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Le Rhin/XXI.2

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Lettre vingtième-unième
Légende du beau Pécopin et de la belle Bauldour.
II
L’oiseau Phénix et la planète Vénus
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Ils s’adoraient à faire envie.

Pécopin avait dans sa halle d’armes à Sonneck une grande peinture dorée représentant le ciel et les neuf deux, chaque planète avec sa couleur propre et son nom écrit en vermillon à côté d’elle ; Saturne blanc-plombé ; Jupiter clair, mais enflambé et un peu sanguin ; Vénus l’orientale embrasée ; Mercure étincelant ; la Lune avec sa glace argentine ; le Soleil tout feu rayonnant. Pécopin effaça le nom de Vénus et écrivit en place Bauldour.

Bauldour avait dans sa chambre aux parfums une tapisserie de haute lice où était figuré un oiseau de la grandeur d’un aigle, avec le tour du cou doré, le corps de couleur de pourpre, la queue bleue mêlée de pennes incarnates, et sur la tête des crêtes surmontées d’une houppe de plumes. Au-dessous de cet oiseau merveilleux l’ouvrier avait écrit ce mot grec : Phénix. Bauldour effaça ce mot et broda à la place ce nom : Pécopin.

Cependant le jour fixé pour les noces approchait. Pécopin en était joyeux et Bauldour en était heureuse.

Il y avait dans la vénerie de Sonneck un piqueur. drôle fort habile, de libre parole et de malicieux conseil, qui s’appelait Érilangus. Cet homme, jadis fort bel archer, avait été recherché en mariage par plusieurs riches paysannes du pays de Lorch ; mais il avait rebuté les épouseuses et s’était fait valet de chiens. Un jour que Pécopin lui en demandait la raison, Érilangus répondit : Monseigneur, les chiens ont sept espèces de rage, les femmes en ont mille. Un autre jour, apprenant les prochaines noces de son maître, il vint à lui hardiment et lui dit : Sire, pourquoi vous mariez-vous ? Pécopin chassa ce valet.

Cela eût pu inquiéter le chevalier, car Érilangus était un esprit subtil et une longue mémoire. Mais la vérité est que ce valet s’en alla à la cour du marquis de Lusace, où il devint premier veneur, et que Pécopin n’en entendit plus parler.

La semaine qui devait précéder le mariage, Bauldour filait dans l’embrasure d’une fenêtre. Son nain vint l’avertir que Pécopin montait l’escalier. Elle voulut courir au-devant de son fiancé, et en sortant de sa chaise, qui était à dossier droit et sculpté, son pied s’embarrassa dans le fil de sa quenouille. Elle tomba. La pauvre Bauldour se releva. Elle ne s’était fait aucun mal, mais elle se souvint qu’un accident pareil était arrivé jadis à la châtelaine Liba, et elle se sentit le cœur serré.

Pécopin entra rayonnant, lui parla de leur mariage et de leur bonheur, et le nuage qu’elle avait dans l’âme s’envola.


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