Le Rhin français/01

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Attinger Frères (p. 5-8).

I

Loué soit le Maroc !

L’Allemagne ne se souciait aucunement du Maroc. Elle n’avait avec l’empire chérifien ni contiguïté, ni voisinage, ni souvenirs communs de paix ou de guerre, ni commerce ; très peu de ses nationaux y vivaient, très peu y passaient.

Vinrent les jours de gloire, l’ère bismarckienne ; elle s’enfla de vanité jusqu’à se croire dores et déjà la maîtresse du monde.

Alors elle visa délibérément le Maroc. S’en emparer, c’était humilier l’Angleterre, abaisser la France, conquérir tôt ou tard, et sans doute avant longtemps, l’Algérie, la Tunisie, Bizerte, dominer la Méditerranée. C’était aussi, avant beaucoup d’années, le Transsaharien que les Français avaient follement négligé de tracer entre l’Atlas et le Soudan, puis la conquête du Niger, puis le Congo, déjà menacé par le Caméron.

Cette concupiscence effrontée se cacha quelques années, puis apparut au grand jour. C’est là surtout que le Soltan-el-Brouz[1], mandataire de son peuple, nous a le plus exaspérés. Sottement d’ailleurs, puisqu’il nous a fait entrevoir que la guerre était inévitable. De coups d’épingle en soufflets, de soufflets en coups de poing en attendant les coups de canon, il nous a sauvés de nous-mêmes, en nous prouvant tous les jours qu’il n’y avait pas de paix possible avec « l’empire mondial ». En 1905, ce fut l’algarade de Tanger et la proclamation, à peine voilée, du protectorat allemand sur le Moghreb-el-Aksa[2] en même temps que sur le monde islamique, ensuite vint l’affaire de Casablanca et, pour finir, en 1911, l’intolérable insolence d’Agadir.

Après quoi, bien qu’une insigne lâcheté d’une France ultra-pacifique eût cédé aux Allemands 25 millions d’hectares[3] de territoire français, au bout de leur Kameroun, au détriment de notre Congo, la Teutonnie devenue teutonnomane, se regarda comme dépouillée de son dû ; le Maroc ne lui appartenait-il pas, puisqu’elle le désirait, elle, le surpeuple, dépositaire de l’hyperdoctrine ?

Il n’y a pas de doute : Cette déconvenue de leur orgueil, ce noli tangere[4], opposé par la France méprisable et méprisée à la horde de Bismarck et de de Moltke, fut la principale cause du hérissement de la race « divine » contre la France, l’Angleterre et la Russie.

Loué soit donc le Maroc ! Cette guerre a sauvé l’Europe, Russie à part : la Russie est infranchissable, impénétrable, indestructible.

  1. Le Sultan des Prussiens, l’empereur d’Allemagne.
  2. Le couchant le plus éloigné, sous-entendu : de La Mecque : c’est-à-dire le Maroc.
  3. L’étendue de presque la moitié de la France.
  4. N’y touchez pas !