-26.
  9. Déclarations d’Elisabeth Streel, 21 ans, employée à la garde-robe de la reine, de T. -B. Fouquet, 58 ans, garçon de la chambre de Madame, fille du roi. Bimbenet. Documens déposés au greffe de la Cour d’Orléans.
  10. Archives nationales D XXIXb 36.
  11. Bulletin de l’Observatoire de Paris, 21 juin 1791.
  12. Archives nationales D XXIXb 36.
  13. Mémoires du général baron Thiébault.
  14. Philippe Dubois, 50 ans, capitaine de la deuxième compagnie de la section du Roule, rue de Duras. « Le 20 juin, à dix heures et demie du soir ou environ, il a accompagné Madame Elisabeth jusqu’à son appartement… Un des garçons de la chambre a fermé la porte en dedans ;… alors un des chasseurs de la garde, ayant mis un matelas au travers de la porte… y a passé la nuit entièrement… Le 21, c’est seulement sur les huit heures que le déposant qui était aux fenêtres qui donnent sur le pont Royal, aperçut une affluence de peuple qui venait droit au château en criant… Ce déposant, mettant le sabre à la main, a été saisir le garçon de chambre et lui a ordonné de le conduire chez Madame Elisabeth…
    C’est dans cette chambre où le déposant a remarqué une porte ou issue qu’il pense donner sur le palier qui conduit à la grande galerie destinée à faire le musée. »
    Documens conservés au greffe de la Cour d’Orléans, Bimbenet. Pièces justificatives.
    C’est sans doute à cette issue qu’il faut rapporter la déclaration suivante de Etienne Trompette, menuisier du Roi, rue de Bourbon :
    « Il y a près de deux ou trois mois, le sieur Renard, inspecteur des bâtimens du Roi, lui a commandé une armoire d’après les mesures et modèles fournis par ledit Renard. Cette armoire est d’abord composée de deux portes ouvrantes sur la face ; d’une séparation sur la largeur… une autre séparation dans le milieu de la profondeur, avec une porte à coulisse dans cette séparation, roulant sur un banc de fer qui est en haut, suspendue sur des roulettes pour le faire mouvoir plus facilement… Il y a plusieurs tablettes posées sur des tasseaux à crémaillère. Il est possible en étant les tablettes, après en avoir ouvert une des deux portes de devant de cette armoire et ouvert la coulisse du milieu, ainsi que la coulisse du fond, de passer à travers l’armoire comme à travers une porte, si l’armoire est placée devant une porte qui ouvre à l’extérieur. Observe le déposant qu’il a fait conduire la dite-armoire dans le vestibule de l’ancienne salle de la Comédie-Française, cour des Suisses, au château des Tuileries où il l’a laissée. »
    Documens conservés au greffe de la Cour d’Orléans. Bimbenet, Pièces justificatives, p. 50.
  15. Lettre de Mme Roland à Bancal, mardi 21 juin 1701.
  16. « Il est presque impossible que Lafayette ne soit pas complice. » — Lettre de Mme Roland, même date.
  17. Thierry, à l’article Écuries du Roi, I.
  18. Mémoires du marquis de Lafayette.
  19. Procès-verbal de ce qui s’est passé à Châlons… Châlons-sur-Marne, L. L. Leroy, 1876.
  20. Etat des bidets fournis par les ordres de MM. le Maire et Lafayette le 21 juillet (sic) 1791. Archives nationales, M. 664.
  21. A Senlis, la nouvelle de la fuite parvint vers midi et demie par deux particuliers vêtus de l’uniforme national, sur des chevaux de poste, porteurs d’ordres « pour courir après le Roi. » A Valenciennes, on sut le départ du Roi, le 22 à quatre heures du matin, par un courrier de la section des Quatre Nations de la commune de Paris.
  22. Déclaration de Pierre Hubert, garçon du château.
  23. Révolutions de Paris, juin 1791, et Partie de plaisir avortée à Varennes. Déclaration de P. Hubert, de Desclaux, etc., Lescure, Correspondance secrète, etc., Archives nationales DXXIXb.
  24. « On maltraite un peu M. d’Aumont que l’on croyait préposé cette nuit-là à la garde du Roi. Il dut son salut à l’intrépidité des grenadiers du bataillon Saint-Médéric, dont plusieurs furent blessés. » Partie de plaisir avortée. « Le duc d’Aumont maltraité par la foule est mis presque nu et roué de coups. » Le Babillard, n’ 18, 22 juin 1791
  25. Aventures de guerre au temps de la République et du Consulat, par A. Moreau de Jonnès, 1858.
  26. Mémoires au général baron Thiébault.
  27. Souvenirs d’un page de la Cour de Louis XVI, par Félix, comte de France d’Hezecques, baron de Mailly.
  28. Mémoires du marquis de Lafayette.
  29. Lettre à Bancal, 23 juin 1791.
  30. Archives parlementaires. Assemblée nationale, séance du 21 juin 1791.
  31. Camus :… Je demande que l’Assemblée nationale ordonne aux chefs de l’administration et de la force publique d’employer une garde suffisante pour empêcher aucune autre personne que les députés de pénétrer dans la salle. (Applaudissemens.) L’Assemblée adopte cette proposition.
    Archives parlementaires, séance du 21 juin 1791.
  32. Armand Brette, Histoire des édifices où ont siégé les assemblées parlementaires de la Révolution. Tome 1er, Le manège des Tuileries.
  33. Dans la Relation du départ de Louis XVI, par M. le duc de Choiseul, cet important incident est raconté de façon inexacte. Voici le texte : « M. de Romeuf avait été envoyé par M. de Lafayette sur la route de Valenciennes, pour chercher la trace du Roi. Arrivé à la barrière qui mène au Bourget, les groupes qui y étaient rassemblés se saisirent de lui et sa vie fut menacée. Il obtint qu’ils le conduisissent à l’Assemblée pour s’assurer eux-mêmes de la vérité de sa mission. Au moment où ils y arrivaient, on recevait au bureau du président la déclaration d’un marchand d’herbes de Claye qui disait avoir rencontré, entre deux et trois heures du matin, entre Bondy et Claye une berline à six chevaux et un cabriolet à trois. Sur cette déposition, le président changea lui-même l’itinéraire de M. de Romeuf, lui remit le décret de l’Assemblée qui ordonnait l’arrestation… et le dépêcha sur la route de Châlons. » Choiseul, p. 102.
    Or, ce n’est pas à la barrière, comme le dit Weber (Mémoires) et comme l’a répété Choiseul, que Romeuf fut arrêté par la foule, mais, comme on l’a vu, au pont Louis XVI (de la Concorde). Ce n’est pas à l’Assemblée que le marchand d’herbes fit sa déclaration, il ne fut même pas entendu par la commission permanente de la municipalité. En outre, ce marchand d’herbes ne pouvait pas avoir rencontré entre Claye et Bondy la berline et le cabriolet, puisque c’est à Claye seulement qu’attendait le cabriolet. La berline lit seule la route de Bondy à Claye.
    Nous mentionnons cependant le témoignage du marchand d’herbes, parce que c’est une tradition qu’on retrouve dans bien des récits ; mais authentiquement, le premier indice de la route prise par le fugitif, fut fourni, ainsi qu’on va le voir, par le postillon Pierre Lebas, à la commission permanente des Tuileries.
  34. « Les officiers municipaux qui se sont transportés aux Tuileries, en exécution de l’arrêté du département de Paris, ont recueilli les premières indications que voici (suit la déclaration de Lebas que nous citons presque intégralement). » Archives nationales DXXIXb36, dossier 344.
  35. La rue Millet s’appelait officiellement depuis peu la rue Matignon.
  36. Bayon avait éprouvé, lui aussi, bien des difficultés à traverser Paris et à gagner la barrière. Parti à dix heures des Tuileries, il n’était sorti de Paris qu’à midi. Rapport sommaire et exact de l’arrestation du Roi, par Bayon, commandant du 7e bataillon de la 2e division.
  37. C’était là le terme consacré. — « Aux environs de Paris les chemins sont pavés, et comme les postillons vont fort vite, les voitures et les chaises s’en trouvent fort mal. C’est pourquoi, si le temps le permet, il faut recommander aux postillons « d’aller par terre », c’est-à-dire sur les chemins non pavés qui sont à côté des chaussées. » Guide du voyageur en Europe, par Reichard-Weimar, 1805, tome II, p. 157. France, manière de voyager.
  38. Bayon sur sa route réquisitionnait les chevaux. Ceci ressort d’un État des chevaux fournis pour la ville de Paris au départ du Roi par moi, Petit, maître de postes de Meaux, en juin 1791. — « Le 21. Trois chevaux pour Monsieur le commandant du bataillon de Saint-Germain-des-Prés portant un ordre de Monsieur de Lafayette et de la ville, allant à Saint-Jean. Une poste 1/2, 5l 12s 6d, guide du postillon à 1l par poste, 1l 10s. »

    Des états similaires furent fournis par le maître de poste de Claye. Là, comme à Meaux, on peut constater, par la dépense restée impayée, le passage de Bayon, — celui de Romeuf n’a laissé aucune trace ; c’est, bien certainement, parce qu’il soldait la poste à chaque relais, comme les voyageurs ordinaires.

  39. L’histoire de M. de Briges est fort obscure et il semble qu’il y aurait très grand intérêt à l’éclaircir. Joseph-Christophe de Malbec de Montjonc, comte de Briges, paraît avoir été mêlé de très près à tous les événemens de la Révolution. Malheureusement on ne trouve partout de lui qu’une trace des plus vagues. Dans une lettre de Marie-Antoinette à Mercy, datée du 3 février 1791 et publiée par M. Feuillet de Conches (Louis XVI, Marie-Antoinette et Madame Elisabeth, Plon, 1864-73), se trouve cette indication :
    « — Notre fuite s’exécutera de nuit… M. de Briges nous servira de courrier. » Ce personnage fut revu le 10 août 1792 et jours suivans aux Feuillans et au Temple, parmi les plus intimes et les plus dévoués serviteurs de la famille royale (Beauchesne, Louis XVII, 13e édition, tome I, p. 233). Il mourut fusillé à Vannes le 3 août 1795 à la suite de l’expédition de Quiberon. Il avait 34 ans (Expédition des Émigrés à Quiberon, par Charles Robert, de l’Oratoire de Rennes). Voici ce que dit, du voyage du comte de Briges, le comte de Séze dans son Histoire de l’événement de Varennes. — Il faut noter que de Séze s’était fait renseigner sur bien des détails par les anciens serviteurs de la Cour. — « Sans doute le marquis de Briges était parti sur les traces du Roi, on sait même sur quel cheval il était parti, on lui avait donné l’Argentin, un des coureurs les plus légers de la grande écurie, mais on se rappelle de même que M. de Briges n’avait été instruit que fort tard du départ du Roi, et ce n’est que le 21 à midi, qu’il avait demandé précipitamment un cheval. » Ce renseignement avait été fourni à de Sèze par M. de la Ravine, ancien piqueur de Louis XVI.
    Nous n’avons pu contrôler à quelle heure de Briges avait quitté Paris, mais il était parti avant Bayon, qui ne le rejoignit, comme on le verra, qu’à Chaintrix, quoique de Briges eût laissé l’Argentin à Meaux et poursuivi sa route sur un simple bidet de poste. Or, comme Bayon ne franchit la barrière qu’à midi, d’après sa propre relation, il s’ensuit que de Briges a dû partir plus tôt que ne le dit de Sèze. D’ailleurs, sauf le mot de Marie-Antoinette cité plus haut, rien ne confirme que de Briges ait été dans le secret de l’évasion. Il a pu ne se lancer sur la route de Metz que vers dix ou onze heures du matin, après avoir appris comme tout le monde le départ de la famille royale. Ajoutons que certains chroniqueurs ont prétendu que de Briges n’était pas mort à Quiberon et lui ont donné un rôle prééminent dans les aventures d’un des personnages qui ont revendiqué le nom et la personnalité du Dauphin, fils de Louis XVI. La survie du comte de Briges est une affirmation qui nous semble ne reposer sur aucune preuve.
  40. Il la fit en effet le 22 juin à quatre heures et demie du matin, devant les membres du comité permanent de l’Hôtel de Ville. Archives nationales D XXIXb 37.
  41. « Jean de Lagny et Nicolas Viet, maitres de poste, l’un à Chaintrix, l’autre à Châlons, liés par une étroite alliance, car leurs enfans s’étaient unis (Nicolas Viet, fils du maître de poste de Châlons avait épousé Rose de Lagny, fille de Jean de Lagny), reconnurent l’un et l’autre le Roi. Au moment du passage des voitures, le maître de poste de Chaintrix avait chez lui son gendre, il le fit de suite monter en selle et lui confia, avec son secret, la vie des nobles fugitifs… Jean de Lagny, à Chaintrix, reçut a titre de reconnaissance, pour les soins affectueux que lui et sa femme prodiguèrent aux enfans très fatigués de la route, deux légumiers d’argent dont un appartient aujourd’hui à M. Wast, arrière-petit-fils, par Adèle Viet sa mère, du maître de poste, et propriétaire actuelle de l’ancienne poste de Chaintrix, et l’autre à Madame Lannoy sa cousine… Jean de Lagny descendait d’une ancienne famille noble ruinée par le jeu… » Annales de l’Enregistrement, 2e série, année 1891, article de M. Tausserat.
  42. « Pour comble de malheur, les chevaux de la voiture du Roi s’abattirent deux fois, entre Nintré (c’est Chaintrix, le nom a été mal lu sur le manuscrit) et Châlons ; tous les traits cassèrent et nous perdîmes plus d’une heure à réparer ce désastre. » Mémoires de Madame de Tourzel — « La voiture fut accrochée à un pont avant Châlons ce qui fit casser quelques traits, mais ils furent raccommodés en moins d’une demi-heure. » Relation de M. Deslon, dans Bouillé.
  43. Itinéraire complet du royaume de France. Route de Paris à Châlons-sur-Marne.
  44. « Je n’hésite pas à croire que je suis sur la route du Roi ; mais embarrassé de M. de Briges… je fais partir devant moi un courrier en toute diligence, à qui je donne ordre de faire arrêter ses deux voitures, dont j’avais donné le signalement ainsi que venait de me le désigner le maitre de poste, et c’est son fils que je charge de cette mission. » Relation de Bayon.
  45. Archives nationales D XXIXb 36.
  46. « M. Bayon avait été retenu pendant deux heures pour l’arrestation de M. de Briges… » Rapport oral de Romeuf à l’Assemblée nationale. Archives parlementaires, 1re série, XXVII-478.
  47. Relation de Bayon.
  48. « Je dois dire que, dans cette nuit pénible, où à chaque instant, nous attendions la mort et n’ayant plus rien de caché les uns pour les autres, nous avons vu les véritables et estimables sentimens de ce valeureux jeune homme (Romeuf), sa douleur de la mission dont il fut chargé malgré lui, son projet de retarder son arrivée, s’il n’avait pas rencontré M. Bayon sur la route, et sa volonté, si cet officier n’y eût pas mis d’obstacles, de nous aider à suspendre le départ du Roi… Il était impossible de l’entendre et de conserver le moindre doute sur son véritable attachement au Roi et à la Reine ; la pensée seule d’être soupçonné par elle d’avoir volontairement accepté cette désastreuse commission, le portait au désespoir. »
    Relation de Choiseul.
    « M. de Romeuf avait l’air consterné, sa conduite avec nous et ses discours depuis ce fatal moment, m’ont donné lieu de croire qu’il était entraîné par son compagnon de voyage, qu’il remplissait cette commission avec répugnance et qu’il aurait souhaité trouver la famille royale hors de portée d’être rejointe. »
    Relation de Damas.
    Jean-Louis Romeuf était d’une excellente famille bourgeoise de la Haute-Loire. Il était né à la Voûte le 26 septembre 1766. Aide de camp de la garde nationale parisienne le 1er septembre 1789, capitaine au 12e dragons le 15 septembre 1791. Prisonnier de guerre (avec Lafayette), puis employé à l’armée d’Egypte et bloqué à Malte en 1798, il ne rentra en France qu’en 1799. Chef d’escadron en 1800, aide de camp du général Mathieu Dumas, puis général de brigade en 1811, chef d’état-major du 1er corps de la Grande Armée le 5 février 1812, il fut tué à la Moskowa. Il était baron de l’Empire depuis le 15 août 1809. Son nom est inscrit sur l’Arc de Triomphe de l’Étoile.
    Romeuf resta « chevaleresque » jusqu’à la fin de sa vie. Il était en 1811 sur le point de conclure à Vienne, un riche mariage avec une demoiselle Charlotte de Traunvisser ; l’Empereur et le ministre de la Guerre devaient signer à son contrat, lorsqu’il demanda à partir pour la campagne de Russie. « Il serait de ma délicatesse, écrivait-il au ministre par une sorte de pressentiment, de ne lier cette jeune personne à mon sort qu’après avoir échappé aux chances de cette guerre. » Il n’y échappa point et mourut célibataire. Napoléon, par un décret signé de Moscou même, transmit le titre et la dotation de baron à l’aîné des neveux de Romeuf, âgé alors de quinze ans. Archives du ministère de la Guerre.
  49. Relation de Madame Royale.
  50. Il importe de bien rappeler que, de Paris à Chaintrix, Bayon avait couvert, ainsi qu’on dit aujourd’hui, la lieue de poste en dix minutes : soit six lieues à l’heure. On peut croire que son remplaçant, le fils de Lagny, adopta la même allure, et que, parti de Chaintrix, un quart d’heure après l’arrivée de Bayon, c’est-à-dire à cinq heures et demie, au plus tard, il parcourut facilement en une heure les cinq lieues qui le séparaient de Châlons.
  51. Il est bien certain que si, en arrivant à Châlons, délégué de Chaintrix par Rayon, le fils de Lagny se fût rendu à la municipalité, celle-ci aurait aussitôt expédié un courrier pour transmettre plus loin la nouvelle. Mais non, ce n’est que deux heures et demie plus tard, après neuf heures, à l’arrivée de Bayon lui-même, qu’on prend cette détermination. C’est donc que Viet avait confisqué l’avis au passage et que, bien qu’il ne pût empêcher ses gens de bavarder et les soupçons de se répandre, la municipalité ne savait rien d’officiel avant que Bayon ne comparût devant elle.
  52. Deux lignes assez obscures ainsi rédigées : « Je certifie avoir vu le pouvoir de M. Bayon et me suis porté fort d’accompagner la personne que nous amenons. Signé : Théveny, maitre en pharmacie à Châlons. »
  53. « Le 21 juin, 2 chevaux fournis par Petit, maître de poste de Meaux pour un sapeur de Paris portant l’ordre de M. La Fayette. » « Deux chevaux fournis à M. Roche, sapeur de Saint-Lazare, chargé d’ordres en allant et revenant par Frémin, maître de poste à Bondy. »
  54. Pétition du sieur Bayon à l’Assemblée nationale.
  55. Archives parlementaires. Séance du 24 juin 1791. Ce n’est pas le maître de poste de Châlons en personne qui avertit Drouet, puisque Viet n’arriva à Sainte-Menehould qu’à minuit, au moment même où Drouet arrêtait à Varennes la berline royale.
  56. Archives nationales D XXIXb 37.
  57. Le comte de Fersen et la Cour de France, II, p. 94.
  58. Nous réitérons l’observation, c’est l’émissaire du maître de poste et non le maître de poste lui-même.
  59. Buirette, Histoire de Sainte-Menehould.
  60. G. Fischbach, La fuite de Louis XVI d’après les archives de Strasbourg.
  61. Ibid.
  62. Extrait des registres des délibérations du directoire du district de Clermont. Archives parlementaires, XXVII, 480.
  63. Nommé Lenian. Archives nationales D XXIXb 37-386.
  64. « J’observais les mouvemens des gardes nationaux qui… faisaient des abatis d’arbres pour barrer les chemins. » Relation de Choiseul.
    « Cette barricade était placée à l’endroit où le chemin sortant de Varennes se bifurque, pour aller à droite, vers le bois : à gaucho vers Clermont. » Louis XVI, le marquis de Bouillé et Varennes, par l’abbé Gabriel.
  65. « L’Hôtel de Ville vieux de six siècles qui fut démoli en 1793. » L’abbé Gabriel.
    « Nous avons été rendre compte à la municipalité de l’objet de notre voyage. » Rapport de Romeuf à l’Assemblée. Archives parlementaires, XXVII, p. 478.
    « Il y avait, en 1791, sur la place du château, un ancien édifice connu sous le nom de Palais. C’était le prétoire du bailliage d’Argonne et il recouvrait entièrement le sol de la place. Il était très spacieux et renfermait les prisons, les balles du marché public… ce vieil édifice servait encore de maison commune. (Manuscrit Coulonvaux.)
  66. Rémy.
  67. « Je reconnus en passant dans une rue assez étroite la berline qu’on y avait amenée… » Relation de Choiseul.
  68. La maison de Sauce consiste, dit un titre, en un principal corps de logis, donnant sur la rue, composé d’une boutique, cuisine et cave plus bas, chambres au premier étage, greniers au-dessus, couverts de tuile. — On arrivait du rez-de-chaussée au premier étage par un sombre escalier en bois en escargot dont une grosse corde usée et crasseuse formait la rampe. Les deux chambres du premier étage étaient séparées par une sorte de corridor obscur. — En 1845 la rue de la Basse-Cour ayant été élargie, la maison Sauce a perdu sa façade ; le derrière seul de l’immeuble est resté intact. » Mémoires du général Radet, par A. Combier. Pièces justificatives, no 19. — « Il fallait passer par la boutique pour entrer dans la maison… l’escalier étroit et obscur était situé au fond de la boutique, entre le mur de gauche et la porte de la cuisine. » V. Fournel, l’Événement de Varennes. Fournel et Combier étaient de Varennes et avaient connu la maison Sauce avant la modification de 1845.
  69. Ordonnance de 1786.
  70. « J’offre de prouver que c’est moi seul qui l’ai décidé à partir par le moyen que j’ai employé de faire crier par le peuple : — Il faut qu’il parte, nous voulons qu’il parte ! » Rapport sommaire, par Bayon. — « M. Bayon joua un rôle de fausseté : il eut l’air de s’attendrir sur la situation du Roi et promit d’employer tous ses efforts pour diriger son départ. Cependant il ne fit autre chose que d’aller, de venir, de remonter et descendre sans cesse pour dire au peuple que le Roi refusait de s’en aller et prenait mille prétextes pour donner à M. de Bouillé le temps d’arriver. Il revenait ensuite et s’affligeait devant le Roi, des clameurs et des instances du peuple qui demandait à grands cris le départ. Relation de Choiseul.
  71. « Le Roi demanda à être seul avec sa famille, afin de pouvoir détruire des papiers, que, à sa prière, le procureur Sauce avait été retirer, à, l’insu de tous, d’un compartiment secret de la voiture de voyage. Au moment où les papiers lacérés en petits fragmens venaient d’être accumulés et commençaient à brûler dans un plat, on vint frapper à la porte de la chambre, malgré le procureur de la commune qui faisait bonne garde… La famille royale, épouvantée, jeta tout, plat, fragmens incinérés ou non, par la croisée, dans la cour. Des gens curieux ou malveillans recueillirent les lambeaux de papiers encore intacts, mais n’en purent tirer aucun document. » (Tradition locale, la Vérité sur la fuite de Louis XVI, par E. A. Ancelon, p. 114.) Sauce, notre procureur de la commune, vient de me dire des choses extraordinaires. Le Roi et la Reine lui ont dit, les larmes aux yeux, que s’ils n’étaient pas partis de Paris, ils étaient égorgés par le parti d’Orléans ; ils lui ont fait mille confidences de ce genre, ils ont brûlé chez lui un tas énorme de papiers, qu’il est bien fâché de n’avoir pas saisi, mais il n’était pas dans la chambre dans le moment, il était sorti pour donner des ordres. » Lettres de Mme Destez à sa mère. Archives nationales D XXIXb 37-385.
  72. Rapport de M. Rémy, sous-officier de dragons. Relation de Choiseul, pièce justificative, no 8.